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Date : 20230517


Dossier : A-359-21

Référence : 2023 CAF 105

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LE JUGE RENNIE

LA JUGE MONAGHAN

LA JUGE ROUSSEL

 

 

ENTRE :

SA MAJESTÉ LE ROI DU CHEF DE LA SASKATCHEWAN

représenté par LE PROCUREUR GÉNÉRAL DE LA SASKATCHEWAN

appelant

et

LA PREMIÈRE NATION DE WITCHEKAN LAKE

et SA MAJESTÉ LE ROI DU CHEF DU CANADA, représenté par

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

intimés

Audience tenue à Regina (Saskatchewan), le 26 octobre 2022.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 17 mai 2023.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE RENNIE

Y ONT SOUSCRIT :

LA JUGE MONAGHAN

LA JUGE ROUSSEL


Date : 20230517


Dossier : A-359-21

Référence : 2023 CAF 105

CORAM :

LE JUGE RENNIE

LA JUGE MONAGHAN

LA JUGE ROUSSEL

 

 

ENTRE :

SA MAJESTÉ LE ROI DU CHEF DE LA SASKATCHEWAN

représenté par LE PROCUREUR GÉNÉRAL DE LA SASKATCHEWAN

appelant

et

LA PREMIÈRE NATION DE WITCHEKAN LAKE

et SA MAJESTÉ LE ROI DU CHEF DU CANADA, représenté par

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

intimés

MOTIFS DU JUGEMENT



LE JUGE RENNIE

I. L’accord-cadre sur les droits fonciers issus de traités en Saskatchewan

[1] Le manquement du Canada à entièrement respecter les modalités des traités historiques conclus avec les Canadiens autochtones a été bien documenté dans des décisions de notre Cour et d’autres cours (Canada c. Jim Shot Both Sides, 2022 CAF 20, autorisation de pourvoi à la CSC accordée, 40153 (2 février 2023); Saskatchewan (Procureur général) c. Première Nation de Pasqua, 2016 CAF 133, [2017] 3 R.C.F. 3 [Peigan 1]; Canada c. Première nation de Long Plain, 2015 CAF 177, [2015] A.C.F. no 961 (QL) [Long Plain]; Canada c. Première nation de Brokenhead, 2011 CAF 148, [2011] A.C.F. no 638 (QL); Première nation crie Mikisew c. Canada (Ministre du Patrimoine canadien), 2005 CSC 69, [2005] 3 R.C.S. 388; George Gordon First Nation v. Saskatchewan, 2022 SKCA 41, 2022 CarswellSask 136 (WL Can), autorisation de pourvoi à la CSC refusée, 40184 (16 mars 2023) [George Gordon]; Goodswimmer v. Canada (Attorney General), 2017 ABCA 365, 418 D.L.R. (4th) 157, autorisation de pourvoi à la CSC refusée, 37899 (5 juillet 2018) [Goodswimmer]). Pour des raisons allant de l’indifférence et de l’erreur à la négligence et à la tromperie, des engagements, pris par traité à l’égard de droits fonciers n’ont pas toujours été entièrement mis en œuvre. Les traités nos 4, 6 et 10 en sont des exemples.

[2] L’accord-cadre sur les droits fonciers issus de traités en Saskatchewan de 1992 (l’accord-cadre) – une entente tripartite conclue entre le Canada, la Saskatchewan et les Premières Nations de la Saskatchewan – visait à réparer certains de ces manquements.

[3] Signé en 1992 par le premier ministre du Canada, le premier ministre de la Saskatchewan, le chef de la Federation of Saskatchewan Indian Nations (la FSIN), le commissaire aux traités de la Saskatchewan et les chefs d’un grand nombre de Premières Nations de la Saskatchewan, l’accord-cadre établit le processus par lequel les Premières Nations peuvent acheter des terres de la Couronne provinciale ou fédérale et des terres privées en vue de l’acquittement des obligations en souffrance en matière de droits fonciers issus de traités (DFIT) envers les Premières Nations de la Saskatchewan. La FSIN a négocié l’accord-cadre au nom de 25 bandes en Saskatchewan, parmi lesquelles l’intimée, la Première Nation de Witchekan Lake (PNWL). Huit bandes supplémentaires ont signé l’accord-cadre par la suite et quatre bandes de la Saskatchewan négocient actuellement des accords particuliers prévus par l’accord-cadre (la PNWL a signé un accord particulier en juin 1993). Par cet accord-cadre, le Canada et la Saskatchewan s’engageaient en outre à fournir de l’aide financière aux Premières Nations signataires pour leurs achats de terres au titre des DFIT.

[4] Aux termes de l’accord-cadre, les bandes ont acquis plus de 877 000 acres de terres de la Couronne provinciale, qui se sont ajoutées aux terres de réserves existantes. La vaste majorité de ces terres étaient assorties de droits miniers de la Couronne. Dès 1998, l’intimée la PNWL avait acquis la totalité des 7 923 acres de superficie manquante au titre de ses DFIT et, depuis, elle a acquis 8 310 acres supplémentaires. Les terres de réserve que la PNWL a acquises en vertu de l’accord-cadre n’étaient pas toutes des terres appartenant à la Couronne. Près de 60 % des terres acquises étaient privées.

[5] Le Canada et la Saskatchewan ont payé [traduction] « des centaines de millions de dollars » (au para. 3 du mémoire des faits et du droit de la Saskatchewan) pour faciliter les acquisitions faites en vertu des accords sur les DFIT. La Saskatchewan a fait au Canada son dernier paiement relatif à ses obligations particulières envers la PNWL il y a vingt ans, en 2003, et elle a payé environ 273 millions de dollars au Canada afin de s’acquitter entièrement de ses obligations prévues à l’accord-cadre.

II. Action intentée par la PNWL contre la Saskatchewan et le Canada

[6] Le 22 juillet 2016, la Saskatchewan a écrit au chef et au conseil de la PNWL afin de les aviser de son intention de vendre certaines terres de la Couronne. La lettre, intitulée « Duty to Consult Notification of Proposed Sale of Vacant Crown Lands » (avis d’obligation de consulter au sujet de la vente proposée de terres inoccupées de la Couronne), indiquait que le [traduction] « [g]ouvernement [voulait] comprendre comment [la PNWL] utilis[ait] ces terres pour la chasse, la pêche et le piégeage à des fins alimentaires et pour perpétuer les usages traditionnels et comment la décision proposée risqu[ait] d’avoir un effet préjudiciable sur les droits et les usages traditionnels de la communauté ».

[7] Il ressort des éléments de preuve non contestés que la décision de vendre les terres n’avait pas été prise lorsque la lettre a été envoyée et que les terres n’auraient pas été vendues tant que les consultations n’auraient pas abouti s’il y avait eu une réponse.

[8] La PNWL n’a pas répondu à la lettre.

[9] Le 26 janvier 2017, la Saskatchewan a avisé la PNWL de son intention de vendre d’autres terres inoccupées de la Couronne. Aucune réponse n’a été reçue. Plus tard la même année, le 15 septembre 2017, la Saskatchewan a écrit de nouveau, cette fois-ci à la FSIN, pour l’aviser d’une prochaine vente aux enchères par laquelle elle avait l’intention de vendre les terres. Encore une fois, aucune réponse n’a été reçue.

[10] La vente aux enchères a commencé le 23 octobre 2017. Le lendemain, la PNWL a écrit à la Saskatchewan pour demander l’achat de trois parcelles de terrain que la Saskatchewan avait l’intention de vendre lors de cette vente. La Saskatchewan a rejeté la demande de la PNWL au motif que les trois parcelles avaient déjà été mises aux enchères et que les frais relatifs à la vente aux enchères avaient été payés.

[11] Le 19 janvier 2018, la Saskatchewan a écrit à la PNWL pour l’informer qu’elle avait encore une fois l’intention de vendre des terres inoccupées de la Couronne. Le 19 février 2019, la Saskatchewan a envoyé à la FSIN un courriel indiquant que la province [traduction] « voulait s’assurer que [la FSIN] sa[vait], avant la date “de lancement”, que des terres domaniales agricoles en Saskatchewan allaient faire l’objet d’une vente aux enchères publique » et que [traduction] « [l]a vente aux enchères [commencerait] le 25 février 2019 ». Encore une fois, aucune réponse n’a été reçue, mais, deux jours après le début des enchères, la PNWL a écrit à la Saskatchewan pour [traduction] « choisir » les terres qu’elle souhaitait acquérir au titre de l’accord-cadre. La Saskatchewan a rejeté le choix que la PNWL a formulé pendant la vente aux enchères.

[12] Dans les lettres du 22 juillet 2016, du 26 janvier 2017 et du 19 janvier 2018, la Saskatchewan a offert de discuter avec la PNWL de la proposition de vente de terres inoccupées de la Couronne et l’a invitée à répondre par courriel ou téléphone.

[13] La PNWL a intenté une action devant la Cour fédérale contre la Saskatchewan et le Canada. Elle soutenait surtout que l’accord-cadre stipulait implicitement que la Saskatchewan devait donner avis de toute vente aux enchères imminente et donner la possibilité raisonnable d’acheter des terres avant qu’elles ne soient mises aux enchères. Elle soutenait qu’en refusant de vendre les terres à la PNWL, la Saskatchewan avait agi contrairement à l’objet de l’accord-cadre. La PNWL a aussi demandé que soient rendues des déclarations portant que la Saskatchewan et le Canada manquaient à certaines modalités expresses de l’accord-cadre. La PNWL, se fondant sur ces manquements allégués, demandait que soient rendues des déclarations et qu’une réparation pécuniaire soit accordée en conséquence, à l’encontre du Canada.

[14] La Saskatchewan a demandé par voie de requête un jugement sommaire rejetant la déclaration de la PNWL, au motif que la modalité implicite alléguée était contraire aux modalités expresses de l’accord-cadre et que la Saskatchewan n’avait pas agi en contravention avec l’accord-cadre. La Saskatchewan a affirmé que la question en litige devant la Cour fédérale était une question d’interprétation contractuelle, que le dossier de la preuve présenté à la Cour fédérale établissait chaque fait nécessaire pour trancher la question et qu’aucun de ces faits n’était en litige. La PNWL, en revanche, a soutenu qu’il y avait des lacunes dans la preuve présentée par la Saskatchewan, de sorte qu’un procès devait se tenir afin de régler les questions restantes.

[15] Le Canada n’a présenté aucune preuve en réponse à la requête en jugement sommaire de la Saskatchewan et s’est plutôt fondé sur ses observations écrites (motifs de la CF au para. 23).

[16] Dans ses motifs, la Cour fédérale (2021 FC 1074, sous la plume du juge Favel) (les motifs de la CF) a examiné la Règle 215 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 (les Règles), ainsi que les critères applicables aux requêtes présentées en vertu de cette Règle que la juge Mactavish, maintenant juge à la Cour d’appel fédérale, a pour la première fois établis dans la décision Milano Pizza Ltd. c. 6034799 Canada Inc., 2018 CF 1112, [2018] A.C.F. no 1112 (QL) aux para. 25 à 41 [Milano Pizza], et qui ont ensuite été récapitulés dans la décision Rallysport Direct LLC c. 2424508 Ontario Ltd., 2019 CF 1524, [2019] A.C.F. no 1599 (QL) [Rallysport]. La Cour fédérale a fait observer qu’il incombait à la Saskatchewan d’établir les faits nécessaires au jugement sommaire, que la PNWL portait le fardeau de prouver l’existence d’une véritable question litigieuse et que les deux parties devaient [traduction] « présenter leurs meilleurs arguments » dans la requête (motifs de la CF au para. 27, renvoyant à Gemak Trust c. Jempak Corporation, 2020 CF 644, [2020] A.C.F. no 640 (QL) au para. 133).

