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Date : 20230608


Dossier : 23-A-26

Référence : 2023 CAF 129

[TRADUCTION FRANÇAISE]

En présence de monsieur le juge Locke

ENTRE :

Première Nation DAKOTA PLAINS WAHPETON OYATE

représentée par EVANGELINE TOWLE, en sa qualité de chef héréditaire de la Première Nation Dakota Plains Wahpeton Oyate,

CRAIG BLACKSMITH et ALVIN SMOKE, en leur qualité de représentants des membres du conseil de la Première Nation Dakota Plains Wahpeton Oyate

demandeurs

et

DONALD RAYMOND SMOKE

défendeur

Requête jugée sur dossier sans comparution des parties.

Ordonnance rendue à Ottawa (Ontario), le 8 juin 2023.

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :

LE JUGE LOCKE

 


Date : 20230608


Dossier : 23-A-26

Référence : 2023 CAF 129

En présence de monsieur le juge Locke

ENTRE :

 

Première Nation DAKOTA PLAINS WAHPETON OYATE,

représentée par EVANGELINE TOWLE en sa qualité de chef héréditaire de la Première Nation Dakota Plains Wahpeton Oyate,

CRAIG BLACKSMITH et ALVIN SMOKE en leur qualité de représentants des membres du conseil de la Première Nation Dakota Plains Wahpeton Oyate

demandeurs

et

DONALD RAYMOND SMOKE

défendeur

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

LE JUGE LOCKE

[1] Tout comme ils l’ont fait à la Cour fédérale, les appelants éventuels se présentent de la manière suivante :

[traduction]

Première Nation Dakota Plains Wahpeton Oyate représentée par Evangeline Towle, en sa qualité de chef héréditaire de la Première Nation Dakota Plains Wahpeton Oyate, Craig Blacksmith et Alvin Smoke, en leur qualité de représentants des membres du conseil de la Première Nation Dakota Plains Wahpeton Oyate

[2] Le différend qui sous-tend l’appel proposé concerne des revendications contradictoires quant au titre de chef héréditaire de la Première Nation Dakota Plains Wahpeton Oyate. J’appellerai les parties, respectivement, les appelants éventuels et l’intimé éventuel. La Cour fédérale s’est prononcée en faveur de l’intimé éventuel, Donald Raymond Smoke, dans une décision rendue par la juge Ann Marie McDonald le 15 décembre 2022 et portant le numéro de référence neutre 2022 CF 1743 (la « décision sur le fond »).

[3] Les appelants éventuels veulent interjeter appel de la décision sur le fond (et peut-être aussi d’une décision ultérieure sur les dépens datée du 23 février 2023, dont les motifs portent le numéro de la référence neutre 2023 CF 261 (la « décision sur les dépens »)).

[4] L’alinéa 27(2)b) de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), c. F-7, prévoit un délai de 30 jours pour l’appel de décisions de la Cour fédérale dont il est question en l’espèce. Par conséquent, les dates limites étaient le 14 janvier 2023 (pour la décision sur le fond) et le 25 mars 2023 (pour la décision sur les dépens). Il semble que les appelants éventuels aient été informés que les jours inclus dans les vacances judiciaires saisonnières n’étaient pas comptés dans le délai d’appel. Les vacances judiciaires saisonnières sont définies dans les Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 (les Règles), comme étant « la période commençant le 21 décembre et se terminant le 7 janvier ». L’arrêt du décompte des jours pendant les vacances judiciaires saisonnières repousserait la date limite au 1er février 2023, qui est apparemment la date à laquelle les appelants éventuels ont tenté de déposer leur avis d’appel. Malheureusement pour les appelants éventuels, la disposition du paragraphe 6(3) des Règles qui arrête le décompte des jours pendant les vacances judiciaires saisonnières ne s’applique pas aux délais prévus dans la Loi sur les Cours fédérales, comme le délai pour interjeter appel de la décision sur le fond. Au 1er février 2023, ce délai était échu.

[5] Par conséquent, les appelants éventuels demandent maintenant une prorogation du délai d’appel. Les appelants éventuels ont déposé leur dossier de requête le 13 avril 2023. L’intimé éventuel a déposé sa réponse contestant la requête le 24 avril 2023. Les appelants éventuels n’ont pas déposé de réplique. Comme le prévoit l’article 369.2 des Règles, je rends ma décision sur la présente requête sur le fondement des observations écrites, sans audience.

