Date : 20230602
Dossiers : A-234-20
A-236-20
A-237-20
A-238-20
Référence : 2023 CAF 125
[TRADUCTION FRANÇAISE]
CORAM : |
LE JUGE DE MONTIGNY LA JUGE GLEASON LA JUGE RIVOALEN |
Dossier : A-234-20 |
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ENTRE : |
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ELI LILLY CANADA INC., ELI LILLY AND COMPANY, LILLY DEL CARIBE, INC., LILLY, S.A. et ICOS CORPORATION |
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appelantes |
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et |
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APOTEX INC. |
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intimée |
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Dossier : A-236-20 |
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ENTRE : |
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ELI LILLY CANADA INC., ELI LILLY AND COMPANY, LILLY DEL CARIBE, INC., LILLY, S.A. et ICOS CORPORATION |
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appelantes |
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et |
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PHARMASCIENCE INC. et LABORATOIRE RIVA INC. |
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intimées |
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Dossier : A-237-20 |
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ENTRE : |
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ELI LILLY CANADA INC., ELI LILLY AND COMPANY, LILLY DEL CARIBE, INC., LILLY, S.A. et ICOS CORPORATION |
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appelantes |
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et |
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MYLAN PHARMACEUTICALS ULC |
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intimée |
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Dossier : A-238-20 |
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ENTRE : |
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ELI LILLY CANADA INC., ELI LILLY AND COMPANY, LILLY DEL CARIBE, INC., LILLY, S.A. et ICOS CORPORATION |
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appelantes |
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et |
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TEVA CANADA LIMITÉE |
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intimée |
Audience tenue à Ottawa (Ontario), le 1er mars 2023.
Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 2 juin 2023.
MOTIFS DU JUGEMENT : |
LA JUGE RIVOALEN |
Y ONT SOUSCRIT : |
LE JUGE DE MONTIGNY LA JUGE GLEASON |
Date : 20230602
Dossiers : A-234-20
A-236-20
A-237-20
A-238-20
Référence : 2023 CAF 125
CORAM : |
LE JUGE DE MONTIGNY LA JUGE GLEASON LA JUGE RIVOALEN |
Dossier : A-234-20 |
ENTRE : |
ELI LILLY CANADA INC., ELI LILLY AND COMPANY, LILLY DEL CARIBE, INC., LILLY, S.A. et ICOS CORPORATION |
appelantes |
et |
APOTEX INC. |
intimée |
Dossier : A-236-20 |
ENTRE : |
ELI LILLY CANADA INC., ELI LILLY AND COMPANY, LILLY DEL CARIBE, INC., LILLY, S.A. et ICOS CORPORATION |
appelantes |
et |
PHARMASCIENCE INC. et LABORATOIRE RIVA INC. |
intimées |
Dossier : A-237-20 |
ENTRE : |
ELI LILLY CANADA INC., ELI LILLY AND COMPANY, LILLY DEL CARIBE, INC., LILLY, S.A. et ICOS CORPORATION |
appelantes |
et |
MYLAN PHARMACEUTICALS ULC |
intimée |
Dossier : A-238-20 |
ENTRE : |
ELI LILLY CANADA INC., ELI LILLY AND COMPANY, LILLY DEL CARIBE, INC., LILLY, S.A. et ICOS CORPORATION |
appelantes |
et |
TEVA CANADA LIMITÉE |
intimée |
MOTIFS DU JUGEMENT
LA JUGE RIVOALEN
I. Introduction
[1] La présente décision concerne quatre appels de quatre jugements découlant d’un seul ensemble de motifs de la juge St-Louis de la Cour fédérale (la juge), rendus le 10 septembre 2020 (2020 CF 816) (la décision de la Cour fédérale) dans le cadre d’une action intentée par les appelantes, Eli Lilly Canada Inc., Eli Lilly and Company, Lilly Del Caribe, Inc., Lilly, S.A. et ICOS Corporation (les appelantes ou Lilly) pour contrefaçon du brevet canadien no 2 371 684 (le brevet 684). Les intimées, Pharmascience Inc., Laboratoire Riva Inc., Mylan Pharmaceuticals ULC, Teva Canada Limitée et Apotex Inc. (les intimées), ont chacune nié la contrefaçon et présenté une demande reconventionnelle visant à faire déclarer invalide le brevet 684.
[2] La décision de la Cour fédérale citée dans les présents motifs est la version publiée sur le site Web de la Cour fédérale et par l’Institut canadien d’information juridique (CanLII). Si je comprends bien, les parties ont reçu une deuxième version, dans laquelle une correction mineure a été apportée à la numérotation des paragraphes; toutefois, dans les présents motifs, je renvoie à la version publiée.
[3] Dans la décision de la Cour fédérale, la juge s’est penchée sur le bien-fondé de l’action et de la demande reconventionnelle et a conclu que les revendications invoquées du brevet 684 étaient invalides pour cause d’antériorité et d’évidence. La juge a déclaré que, si elle s’est trompée au sujet de la validité du brevet et que les revendications invoquées étaient valides, Lilly s’est acquittée du fardeau d’établir la contrefaçon et a le droit de choisir entre les dommages-intérêts et une remise des profits.
[4] La juge a rejeté l’action intentée par Lilly concernant le brevet 684, a accueilli la demande reconventionnelle des intimées et leur a adjugé les dépens.
[5] Les appelantes soutiennent devant notre Cour que la juge a commis une erreur en concluant que les revendications invoquées du brevet 684 étaient invalides pour cause d’antériorité et d’évidence. Elles demandent à notre Cour d’accueillir les appels, de déclarer que le brevet 684 est valide, de rendre une ordonnance portant que les intimées ont contrefait les revendications invoquées du brevet 684, de déclarer que les appelantes peuvent choisir entre les dommages-intérêts et la remise des profits, d’accorder des intérêts avant et après jugement et de leur adjuger les dépens.
[6] Pour les motifs exposés ci-dessous, je rejetterais les appels avec dépens.
II. Le brevet 684 et son contexte
[7] Je commence par exposer brièvement le contexte entourant le brevet 684.