[17] Le juge a rejeté la requête. Il a conclu que [traduction] « la Saskatchewan ne s’[était] pas acquittée du fardeau qui lui incombait au titre de la Règle 215 et des principes juridiques énoncés dans la décision [Rallysport] », alors que [traduction] « la PNWL a[vait] établi qu’il exist[ait] une véritable question litigieuse » (motifs de la CF au para. 45). Les motifs reposent sur la conclusion du juge selon laquelle la Saskatchewan n’avait pas présenté de [traduction] « dossier complet sur les circonstances dont les parties avaient connaissance au moment de signer l’accord-cadre » (motifs de la CF au para. 43) et [traduction] qu’« il serait injuste de tirer des conclusions de fait en se fondant sur les éléments de preuve limités contenus dans les affidavits et sur les transcriptions des contre-interrogatoires qui ont été fournis » (motifs de la CF au para. 45).

[18] Le procureur général de la Saskatchewan interjette appel et demande à notre Cour d’annuler l’ordonnance rendue par la Cour fédérale et d’accueillir sa requête en jugement sommaire. Dans sa lettre adressée à la Cour et datée du 4 avril 2022, le procureur général du Canada l’a informée qu’il [traduction] « ne prend pas position en faveur d’une issue ou d’une autre dans le présent appel » et qu’il ne présentera donc pas d’observations écrites ou orales devant notre Cour. Le procureur général a toutefois présenté des observations écrites à la Cour fédérale au sujet de son interprétation de l’application de l’accord-cadre (dossier d’appel aux pp. 822 à 833). Comme je l’explique plus loin, l’analyse et l’interprétation que fait le procureur général de l’accord-cadre et son point de vue sur l’application de celui-ci concordent avec ceux du procureur général de la Saskatchewan.

[19] Les appels visant des jugements et ordonnances rendus par la Cour fédérale se font selon la norme de contrôle applicable en appel. Les questions de droit sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision correcte, et les questions de fait ainsi que les questions mixtes de fait et de droit le sont selon la norme de l’erreur manifeste et dominante (Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235). La question de savoir si la Cour fédérale a déterminé quel était le critère juridique applicable ou si elle s’est bien renseignée sur le droit est examinée selon la norme de la décision correcte. La question de savoir si la Cour fédérale a commis une erreur en concluant qu’il n’y avait aucune véritable question litigieuse nécessitant la tenue d’un procès est une question mixte de fait et de droit qui doit être examinée selon la norme de l’erreur manifeste et dominante (Hryniak c. Mauldin, 2014 CSC 7, [2014] 1 R.C.S. 87 au para. 81 [Hryniak]).

[20] Pour les motifs qui suivent, j’accueillerais l’appel, j’annulerais l’ordonnance de la Cour fédérale et j’accueillerais la requête en jugement sommaire. La Cour fédérale a commis une erreur dans son interprétation des Règles et de la jurisprudence, notamment celle de la Cour suprême du Canada en matière de jugements sommaires. En ce qui concerne le fond de la requête, il n’existe aucun fondement, en droit ou dans les éléments de preuve, qui permettrait à la Cour de rendre les jugements déclaratoires que sollicite la PNWL. Ces jugements déclaratoires ne sont pas nécessaires pour que l’accord-cadre ait un effet. Ils contredisent aussi, directement, les modalités expresses de l’accord-cadre. Interpréter l’accord-cadre comme comprenant implicitement les modalités sollicitées en ferait un accord-cadre très différent de celui que les parties ont négocié.

[21] Avant de passer à l’analyse, il est important de circonscrire clairement ce sur quoi porte le présent appel et ce sur quoi il ne porte pas. Le présent appel ne porte pas sur la question de savoir si la Couronne du chef de la Saskatchewan s’est acquittée de son obligation de consulter à l’égard de la vente de terres publiques. Il n’a pas été question devant nous de la jurisprudence sur le processus et le contenu de consultations valables. La PNWL ne conteste pas non plus le caractère adéquat des avis reçus. Le présent appel porte plutôt sur l’affirmation par la PNWL qu’il existe une modalité implicite : le droit de recevoir avis de l’intention de vente assorti du droit d’acheter les terres visées par l’avis envoyé.

III. Principes généraux sur les requêtes en jugement sommaire

[22] La Cour fédérale ainsi que les deux parties au présent appel se fondent sur le résumé suivant des principes applicables aux requêtes en jugement sommaire (Rallysport au para. 42) :

Dans la décision Milano Pizza, la juge Mactavish (maintenant juge à la Cour d’appel fédérale) a effectué une analyse approfondie du droit relatif aux jugements sommaires tel qu’il s’applique aux cours fédérales depuis l’arrêt Hryniak de la Cour suprême, précité : Milano Pizza, précitée, aux par. 24-41. Ces principes sont les suivants :

A. Le jugement sommaire a pour objet de permettre à la Cour de (i) statuer sommairement sur des actions qui ne soulèvent pas de véritable question litigieuse qui devrait donner lieu à un procès, (ii) d’épargner ainsi les ressources judiciaires limitées et (iii) d’améliorer l’accès à la justice : Milano Pizza, précitée, au par. 25.

B. Les règles régissant les jugements sommaires doivent recevoir une interprétation large et propice à la proportionnalité et à l’accès équitable à un règlement abordable, expéditif et juste des demandes; pour être « juste et équitable », la procédure « doit permettre au juge de dégager les faits nécessaires au règlement du litige et d’appliquer les principes juridiques pertinents aux faits établis » : Milano Pizza, précitée, au par. 29, citant Hryniak, précité, aux par. 5 et 28.

C. Pour savoir s’il n’existe aucune véritable question litigieuse, il faut se demander si le succès de la demande est tellement douteux que celle‐ci ne mérite pas d’être examinée par le juge des faits dans le cadre d’un éventuel procès; ou, subsidiairement, si la demande n’a pas de fondement juridique d’après le droit ou les éléments de preuve présentés. Les jugements sommaires ne sont pas réservés aux affaires « particulièrement claires » : Milano Pizza, précitée, aux par. 31 et 33, citant Canada (Citoyenneté et Immigration) c Campbell, 2014 CF 40, au par. 14, Itv Technologies Inc. c Wic Television, 2001 CAF 11, aux par. 4‐6, Premakumaran c Canada, 2006 CAF 213, aux par. 9‐11; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Schneeberger, 2003 CF 970, au par. 17; Manitoba c Canada, 2015 CAF 57, aux par. 15-16; et Burns Bog Conservation Society c Canada, 2014 CAF 170, aux par. 35-36.

D. Lorsque les faits nécessaires ne permettent pas de régler le litige de manière juste et équitable, ou lorsqu’il serait injuste de rendre une conclusion sur ces seuls faits, un jugement sommaire ne sera pas rendu : Milano Pizza, précitée, aux par. 29 et 36, citant Hryniak, précité, au par. 28.

E. Il serait injuste de rendre une conclusion sur les seuls faits lorsque les questions n’ont pas été soulevées par une partie, car cela les empêcherait de connaître la cause à instruire : Milano Pizza, précitée, aux par. 107-108 et 112, citant Albian Sands Energy Inc. c Positive Attitude Safety System Inc., 2005 CAF 332 [Albian Sands] au par. 45.

F. Le tribunal saisi d’une requête en jugement sommaire ne doit pas se prononcer sur les questions de crédibilité. Le juge qui entend et observe le témoignage et le contre-interrogatoire des témoins est mieux à même de tirer des inférences et d’apprécier la preuve que le juge qui doit uniquement se fonder sur des affidavits et des éléments de preuve : Milano Pizza, précitée, aux par. 37-38, citant TPG Technology Consulting Ltd. c Canada, 2013 CAF 183, au par. 3; Newman c Canada, 2016 CAF 213, au par. 57; Suntec Environmental Inc. c Trojan Technologies Inc., 2004 CAF 140 [Suntec], aux par. 20, 28-29; Succession MacNeil c Canada (Ministre des Affaires indiennes et du Nord), 2004 CAF 50, au par. 38.

G. L’existence d’une apparente contradiction de preuves n’empêche pas en soi le tribunal de soulever des questions de crédibilité et de prononcer un jugement sommaire. Les juges doivent « se pencher de près sur le fond de l’affaire » et décider s’il y a des questions de crédibilité à trancher : Milano Pizza, précitée, au par. 39, citant Granville Shipping Co. c Pegasus Lines Ltd. S.A., 1996 CanLII 4027 (CF), au par. 7.

H. Le prononcé d’un jugement sommaire fera en sorte que la partie ne pourra pas présenter de preuve à l’instruction; autrement dit, la partie qui n’a pas gain de cause perdra la possibilité de se faire entendre en cour : Milano Pizza, précitée, au par. 40, citant Apotex Inc. c Merck & Co. Inc., 2004 CF 314, au par. 12, conf. par 2004 CAF 298.

[23] Les exigences auxquelles le requérant doit satisfaire pour obtenir un jugement sommaire sont élevées (Canada (Procureur général) c. Lameman, 2008 CSC 14, [2008] 1 R.C.S. 372 au para. 11 [Lameman]). Elle doit démontrer qu’il n’existe pas de véritable question litigieuse (Canmar Foods Ltd. c. TA Foods Ltd., 2021 CAF 7, [2021] 1 R.C.F. 799 au para. 27 [CanMar]). Si le requérant satisfait à ce critère, il incombe ensuite à la « partie intimée de présenter des faits précis démontrant qu’il existe une véritable question litigieuse, et ce outre ses actes de procédure » (CanMar au para. 27). Même si chaque partie doit « présenter ses meilleurs arguments » pour établir qu’aucune véritable question litigieuse n’existe (Lameman au para. 11), la partie intimée peut s’en acquitter en décelant des trous dans la preuve présentée par le requérant, lesquels ne peuvent être expliqués que par la preuve produite au procès (Apotex Inc. c. Merck & Co. Inc., 2004 CF 314, [2004] A.C.F. no 387 (QL) au para. 28 [Apotex CF], conf. par 2004 CAF 298).

[24] Cependant, et particulièrement pour les besoins du présent appel, « [u]ne requête en jugement sommaire ne peut être rejetée sur la base de vagues allusions à ce qui pourrait être déposé en preuve ultérieurement si l’instance suit son cours jusqu’à l’instruction » (Lameman au para. 19). Il a également été affirmé dans l’arrêt CanMar qu’une partie doit présenter des « faits précis » pour établir l’existence d’une véritable question litigieuse (CanMar au para. 27). Ce principe est expressément codifié dans la Règle 214 des Règles :

La réponse à une requête en jugement sommaire ne peut être fondée sur un élément qui pourrait être produit ultérieurement en preuve dans l’instance. Elle doit énoncer les faits précis et produire les éléments de preuve démontrant l’existence d’une véritable question litigieuse.

A response to a motion for summary judgment shall not rely on what might be adduced as evidence at a later stage in the proceedings. It must set out specific facts and adduce the evidence showing that there is a genuine issue for trial.