[6] Le critère applicable à l’octroi d’une prorogation de délai a été examiné à maintes reprises par notre Cour, notamment dans le passage suivant de l’arrêt Canada (Procureur général) c. Larkman, 2012 CAF 204 [Larkman], aux paragraphes 61 et 62 :

[61] Les parties s’entendent pour dire que les questions suivantes sont pertinentes lorsqu’il s’agit pour notre Cour d’exercer son pouvoir discrétionnaire pour se prononcer sur une demande de prorogation de délai :

1) Le requérant a-t-il manifesté une intention constante de poursuivre [l’appel]?

2) [L’appel] a-t-[il] un certain fondement?

3) [Le défendeur] a-t-[il] subi un préjudice en raison du retard?

4) Le requérant a-t-il une explication raisonnable pour justifier le retard? […]

[62] Ces principes orientent la Cour et l’aident à déterminer si l’octroi d’une prorogation de délai est dans l’intérêt de la justice [...] L’importance de chacun de ces facteurs dépend des circonstances de l’espèce. De plus, il n’est pas nécessaire de répondre aux quatre questions en faveur du requérant. Ainsi, « une explication parfaitement convaincante justifiant le retard peut entraîner une réponse positive même si les arguments appuyant la contestation du jugement paraissent faibles et, de la même façon, une très bonne cause peut contrebalancer une justification du retard moins convaincante » [...] Dans certains cas, surtout dans ceux qui sortent de l’ordinaire, d’autres questions peuvent s’avérer pertinentes. La considération primordiale est celle de savoir si l’octroi d’une prorogation de délai serait dans l’intérêt de la justice [...] [Renvois omis.]

[7] L’intimé éventuel soutient que tous les facteurs énumérés dans l’arrêt Larkman sont défavorables aux appelants éventuels. J’examine ci-après chacun de ces facteurs .

[8] En ce qui concerne le premier facteur (l’intention constante de poursuivre l’appel), il semble qu’au moins Craig Blacksmith ait eu une telle intention. Il a signé tous les documents de requête au nom des appelants éventuels. Il ne donne pas beaucoup de détails sur ce qu’il a fait le 1er février 2023, date à laquelle il affirme avoir [traduction] « déposé » son appel. Il fournit également peu de détails sur ce qu’il a fait après cette date. Néanmoins, les documents de la requête donnent l’impression qu’il a toujours eu l’intention d’interjeter appel de la décision sur le fond. Il semble qu’il ait eu une date limite en tête (bien qu’elle fût incorrecte) et qu’il ait tenté de la respecter. Rien n’indique que, même après le 1er février 2023, M. Blacksmith ait jamais cessé d’avoir l’intention de faire appel de la décision sur le fond.

[9] L’intimé éventuel fait valoir qu’il n’y a aucun élément de preuve formel sur la question en litige puisque le calendrier des appelants éventuels à compter du 1er février 2023 figure dans les observations écrites (plutôt que dans l’affidavit de M. Blacksmith). Ce n’est pas faux. En fait, il semble que tout le contenu des observations écrites des appelants éventuels aurait dû être inclus dans l’affidavit. Inversement, la quasi-totalité du contenu de l’affidavit aurait dû figurer dans les observations écrites. Cependant, à ce stade préliminaire, je suis conscient que les appelants éventuels, n’étant pas représentés par un avocat, tentent d’apprendre les procédures de la Cour. Je considère que le calendrier allégué à compter du 1er février 2023 constitue des observations qui n’ont pas été faites sous serment des appelants éventuels.

[10] L’intimé éventuel renvoie également à des éléments de preuve selon lesquels Evangeline Towle a indiqué à la fin de décembre 2022 et au début de janvier 2023 qu’elle n’avait pas l’intention de faire appel de la décision sur le fond. À mon avis, l’intention continue de M. Blacksmith est suffisante pour conclure que le premier facteur dans la présente requête est favorable aux appelants éventuels. Je ne tire aucune conclusion sur la question de savoir s’il est approprié que Mme Towle soit partie aux appels proposés.