[8] Le brevet 684 appartient à Lilly ICOS LLC, US. La demande pour le brevet 684, déposée le 26 avril 2000, revendiquait la priorité sur le brevet américain 60/132 036 déposé le 30 avril 1999. Elle a été publiée au Canada le 9 novembre 2000; le brevet a été délivré le 23 octobre 2007 et a expiré le 26 avril 2020.
[9] Le brevet 684 concerne l’utilisation de formes posologiques unitaires pharmaceutiques contenant du tadalafil, administré par voie orale, pour traiter la dysfonction érectile (DE). Le tadalafil est un puissant inhibiteur de la phosphodiestérase de type 5 (PDE5), spécifique de la guanosine-3’, 5’ monophosphate cyclique. Au Canada, les appelantes commercialisent les comprimés de 2,5 mg, 5 mg, 10 mg et 20 mg de tadalafil sous la marque CIALIS pour le traitement de la DE.
[10] Le premier inhibiteur de la PDE5 approuvé était le sildénafil, qui est commercialisé par Pfizer pour le traitement de la DE sous la marque VIAGRA. Il a été homologué au Canada le 9 mars 1999. Le tadalafil est le deuxième produit pharmaceutique de la catégorie des inhibiteurs de la PDE5.
[11] Le premier brevet canadien obtenu par Lilly pour le tadalafil était le brevet canadien no 2 181 377 (le brevet 377). Le brevet 377 mentionne des données sur la concentration de tadalafil et revendique le composé du tadalafil et son utilisation pour le traitement de plusieurs troubles et maladies, notamment les troubles vasculaires. Il a expiré le 19 janvier 2015.
[12] Le deuxième brevet canadien obtenu par Lilly pour le tadalafil était le brevet canadien no 2 226 784 (le brevet 784). Le brevet 784 revendique notamment l’utilisation du tadalafil pour le traitement de la DE. Le brevet 784 divulgue des méthodes de fabrication des comprimés contenant le tadalafil ainsi qu’un intervalle posologique de 0,2 à 400 mg pour chaque dose unitaire (comprimé ou gélule) de tadalafil. La demande du brevet 784 (la demande 784) a été publiée pour la première fois en 1997. Le brevet 784 a expiré le 11 juillet 2016.
[13] Le troisième brevet canadien obtenu par Lilly pour le tadalafil est le brevet 684, qui est l’objet des présents appels.
[14] Les intimées fabriquent des médicaments génériques. Elles commercialisent une version générique du tadalafil, celui contenu dans CIALIS étant le produit de référence canadien. En 2016, après l’expiration du brevet 784, les intimées ont commencé à vendre leur version générique du tadalafil en comprimés de 2,5 mg, 5 mg, 10 mg et 20 mg, à l’exception de l’intimée Laboratoire Riva Inc. qui vendait des comprimés de 5 mg et 20 mg.
[15] Le brevet 684 comprend 18 revendications, dont les suivantes sont en litige dans les présents appels : revendication 10 (qui dépend de la revendication 9, laquelle dépend à son tour des revendications 1 et 3 à 6), ainsi que les revendications 13 à 16 (qui dépendent de la revendication 12) (les revendications invoquées). Les appelantes n’ont pas soutenu, ni dans leur mémoire des faits et du droit ni dans leurs observations orales, que la juge avait commis des erreurs susceptibles de contrôle dans son interprétation des revendications ou dans son exposé des éléments essentiels des revendications invoquées.
[16] La juge a déterminé que les éléments essentiels de la revendication 10 sont les suivants :
l Une forme posologique unitaire pharmaceutique (par exemple, une pilule ou un comprimé);
l Adaptée à une administration par voie orale;
l Contient du tadalafil;
l À certaines doses, donc dans la revendication 3 : 5 à 20 mg, dans la revendication 4 : 2,5mg, dans la revendication 5 : 5 mg, et dans la revendication 6 : 10 mg;
l Pour traiter la dysfonction érectile chez un patient pour qui l’inhibition de la PDE5 procure un bienfait[.]
(Décision de la Cour fédérale au para. 211)
[17] La juge a affirmé que la revendication 10 ne fait mention d’aucune dose maximale quotidienne ou limite d’une dose par jour (décision de la Cour fédérale au para. 212).
[18] La juge a déterminé que les éléments essentiels des revendications 13 à 16 sont les suivants :
l Utilisation d’une dose unitaire;
l Contenant du tadalafil (revendication 13 : 2 à 20 mg; revendication 14 : environ 5 mg; revendication 15 : environ 10 mg; et revendication 16 : environ 20 mg);
l Pour traiter la dysfonction sexuelle (notamment autant la dysfonction érectile que la dysfonction sexuelle chez la femme) chez un patient.
(Décision de la Cour fédérale au para. 218)
[19] La juge a affirmé que les revendications 13 à 16 ne font mention d’aucune dose maximale quotidienne ou limite d’une dose par jour (décision de la Cour fédérale au para. 219).
[20] Par conséquent, les revendications invoquées doivent être interprétées comme elles l’ont été par la juge dans l’analyse de la validité et de la contrefaçon. Cependant, les appelantes contestent l’interprétation de l’idée originale faite par la juge, un exercice qui dépend de l’interprétation des revendications, sans toutefois y être identique (Apotex Inc. c. Shire LLC, 2021 CAF 52, [2021] 3 R.C.F. 46, au para. 68, autorisation de pourvoi à la CSC refusée, 39662 (7 octobre 2021) [Shire]).
[21] Pour situer les questions en litige et mon analyse, il convient de résumer l’évolution des arguments concernant l’essence de l’invention contenus dans les revendications invoquées du brevet 684 au fil du litige. Bien que l’interprétation de l’idée originale soit une question de droit, plusieurs options s’offraient à la juge pour tenter de l’interpréter correctement.