[25] Je note que l’arrêt Lameman portait sur la question de savoir si le recours d’une bande autochtone à l’égard de la Couronne, pour manquement à une obligation de fiduciaire, était prescrit par la loi. La Cour suprême du Canada a clairement indiqué qu’il n’existe pas de règles spéciales ou d’exceptions quant à l’utilisation d’un jugement sommaire simplement parce que des questions en matière autochtone sont soulevées (Lameman au para. 19).

[26] Je conclus cette revue des principes qui régissent les jugements sommaires en faisant observer que, dans la décision frappée d’appel, la Cour fédérale s’est fondée sur la décision Ochapowace v. Canada, 2019 FC 1288, [2019] F.C.J. No. 1619 (QL) [Ochapowace], pour étayer sa conclusion selon laquelle la question de savoir si l’accord-cadre contenait une modalité implicite devait être réglée par la tenue d’un procès (motifs de la CF au para. 52). Ce faisant, elle a commis une erreur. La décision Ochapowace portait non pas sur une requête en jugement sommaire, mais sur une requête en radiation. Cette différence a des conséquences.

[27] Bien que les motifs donnés par le tribunal dans une requête en radiation puissent éclairer l’examen d’une requête subséquente en jugement sommaire (Apotex CF au para. 19), les deux types de redressement sont fondamentalement différents. Dans les requêtes présentées en vertu de la Règle 221(1)a) des Règles, le tribunal tiendra pour avérés les faits plaidés, alors que le tribunal qui entend une requête en jugement sommaire tranchera celle-ci sur le fondement des éléments de preuve présentés (Cabral c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CAF 4, [2018] A.C.F. no 21 (QL) au para. 50). En outre, la requête en radiation oblige le tribunal à examiner le bien-fondé du recours par rapport à un critère juridique peu rigoureux, alors que la requête en jugement sommaire oblige le tribunal à décider s’il existe un véritable fondement juridique justifiant le recours en fonction du droit et des éléments de preuve (Hryniak au para. 66).

[28] Contrairement à la requête en radiation, la requête en jugement sommaire exige qu’un juge apprécie les observations et les éléments de preuve des parties pour décider s’il existe une véritable question litigieuse qui ne peut être tranchée que par la tenue d’un procès. Il s’agit de la raison d’être de la règle. Encore une fois, contrairement à la requête en radiation dont était saisie la Cour fédérale dans l’affaire Ochapowace, le juge en l’espèce disposait des meilleurs éléments de preuve et observations des parties concernant le bien-fondé de leurs thèses respectives sur la question de savoir s’il existait une véritable question litigieuse.

[29] Pour conclure sur ce point, le rejet d’une requête en radiation d’une action faisant valoir l’existence d’une modalité implicite dans l’accord-cadre ne mène pas nécessairement, dans une requête en jugement sommaire, à la conclusion que la question est véritable et que la tenue d’un procès est nécessaire pour la trancher.

IV. Ce qui constitue une véritable question litigieuse

[30] La Règle 215 doit être interprétée et appliquée en conformité avec les objectifs énoncés à la Règle 3 (ViiV Healthcare Company c. Gilead Sciences Canada, Inc., 2021 CAF 122, [2021] A.C.F. no 615 (QL) au para. 37 [ViiV Healthcare]). La Règle 3 vise à « apporter une solution au litige qui soit juste et la plus expéditive et économique possible » et à le faire d’une manière qui soit proportionnelle à la complexité de l’instance, à l’importance des questions et à la somme en litige.

[31] La Règle 215 des Règles dispose que la Cour fédérale rend un jugement sommaire lorsqu’elle est convaincue qu’il n’existe pas de véritable question litigieuse quant à une déclaration ou à une défense. Il n’existe pas de véritable question litigieuse lorsque le juge dispose de la preuve nécessaire pour trancher justement et équitablement le litige de façon sommaire, c’est-à-dire lorsque la procédure permet au juge de tirer les conclusions de fait nécessaires, lui permet d’appliquer les règles de droit aux faits et constitue un moyen proportionné, plus expéditif et moins coûteux d’arriver à un résultat juste (Hryniak aux para. 49 et 66; ViiV Healthcare aux para. 32 à 34; voir aussi Ethiopian Orthodox Tewahedo Church of Canada St. Mary Cathedral c. Aga, 2021 CSC 22 au para. 25 [Aga], et Manitoba c. Canada, 2015 CAF 57, [2015] A.C.F. no 214 (QL) au para. 11 [Manitoba]).

[32] En d’autres termes, un procès, avec les conséquences qui en résulteraient pour les parties et les coûts associés à l’administration de la justice, n’est tenu que s’il existe une véritable question litigieuse qui ne peut être tranchée autrement (CanMar au para. 24). Même s’il existe une véritable question de fait ou de droit litigieuse à l’égard d’une déclaration ou d’une défense, la Cour peut néanmoins trancher cette question par voie de procès sommaire (Règle 215(3)). Dans ces cas, les juges disposent de pouvoirs accrus pour trancher des questions de fait litigieuses (Manitoba au para. 16; Milano Pizza au para. 32).

[33] Le jugement sommaire est refusé lorsqu’il existe des questions de fait qui ne peuvent pas être réglées sur le fondement des affidavits et des contre-interrogatoires. Je note toutefois que des affaires complexes et importantes, constitutionnelles et autres, sont souvent instruites uniquement au moyen de demandes et d’une preuve par affidavit. Le point central n’est pas de savoir si la question juridique est importante, mais si l’affaire pose une question de crédibilité ou présente des éléments de preuve complexes qui ne peuvent être convenablement appréciés qu’au moyen d’un procès (Kyorin Pharmaceutical Co. c. Novopharm Ltd., [1997] A.C.F. no 750 (QL) au para. 24; Brown c. Canada, 2014 CF 831, [2014] A.C.F. no 1369 (QL) aus para. 47 et 114, inf. pour d’autres motifs par 2016 CAF 37; Garford Pty Ltd. c. Dywidag Systems International, Canada, Ltd., 2010 CF 996 au para. 10, conf. par 2012 CAF 48).

[34] Le simple fait qu’une requête en jugement sommaire puisse avoir des répercussions plus importantes ne justifie pas son rejet. Des affaires de portée juridique, sociale et économique ont été tranchées par jugement sommaire. Par exemple, la Cour suprême a confirmé ou rétabli des ordonnances accordant un jugement sommaire dans des affaires qui nécessitaient l’examen de la portée du droit d’auteur de la Couronne (Keatley Surveying Ltd. c. Teranet Inc., 2019 CSC 43, [2019] 3 R.C.S. 418) et qui concernaient l’obligation de diligence qu’a le fabricant envers des franchisés lors de l’approvisionnement de produits alimentaires (1688782 Ontario Inc. c. Aliments Maple Leaf Inc., 2020 CSC 35, [2020] A.C.S. no 35 (QL)), les répercussions juridiques d’une adhésion à une association religieuse (Aga) et le degré de connaissance requis pour découvrir une réclamation et déclencher ainsi l’application d’un délai de prescription (Grant Thornton LLP c. Nouveau‐Brunswick, 2021 CSC 31, [2021] A.C.S. no 31 (QL)).

[35] L’arrêt Hryniak, dans lequel les tribunaux avaient conclu qu’il n’était pas juste et équitable de rendre un jugement sommaire à moins que les faits ne soient incontestables et que l’issue définitive du procès ne soit évidente a marqué l’abandon de l’approche qui existait jusque-là à l’égard du jugement sommaire. Cette ancienne approche est encore mentionnée aujourd’hui. Cependant, selon la norme actuelle applicable au prononcé d’un jugement sommaire, l’état du dossier doit être tel que le juge ait suffisamment confiance qu’il peut résoudre le litige en vertu de son pouvoir discrétionnaire (Hryniak au para. 57; Weir-Jones Technical Services Incorporated v. Purolator Courier Ltd., 2019 ABCA 49, 86 Alta. L.R. (6th) 240 au para. 47 [Weir-Jones]; Hannam v. Medicine Hat School District No. 76, 2020 ABCA 343, 15 Alta. L.R. (7th) 213 au para. 12 et 135, autorisation de pourvoi devant la CSC refusée, 39442 (18 mars 2021)).

[36] Des questions d’intérêt public plus générales sont également en jeu. La Cour suprême a observé que les règles du jugement sommaire allègent le fardeau qui incombe aux parties au litige et qui pèse sur le système judiciaire dans son ensemble (Lameman au para. 10) :

La règle du jugement sommaire sert une fin importante dans le système de justice civile. Elle permet d’empêcher les demandes et les défenses qui n’ont aucune chance de succès de se rendre jusqu’à l’étape du procès. L’instruction de prétentions manifestement non fondées a un prix très élevé, en temps et en argent, pour les parties au litige comme pour le système judiciaire. Il est essentiel au bon fonctionnement du système de justice, et avantageux pour les parties, que les demandes qui n’ont aucune chance de succès soient écartées tôt dans le processus. Inversement, la justice exige que les prétentions qui soulèvent de véritables questions litigieuses susceptibles d’être accueillies soient instruites.

[37] C’est dans cet esprit que notre Cour a souligné qu’il incombe aux juges de veiller à ce que le processus judiciaire financé par des fonds publics soit utilisé de manière à être le plus efficace possible (Canada c. Olumide, 2017 CAF 42, [2018] 2 R.C.F. 328 aux para. 17 à 20; ViiV Healthcare au para. 24). La Cour d’appel de l’Alberta a formulé des observations similaires (Stoney Tribal Council v. Canadian Pacific Railway, 2017 ABCA 432, 66 Alta. L.R. (6th) 33 au para. 77). Autoriser l’instruction d’une affaire qui pourrait être tranchée par jugement sommaire retarde l’audition d’une affaire qui nécessite la tenue d’un procès. Il n’existe pas pour les parties de droit d’avoir accès à toutes les étapes du processus de règlement des litiges et ni de droit présomptif à la tenue d’un procès (Stoney Tribal Council au para. 79, renvoyant à la décision O’Hanlon Paving Ltd. v. Serengetti Developments Ltd., 2013 ABQB 428, 91 Alta. L.R. (5th) 1 au para. 33). La responsabilité des juges à cet égard ainsi que l’invitation à faire preuve de confiance qui leur est adressée dans l’arrêt Hryniak encadrent l’approche concernant les requêtes en jugement sommaire.

[38] Pour déterminer s’il existe une véritable question litigieuse, il faut suivre, explicitement ou implicitement, un certain cheminement analytique. Il convient de définir les questions juridiques en litige ainsi que les exigences connexes en matière de preuve. Il faut alors extraire les questions de fait en litige et les examiner à la lumière de leur pertinence à l’égard des questions de droit. Ce n’est que lorsque ces questions ont obtenu des réponses que l’on peut vérifier si le dossier de requête est suffisant. Comme le montre l’examen que je fais dans les présents motifs, il n’existe en l’espèce aucune véritable question litigieuse, de procédure ou de fond, qui nécessite que la question soulevée dans la requête en jugement sommaire fasse l’objet d’un procès.

[39] Généralement, les questions de crédibilité ne se tranchent pas lors de requêtes en jugement sommaire. Le juge qui entend et observe les témoignages de vive voix est souvent mieux à même d’apprécier leur crédibilité que le juge qui ne dispose que d’affidavits et d’éléments de preuve documentaires (Gemak Trust c. Jempak Corporation, 2022 CAF 141 au para. 68 [Gemak]).