[11] En ce qui concerne le deuxième facteur (un certain fondement), l’intimé éventuel soutient que, d’une part, M. Blacksmith n’a pas l’autorisation d’agir pour les appelants éventuels et, d’autre part, M. Blacksmith ne s’est pas acquitté du fardeau de démontrer un certain fondement.

[12] En ce qui concerne la question de l’autorisation, l’intimé éventuel note que le document d’autorisation mentionné par M. Blacksmith (qui se trouve à la page 62 du dossier de requête) indique qu’il autorise M. Blacksmith à parler au nom de Mme Towle et d’Alvin Smoke, mais pas au nom de la Première Nation Dakota Plains Wahpeton Oyate (la partie nommée). Je reconnais la distinction que l’intimé éventuel tente d’établir, mais il s’agit peut-être d’une simple question de formulation de l’intitulé de la cause ou de l’autorisation. J’estime que cet argument ne tranche pas la question de l’existence d’un certain fondement.

[13] En ce qui concerne la question du fardeau de démontrer un certain fondement, l’intimé éventuel note l’absence de projet d’avis d’appel ou de la décision faisant l’objet de l’appel. La décision faisant l’objet de l’appel étant affichée publiquement, le fait qu’elle ne figure pas dans le dossier de requête est sans importance. Quant au projet d’avis d’appel, je conviens qu’il aurait été préférable que les appelants éventuels en aient inclus un. Cependant, ce n’était pas nécessaire, pourvu qu’ils présentent des explications suffisantes des motifs d’appel pour démontrer un certain fondement. Comme l’a reconnu l’intimé éventuel, l’affidavit de M. Blacksmith soulève plusieurs [traduction] « préoccupations ». J’estime qu’il s’agit d’une présentation générale des motifs d’appel proposés, lesquels sont les suivants :

  1. Les appelants éventuels n’avaient aucun moyen de savoir que leur qualité pour agir constituerait un problème.

  2. La Cour fédérale a favorisé les éléments de preuve de l’intimé éventuel par rapport à ceux des appelants éventuels.

  3. La décision sur les dépens indiquait que les appelants éventuels n’avaient pas démontré l’existence d’un « véritable » litige en matière de gouvernance ni du soutien d’autres membres de la communauté.

  4. La Cour fédérale a conclu, dans la décision sur le fond, que les appelants éventuels n’avaient pas établi la prétendue coutume sur laquelle ils s’appuient.

[14] Je conviens que les efforts des appelants éventuels pour démontrer le fondement de leurs appels proposés ne sont pas solides. Les [traduction] « préoccupations » mentionnés ci-dessus se rapportent aux questions qu’ils cherchent à soulever, sans accorder beaucoup d’attention à la façon dont la Cour fédérale aurait commis une erreur. Pour que les appels proposés aient une chance de succès, les arguments sur la façon dont la Cour fédérale a commis une erreur (selon la norme de contrôle pertinente) devront être étoffés.

[15] Ce facteur n’est pas favorable aux appelants éventuels. Cela dit, je vois l’essentiel des thèses qu’ils souhaitent faire valoir et je ne suis pas prêt à conclure qu’aucune ne présente un certain fondement. De plus, comme je le mentionne plus haut, je suis conscient des difficultés auxquelles sont confrontés les appelants éventuels, qui à l’heure actuelle ne sont pas représentés par un avocat.

[16] En ce qui concerne le troisième facteur (préjudice), l’intimé éventuel fait valoir qu’il subirait un préjudice si la requête était accueillie, mais en fait le préjudice serait causé par l’appel lui-même et non par le retard. Il semble que l’intimé éventuel ne subira aucun préjudice en raison du retard dans le dépôt de l’appel. Ce facteur est favorable aux appelants éventuels.

[17] Pour ce qui est du quatrième facteur (explication raisonnable pour justifier le retard), les appelants éventuels ont raisonnablement expliqué le retard entre l’échéance du 14 janvier 2023 et le 1er février 2023. L’erreur dans le calcul du délai initial (qui repose sur la prise en compte incorrecte des vacances judiciaires saisonnières) se comprend. Il semble que les appelants éventuels n’aient appris que le 6 février 2023 qu’ils avaient déposé leur appel en retard. En conséquence, il reste à déterminer si le retard entre cette date et le dépôt de la présente requête le 13 avril 2023 a été raisonnablement expliqué.