[22] Au début du procès, Lilly avance que le brevet 684 (intervalle posologique invoqué de 2 à 20 mg) est un brevet de sélection du brevet 784 (intervalle posologique identifié de 0,2 à 400 mg). Elle a fait valoir que [traduction] « (…) essentiellement, cette invention se trouve dans la divulgation et porte sur l’obtention d’une efficacité accompagnée d’effets indésirables minimaux. Vous obtenez des effets indésirables réduits. Les effets indésirables sont moindres qu’avec le sildénafil (…), mais les plus importants sont les rougeurs au visage, les effets indésirables liés à la vision et ceux associés aux effets combinés d’un inhibiteur de la PDE5 et d’un dérivé nitré organique »
(décision de la Cour fédérale au para. 116, renvoyant à la transcription du 5 décembre 2019 à la p. 56, lignes 2 à 10). Lilly a affirmé que « le bienfait était l’efficacité étonnante à faible dose, accompagnée d’un profil amélioré d’effets indésirables qui empire avec des doses supérieures à 20 mg »
(décision de la Cour fédérale au para. 116, renvoyant à la transcription du 5 décembre 2019 à la p. 86, lignes 12 à 14 et 20 à 28).
[23] Dans son mémoire écrit de conclusions finales, Lilly a affirmé que [traduction] « le tadalafil est un sous‑groupe des composés divulgués dans le brevet 784 et les doses, et les intervalles posologiques revendiqués dans les revendications invoquées dans le brevet 684 sont des sous-groupes des intervalles posologiques mentionnés dans le brevet 784 ».
Lilly a défini les avantages particuliers du brevet 684 comme [traduction] « l’efficacité étonnante aux faibles doses accompagnée d’un profil amélioré des effets indésirables, notamment les données claires indiquant une réduction des rougeurs dans les intervalles posologiques invoqués, comme il est décrit dans le brevet 684 »
(décision de la Cour fédérale au para. 117, renvoyant au mémoire de conclusions finales de Lilly aux paras. 120 et 122).
[24] De plus, la juge a noté que, dans la section sur l’inventivité de son mémoire écrit de conclusions finales, Lilly a souligné que l’idée originale des revendications du brevet 684 comprend « une réduction des effets indésirables, qui était inattendue, ou qui se limitaient aux rougeurs, par rapport au sildénafil de Viagra, lorsque la dose maximale quotidienne est fixée à 20 mg »
(décision de la Cour fédérale au para. 263). Même si le brevet n’était pas considéré comme un brevet de sélection, Lilly a ajouté que l’idée originale devrait néanmoins inclure [traduction] « une réduction des effets indésirables par rapport au sildénafil de VIAGRA »
(décision de la Cour fédérale au para. 117, renvoyant au mémoire de conclusions finales de Lilly au para. 168). Lilly a proposé que l’idée originale soit considérée comme [traduction] « la découverte que des doses étonnamment faibles de tadalafil comme il est libellé dans chacune des revendications invoquées, dont la dose maximale quotidienne est de 20 mg, sont efficaces dans le traitement de la dysfonction érectile et réduisent au minimum les effets indésirables par rapport au sildénafil de Viagra »
(décision de la Cour fédérale au para. 263, renvoyant au mémoire de conclusions finales de Lilly au para. 168).
[25] Dans sa plaidoirie finale devant la juge, Lilly expose sa dernière position. Elle a fait valoir que l’avantage inattendu du sous-groupe par rapport au genre est [traduction] « ce que le brevet divulgue, éliminer essentiellement les rougeurs »
. Elle a ajouté que [traduction] « dans le cas qui nous intéresse, ce qui était étonnant, c’était l’efficacité aux faibles doses, et aussi principalement l’élimination des rougeurs »
(décision de la Cour fédérale au para. 118, renvoyant à la transcription du 4 février 2020 à la p. 61, lignes 27 et 28, et à la p. 62, lignes 15 à 17). La juge a décrit l’argument de Lilly en ces termes : « [e]ssentiellement, dans sa plaidoirie finale, Lilly a donc éliminé la comparaison des effets indésirables avec le sildénafil, et limité le meilleur profil des effets indésirables aux rougeurs »
(décision de la Cour fédérale au para. 118).
[26] La juge a conclu qu’une certaine incertitude demeure quant à la position de Lilly. Lorsqu’elle a parlé de l’idée originale, « Lilly a cité ses experts pour faire valoir que l’idée originale que représente le sous-groupe posologique du brevet 684 était que, de façon inattendue, les faibles doses de tadalafil, comme il a été revendiqué, sont efficaces pour traiter la dysfonction érectile, entraînent des effets indésirables minimes par rapport au sildénafil du Viagra, et ont permis de réduire le nombre d’effets indésirables à un seul, soit les rougeurs »
(décision de la Cour fédérale au para. 119, renvoyant à la transcription du 4 février 2020 à la p. 115, lignes 17 à 27) [en italique dans l’original]. Étant donné l’incertitude qui entoure la position de Lilly sur l’idée originale des revendications invoquées, la juge a examiné les deux arguments présentés par Lilly sur les avantages du brevet 684 : 1) le profil amélioré, à savoir la réduction des rougeurs par rapport au grand intervalle du brevet 784 et 2) le profil amélioré, à savoir la réduction des rougeurs par rapport au sildénafil (décision de la Cour fédérale au para. 120).
[27] Devant notre Cour, Lilly semble avoir encore une fois changé sa position. Les appelantes ne revendiquent plus que l’invention du brevet 684 comprend l’avantage de la réduction des rougeurs par rapport au grand intervalle du brevet 784 ou au sildénafil, mais seulement que l’invention du brevet 684 comprend l’avantage relatif aux rougeurs par rapport aux doses plus importantes de tadalafil (mémoire des faits et du droit des appelantes aux paras. 80 et 81, et 118) [non souligné dans l’original].
[28] Ces nombreux changements de position sur l’idée originale démontrent que, pendant plusieurs années, Lilly et ses experts n’ont pas réussi à s’entendre sur la solution préconisée par le brevet 684.