[40] Cela dit, les litiges relatifs à la crédibilité ne sont pas présumés entraîner le rejet d’une requête en jugement sommaire. La Cour pourrait, malgré l’existence de contradictions apparentes dans la preuve, prononcer un jugement sommaire si, en « se pench[ant] de près » sur le fond de l’affaire, elle constatait qu’elle n’a pas besoin de trancher la question de crédibilité pour statuer sur l’affaire (Gemak au para. 72). En effet, pour que soit rejetée une requête en jugement sommaire, les faits ou les questions de crédibilité contestés doivent se rapporter à la question qui doit être tranchée. Certains litiges relatifs à la crédibilité peuvent être réglés sur dossier et, lorsqu’une question litigieuse demeure, le juge des requêtes peut ordonner un procès sommaire sur cette question uniquement (Règle 215(3)a) des Règles). Il n’est pas nécessaire de sauter à la conclusion qu’un procès en bonne et due forme est nécessaire lorsqu’en fait, seules des questions étroites ou uniques sont contestées.

[41] En l’espèce, selon la déclaration déposée par la PNWL, l’accord-cadre comporte des modalités implicites nécessaires pour qu’il prenne effet et sans lesquelles l’accord-cadre est inexécutable. La question de savoir si une véritable question litigieuse existe commence par la prise en considération du contenu juridique de ces théories, des modalités implicites, de ce qui permet et empêche l’exécution d’un contrat et des exigences en matière de preuve. La Cour fédérale n’ayant pas analysé les exigences juridiques des questions, plus précisément la jurisprudence de la Cour suprême sur les modalités implicites et sur l’exécution et l’inexécution d’un contrat, aucune décision sur la question de savoir si une véritable question litigieuse existait n’a pu être rendue.

V. Règle 214 des Règles et les éléments de preuve présentés à la Cour fédérale

(i) Recours aux éléments de preuve qui pourraient être présentés et éclairer l’accord-cadre

[42] En vérifiant si les éléments de preuve présentés par la Saskatchewan étaient suffisants, la Cour fédérale a noté que les personnes qui ont observé les négociations ayant mené à la signature de l’accord-cadre [traduction] « pourraient avoir des témoignages pertinents à apporter relativement aux circonstances » et que les chefs individuels qui ont signé l’accord-cadre [traduction] « pourraient être en mesure d’apporter un éclairage supplémentaire sur le processus et les discussions ayant conduit à la signature de l’accord-cadre » (motifs de la CF au para. 43; non souligné dans l’original).

[43] C’était une erreur.

[44] La jurisprudence de la Cour suprême, la jurisprudence de notre Cour et les exigences expresses de la Règle 214 empêchent la prise en considération « d’élément[s] qui pourrai[ent] être produit[s] ultérieurement en preuve dans l’instance ». Dans les requêtes en jugement sommaire, le juge doit se limiter à apprécier les éléments de preuve versés au dossier et ne doit pas faire son examen en se fondant sur des éléments de preuve éventuels qui pourraient exister en dehors de la requête (Lameman au para. 19).

[45] La Cour fédérale a rejeté la requête en jugement sommaire de la Saskatchewan en se fondant sur ce qu’elle a appelé un manque de renseignements concernant les circonstances qui existaient lorsque l’accord-cadre a été signé. Cependant, le juge n’a pas nommé précisément quels étaient les éléments dans ce fondement factuel supplémentaire qui manquaient à la preuve. Bien que la Cour fédérale n’ait pas accepté que la preuve présentée par la Saskatchewan constituât un dossier complet, elle n’a ni indiqué la nature des autres éléments de preuve dont elle avait besoin ni expliqué dans quelle mesure ces éléments de preuve seraient pertinents. La Cour n’a pas non plus relevé d’ambiguïté dans l’accord-cadre qui nécessiterait des précisions au moyen d’une preuve contextuelle. Elle a plutôt estimé que la preuve présentée par la Saskatchewan était incomplète au motif que d’autres éléments de preuve pertinents pourraient être présentés par des témoins lors du procès et dont les parties pourraient disposer. Je mets en évidence les conjectures qui se superposent dans ce raisonnement.

[46] Le juge a présumé que d’autres éléments de preuve pourraient être obtenus et qu’ils seraient fiables, admissibles et pertinents et que, par conséquent, le dossier était insuffisant. Le juge ne pouvait pas juridiquement formuler cette hypothèse et, quoi qu’il en soit, les éléments de preuve dont il disposait ne lui permettaient pas de le faire.

(ii) La preuve des circonstances n’exige pas la tenue d’un procès

[47] Le juge a conclu qu’aucun des témoins ayant déposé des affidavits dans la requête n’avait une connaissance directe des négociations et que, par conséquent, seul un procès pourrait fournir le fondement factuel supplémentaire nécessaire pour régler les questions juridiques (motifs de la CF au para. 45).

[48] Le juge a également fait référence d’une façon générale à d’autres témoins qui pourraient avoir des éléments de preuve à présenter. Rien ne permettait d’établir l’identité de ces témoins imaginaires, s’ils étaient encore en vie, le rôle qu’ils ont joué dans les négociations ou dans quelle mesure leurs souvenirs pouvaient aujourd’hui élucider l’une ou l’autre des principales questions au cœur de la requête : s’il faut voir dans l’accord-cadre une modalité ou comment il faut interpréter les modalités expresses de l’accord-cadre. Les motifs du juge reposent plutôt sur la conclusion selon laquelle, étant donné que l’accord-cadre visait à remédier à des manquements aux engagements pris par voie de traité et que l’accord-cadre était né de négociations complexes, un [traduction] « procès en bonne et due forme [était] nécessaire pour interpréter [l’accord-cadre] » et [traduction] « pourrait » révéler des [traduction] « lacunes » dans les éléments de preuve (motifs de la CF aux para. 64 et 65).

[49] Cette dernière remarque est révélatrice. C’est un aveu selon lequel, même si aucun autre élément de preuve pertinent n’a été en fait expressément nommé, il se peut qu’il puisse apparaître au cours d’un procès.

[50] Cette approche à l’égard des jugements sommaires se heurte à l’objectif général des Règles, qui est de garantir que les litiges obtiennent une solution qui soit la plus économique et expéditive possible. Elle diverge aussi des exigences expresses de la Règle 215 et de l’orientation donnée par la Cour suprême dans les arrêts Hryniak et Lameman quant à la fonction du jugement sommaire qui est, dans la mesure du possible, de rationaliser le processus de règlement des litiges (Hryniak au para. 27; Lameman au para. 10). C’est une erreur de droit que de reporter une décision définitive parce qu’on émet l’hypothèse que des éléments de preuve supplémentaires pourraient être produits au cours du procès. Cette réticence est précisément ce que la Règle 3 et les arrêts Hryniak et Lameman visent à éliminer.

[51] La question est de savoir si le dossier est suffisant pour que l’affaire soit tranchée de manière juste et équitable. Cette norme s’inscrit dans la direction établie dans l’arrêt Hryniak, selon laquelle il faut privilégier la prise de décisions avec confiance plutôt qu’avec certitude (Hryniak au para. 50). La Cour fédérale, en statuant sur la requête en jugement sommaire dont elle avait été saisie, a omis de tenir compte de cette norme ainsi que des principes de proportionnalité et d’économie qui la sous-tendent.

[52] Rejeter une requête en jugement sommaire sur le fondement de la possibilité qu’un élément fasse surface au procès ne s’inscrit pas dans le virage culturel favorisant les processus décisionnels proportionnés qui est approuvé dans l’arrêt Hryniak, aux paragraphes 2 et 28. Comme l’a écrit la Cour d’appel de l’Alberta, [traduction] « [p]résumer qu’un jugement sommaire sera toujours “injuste” sauf s’il satisfait à une certaine norme rigoureuse d’irréfutabilité neutralise tout le concept de “virage culturel” [vers d’autres méthodes de règlement des litiges] imposé par l’arrêt Hryniak c. Mauldin » (Weir-Jones au para. 25). Je suis d’accord avec la Cour d’appel de l’Alberta pour dire qu’imposer des normes, comme la [traduction] « forte probabilité d’obtenir gain de cause » ou des faits [traduction] « évidents » ou [traduction] « inattaquables », n’est pas compatible avec les objectifs des requêtes en jugement sommaire (Weir-Jones au para. 33). Le dispositif n’a pas besoin d’être équitable au-delà de tout doute. La perfection dans le dossier n’est pas la norme.

[53] Je me penche maintenant sur la troisième erreur.

(iii) La preuve a déjà été présentée à la Cour

[54] Là encore, la Cour fédérale a émis la conjecture que les témoins, observateurs et signataires de l’accord-cadre seraient en mesure d’en éclairer le sens des modalités (motifs de la CF au para. 43). À supposer que ces éléments de preuve soient pertinents et admissibles, ils étaient déjà entre les mains de la PNWL.

[55] Le chef Mike Fineday et M. Ron Fineday ont assisté aux séances plénières pour le compte de la PNWL et le premier a signé l’accord-cadre pour le compte de la PNWL. Aucun d’eux n’a fourni d’affidavit en réponse à la requête de la Saskatchewan. Il est à noter que Heather Bear, qui a produit un affidavit pour le compte de la PNWL, était la vice-chef de la FSIN, laquelle était la signataire principale de l’accord-cadre. Si les observateurs des négociations avaient quelque chose de pertinent à dire à l’égard de l’existence d’une véritable question litigieuse, la requête était l’occasion de le faire. Comme notre Cour l’a dit, la partie défenderesse doit « jouer atout ou risquer de perdre » (Gemak au para. 67).

[56] L’arrêt Hryniak et la Règle 214 interdisent aux parties de prétendre qu’il existe une véritable question litigieuse tout en s’abstenant de divulguer des éléments de preuve qui étayent cette position. C’est précisément ce que la PNWL a fait en l’occurrence. Je note aussi que la PNWL n’a contre-interrogé que deux des quatre déposants de la Saskatchewan.

[57] Comme je l’ai mentionné plus haut, la Cour fédérale a conclu qu’il existait une [traduction] « lacune » dans la preuve de la Saskatchewan relativement aux circonstances entourant l’exécution de l’accord-cadre (motifs de la CF aux para. 64 à 66). Selon la Cour fédérale, étant donné que l’accord-cadre visait à trouver une solution aux promesses non tenues faites par traité et liées aux obligations en souffrance en matière de DFIT (motifs de la CF au para. 66), il était nécessaire de tenir un procès pour combler les lacunes dans la preuve concernant les négociations.

[58] Le but et l’objectif de l’accord-cadre consistant à satisfaire aux obligations issues de traités sont bien connus et compris. Le Traité no 6 exigeait que le Canada mette à part « un mille carré pour chaque famille de cinq personnes, ou une telle proportion pour des familles plus ou moins nombreuses ou petites »; toutefois, les terres mises à part n’ont pas permis à la Couronne de s’acquitter de ses obligations. Cette obligation en souffrance a été reconnue dans la Convention sur le transfert des ressources naturelles de 1930 conclue entre le Canada et la Saskatchewan (annexe 3 de la Loi constitutionnelle de 1930 (R.-U.), 20-21 George V, ch. 26, reproduite dans L.R.C. 1985, annexe II, no 26). La Saskatchewan avait envers le Canada l’obligation de faciliter le transfert au Canada de ce qui devait devenir les terres de la Couronne provinciales. Le préambule de l’accord-cadre souligne que ces obligations mutuelles seraient remplies par les clauses de l’accord-cadre.

