Décisions de la Cour d'appel fédérale

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Date : 20230512


Dossier : A-136-21

Référence : 2023 CAF 102

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LE JUGE LASKIN

LA JUGE RIVOALEN

LA JUGE MONAGHAN

 

 

ENTRE :

DORINELA PEPA

appelante

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

intimé

Audience tenue par vidéoconférence en ligne organisée par le greffe le 3 mai 2023.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 12 mai 2023.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LA JUGE MONAGHAN

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE LASKIN

LA JUGE RIVOALEN

 


Date : 20230512


Dossier : A-136-21

Référence : 2023 CAF 102

CORAM :

LE JUGE LASKIN

LA JUGE RIVOALEN

LA JUGE MONAGHAN

 

 

ENTRE :

DORINELA PEPA

appelante

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

intimé

MOTIFS DU JUGEMENT

LA JUGE MONAGHAN

[1] En mars 2018, l’appelante, Dorinela Pepa, alors âgée de 20 ans, est arrivée au Canada munie d’un visa de résidente permanente à titre de personne à charge accompagnant son père. Cependant, l’appelante s’était mariée après la délivrance du visa, mais avant de venir au Canada. À son arrivée au Canada, l’appelante a informé l’agent au point d’entrée qu’elle s’était mariée. Comme sa situation avait changé, l’appelante a été autorisée à entrer au pays afin de subir un contrôle complémentaire; elle n’a toutefois pas obtenu le droit d’établissement. Son visa venait à échéance le 16 septembre 2018.

[2] Un contrôle complémentaire a été effectué le 6 avril 2018, puis deux rapports circonstanciés ont été établis en application de l’article 44 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 [LIPR]. L’enquête de la Section de l’immigration (SI) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (CISR) a débuté le 25 septembre 2018, puis a repris le 16 octobre 2018 à la suite de la réception d’observations supplémentaires des parties. Au terme de l’enquête, la SI a pris une mesure d’exclusion contre l’appelante, la déclarant étrangère interdite de territoire pour cause de présentation erronée en application de l’alinéa 40(1)a) de la LIPR.

[3] Le paragraphe 63(2) de la LIPR dispose que : « Le titulaire d’un visa de résident permanent peut interjeter appel de la mesure de renvoi prise en vertu du paragraphe 44(2) ou prise à l’enquête .» La mesure d’exclusion est un type de mesure de renvoi prévue à l’article 223 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227.

[4] L’appelante a interjeté appel de la décision de la SI auprès de la Section d’appel de l’immigration (SAI) de la CISR, mais la SAI a conclu que l’appelante n’avait pas droit d’appel aux termes du paragraphe 63(2), car son visa avait expiré et n’était plus valide au moment où la mesure de renvoi a été prise. En conséquence, la SAI a jugé qu’elle n’avait pas compétence pour entendre l’appel. En rendant cette décision, la SAI s’est fondée essentiellement sur deux décisions antérieures qu’elle avait rendues ainsi que sur la décision de la Cour fédérale Ismail c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 338, [2015] 4 R.C.F. 428 [Ismail].

[5] L’appelante a ensuite présenté des demandes de contrôle judiciaire à la Cour fédérale, à l’encontre à la fois de la mesure de renvoi et de la décision de la SAI. La Cour fédérale (2021 CF 348, sous la plume de la juge Roussel) a rejeté les deux demandes.

[6] La Cour fédérale a conclu que la SI n’avait pas privé l’appelante de son droit à l’équité procédurale et que la mesure de renvoi prise par la SI était une décision raisonnable. Puisque la Cour fédérale a refusé de certifier une question aux termes de l’alinéa 74d) de la LIPR relativement à cette demande, la décision de la SI ne peut faire l’objet d’un appel auprès de la Cour.

[7] Le présent appel porte sur le contrôle judiciaire de la décision de la SAI, et la Cour en est saisie du fait que la question suivante a été certifiée aux termes de l’alinéa 74d) de la LIPR :

Pour déterminer si elle a compétence pour instruire un appel fondé sur l’article 63(2) de la LIPR, la SAI devrait-elle évaluer la validité du visa de résident permanent au moment de l’arrivée au Canada, au moment où le rapport visé au paragraphe 44(1) est rédigé, au moment où il est renvoyé à la SI, selon le cas, ou au moment où la mesure d’exclusion est prise?

[8] En l’espèce, il s’agit pour la Cour d’établir si la Cour fédérale a employé la bonne norme de contrôle et si elle l’a appliquée correctement : Agraira c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, [2013] 2 R.C.S. 559, par. 45. En effet, la Cour « se met à la place » de la Cour fédérale et se concentre sur la décision administrative.

[9] L’appelante prétend que la question que la SAI devait trancher était une question de compétence, de sorte que la Cour fédérale aurait dû appliquer la norme de la décision correcte. Je conviens toutefois avec la Cour fédérale que la question examinée par la SAI n’était pas liée à la délimitation des compétences entre des tribunaux administratifs et que la norme de contrôle applicable à cette décision est celle de la décision raisonnable : motifs de la Cour fédérale, par. 16, qui renvoient aux arrêts Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov, 2019 CSC 65, par. 25, et Momi c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CAF 163, par. 21. Je conclus également que la Cour fédérale a appliqué correctement cette norme de contrôle.