III. Questions en litige
[29] Les appelantes ont soulevé plusieurs motifs d’appel dans leur avis d’appel et leur mémoire des faits et du droit, mais, quelques jours avant l’audience, elles ont circonscrit les questions en litige par écrit. Durant les plaidoiries, les appelantes ont abandonné d’autres questions en litige et ont restreint leurs arguments encore davantage. En fin de compte, les appelantes affirment que la juge a commis les erreurs suivantes :
-
La conclusion que les revendications 10 et 13 à 16 sont invalides pour cause d’évidence (absence d’inventivité). Les appelantes contestent précisément l’application du deuxième volet du critère issu de l’arrêt Apotex Inc. c. Sanofi-Synthelabo Canada Inc., 2008 CSC 61, [2008] 3 R.C.S 265, au para. 67 [Sanofi]. Les observations des appelantes concernent surtout la démarche employée par la juge pour définir et interpréter l’idée originale.
-
La conclusion que les revendications 10 et 13 à 16 sont invalides pour cause d’antériorité de la demande 784 (absence de nouveauté). Les appelantes contestent précisément le traitement de l’exigence de divulgation par la juge dans son évaluation de l’antériorité. Elles ne contestent pas son évaluation du caractère réalisable.
-
Dans la mesure où cela est pertinent, la démarche qui a mené la juge à conclure que le brevet 684 n’était pas un brevet de sélection.
[30] Les appelantes soutiennent que toutes les questions soulevées dans les présents appels sont des questions de droit. Elles ne contestent aucune des conclusions de fait de la juge.
IV. Norme de contrôle
[31] Les principes applicables à la norme de contrôle ne sont pas contestés. Comme il est indiqué dans l’arrêt Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235 [Housen], la norme de contrôle de la décision correcte s’applique aux questions de droit et aux questions mixtes de fait et de droit mettant en cause une règle de droit isolable. Les conclusions de fait ou les conclusions mixtes de fait et de droit, lorsqu’il n’y a pas de question de droit isolable, ne sont susceptibles de contrôle que s’il est établi que le juge a commis une erreur manifeste et dominante (Housen aux paras. 8, 10 et 36).
[32] Les questions relatives à l’interprétation des revendications et de l’idée originale sont des questions de droit (Apotex Inc. c. Allergan Inc., 2012 CAF 308, [2012] A.C.F. no 1467, aux paras. 50 et 53, autorisation de pourvoi à la CSC refusée, 35184 [9 mai 2013]); Bristol-Myers Squibb Canada Co. c. Teva Canada Limitée, 2017 CAF 76, [2018] 3 R.C.F. 380, au para. 74).
[33] Les questions visant à déterminer si les revendications invoquées sont évidentes soulèvent des questions mixtes de fait et de droit qui, faute de question de droit isolable, doivent être évaluées selon la norme de contrôle de l’erreur manifeste et dominante (Teva Canada Limitée c. Pfizer Canada Inc., 2019 CAF 15, [2018] 3 R.C.F. 380, au para. 23; Packers Plus Energy Services Inc. c. Essential Energy Services Inc., 2019 CAF 96, [2019] A.C.F. no 459, aux paras. 29 et 33, autorisation de pourvoi à la CSC refusée, 38694 (19 décembre 2019).
[34] Le défaut de caractériser un brevet comme un brevet de sélection n’est pas une erreur de droit en soi, mais est susceptible « de révéler une compréhension insuffisante du brevet et de son contexte factuel »
(Shire au para. 32).
V. Évidence
A. Conclusions de la juge
[35] La juge a appliqué le critère à quatre volets pour l’examen relatif à l’évidence défini par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Sanofi. Ce critère est reproduit au paragraphe 53 ci-dessous.
[36] La juge a tiré des conclusions concernant la personne versée dans l’art et les connaissances générales courantes qui sont résumées aux paragraphes 57 et 58 ci-dessous.
[37] En ce qui concerne l’idée originale, la juge a examiné l’article 28.3 de la Loi sur les brevets, L.R.C. 1985, ch. P-4, qui utilise le terme « objet que définit la revendication »
pour définir l’objet qui ne doit pas, à la date de la revendication, être évident pour une personne versée dans l’art ou la science. L’article 28.3 de la Loi sur les brevets n’a pas été pris en compte dans l’arrêt Sanofi. La juge a examiné de près la jurisprudence de notre Cour depuis l’arrêt Sanofi et conclu que les termes « solution préconisée par le brevet »
, « idée originale »
et « objet que définit la revendication »
« désignent tous la même chose et qu’ils se rapportent aux éléments essentiels cernés à la suite de l’interprétation des revendications »
(décision de la Cour fédérale au para. 300). Lorsque la juge a effectué son examen de la jurisprudence, notre Cour n’avait pas encore rendu l’arrêt Shire.
[38] Comme il est mentionné plus haut, la juge a confirmé que cet objet « réside en l’espèce dans le fait que les posologies revendiquées du tadalafil, administré par voie orale, sont efficaces pour traiter la DE »
. Elle a conclu que « [l]es avantages soulevés par Lilly ne sont pas inclus [dans l’objet que définit la revendication], car il ne s’agit pas d’éléments essentiels des revendications, le brevet 684 n’est pas un brevet de sélection, et il est possible de dégager des revendications une idée originale viable »
(décision de la Cour fédérale au para. 310).
[39] La juge a pu saisir la nature de l’invention du brevet 684 à partir des seuls éléments essentiels des revendications. Elle a fait remarquer que le recours aux éléments de la divulgation peut être autorisé lorsque les revendications sont ambiguës ou qu’elles ne permettent pas de saisir l’idée originale (décision de la Cour fédérale au para. 301).
[40] La juge a conclu que « la seule différence entre l’art antérieur (brevet 377, demande 784 et sildénafil) et l’objet défini par une revendication du brevet 684 est l’intervalle posologique plus faible et plus étroit du brevet 684 »
(décision de la Cour fédérale au para. 313).
[41] La juge a conclu que la différence entre l’art antérieur et l’objet défini par les revendications invoquées aurait été évidente pour la personne versée dans l’art (décision de la Cour fédérale au para. 324).
B. Position des appelantes
[42] Les arguments des appelantes concernant l’évidence portent principalement sur l’erreur d’interprétation de l’idée originale que la juge aurait commise au deuxième volet de l’examen relatif à l’évidence exposé dans l’arrêt Sanofi. Elles prétendent qu’à cause de cette erreur, la juge a également commis une erreur aux troisième et quatrième volets de l’examen.