[59] La déclaration de la PNWL décrit aussi le contexte dans lequel s’est inscrit l’accord-cadre, et les affidavits déposés par la PNWL elle-même dans la requête relatent en plus les événements qui ont conduit à la mise en œuvre de l’accord-cadre (affidavit de Mme Bear aux para. 3 à 7; affidavit de Wendy Jim aux para. 4 à 8).

[60] Outre les éléments de preuve déposés à la fois par la Saskatchewan et par la PNWL, trois tribunaux d’appel ont étudié en profondeur le contexte historique, l’objet et l’économie de l’accord-cadre : notre Cour dans les arrêts Peigan 1, Long Plain et Saskatchewan (Procureur général) c. Première Nation de Pasqua, 2018 CAF 141 [Peigan 2], la Cour d’appel de la Saskatchewan dans l’analyse de la doctrine qu’elle a faite récemment dans l’arrêt George Gordon et la Cour d’appel de l’Alberta dans l’arrêt Goodswimmer. En résumé, la [traduction] « lacune » dans la preuve quant aux [traduction] « circonstances » de l’accord-cadre qu’a fait valoir la PNWL et que la Cour fédérale a acceptée n’était pas du tout une lacune.

[61] En outre, le Report and Recommendations on Treaty Land Entitlement (rapport et recommandations sur les droits fonciers issus de traités) du commissaire aux traités est le document de référence qui a motivé l’accord-cadre et guidé à la fois son contenu et les mécanismes nécessaires pour la réalisation de ses objectifs. De même, le document intitulé Chiefs Policy Committee: Principles in the Settlement of Treaty Land Entitlements in Saskatchewan (comité d’orientation des chefs : principes dans le règlement des droits fonciers issus de traités en Saskatchewan). Dans ce dernier document, la FSIN a établi ses objectifs précis d’acquisition de terres, décrit la façon de les atteindre et relevé des problèmes potentiels qui pourraient survenir au cours des négociations. Ces deux documents ont été présentés à la Cour fédérale.

[62] Je note, en passant, que l’accord-cadre a été signé par le chef de la FSIN et le commissaire aux traités. S’il existait quelque élément enfoui profondément dans le contexte ayant entouré la signature de l’accord-cadre allant dans le sens des jugements déclaratoires que sollicitait la PNWL ou soulevant une incertitude qui justifierait la tenue d’un procès, on le trouverait vraisemblablement dans ces documents. Toutefois, la PNWL n’a pas mis en évidence d’élément précis dans ces documents de référence qui pouvait soutenir sa thèse.

[63] Pour conclure, les [traduction] « circonstances » de la signature d’un contrat ou d’un accord doivent être définies avec une certaine précision si une partie souhaite les invoquer pour faire rejeter une requête en jugement sommaire. La partie doit aussi établir la pertinence des circonstances à l’égard des questions que la Cour fédérale doit trancher. La simple affirmation que du contexte supplémentaire sera utile ne suffit pas pour justifier la tenue d’un procès en bonne et due forme sur une question litigieuse. Pour autant que les observateurs aux négociations pourraient avoir eu quelque chose à ajouter, il incombait à la PNWL de déposer des affidavits décrivant ce que cette preuve serait et de démontrer sa pertinence à l’égard d’une véritable question de droit.

VI. Modalité implicite – aucune véritable question litigieuse

(i) Modalité implicite – Principes généraux

[64] J’examine maintenant le fond de la requête et la question de savoir si les jugements déclaratoires sollicités – principalement celui au sujet d’une modalité implicite concernant l’avis de vente aux enchères imminente et la possibilité raisonnable d’acheter les terres – soulevaient une véritable question litigieuse qui nécessitait la tenue d’un procès.

[65] Il n’y a pas de véritable question litigieuse s’il n’y a pas de fondement juridique à la demande compte tenu du droit ou de la preuve produite ou si le juge dispose de la preuve nécessaire pour trancher le litige (Canada c. Bezan Cattle Corporation, 2023 CAF 95 au para. 138; Manitoba au para. 15; Hryniak au para. 66). Comme je l’explique plus loin, les modalités que la partie souhaite voir interprétées comme se trouvant dans l’accord-cadre sont incompatibles avec l’accord lui-même et, si elles étaient retenues, il en découlerait un accord-cadre nettement différent de celui négocié.

[66] Le libellé clair d’un contrat doit toujours l’emporter sur les circonstances dans l’interprétation des obligations contractuelles (Sattva Capital Corp. c. Creston Moly Corp., 2014 CSC 53, [2014] 2 R.C.S. 633 au para. 57 [Sattva]; Toronto Real Estate Board c. Commissaire de la concurrence, 2017 CAF 236, [2018] 3 R.C.F. 563 aux para. 168 et 169; Canada (Commissariat à l’information) c. Calian Ltd., 2017 CAF 135, [2017] A.C.F. no 634 au para. 59).

[67] Bien que la preuve des circonstances puisse s’avérer utile, elle ne peut pas servir à réécrire les modalités expresses d’un accord comme l’accord-cadre (Sattva au para. 57) :

Une disposition contractuelle doit toujours être interprétée sur le fondement de son libellé et de l’ensemble du contrat (Hall, p. 15 et 30-32). Les circonstances sous‐tendent l’interprétation du contrat, mais le tribunal ne saurait fonder sur elles une lecture du texte qui s’écarte de ce dernier au point de créer dans les faits une nouvelle entente (Glaswegian Enterprises Inc. c. B.C. Tel Mobility Cellular Inc. (1997), 101 B.C.A.C. 62).

[68] Une partie pourrait démontrer qu’une modalité implicite existe dans un contrat en établissant que la modalité est nécessaire « pour donner à un contrat de l’efficacité commerciale ou pour permettre de quelque autre manière de satisfaire au critère de “l’observateur objectif”, [condition] dont les parties diraient, si on leur posait la question, qu’elles avaient évidemment tenu son inclusion pour acquise » (M.J.B. Enterprises Ltd. c. Construction de Défense (1951) Ltée, [1999] 1 R.C.S. 619, 1999 CanLII 677 (CSC) au para. 27 [Construction de Défense], citant l’arrêt Société hôtelière Canadien Pacifique Ltée c. Banque de Montréal, [1987] 1 R.C.S. 711, 1987 CanLII 55 (CSC) à la p. 775). La PNWL invoque ce principe, ainsi que la doctrine de l’impossibilité d’exécution.

[69] La Cour fédérale a insisté tout particulièrement sur le fait que l’accord-cadre était conçu pour remplir des obligations issues de traités. C’est pour cette raison qu’elle a conclu qu’elle ne pouvait pas statuer sur l’affaire de manière équitable ou juste par jugement sommaire (motifs de la CF au para. 66). Les parties ont toutefois adopté un point de vue très différent concernant la nature de l’accord-cadre au cours de leurs négociations et elles l’ont expressément mentionné dans celui-ci.

[70] L’article 20.22 de l’accord-cadre dispose que [traduction] « [c]hacune des parties convient que rien dans le présent accord-cadre n’est ou ne doit, de quelque manière que ce soit, être interprété ou considéré [...] comme confirmant, reconnaissant ou créant une obligation issue de tout traité entre la Saskatchewan et toute bande ». Ce qui était présenté à la Cour était non pas un traité, mais l’interprétation d’une entente tripartite. Le fait que l’accord-cadre remédie à des manquements aux engagements découlant de traités ne supplante ni son libellé clair et soigneusement rédigé qui, comme le décrit la PNWL elle-même, énonce un [traduction] « cadre procédural solide » (déclaration de la PNWL au para. 27), ni les principes pertinents servant à interpréter les accords et à déterminer à quel moment il faut y lire une modalité implicite.

[71] Dans l’arrêt Peigan 2 (au para. 12), notre Cour a expliqué comment l’accord-cadre devait être interprété. Les motifs font ressortir très clairement les erreurs ci-dessous :

L’honneur de la Couronne en ce qui concerne cet accord exige que les dispositions de celui-ci soient exécutées d’une manière claire et équitable (Peigan 1, au paragraphe 64; Bande indienne Wewaykum c. Canada, 2003 CSC 45, [2003] 2 R.C.S. 259 (Wewaykum)) [...] Cela ne signifie pas que les modalités de l’accord doivent être ignorées ou exigent que d’importants aspects de l’accord soient remaniés ou interprétés d’une manière contraire aux modalités de l’accord et de la manière expressément prévue par les parties à l’accord. En effet, les intimés demandent à la Cour de remanier l’accord au moyen d’une série de déclarations fondées sur la loi constitutionnelle. L’accord n’est pas un traité ni ne vise à déterminer tous les aspects liés aux droits fonciers issus de traités qui pourraient faire l’objet d’un différend non résolu entre la Couronne et les intimés. Il s’agit plutôt d’un important outil permettant de régler ces questions non résolues relatives aux droits fonciers issus de traités d’une manière ordonnée et équitable, tel que l’ont convenu les parties visées par l’accord.

[72] Pour conclure sur ce point, en omettant d’examiner la jurisprudence régissant les modalités implicites, en ignorant les modalités expresses de l’accord-cadre et en adoptant une approche erronée pour son interprétation, la Cour fédérale n’était pas en mesure d’analyser correctement la question de savoir s’il existait une véritable question litigieuse.

(ii) La modalité implicite sollicitée

[73] La PNWL affirme que la modalité implicite qu’elle demande ne constitue pas un droit de premier refus. Cependant, le juge a noté que la PNWL avait [traduction] « déclar[é] qu’il faut interpréter l’accord-cadre comme comportant des modalités implicites prévoyant l’avis lors de ventes de terres de la Couronne provinciales et la possibilité raisonnable d’acheter ces terres avant leur mise aux enchères» (motifs de la CF au para. 50) et il a déterminé que [traduction] « la question de savoir si l’avis et la possibilité raisonnable d’acheter constituent ou non un droit de premier refus est une question litigieuse que le juge de première instance doit trancher » (motifs de la CF au para. 62).

[74] Je ne suis pas de cet avis. La Cour d’appel de la Saskatchewan ne l’est pas non plus, comme je l’explique plus loin.

[75] La PNWL n’a pas défini la portée de [traduction] l’« avis » qu’exige la modalité implicite, se limitant à dire que l’avis doit suffire pour lui conférer une [traduction] « possibilité raisonnable » d’acheter des terres de la Couronne que la Saskatchewan a l’intention de vendre. La PNWL n’a pas non plus proposé de paramètres quant à ce qui pourrait constituer une [traduction] « possibilité raisonnable ». Comme cela deviendra évident plus loin, la nature indéfinissable de la modalité que l’on souhaite voir interprétée comme se trouvant dans l’accord-cadre contraste avec les modalités précises et soigneusement circonscrites de l’accord-cadre qui indiquent quand et comment des bandes peuvent acheter des terres et quand et pour quelle durée la capacité de la Saskatchewan d’aliéner des terres est entravée.

[76] Dans l’arrêt George Gordon, la Cour d’appel de la Saskatchewan a conclu que le contenu d’une modalité implicite semblable dans l’accord-cadre que l’on faisait valoir constituait en fait un droit de premier refus, malgré les affirmations au contraire de la Première Nation (George Gordon au para. 115).

[77] Dans cette affaire, la Première Nation de George Gordon avait camouflé ce qui constituait essentiellement un droit de premier refus derrière des mots proposant un droit implicite de recevoir avis des ventes à venir de droits miniers à des tiers. Bien qu’aucun tiers ne soit en cause dans la présente affaire, le contenu de la disposition relative à l’avis que demande la PNWL est le même que celui que sollicitait la Première Nation de George Gordon : un avertissement lorsqu’une vente publique de terres ou de droits miniers de la Couronne est prévue, suivi de la possibilité d’intervenir dans la vente et l’achat des terres ou de droits si la Première Nation le souhaite.