[18] M. Blacksmith a exposé une série de mesures qu’il a prises au cours de cette période. Comme je l’indique plus haut, les appelants éventuels ont présenté des arguments dans l’affidavit de M. Blacksmith et des éléments de preuve dans les observations écrites, de sorte que le calendrier des étapes après le 6 février 2023 n’a pas été présenté en bonne et due forme pour être traité comme un élément de preuve. Comme je le mentionne plus haut, je considère que ce calendrier constitue des observations qui n’ont pas été faites sous serment. Quoi qu’il en soit, je note que l’intimé éventuel connaissait deux des étapes indiquées par M. Blacksmith dans le calendrier :

  1. Le 6 février 2023, l’avocat de l’intimé éventuel a avisé M. Blacksmith qu’aucun appel n’avait été interjeté.

  2. Le 14 février 2023, l’intimé éventuel a affirmé que l’appel avait été déposé trop tard (cette étape donne également à penser que l’intimé éventuel était au courant de la tentative initiale de déposer l’appel).

[19] L’intimé éventuel n’a pas présenté d’éléments de preuve en sens contraire; j’en déduis que ces étapes sont exactes.

[20] Les étapes ultérieures ci-après dans le calendrier allégué sont tout à fait crédibles dans le cas de parties qui agissent pour leur propre compte et qui ne connaissent pas les procédures de la Cour :

  1. Le 15 février 2023, M. Blacksmith a communiqué avec le greffe de la Cour et a été informé que l’appel avait été déposé en retard et qu’une requête en prorogation de délai serait nécessaire.

  2. Le 28 février 2023, M. Blacksmith a déposé un avis de requête.

  3. Le 2 mars 2023, M. Blacksmith a été informé que le dépôt [traduction] « a été fait incorrectement » et a reçu des exemples de documents de requête et d’autres documents du greffe de la Cour.

  4. Le 14 mars 2023 et le 3 avril 2023, d’autres échanges ont eu lieu entre M. Blacksmith et le greffe à propos de corrections qui étaient nécessaires pour que les documents de sa requête soient présentés dans les règles.

[21] Bien qu’il ne s’agisse peut-être pas d’un bon exemple de diligence et de célérité, je conclus que les appelants éventuels ont raisonnablement expliqué le retard qui a conduit au dépôt de la présente requête. Ce facteur est favorable aux appelants éventuels.

[22] En conclusion, j’accueillerai la requête en prorogation de délai. Comme je l’indique plus haut, les appelants éventuels devront clarifier leurs thèses s’ils veulent avoir une chance d’obtenir gain de cause dans leurs appels proposés, mais la faiblesse de leurs thèses sur le fond à ce stade ne saurait justifier à elle seule le rejet de la présente requête. À mon avis, il est dans l’intérêt de la justice d’accueillir la requête.

[23] Bien sûr, tout appel interjeté est susceptible d’être attaqué sur le fondement des motifs soulevés dans la présente requête, y compris la question de savoir si les appelants éventuels ont qualité pour agir. De plus, les appelants éventuels devraient garder à l’esprit la possibilité qu’ils soient tenus, à titre personnel, de payer les dépens s’ils n’ont pas gain de cause, comme cela s’est produit devant la Cour fédérale.

« George R. Locke »

j.c.a.


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

23-A-26

 

INTITULÉ :

DAKOTA PLAINS WAHPETON OYATE, représentée par EVANGELINE TOWLE en sa qualité de chef héréditaire de Dakota Plains Wahpeton Oyate, CRAIG BLACKSMITH et ALVIN SMOKE en leur qualité de représentants des membres du conseil de Dakota Plains Wahpeton Oyate c. DONALD RAYMOND SMOKE

 

REQUÊTE JUGÉE SUR DOSSIER SANS COMPARUTION DES PARTIES

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :

LE JUGE LOCKE

 

DATE DES MOTIFS :

Le 8 juin 2023

 

OBSERVATIONS ÉCRITES :

Craig Blacksmith

 

Pour les demandeurs

(pour leur propre compte)

 

Devon C. Mazur

Amanda Cheys

 

Pour l’intimé

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Myers LLP

Winnipeg (Manitoba)

Pour l’intimé

 

 

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