[43] Les appelantes prétendent que la juge a mal interprété l’idée originale pour deux raisons :
-
Elle a conclu à tort que, lorsqu’un brevet n’est pas un brevet de sélection, l’idée originale a la même signification en droit que les éléments essentiels de la revendication, cernés à la suite de l’interprétation de la revendication.
-
Elle a conclu à tort que, lorsqu’un brevet n’est pas un brevet de sélection, aucun avantage exposé dans le brevet ne peut, en droit, être inclus dans l’idée originale.
[44] Les appelantes affirment qu’à cause de ces conclusions, la juge a limité l’idée originale aux éléments essentiels des revendications, sans tenir compte de « la solution préconisée par le brevet »
. Les appelantes soutiennent que l’idée originale du brevet 684 va bien au-delà des éléments essentiels des revendications.
[45] Durant leur plaidoirie devant notre Cour, les appelantes ont affirmé pour la première fois que les revendications 1 et 3 à 6 portent simplement sur une formule chimique (tadalafil) et sont intégrées par renvoi dans la revendication 10. Elles prétendent donc que la juge aurait dû examiner l’ensemble du mémoire descriptif du brevet 684, y compris la divulgation et les revendications, pour comprendre l’idée originale.
[46] Les appelantes soutiennent que, lorsque la loi est appliquée correctement, l’interprétation des revendications réalisée par la juge ne permet pas de saisir facilement l’idée originale du brevet 684. Les appelantes affirment que la juge a commis une erreur de droit en omettant d’examiner la divulgation pour comprendre la solution préconisée par le brevet et la motivation pour la trouver. Les appelantes invoquent le paragraphe 50 de l’arrêt de la Cour suprême du Canada Teva Canada Ltée. c. Pfizer Canada Inc., 2012 CSC 60, [2012] 3 R.C.S. 625, à l’appui de leur affirmation. Si la juge avait examiné la divulgation du brevet, affirment les appelantes, elle aurait inclus le profil amélioré des effets indésirables, soit la réduction des rougeurs, dans l’idée originale.
[47] Les appelantes prétendent qu’il est crucial que la Cour détermine correctement l’idée originale, car elle représente le [traduction] « critère »
servant à l’analyse de l’évidence. Elles soutiennent que la juge n’a pas utilisé la bonne idée originale pour effectuer l’analyse de l’évidence. Elles font maintenant valoir que l’idée originale du brevet 684 comprend l’avantage de la réduction des rougeurs par rapport aux doses plus importantes de tadalafil.
C. Analyse
(1) Règle de l’évidence et idée originale proposée
[48] Il est établi que, comme l’interprétation de l’idée originale par la juge est une question de droit, je n’ai aucun devoir de retenue à l’égard de ses conclusions. Je dois toutefois faire preuve de retenue à l’égard des questions de fait et des questions mixtes de fait et de droit. Les appelantes n’ont signalé aucune erreur manifeste et dominante dans les conclusions de fait de la juge; par conséquent, je m’appuie sur ses conclusions tout au long de mon analyse de la question de l’évidence.
[49] Comme le montre l’analyse qui suit, même si j’acceptais l’idée originale proposée par les appelantes, qui est maintenant [traduction] « la réduction ou l’élimination des rougeurs au visage par rapport aux doses plus importantes de tadalafil »
, le présent appel devrait être rejeté.
[50] Je souligne que le brevet 684 n’est pas un brevet de sélection. Que le brevet soit officiellement classé comme brevet de sélection ou non, l’approche de l’évaluation de l’évidence demeure la même; toutefois, la classification aide la Cour à comprendre la « nature du brevet »
et à comparer les faits à d’autres scénarios factuels antérieurs. Dans le cas, par exemple, de brevets de sélection, « il est fréquent que leur caractère inventif réside dans “la fabrication du composé sélectionné, en combinaison avec l’avantage ou les avantages qu’il procure” »
(Shire aux paras. 32 à 35). En effet, comme je l’ai mentionné plus haut, j’évalue l’évidence des revendications invoquées en fonction de l’idée originale proposée par les appelantes; je n’ai pas à déterminer si le brevet 684 est un brevet de sélection.
[51] Le fondement législatif de l’analyse de l’évidence figure à l’article 28.3 de la Loi sur les brevets :
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[52] L’article 28.3 de la Loi sur les brevets appelle à déterminer si, au 30 avril 1999, l’objet que définissent les revendications invoquées du brevet 684 est évident pour une personne versée dans l’art en fonction de l’art antérieur. Si l’« invention »
est évidente, le brevet ou ses revendications invoquées sont invalides.
[53] Dans l’arrêt Sanofi, la Cour suprême du Canada a adopté la démarche à quatre volets pour l’examen relatif à l’évidence qui a d’abord été énoncée dans l’arrêt Windsurfing International Inc. c. Tabur Marine (Great Britain) Ltd., [1985] R.P.C. 59 (C.A.) :
[traduction]
Par conséquent, je reformulerais comme suit la démarche préconisée dans l’arrêt Windsurfing :
(1) a) Identifier la « personne versée dans l’art »;
b) Déterminer les connaissances générales courantes pertinentes de cette personne;
(2) Définir l’idée originale de la revendication en cause, au besoin par voie d’interprétation;
(3) Recenser les différences, s’il en est, entre ce qui ferait partie de « l’état de la technique » et l’idée originale qui sous-tend la revendication ou son interprétation;
(4) Abstraction faite de toute connaissance de l’invention revendiquée, ces différences constituent‑elles des étapes évidentes pour la personne versée dans l’art ou dénotent‑elles quelconque inventivité?
(Sanofi au para. 67, renvoyant à Pozzoli SPA c. BDMO SA, [2007] F.S.R. 37 (à la p. 872), [2007] EWCA Civ 588, au para. 23) [Souligné dans l’original.]