[78] Au début des présents motifs, j’ai établi le contexte factuel de la demande originale de la PNWL, notamment les délais impartis, les mesures prises et les communications envoyées par la Saskatchewan à la PNWL. Certaines conclusions pourraient être tirées de ce contexte. Premièrement, la PNWL avait reçu un avis adéquat concernant l’intention du gouvernement de vendre les terres en question. Deuxièmement, à aucun moment la PNWL ne s’est intéressée à l’offre de consultation de la Saskatchewan concernant la proposition de vente de terres de la Couronne. Enfin, la PNWL a manifesté sa volonté d’acheter les terres seulement un ou deux jours après le début des enchères.

[79] Il est évident que la modalité implicite sollicitée par la PNWL a une plus large portée que l’avis qu’elle a reçu au titre de l’obligation de consulter qui incombe à la Saskatchewan. La modalité implicite comprend le droit de recevoir un avis, mais cet avis est assorti d’un pouvoir qui est celui de suspendre les ventes de terres de la Couronne pendant que la PNWL, ou toute autre bande parmi les 33 bandes qui sont parties à l’accord-cadre, détermine si elle souhaite acheter les terres.

[80] Si l’on concluait à l’existence de la modalité sollicitée, on créerait un nouveau droit qui n’est pas mentionné dans l’accord-cadre. Ce serait aussi incompatible avec l’obligation qu’impose l’accord-cadre aux Premières Nations de faire connaître leur sélection des terres qu’elles souhaitent acheter. L’accord-cadre permet aux Premières Nations de [traduction] « prendre les commandes », en leur conférant [traduction] « le droit et la responsabilité de trouver et d’acquérir des terres » (George Gordon First Nation v. Saskatchewan (Attorney General Of Canada), 2020 SKQB 90 au para. 120, conf. par 2022 SKCA 41).

[81] L’interprétation que fait la PNWL est contraire à ce principe.

(iii) Plein effet et inexécution

[82] Une modalité sera considérée en droit comme étant implicite dans un accord si elle s’avère nécessaire pour garantir un résultat qui est conforme à l’intention des parties. Cela se produit lorsqu’un « observateur objectif » présume que la modalité a été comprise et qu’elle est nécessaire pour que l’accord prenne effet. Ces principes sont également pertinents pour l’interprétation des obligations qu’a la Couronne envers les peuples autochtones (R. c. Marshall, [1999] 3 R.C.S. 456, 1999 CanLII 665 (CSC) au para. 43). En l’espèce, la question de la modalité implicite est nécessairement étroitement liée à la question de savoir si le contrat prend pleinement effet ou s’il est inexécutable en son absence.

[83] Bien que la Saskatchewan ait soulevé devant la Cour fédérale la question du plein effet des contrats, la Cour fédérale ne s’est pas penchée sur la question.

[84] Les éléments de preuve révèlent, sans le moindre doute, que l’accord-cadre prend pleinement effet sans la modalité implicite.

[85] La PNWL admet qu’elle avait connaissance des terres particulières en question avant les enchères (affidavit de Mme Jim aux para. 14 et 19). La PNWL a également admis qu’elle avait conclu son accord particulier afin de rendre exécutoire l’accord-cadre en 1993 (affidavit de Mme Jim au para. 9) et qu’elle aurait pu faire une offre pour acheter les terres à tout moment après 1993.

[86] L’accord-cadre a permis à 29 des 33 Premières Nations signataires d’acquérir des terres au titre de DFIT, qu’elles avaient elles-mêmes choisies et obtenues à leur propre rythme et que la Couronne du chef du Canada et de la Saskatchewan finançait. Les éléments de preuve révèlent aussi que, grâce au processus et aux mécanismes de financement de l’accord-cadre, les bandes ont considérablement étendu les terres de réserve au-delà de leurs DFIT. Il est nécessaire de répéter qu’en 1998, la PNWL a elle-même acquis la totalité des 7 923 acres de sa superficie manquante et que, depuis, elle a acquis 8 310 acres supplémentaires. Autrement dit, l’objectif de l’accord-cadre a été atteint, ce qui lui a conféré plein effet, sans la modalité implicite que la PNWL sollicite.

(iv) Incompatibilité avec les dispositions expresses dans l’accord

[87] Une modalité ne sera pas interprétée comme se trouvant dans un accord si la question a été discutée expressément ailleurs par les parties. En l’espèce, la modalité implicite sollicitée est incompatible avec les dispositions expresses de l’accord-cadre et elle irait à leur encontre. Je note en passant que, bien que le procureur général du Canada n’ait pas pris position relativement à l’issue de l’appel, son analyse et son interprétation de l’accord-cadre et de son application concordent avec celles du procureur général de la Saskatchewan.

[88] L’accord-cadre tient compte des circonstances dans lesquelles la capacité de la Saskatchewan d’aliéner des terres de la Couronne est entravée. Une bande peut proposer d’acheter des terres et, si le gouvernement est disposé à les vendre, une période de gel de 18 mois commence au cours de laquelle les parties doivent parvenir à un accord relativement aux modalités de vente. Les alinéas 4.05c) et d) de l’accord-cadre régissent cette procédure :

[traduction]

c) Si le Canada ou la Saskatchewan accepte de vendre des terres fédérales ou provinciales de la Couronne ou les améliorations de ces terres comme il est mentionné plus haut, pendant une période de dix-huit (18) mois après l’envoi par le Canada ou la Saskatchewan d’un avis confirmant son intention de vendre à la bande ayant droit à des terres, les terres de la Couronne ou les améliorations de la Couronne identifiées seront rendues disponibles à la vente à la bande ayant droit à des terres, sous réserve uniquement d’un accord (ou d’une détermination au titre de cet accord) relatif au prix d’achat et du respect de toutes les conditions préalables.

d) Pendant la période de dix-huit (18) mois mentionnée à l’alinéa c), ni le Canada ni la Saskatchewan ne permettra la vente (sauf à la bande ayant droit à des terres) de ces terres fédérales ou provinciales de la Couronne ou des améliorations de la Couronne ou n’accordera à des tiers de droits à l’égard de celles-ci, sans le consentement écrit préalable de la bande ayant droit à des terres, à l’exclusion de ce qui suit :

(i) tout intérêt sur le bien-fonds détenu par un tiers au titre des modalités d’une entente contractuelle avec la Saskatchewan ou le Canada ou des lois provinciales;

(ii) les servitudes de services publics;

(iii) tout nouvel intérêt détenu par un tiers dont la durée est inférieure à un (1) an.

[89] La modalité implicite proposée entrerait directement en conflit avec l’article 4.05 de l’accord-cadre, qui stipule que les périodes de gel ne durent que 18 mois et ne s’appliquent qu’aux terres que la Saskatchewan a accepté de vendre à une bande.

[90] La modalité implicite sollicitée constituerait aussi une charge administrative et juridique à l’égard des terres de la Couronne qui entraverait la capacité de la Saskatchewan d’aliéner des terres de la Couronne en dehors de celles prévues à l’accord-cadre. Les terres mises aux enchères seraient soumises aux calendriers de 33 bandes, étant donné que chacune d’entre elles serait autorisée à décider si elle souhaite faire une offre afin d’acheter les terres. Ce qui constitue une possibilité raisonnable pour une bande pourrait ne pas l’être pour une autre et cette incertitude pourrait dissuader d’autres soumissionnaires éventuels.

[91] La thèse de la modalité implicite se heurte à d’autres obstacles.

[92] L’article 20.12 porte que l’accord-cadre ne sera pas modifié, complété ou remplacé, sauf par un accord écrit signé par toutes les parties à l’accord-cadre. L’article 20.04 conforte ce point en disposant qu’aucune modification de l’accord-cadre ou renonciation à celui-ci n’est contraignante, à moins qu’elle ne soit faite par écrit et qu’elle n’ait été signée par toutes les parties concernées, [traduction] « suivant les mêmes formalités que celles qui s’appliquent à la signature de l’accord-cadre ». Ce dernier point est crucial. L’accord-cadre est le résultat de négociations tripartites qui ont duré de nombreuses années. Dans ces circonstances, le tribunal devrait se montrer réticent à y trouver par interprétation de nouvelles modalités.

[93] L’article 20.13 de l’accord-cadre dispose que les modalités contenues dans l’accord-cadre représentent l’intégralité de l’entente entre les parties et il établit que [traduction] « [l]es parties n’ont fait et ne se sont fondées sur aucune déclaration, incitation, promesse, entente, condition ou garantie qui n’est pas énoncée dans le présent accord-cadre ».

[94] Enfin, s’il y avait des doutes quant aux intentions des parties, l’article 15.05 de l’accord-cadre dispose que l’accord-cadre énonce, [traduction] « d’une façon complète et entière, les actions nécessaires pour la mise en œuvre et l’exécution des modalités du [traité numéro 6] en ce qui concerne les droits fonciers ».

[95] À l’appui de la thèse de la Saskatchewan, l’article 10.05 de l’accord-cadre dispose que les Premières Nations signataires ont confirmé avoir reçu des avis juridiques indépendants au cours des négociations et jusqu’au moment de la signature des accords particuliers qui ont rendu exécutoire l’accord-cadre. Le regretté Lloyd Barber a été le négociateur en chef tout au long des négociations de l’accord-cadre. L’expertise, la crédibilité et la réputation de M. Barber en tant que négociateur dans les litiges entre les gouvernements et les Canadiens autochtones sont incontestables. L’article 10.05 exige également que les Premières Nations signataires informent pleinement leurs membres de [traduction] « la nature et [de] l’effet » des accords particuliers. La négociation, la signature et la mise en œuvre par la PNWL de son accord particulier ont reposé sur des avis professionnels et ont été faites en consultation avec ses membres (voir l’article 10.04 de l’accord particulier de la PNWL).

[96] La modalité implicite proposée est contraire à l’objet de l’accord-cadre, qui était de satisfaire aux obligations en matière de DFIT d’une manière juste, prévisible et transparente. On ne peut guère imaginer d’élément perturbateur de l’accord-cadre plus puissant que l’interpréter comme comportant une nouvelle modalité, par voie judiciaire, 30 ans après sa conclusion. Les accords comme celui-ci, qui sont essentiellement des efforts de réconciliation, ne devraient pas être interprétés d’une manière qui perturbe l’accord soigneusement négocié par les parties (Goodswimmer aux para. 47 à 50).

VII. Autres véritables questions litigieuses invoquées

(i) Acheteur ou vendeur consentant

[97] Vu ces obstacles relatifs à la preuve et au droit auxquels se heurtent ses observations concernant la clause contractuelle implicite, la PNWL se rabat sur la disposition concernant [traduction] « l’acheteur consentant ou le vendeur consentant » à l’alinéa 4.05a) de l’accord-cadre. Elle affirme qu’en mettant aux enchères les terres, la Saskatchewan est devenue un [traduction] « vendeur consentant » et, dans ces circonstances, elle était tenue de vendre les terres à la PNWL.