[10] Devant la Cour, l’appelante prétend que la SAI a fait une interprétation déraisonnable du paragraphe 63(2) de la LIPR lorsqu’elle a conclu que cette disposition ne confère un droit d’appel qu’aux personnes titulaires d’un visa de résidence permanente valide lorsque la mesure de renvoi est prise. Selon l’appelante, il suffit que le visa soit valide au moment de l’entrée au Canada ou de l’établissement du rapport circonstancié prévu au paragraphe 44. L’appelante affirme en outre que la SAI a mal interprété la conclusion de la décision Ismail et qu’elle aurait plutôt dû appliquer la décision McLeod c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 1 CF 257 (CAF).

[11] Je ne suis pas de cet avis, essentiellement pour les motifs énoncés par la Cour fédérale, devant laquelle l’appelante a fait valoir les mêmes arguments.

[12] Devant la Cour, l’appelante prétend en outre que la SAI n’a pas fondé son interprétation du paragraphe 63(2) sur une analyse textuelle, contextuelle et téléologique et que cela était déraisonnable. Là encore, je ne partage pas cet avis. La SAI a fait l’analyse requise; elle a examiné et invoqué la jurisprudence portant sur la question dont elle avait été saisie.

[13] En plus de la décision Ismail, la SAI s’est fondée sur les décisions Asif c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2018 CanLII 131198 [Asif], et Far c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2016 CanLII 90984 [Far]. Dans les deux cas, la SAI a conclu que le titulaire d’un visa de résident permanent ayant expiré avant la prise d’une mesure de renvoi était privé du droit d’appel aux termes du paragraphe 63(2) de la LIPR.

[14] Selon la SAI, la décision rendue dans l’affaire Asif était « approfondie » et contenait « [l]’exposé complet [...] de la loi applicable compren[ant] un renvoi au paragraphe 63(2) de la LIPR, qui limite également la compétence de la SAI en l’espèce » (motifs de la SAI, par. 12 et 13).

[15] Dans la décision Far, la SAI a invoqué la décision Zhang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 593, [2008] 1 R.C.F. 716 [Zhang], où la Cour fédérale a également procédé à une analyse textuelle, contextuelle et téléologique du paragraphe 63(2) de la LIPR. Il convient sans doute de mentionner que l’affaire Zhang portait sur un visa révoqué et non expiré; la Cour fédérale a toutefois déclaré ce qui suit au paragraphe 16 :

Si le paragraphe 63(2) s’appliquait aux visas « invalides », comme ceux qui ont été révoqués, s’appliquerait-il aussi à ceux qui ont expiré? Cette logique est contraire au bon sens. D’après les observations de Mme Zhang, il semble que tout étranger qui est en possession d’un visa aurait le droit de présenter un appel en vertu du paragraphe 63(2), peu importe la question de savoir si le gouvernement du Canada avait l’intention de donner à ce document un effet juridique. Le fait que Mme Zhang possède encore la copie papier de son visa ne change pas la conséquence juridique de la révocation. Plutôt que de porter la mesure de renvoi prise par l’agent d’immigration en appel devant la Commission, elle aurait dû demander le contrôle judiciaire de la décision de l’agent devant la Cour. Cette option lui était toujours offerte, malgré le fait qu’elle ne pouvait pas se prévaloir du droit d’appel prévu au paragraphe 63(2).

[16] Dans la décision Ismail, la Cour fédérale a invoqué la décision Zhang et a fondé son interprétation du paragraphe 63(2) de la LIPR sur une analyse textuelle, contextuelle et téléologique.

[17] Dans les circonstances, il était raisonnable pour la SAI, « après avoir examiné la jurisprudence présentée et les observations des parties » (motifs de la SAI, par. 12), de ne pas entreprendre sa propre interprétation de la loi.

[18] Selon la question certifiée soulevée dans le présent appel, il faut déterminer l’interprétation juste du paragraphe 63(2) de la LIPR. La question certifiée ne tient donc pas compte de la norme de la décision raisonnable, qui s’applique en l’espèce : Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Galindo Camayo, 2022 CAF 50, par. 37 à 44. Par conséquent, je reformulerais la question certifiée de la façon suivante :

Est-il raisonnable pour la Section d’appel de l’immigration de conclure qu’elle n’a pas compétence pour entendre un appel aux termes du paragraphe 63(2) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, si le visa de résidence permanente est expiré lorsque la mesure de renvoi est prise?

[19] Je répondrais par l’affirmative.

[20] Pour ces motifs, je rejetterais l’appel. Comme l’intimé ne demande pas de dépens, je n’adjugerais aucuns dépens.

« K.A. Siobhan Monaghan »

j.c.a.

 

« Je suis d’accord.

J.B. Laskin, j.c.a. »

« Je suis d’accord.

Marianne Rivoalen, j.c.a. »

 

Traduction certifiée conforme

Nathalie Ayotte, jurilinguiste

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


APPEL D’UN JUGEMENT RENDU PAR LA JUGE ROUSSEL LE 21 AVRIL 2021, DOSSIERS NO IMM-6268-19 ET IMM-6270-19

DOSSIER :

A-136-21

 

INTITULÉ :

DORINELA PEPA c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

PAR VIDÉOCONFÉRENCE EN LIGNE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 3 mai 2023

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

LA JUGE MONAGHAN

 

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE LASKIN

LA JUGE RIVOALEN

DATE DES MOTIFS :

LE 12 MAI 2023

 

COMPARUTIONS :

Mary Lam

Erica Olmstead

Molly Joeck

 

Pour l’appelante

Asha Gafar

Kevin Spykerman

Pour l’intimé

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Mary Lam

Avocats

Toronto (Ontario) M4X1W4

Edelmann & Company

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

POUR L’APPELANTE

Shalene Curtis-Micallef

Sous-procureure générale du Canada

POUR L’INTIMÉ

 

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