[54] Dans l’arrêt Shire, notre Cour a rappelé que l’analyse relative à l’évidence appelle une évaluation de chaque revendication à la lumière du critère en quatre volets défini dans l’arrêt Sanofi (Shire au para. 55).
[55] Je m’appuie sur les conclusions de la juge concernant l’antériorité pour entreprendre l’analyse selon l’arrêt Sanofi. La juge a conclu que l’antériorité comprend le sildénafil, le brevet 377 et la demande 784. En ce qui concerne la demande 784, la juge a conclu qu’elle se rapporte à l’utilisation du tadalafil pour traiter la DE, divulgue des données sur les concentrations de tadalafil, décrit comment fabriquer les comprimés contenant le tadalafil et divulgue un intervalle posologique de 0,2 à 400 mg pour chaque comprimé de tadalafil pour le traitement de la DE (décision de la Cour fédérale aux paras. 174, 177, 180, 181 et 262).
(2) Premier volet du critère relatif à l’évidence défini dans l’arrêt Sanofi : identifier la personne versée dans l’art et déterminer les connaissances générales courantes pertinentes de cette personne
[56] Le premier volet du critère relatif à l’évidence défini dans l’arrêt Sanofi et les principales conclusions de la juge ne sont pas contestés devant notre Cour. Ils sont résumés ci-après.
(a) Personne versée dans l’art
[57] La personne versée dans l’art n’est pas en litige. Il s’agit d’une équipe qui met au point des médicaments, qui pourrait être constituée de médecins, de cliniciens, de chercheurs, de pharmacologues, de toxicologues et de statisticiens et qui possède une expertise en pharmacologie, en pharmacocinétique, en physiologie, en dosage et en évaluation de l’innocuité de nouveaux traitements, ainsi qu’une expérience dans le traitement de la DE (décision de la Cour fédérale au para. 171).
(b) Connaissances générales courantes
[58] La juge a conclu que les experts des intimées étaient plus fiables que l’expert de Lilly et a défini les connaissances générales courantes de la façon suivante :
-
la personne versée dans l’art chercherait à établir la dose efficace minimale de tadalafil dans le traitement de la DE (décision de la cour fédérale au para. 196);
-
la personne versée dans l’art chercherait à établir la dose efficace minimale de tadalafil pour le traitement de la DE selon
« des prédictions basées sur ses connaissances »
, les données de pharmacocinétique, celles des articles de revues savantes et celles se rapportant au sildénafil, ainsi que certaines questions de l’index IIFE (décision de la cour fédérale au para. 196); -
un plan des essais menés avec le sildénafil a été distribué à grande échelle par Pfizer, et
« il révélait toute la liste des études (précliniques et cliniques) effectuées, les doses réellement testées, la puissance des concentrations allant de 3,0 à 3,9 nM, la sélectivité médiocre pour la PDE5 comparativement à la PDE6 entraînant des anomalies visuelles transitoires, l’efficacité associée à des doses faibles de 5 et 10 mg, et le plateau d’efficacité observé pour l’intervalle allant de 50 à 100 mg »
(décision de la cour fédérale aux paras. 176 et 196).
(c) Date de la revendication
[59] La date de la revendication, en ce qui concerne les revendications invoquées, est le 30 avril 1999 (décision de la Cour fédérale aux paras. 187, 196 et 242).
(3) Deuxième volet du critère relatif à l’évidence défini dans l’arrêt Sanofi : définir l’idée originale de la revendication en cause, au besoin par voie d’interprétation
[60] Comme je le mentionne plus haut, les appelantes affirment que la juge a commis une erreur de droit en déterminant que l’idée originale réside dans les posologies revendiquées du tadalafil, administré par voie orale, qui sont efficaces pour traiter la DE masculine, sans inclure les avantages soulignés par Lilly.
[61] Aux seules fins de la discussion, je conviens que la nouvelle interprétation que fait Lilly de l’idée originale des revendications invoquées dans le brevet 684 est la suivante : [traduction] « les posologies revendiquées du tadalafil, administré par voie orale, sont efficaces pour traiter la DE et s’accompagnent d’une réduction ou d’une élimination des rougeurs au visage par rapport aux doses plus importantes de tadalafil »
. Toutefois, l’argument des appelantes est affaibli par leur redéfinition constante de l’idée originale.
(4) Troisième volet du critère relatif à l’évidence défini dans l’arrêt Sanofi : recenser les différences entre l’état de la technique et l’idée originale
[
62
]
L’idée originale proposée est la suivante : [traduction] « les posologies revendiquées du tadalafil, administré par voie orale, sont efficaces pour traiter la DE et s’accompagnent d’une réduction ou d’une élimination des rougeurs au visage par rapport aux doses plus importantes de tadalafil ».
[63] L’art antérieur comprend le sildénafil, le brevet 377 et la demande 784. La juge a conclu que la demande 784 concerne l’utilisation du tadalafil pour traiter la DE, divulgue les données sur la concentration de tadalafil, décrit comment fabriquer les comprimés contenant le tadalafil et divulgue un intervalle posologique de 0,2 à 400 mg pour chaque comprimé de tadalafil pour le traitement de la DE (décision de la Cour fédérale aux paras. 174, 177, 180, 181 et 262).
[64] Par conséquent, étant donné l’idée originale proposée, qui comprend la réduction ou l’élimination des rougeurs au visage par rapport aux doses plus importantes de tadalafil, les différences entre l’art antérieur – en particulier la demande 784 – et l’idée originale sont l’intervalle posologique plus faible et plus étroit du brevet 684 et le profil amélioré des effets indésirables, soit la réduction ou l’élimination des rougeurs au visage.
(5) Quatrième volet du critère relatif à l’évidence défini dans l’arrêt Sanofi : ces différences constituent‑elles des étapes évidentes pour la personne versée dans l’art?
[65] Je souscris au raisonnement de la juge, qui s’est appuyée sur le paragraphe 78 de l’arrêt Sanofi pour conclure que le critère de l’essai allant de soi trouvait application en l’espèce, car le brevet 684 se situe dans un champ d’activité où les avancées sont souvent le fruit de l’expérimentation (décision de la Cour fédérale au para. 323).