[98] La Cour du Banc de la Reine de la Saskatchewan a examiné en détail cet argument et l’a totalement rejeté (Muskoday First Nation v. Saskatchewan, 2016 SKQB 73, [2016] 3 C.N.L.R. 123 [Bear]; One Arrow First Nation v. Saskatchewan, [2000] 1 C.N.L.R. 162, 1999 CanLII 12857 (SKQB) [One Arrow]). Je souscris aux motifs de la Cour du Banc de la Reine, dont le fondement sur lequel ils reposent est le mieux énoncé dans les observations écrites du procureur général de la Saskatchewan, que je reproduis ici :

[traduction]

111. Cependant, le principe du vendeur consentant ou de l’acheteur consentant régit le processus par lequel, lorsque la Saskatchewan accepte de vendre à une bande, la Saskatchewan et cette bande « doivent parvenir à un accord de volontés sur un prix d’achat » : Bear au para. 45; One Arrow au para. 28. Rien dans l’accord-cadre ne peut être interprété comme imposant à la Saskatchewan l’obligation de vendre à une bande des terres en particulier : article 4.06.

112. L’alinéa 4.05b) indique que, si la Saskatchewan accepte de vendre à une bande, elle doit définir des conditions préalables auxquelles la bande doit satisfaire afin de conclure la vente. L’alinéa 4.05c) crée une période de dix-huit mois au cours de laquelle les parties négocient un prix de vente et qui permet que soient remplies les conditions préalables.

113. L’alinéa 4.05d) indique les limites de la capacité de la Saskatchewan de vendre des terres à des tiers. Il prévoit qu’au cours de la période de négociations de dix-huit mois (appelée « période de gel »), la Saskatchewan ne peut pas, sans le consentement de la bande, vendre à des tiers les terres en question. Cette disposition montre que les parties ont pensé aux circonstances dans lesquelles le droit de la Saskatchewan de vendre des terres de la Couronne à des tiers serait entravé. Une obligation parallèle pèse sur la Saskatchewan en ce qui concerne la vente de droits miniers à des tiers : alinéa 5.03e).

[99] Évidemment, le mot important est [traduction] « si ». La période de gel de 18 mois et les dispositions relatives à l’acheteur ou au vendeur consentant ne sont déclenchées que si la Saskatchewan a accepté de vendre les terres.

[100] Dans la décision One Arrow, la Cour du Banc de la Reine de la Saskatchewan a étudié la disposition concernant le principe [traduction] « vendeur consentant / acheteur consentant » de l’article 4.05, ainsi que les obligations imposées à la Saskatchewan au cours de la période de gel de 18 mois. Cette cour a jugé que l’expression [traduction] « vendeur consentant » exige que [traduction] « les modalités et le prix que [la Saskatchewan] veut obtenir [au cours des négociations] soient non seulement présentés de bonne foi, mais qu’ils soient aussi raisonnables sur le plan commercial, c’est-à-dire qu’un acheteur consentant fictif les jugerait acceptables » (One Arrow au para. 34). La Cour du Banc de la Reine de la Saskatchewan a souscrit à cette opinion dans la décision Bear (Bear au para. 45). Elle a aussi conclu que l’expression [traduction] « vendeur consentant / acheteur consentant » fait référence au processus par lequel la Première Nation et la Saskatchewan établissent un prix pour les terres choisies et qu’elle n’est pas liée à la décision de la Saskatchewan d’accueillir ou de rejeter les demandes d’achat de la Première Nation (Bear aux para. 44 et 45).

[101] Je souscris à cette analyse.

(ii) La disposition sur la libération

[102] La Cour fédérale a conclu que [traduction] « [l’]effet juridique concret d’une disposition de libération et de garantie complète nécessite l’examen complet de la thèse juridique des parties et des éléments de preuve sur les négociations ayant conduit à l’accord-cadre » (motifs de la CF au para. 70). En toute déférence, il ne s’agit pas d’un motif, mais d’une conclusion qui a été tirée sans analyse. Le juge a aussi conclu qu’étant donné que des négociations en vue de la conclusion de quatre autres accords particuliers étaient en cours, il pourrait être utile d’interpréter l’entente quant à la libération. Cette considération n’était pas pertinente.

[103] Le Canada a été libéré de ses obligations en matière de DFIT envers la PNWL dès la ratification et la signature d’un accord particulier au titre de l’article 15.01. L’article 16.02 prévoit que la Saskatchewan est ainsi libérée de ses obligations :

[traduction]

Le Canada et chacune des bandes ayant droit à des terres conviennent par les présentes que, lorsqu’elles ratifient et signent un accord particulier, pourvu que la Saskatchewan verse au Canada et au Fonds de règlement des droits fonciers issus des traités en Saskatchewan les sommes à payer par la Saskatchewan pour chacune de ces bandes, conformément au présent accord, et pourvu que la Saskatchewan ne manque pas, d’une manière importante, aux autres obligations qui lui incombent au titre du présent accord [...] le Canada et chacune des bandes ayant droit à des terres acceptent en outre de libérer et de dégager définitivement la Saskatchewan [...]

[104] L’article 15.06 énonce des circonstances précises et limitées dans lesquelles le Canada ne peut invoquer la libération, mais la PNWL n’en a signalé aucune. Rien n’atteste que le Canada ou la Saskatchewan ont omis de faire les contributions financières exigées ou ont manqué, [traduction] « d’une manière importante », à leurs obligations. S’il existait des éléments de preuve en ce sens, il incombait à la PNWL de les produire.

[105] Dans ses observations écrites concernant les dispositions de libération figurant dans l’accord-cadre, la PNWL soutient que l’interprétation de l’accord-cadre doit prendre en considération que le Canada a par le passé rompu des promesses faites par traité et, étant donné que plusieurs autres Premières Nations pourraient être visées par l’interprétation judiciaire des dispositions sur la libération, [traduction] « [i]l serait injuste de régler des questions d’une telle importance en se fondant sur le dossier limité qu’a déposé la Saskatchewan » (mémoire des faits et du droit de la PNWL au para. 58).

[106] Il n’y a aucune définition des questions de fait ou de droit relatives à la libération; la véritable question litigieuse demeure une vue de l’esprit. Au mieux, l’examen par les tribunaux de la libération pourrait quelque peu guider les quatre bandes restantes. Il s’agit d’un motif théorique hypothétique qui, en réalité, retarderait les négociations des quatre accords particuliers restants jusqu’à l’aboutissement de l’action de la PNWL qui, si elle était intentée, ne se terminerait pas avant plusieurs années. Mis à part le fait qu’aucune incertitude concernant la libération n’a été relevée, si les dispositions de libération devaient comporter une question litigieuse, il incomberait aux quatre bandes concernées de la soulever.

(iii) Poids favorable

[107] La PNWL a affirmé que la Saskatchewan n’a pas [traduction] « examiné favorablement » l’avis de la PNWL par lequel elle avait [traduction] « choisi » les terres qu’elle souhaitait acheter, comme l’exigeait l’accord-cadre. La Cour fédérale a reconnu et conclu que l’interprétation de la disposition de [traduction] « l’examen favorable » dans l’accord-cadre soulevait une véritable question litigieuse.

[108] Le juge n’a pas demandé ce qu’un procès aurait pu ajouter de plus qui ne lui avait pas déjà été présenté. La Cour fédérale disposait de tous les éléments de preuve sur la façon dont la Saskatchewan a organisé les enchères et sur les raisons pour lesquelles elle a refusé d’interrompre les enchères.

[109] La PNWL invite notre Cour à substituer sa propre conclusion à la réponse à la question de savoir si la Saskatchewan est parvenue à la bonne conclusion en décidant de ne pas retirer les terres de la vente aux enchères publique, ce qui équivaut en fait à effectuer un contrôle judiciaire de cette décision selon la norme de la décision correcte. Ce n’est pas le rôle de notre Cour. Le fait que la Saskatchewan ait examiné de bonne foi les demandes de la PNWL et qu’elle ait rendu une décision raisonnée fondée sur des considérations pertinentes est suffisant.

[110] J’explique ci-dessous pourquoi je tire cette conclusion.

[111] L’article 4.06 de l’accord-cadre confirme que la Saskatchewan n’était pas obligée de vendre à une bande ayant droit à des terres des parcelles précises de terres de la Couronne. Il stipule cependant que le Canada et la Saskatchewan doivent [traduction] « examiner favorablement » les offres de la PNWL d’acheter des terres de la Couronne :

[traduction]

Sous réserve du droit applicable, le Canada et la Saskatchewan s’engagent à examiner favorablement les offres d’une bande ayant droit à des terres d’achat de terres fédérales ou provinciales de la Couronne, y compris d’améliorations fédérales ou provinciales de la Couronne sur ces terres, et à ne pas, de façon déraisonnable, refuser d’accepter ces offres, pourvu que le présent accord [(à l’exception de l’alinéa 4.05c))] n’ait pas pour effet d’obliger le Canada ou la Saskatchewan à vendre ou à céder des parcelles précises de terres fédérales ou provinciales de la Couronne (y compris les améliorations de la Couronne qui s’y trouvent) à une bande ayant droit à des terres, ou au profit de celle-ci.

[Non souligné dans l’original.]

[112] La Cour du Banc de la Reine de la Saskatchewan s’est penchée sur l’obligation d’examiner [traduction] « favorablement » les offres d’achat et de [traduction] « ne pas, de façon déraisonnable, refuser d’accepter ces offres ».

[113] Dans la décision Bear, la Cour du Banc de la Reine de la Saskatchewan a interprété le sens des expressions [traduction] « vendeur consentant / acheteur consentant », [traduction] « examiner favorablement » et [traduction] « tout en son possible » que contenait l’accord-cadre. Elle a conclu, en interprétant les termes à la lumière de l’honneur de la Couronne, qu’il incombait à la Saskatchewan d’examiner les demandes de bonne foi, sans malhonnêteté (Bear au para. 50). Le paragraphe 72 de la décision Bear est particulièrement pertinent, en ce sens qu’il porte aussi sur une situation où la Saskatchewan a refusé de vendre :

[traduction]

Une personne raisonnable pourrait douter de la validité des motifs, mais la Saskatchewan est parvenue à ces motifs au moyen d’un processus qui est en accord avec les obligations qui lui incombent au titre de l’accord de règlement sur les DFIT et de l’honneur de la Couronne. Comme l’indiquent les articles 4.06 et 5.03, la Saskatchewan a le droit de refuser.

[114] En l’espèce, la demande faite par la PNWL de retirer les terres des enchères et de lui permettre de présenter une offre d’achat a été examinée et prise en compte par treize organisations différentes du gouvernement de la Saskatchewan (transcription du contre-interrogatoire de Megan Shaefer [1er octobre 2020] aux pp. 6 et 7, dossier d’appel aux pp. 854 et 855). La PNWL n’a présenté aucune preuve indiquant que l’examen fait par la Saskatchewan n’avait pas été mené de bonne foi et n’était pas fondé sur des questions d’intérêt public pertinentes.

[115] Au contraire, la Cour fédérale disposait d’éléments de preuve qui montraient, tant sur le plan procédural que sur le fond, que la Saskatchewan avait tenu compte de l’intérêt public avant de rejeter les demandes faites par la PNWL d’acheter les terres de la Couronne. En fait, la Cour fédérale elle-même a précisément pris acte de l’observation de la Saskatchewan à cet égard au paragraphe 60 de ses motifs :

[traduction]

La Saskatchewan déclare aussi que retirer des parcelles de terre aux fins du règlement de DFIT durant les enchères perturberait le processus de vente aux enchères et lui occasionnerait des coûts. La Saskatchewan souligne que les examens internes et externes approfondis que la province effectue avant de mettre aux enchères des parcelles de terre ne serviraient à rien si certaines parcelles devaient être retirées des enchères en raison de demandes intempestives relatives aux DFIT. Elle fait en outre observer que la PNWL aurait pu choisir les terres en question depuis 1993.