[66] La Cour suprême du Canada a formulé une liste non exhaustive de facteurs à prendre en compte à la quatrième étape de l’examen relatif à l’évidence lorsque le critère de l’essai « allant de soi »
s’applique :
1. Est-il plus ou moins évident que l’essai sera fructueux? Existe-t-il un nombre déterminé de solutions prévisibles connues des personnes versées dans l’art?
2. Quels efforts – leur nature et leur ampleur – sont requis pour réaliser l’invention? Les essais sont-ils courants ou l’expérimentation est-elle longue et ardue de telle sorte que les essais ne peuvent être qualifiés de courants?
3. L’art antérieur fournit-il un motif de rechercher la solution au problème qui sous-tend le brevet?
(Sanofi au para. 69)
[67] Les mesures concrètes ayant mené à l’invention constituent un autre facteur important (Sanofi au para. 70). La comparaison des connaissances relatives de l’inventeur à celles de la personne versée dans l’art peut s’avérer utile lors de l’évaluation de ces mesures concrètes (Sanofi aux paras. 70 et 71).
[68] Je conviens avec la juge que les facteurs énoncés au paragraphe 69 de l’arrêt Sanofi ne sont pas exhaustifs et souscris à sa conclusion que la différence entre l’art antérieur et l’objet défini par les revendications invoquées « aurait été évidente pour la personne versée dans l’art en date du 30 avril 1999 »
(décision de la Cour fédérale aux paras. 323 et 324).
[69] Comme je le démontre plus bas, même si l’idée originale est maintenant celle proposée par les appelantes, la conclusion de la juge que l’essai allait de soi doit être maintenue. L’amélioration du profil d’effets indésirables – les avantages de réduction ou d’élimination des rougeurs au visage – est incluse dans les conclusions de la juge sur l’innocuité et la tolérabilité des différentes doses de tadalafil. En effet, la juge conclut que le travail de routine de la personne versée dans l’art comprend l’établissement de l’intervalle posologique et le recensement de tout effet indésirable. La juge déclare à plusieurs reprises qu’en plus d’établir l’intervalle posologique, la personne versée dans l’art recense la « fréquence des effets indésirables »
ou les doses qui offrent le meilleur rapport entre efficacité, innocuité et tolérabilité. La juge indique que les effets indésirables recensés comprennent les rougeurs du visage (décision de la Cour fédérale aux paras. 116 à 120, 122, 132, 135, 190, 222, 246, 255 et 256, 263, 308, 321, 325 et 327 à 328).
[70] Concernant le premier facteur, la juge a conclu ce qui suit :
[L]e nombre de solutions prédictibles n’est pas infini, mais plutôt bien défini et le résultat final varie peu. L’objectif ultime est de choisir un intervalle posologique qui offre le meilleur rapport entre efficacité, innocuité et tolérabilité. De fait, il n’existe qu’une seule méthode permettant d’établir l’intervalle posologique : il faut réaliser des essais pour tracer une courbe de l’efficacité du médicament en fonction de la dose, et recenser la fréquence des effets indésirables en fonction de la dose […].
(Décision de la Cour fédérale au para. 327)
[71] Comme notre Cour l’a fait remarquer dans l’arrêt Hospira Healthcare Corporation c. Kennedy Trust for Rheumatology Research, 2020 CAF 30, [2020] A.C.F. No 179 :
Il convient de mentionner que, tandis qu’aller « plus ou moins de soi de tenter d’arriver à l’invention » (voir Sanofi, au paragraphe 66) est une exigence pour l’essai allant de soi, être « plus ou moins évident que l’essai sera fructueux » (voir Sanofi, au paragraphe 69) n’est pas une exigence, mais simplement un facteur à prendre en considération.
[72] Les conclusions de la juge sur le premier facteur s’appliqueraient toujours à l’idée originale proposée, car le but ultime de la personne versée dans l’art ne changerait pas dans ce cas particulier et demeurerait le choix d’un intervalle posologique qui offre le meilleur rapport entre efficacité, innocuité et tolérabilité. La juge s’est appuyée sur la preuve d’expert pour déterminer que le nombre de solutions prédictibles n’est pas infini.
[73] En ce qui concerne le deuxième facteur, la juge a conclu que les étapes que suivrait la personne versée dans l’art sont courantes (décision de la Cour fédérale au para. 328). Au terme de son analyse de l’antériorité, la juge a conclu que « [l]a sélection d’une dose est un travail de routine en pharmacologie qui se fait sans trop de difficultés, et fait partie des études cliniques de phase II, à la fin desquelles, on trace généralement une courbe dose‑effet pour sélectionner les doses finales qui serviront dans les études menées à grande échelle »
(décision de la Cour fédérale au para. 255). La juge a conclu que « [l]’équipe versée dans l’art, qui tente d’établir les doses de tadalafil, se servirait des données de la demande 784 et du brevet 377, y compris les données sur la biodisponibilité du tadalafil, l’activité et la sélectivité de la PDE5, ainsi que les données sur le sildénafil »
(décision de la Cour fédérale au para. 325).
[74] Bien que je souscrive à la conclusion de la juge selon laquelle l’établissement des doses de tadalafil pour le traitement de la DE constitue, en l’espèce, du travail de routine par rapport à l’art antérieur, je ne pense pas qu’on puisse en faire un principe général. Il peut y avoir des cas où la sélection de la dose n’est pas un travail de routine (voir Teva Canada Limited c. Janssen Inc., 2023 CAF 68, [2023] A.C.F. no 467 (QL), au para. 66).
[75] Pour ce qui est de la question des effets secondaires, la juge tire la conclusion de fait que les études cliniques de phase II comprennent la détermination du plateau d’efficacité à l’aide d’« un grand nombre de facteurs recensés dans des travaux préalables tirés d’études précliniques et de phase I, notamment […] le profil des effets indésirables, […] qui procurent le meilleur rapport entre innocuité, tolérabilité et efficacité »
(décision de la Cour fédérale au para. 255).