[116] Bien que je n’accorde pas trop de poids à cet élément, le dossier de requête comprenait aussi des lettres adressées par la Saskatchewan (ministère de l’Agriculture) au gestionnaire des terres de la PNWL, lesquelles expliquaient que la province avait rejeté les demandes de la PNWL parce que les terres avaient déjà été mises aux enchères et que leur retrait occasionnerait des frais supplémentaires (affidavit de Mme Schaefer, pièces K et L, dossier d’appel aux pp. 684 à 689).

[117] L’exigence de l’examen favorable prévue à l’article 4.06 de l’accord-cadre s’applique aux offres d’achat. Aucune offre d’achat n’a été présentée. Cependant, même en supposant qu’elle s’applique aussi à la demande de retrait des terres des enchères faite par la PNWL, je conclus qu’aucune véritable question nécessitant la tenue d’un procès n’est soulevée.

[118] Personne ne conteste que, plusieurs mois avant chaque vente aux enchères, la Saskatchewan a envoyé à la PNWL des lettres pour l’aviser que des terres de la Couronne allaient être vendues, conformément à l’obligation de consulter qui incombe à la Saskatchewan. Personne ne conteste non plus que la PNWL n’a pas répondu à ces lettres et qu’au lieu de cela, à trois reprises, elle a attendu jusqu’à ce que la vente aux enchères soit en cours pour exprimer, par une lettre adressée à la Saskatchewan, son intérêt à l’égard des terres. Elle n’a jamais présenté d’offre officielle.

[119] Si elle choisit de vendre des terres en recourant à une vente aux enchères publique, la Saskatchewan en fixe le prix minimal de vente et l’établit à 90 % de la juste valeur marchande estimée des terres. Les Premières Nations qui participent à la vente aux enchères pourraient éventuellement obtenir les parcelles de terrains qu’elles souhaitent acquérir à un prix inférieur à celui qu’elles paieraient si elles faisaient une demande d’achat conformément aux accords sur les DFIT.

[120] Lorsque des terres de la Couronne n’obtiennent pas preneur aux enchères, les Premières Nations peuvent encore les acheter en tant que terres de la Couronne, en suivant le processus de sélection prévu par l’accord-cadre. Il va sans dire qu’une bande peut aussi faire une offre sur les terres lors des enchères, ce qui est l’une des raisons pour lesquelles la province donne aux Premières Nations avis de la vente aux enchères imminente. Si les terres sont vendues aux enchères à des tiers, les Premières Nations peuvent encore les acheter en tant que terres privées aux termes de l’accord-cadre. Comme cela a été mentionné, près de 60 % de toutes les terres acquises en application des accords sur les DFIT étaient des terres privées.

[121] La Saskatchewan a fourni des renseignements publics au sujet de l’endroit et du statut des terres provinciales disponibles de la Couronne depuis que l’accord-cadre est entré en vigueur en 1993. Ces renseignements sont rendus publics par le régime d’enregistrement des titres fonciers de la province et, depuis au moins 2009, par des bases de données sur le site Web de la Saskatchewan.

VIII. Questions diverses

[122] La Cour fédérale a également rejeté la requête au motif qu’une question de crédibilité, au sujet de la réception par la PNWL de lettres de consultation de la Saskatchewan, demeurait en suspens. C’était une erreur.

[123] La Saskatchewan a envoyé trois lettres pour informer la PNWL de son intention de vendre des terres de la Couronne, reconnaissant ainsi que cette intention faisait jouer l’obligation qui lui incombait de consulter la PNWL en tant que Première Nation. Ces lettres sont datées de juillet 2016, janvier 2017 et janvier 2018. Wendy Jim, la gestionnaire des terres de la PNWL, affirme qu’elle [traduction] « n’était pas au courant » de l’existence des deux premières lettres que la Saskatchewan avait envoyées et qu’elle avait appris que la Saskatchewan avait l’intention de vendre certaines parcelles de terrains inoccupés de la Couronne au moyen d’une vente aux enchères publique seulement le 15 septembre 2017 ou vers cette date. Je souligne que Wendy Jim n’est devenue la gestionnaire des terres de la PNWL qu’à partir d’avril 2017 et qu’il n’est donc pas étonnant qu’elle n’ait rien su des deux premières lettres envoyées et, en conséquence, ce témoignage est sans importance.

[124] Quoi qu’il en soit, c’est un faux problème.

[125] Les deux premières lettres de consultation ont été adressées au chef de la PNWL (le chef Kenneth Thomas en 2016 et la chef Annie Thomas en 2017) et au conseil. Rien n’indique que ces lettres ne soient pas parvenues aux membres de la PNWL à qui elles étaient adressées. Comme la Saskatchewan le fait observer, la PNWL ne nie pas avoir reçu de la Saskatchewan des avis conformes à l’obligation de consulter avant les enchères. La vente aux enchères n’a débuté que le 23 octobre 2017. Pendant ces cinq semaines, la PNWL ne s’est pas prononcée. Des copies des avis envoyés par la Saskatchewan à la PNWL ont été produites en preuve à la Cour fédérale (motifs de la CF au para. 46).

[126] Par conséquent, il n’y a aucune question de crédibilité qui se pose au vu de la preuve. De plus, la question n’est pas pertinente pour déterminer si, juridiquement, il faut interpréter l’accord-cadre comme comportant une modalité implicite.

IX. Honneur de la Couronne et réconciliation

[127] Les accords comme celui en l’espèce sont d’importants facilitateurs de la réconciliation. La réconciliation et l’honneur de la Couronne nécessitent que l’accord-cadre soit interprété d’une manière juste et en fonction de l’objet qu’il vise, dans le respect de ces deux objectifs. Bien qu’il ne s’agisse pas d’un traité, l’accord-cadre règle des griefs historiques d’une manière juste et ordonnée, comme en ont convenu les trois parties.

[128] Ce cadre ou cet angle d’interprétation ne permet toutefois pas à un tribunal de revoir ou de réécrire les modalités établies d’un accord moderne négocié entre des parties averties pendant de nombreuses années et avec le bénéfice de conseils juridiques indépendants. Ne pas respecter le caractère définitif et la certitude juridique de l’accord-cadre nuit à la réconciliation en permettant aux parties de renégocier et de tenter d’obtenir des modalités plus favorables que celles dont il avait été initialement convenu. Permettre aux parties de « [c]hercher à tout prix des ambiguïtés [dans l’accord] » dans l’espoir de réinterpréter ses dispositions ne peut que faire diminuer la valeur du règlement et les « autres signataires ne [doivent] pas se sentir à la merci de tentatives perpétuelles de renégociation par le biais des tribunaux » (Bande d’Eastmain c. Canada (Administrateur fédéral), [1993] 1 C.F. 501, 1992 CanLII 14828 (CAF) aux pp. 518 et 519). Un paradigme qui permet à chaque génération de revoir, de renégocier et de réécrire des questions déjà tranchées est insoutenable (voir aussi les arrêts Goodswimmer au para. 49; Manitoba Metis Federation Inc v. Brian Pallister et al., 2021 MBCA 47, 458 D.L.R. (4th) 625 [Pallister] au para. 56).

[129] Il est vrai que la Couronne ne peut jamais se soustraire à ses responsabilités constitutionnelles, mais l’honneur de la Couronne ne peut pas servir à inclure par interprétation des obligations supplémentaires ou différentes de celles dont les parties ont expressément convenu ou à renégocier une meilleure entente que celle qui a été conclue. Ce point a été soulevé dans l’arrêt Peigan 2, au paragraphe 13 :

L’avocat des intimés a répété à plusieurs reprises que la Couronne ne peut se soustraire ni aux droits garantis par la loi constitutionnelle ni aux droits issus de traités. Cependant, à mon avis, il s’ensuit que l’on ne peut plus tard « concilier » les arguments des droits constitutionnels et issus de traités dans chaque terme d’un accord moderne entre les parties, même lorsque les parties se sont entendues sur des conditions précises pour traiter les questions en suspens, de manière à modifier fondamentalement les termes de l’accord rétrospectivement. L’honneur de la Couronne exige plutôt qu’elle respecte et exécute les dispositions de l’accord d’une manière ouverte et équitable (Wewaykum).

[130] En termes plus simples, l’honneur de la Couronne ne signifie pas qu’un accord peut être réécrit, ignoré ou renégocié simplement pour obtenir des modalités plus favorables (Québec (Procureur général) c. Moses, 2010 CSC 17, [2010] 1 R.C.S. 557 au para. 6; Peigan 2 aux para. 12 et 13; Pallister au para. 56). L’honneur de la Couronne en ce qui concerne l’accord-cadre exige que les dispositions de ce dernier soient mises en œuvre d’une manière claire et équitable (Peigan 1 au para. 64; Peigan 2 au para. 12). Cela permet de protéger autant les intérêts des Premières Nations que ceux des gouvernements signataires.

[131] Les jugements déclaratoires sollicités par la PNWL créeraient un accord-cadre très différent de celui qui a été négocié. Le rôle des tribunaux dans l’interprétation d’accords comme celui en l’espèce est d’interpréter l’accord d’une manière libérale et en fonction de son objet, et non de réécrire, sous le couvert de la réconciliation, le marché conclu. Avec le recul, l’erreur fondamentale qui imprègne les motifs faisant l’objet du présent appel est l’absence d’examen de l’accord conclu par les parties. Si cet examen avait été fait, l’incompatibilité des modalités implicites sollicitées avec l’accord-cadre aurait été manifeste.

[132] Par conséquent, j’accueillerais l’appel, j’annulerais l’ordonnance de la Cour fédérale, j’accueillerais la requête en jugement sommaire et je rejetterais l’action. Les parties peuvent présenter leurs observations écrites sur les dépens, qui ne doivent pas dépasser trois pages, dans les quinze jours suivant la date du présent jugement.

« Donald J. Rennie »

j.c.a.

« Je suis d’accord.

K.A. Siobhan Monaghan, j.c.a. »

« Je suis d’accord.

Sylvie E. Roussel, j.c.a. »


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

A-359-21

 

INTITULÉ :

SA MAJESTÉ LE ROI DU CHEF DE LA SASKATCHEWAN c. PREMIÈRE NATION DE WITCHEKAN LAKE ET AL.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Regina (Saskatchewan)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 26 octobre 2022

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE RENNIE

 

Y ONT SOUSCRIT :

LA JUGE MONAGHAN

LA JUGE ROUSSEL

 

DATE DES MOTIFS :

Le 17 mai 2023

 

COMPARUTIONS :

R. James Fyfe

Pour l’appelant

Anjalika Rogers

Aron Taylor

Pour l’intimée

PREMIÈRE NATION DE WITCHEKAN LAKE

 

Melissa Nicolls

 

Pour l’intimé

SA MAJESTÉ LE ROI DU CHEF DU CANADA représenté par le procureur général du Canada

 


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Procureur général de la Saskatchewan

 

Pour l’appelant

Maurice Law

Calgary (Alberta)

 

Pour l’intimée

PREMIÈRE NATION DE WITCHEKAN LAKE

 

Shalene Curtis-Micallef

Sous-procureure générale du Canada

Pour l’intimé

SA MAJESTÉ LE ROI DU CHEF DU CANADA représenté par le procureur général du Canada

 

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