[76] La juge a conclu également qu’à l’aide de toutes les données disponibles dans l’art antérieur, « l’équipe versée dans l’art peut concevoir une étude de phase II d’établissement de la posologie, tracer le graphique de la relation dose-effet d’après les données recueillies au cours de l’étude, recenser les effets indésirables, et choisir l’intervalle posologique qui offre le meilleur rapport entre efficacité, innocuité et tolérabilité »
(décision de la Cour fédérale au para. 325).
[77] Par conséquent, les conclusions de la juge sur le deuxième facteur s’appliquent à l’idée originale proposée. Elle a conclu notamment que le travail de routine effectué par la personne versée dans l’art comprend le recensement des effets indésirables (comme les rougeurs du visage) et l’établissement du profil d’innocuité de l’intervalle posologique.
[78] Pour ce qui est du troisième facteur, la juge a conclu qu’après avoir trouvé un composé viable pour l’inhibition de la PDE5 et le traitement de la DE, l’équipe versée dans l’art « serait certainement motivée à établir les doses qui offrent le meilleur rapport entre efficacité, innocuité et tolérabilité pour faire en sorte que le composé se rapproche de la commercialisation »
(décision de la Cour fédérale au para. 328).
[79] Les conclusions de la juge sur le troisième facteur continueraient à s’appliquer à l’idée originale proposée, car la personne versée dans l’art resterait dans ce cas motivée à établir les doses qui offrent le meilleur rapport entre efficacité, innocuité et tolérabilité.
[80] Cet examen des conclusions de fait de la juge m’amène à conclure que, même si l’idée originale comprend la réduction ou l’élimination des rougeurs du visage par rapport aux doses plus importantes de tadalafil, les conclusions de la juge sur l’évidence doivent être maintenues. Les différences entre l’art antérieur et l’idée originale proposée auraient été évidentes pour la personne versée dans l’art et n’auraient nécessité aucun degré d’inventivité.
[81] En résumé, d’après les conclusions de fait formulées par la juge dans son analyse de l’évidence, j’estime que, malgré l’idée originale proposée, les revendications invoquées demeurent évidentes. Par conséquent, les revendications invoquées sont invalides.
VI. Antériorité et brevet de sélection
[82] Puisque j’ai conclu que les revendications invoquées sont évidentes, il n’est pas nécessaire de répondre aux arguments des appelantes sur les questions d’antériorité ni d’établir si le brevet 684 est un brevet de sélection ou non. Toutefois, les présents motifs ne doivent pas être considérés comme une approbation des conclusions ou des motifs de la juge à l’égard de ces questions.
VII. Conclusion
[83] Pour ces motifs, je conclus que les revendications 10 et 13 à 16 du brevet 684 sont invalides pour cause d’évidence.
[84] Je rejetterais les appels avec dépens.
« Marianne Rivoalen »
j.c.a.
« Je suis d’accord.
Yves de Montigny, j.c.a. »
« Je suis d’accord.
Mary J.L. Gleason, j.c.a. »
COUR D’APPEL FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
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Dossiers : |
A-234-20, A-236-20, A-237-20, A-238-20 |
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DOSSIER : |
A-234-20 |
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INTITULÉ : |
ELI LILLY CANADA INC., ELI LILLY AND COMPANY, LILLY DEL CARIBE, INC., LILLY, S.A. et ICOS CORPORATION c. APOTEX INC. |
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DOSSIER : |
A-236-20 |
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INTITULÉ : |
ELI LILLY CANADA INC., ELI LILLY AND COMPANY, LILLY DEL CARIBE, INC., LILLY, S.A. et ICOS CORPORATION c. PHARMASCIENCE INC. et LABORATOIRE RIVA INC. |
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DOSSIER : |
A-237-20 |
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INTITULÉ : |
ELI LILLY CANADA INC., ELI LILLY AND COMPANY, LILLY DEL CARIBE, INC., LILLY, S.A. et ICOS CORPORATION c. MYLAN PHARMACEUTICALS ULC |
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DOSSIER : |
A-238-20 |
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INTITULÉ : |
ELI LILLY CANADA INC., ELI LILLY AND COMPANY, LILLY DEL CARIBE, INC., LILLY, S.A. et ICOS CORPORATION c. TEVA CANADA LIMITÉE |
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LIEU DE L’AUDIENCE : |
Ottawa (Ontario) |
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DATE DE L’AUDIENCE : |
Le 1er mars 2023 |
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MOTIFS DU JUGEMENT : |
LA JUGE RIVOALEN |
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Y ONT SOUSCRIT : |
LE JUGE DE MONTIGNY LA JUGE GLEASON |
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DATE DES MOTIFS : |
Le 2 juin 2023 |
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COMPARUTIONS :
Steven Mason Steven Tanner Edwin Mok |
Pour les appelantes ELI LILLY CANADA INC., ELI LILLY AND COMPANY, LILLY DEL CARIBE, INC., LILLY, S.A. et ICOS CORPORATION |
Andrew Brodkin Jordan Scopa |
Pour l’intimée APOTEX INC. |
Aleem Abdulla |
Pour les intimées Pharmascience inc. et Laboratoire Riva inc. |
J. Bradley White Nathaniel Lipkus |
POUR L’INTIMÉE MYLAN PHARMACEUTICALS ULC |
Scott Beeser |
POUR L’INTIMÉE TEVA CANADA LIMITÉE |
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
McCarthy Tétrault LLP Toronto (Ontario) |
Pour les appelantes ELI LILLY CANADA INC., ELI LILLY AND COMPANY, LILLY DEL CARIBE, INC., LILLY, S.A. et ICOS CORPORATION |
Goodmans LLP Toronto (Ontario) |
Pour l’intimée APOTEX INC. |
Aitken Klee LLP Ottawa (Ontario) |
Pour les intimées PHARMASCIENCE INC. et LABORATOIRE RIVA INC. |
Osler, Hoskin & Harcourt LLP Ottawa (Ontario) |
POUR L’INTIMÉE MYLAN PHARMACEUTICALS ULC |
Aitken Klee LLP Toronto (Ontario) |
POUR L’INTIMÉE TEVA CANADA LIMITÉE |