Décisions de la Cour d'appel fédérale

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Date : 20230615


Dossier : A-265-22

Référence : 2023 CAF 140

[TRADUCTION FRANÇAISE]

En présence de monsieur le juge Laskin

ENTRE :

JOHN TURMEL

appelant

et

SA MAJESTÉ LE ROI

intimé

Requête jugée sur dossier sans comparution des parties.

Ordonnance rendue à Ottawa (Ontario), le 15 juin 2023.

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :

LE JUGE LASKIN


Date : 20230615


Dossier : A-265-22

Référence : 2023 CAF 140

En présence de monsieur le juge Laskin

ENTRE :

JOHN TURMEL

appelant

et

SA MAJESTÉ LE ROI

intimé

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

LE JUGE LASKIN

[1] Le 9 novembre 2022, la Cour fédérale (2022 CF 1526, le juge Fothergill) a rendu une ordonnance en application de l’article 40 de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F‑7, déclarant que l’appelant, John Turmel, était un plaideur quérulent. L’ordonnance interdit également à M. Turmel, entre autres, d’engager de nouvelles instances devant la Cour fédérale, de continuer toute instance déjà engagée par lui devant la Cour fédérale, sauf avec l’autorisation de cette dernière, et de préparer, de distribuer ou de diffuser des documents de procédure, y compris des modèles, pour que d’autres personnes les utilisent dans des instances devant la Cour fédérale.

[2] Le procureur général du Canada a demandé que l’ordonnance soit structurée de manière à s’appliquer également aux instances de notre Cour. La Cour fédérale n’a pas fait droit à cette demande, au motif que, après examen de la jurisprudence, il subsistait dans l’esprit du juge saisi de la requête [traduction] « un certain doute » quant à savoir si la compétence de la Cour fédérale pouvait concerner les affaires devant notre Cour (2022 CF 1526 aux para. 52 à 54). Ce faisant, le juge saisi de la requête a affirmé que, si l’ordonnance qu’il prononçait était portée en appel, notre Cour pourrait vouloir [traduction] « apporter des éclaircissements sur cette question de compétence ».

[3] M. Turmel a porté en appel devant notre Cour l’ordonnance rendue par la Cour fédérale. Je crois comprendre que l’appel est prêt à être inscrit au rôle des audiences.

[4] Le procureur général présente maintenant une requête devant notre Cour en vue d’obtenir de notre Cour la même mesure relativement aux instances devant elle que celle qu’il a obtenue relativement aux instances devant la Cour fédérale dans l’ordonnance frappée d’appel. En conformité avec l’obligation énoncée au paragraphe 40(2) de la Loi sur les Cours fédérales, le procureur général, par l’entremise du sous-procureur général de l’époque, a consenti par écrit à la présentation de la requête. Le procureur général a déposé un dossier important, décrivant la conduite de M. Turmel qui a mené à ce que cette mesure soit demandée. M. Turmel n’a pas déposé de réponse à la requête.

[5] Pour les motifs exposés ci-dessous, l’ordonnance demandée est accordée.

[6] Le paragraphe 40(1) de la Loi sur les Cours fédérales prévoit dans les termes suivants le prononcé d’ordonnances contre les plaideurs quérulents :

40 (1) La Cour d’appel fédérale ou la Cour fédérale, selon le cas, peut, si elle est convaincue par suite d’une requête qu’une personne a de façon persistante introduit des instances vexatoires devant elle ou y a agi de façon vexatoire au cours d’une instance, lui interdire d’engager d’autres instances devant elle ou de continuer devant elle une instance déjà engagée, sauf avec son autorisation.

40 (1) If the Federal Court of Appeal or the Federal Court is satisfied, on application, that a person has persistently instituted vexatious proceedings or has conducted a proceeding in a vexatious manner, it may order that no further proceedings be instituted by the person in that court or that a proceeding previously instituted by the person in that court not be continued, except by leave of that court.

[7] Comme notre Cour l’a affirmé récemment dans l’arrêt Feeney c. Canada, 2022 CAF 190 au para. 20 (certains renvois internes omis) :

[…] l’ordonnance déclarant le plaideur quérulent peut être fondée sur divers critères non exhaustifs [...] Dans l’arrêt Olumide, le juge Stratas a énoncé ces critères comme des « caractéristiques des plaideurs quérulents » ou des « signes de conduite vexatoire » [...] Ces « caractéristiques » comprennent les éléments suivants : (Olumide c. Canada, 2016 CF 1106 au para. 10) :

a) être sermonné par divers tribunaux pour avoir eu un comportement vexatoire et abusif;

b) intenter des poursuites frivoles (y compris des requêtes, des demandes, des actions en justice et des appels);

c) faire des allégations scandaleuses et non fondées contre les parties adverses à la Cour;

d) remettre en litige des questions ayant déjà été tranchées contre le plaideur quérulent;

e) interjeter couramment et systématiquement appel de décisions interlocutoires et finales, et ce, sans succès.

f) faire fi des ordonnances des tribunaux et des règles des tribunaux;

g) refuser de payer les dépens non réglés adjugés contre le plaideur quérulent.

[8] Le dossier de preuve de la présente requête indique que M. Turmel possède plusieurs des caractéristiques du plaideur quérulent. Entre autres :

Il a personnellement intenté de nombreuses instances non fondées, lesquelles ont toutes été rejetées pour des motifs allant de l’absence de cause d’action raisonnable au fait qu’elles étaient scandaleuses, frivoles et vexatoires ou qu’elles constituaient un abus de procédure.

Il interjette appel des décisions chaque fois qu’il est débouté, ou presque, et demande régulièrement l’autorisation de se pourvoir à la Cour suprême du Canada à la suite du rejet de ses appels, sollicitant souvent un réexamen lorsque sa demande d’autorisation de pourvoi est refusée.

Il tente régulièrement de débattre à nouveau des questions déjà tranchées;

Il profite des plaidoyers pour faire des remarques non fondées et outrancières sur les autres parties et les juges qui rejettent ses instances.

Il fait fi des ordonnances de la cour, des règles et des délais.

Il a contre lui de nombreuses ordonnances de dépens impayées.

[9] En plus d’intenter ses propres procédures, il a, depuis 2014, mis au point des « trousses » constituées de modèles de documents de procédure attaquant, entre autres, la constitutionnalité de certains aspects de la réglementation canadienne sur le cannabis médical et les mesures d’atténuation de la COVID-19, et il les a distribuées à d’autres personnes afin qu’elles les utilisent pour intenter des procédures devant les Cours fédérales. Des personnes ont déposé ou tenté de déposer des centaines d’actes introductifs d’instance à l’aide de ces trousses, y compris 40 appels devant notre Cour. Il les décrit comme faisant partie d’une stratégie délibérée pour surcharger les cours et la Couronne. Il dit être un [traduction] « avocat guérilléro », il utilise du langage militaire pour décrire ses tactiques judiciaires et il encourage les utilisateurs de ses trousses à déposer des demandes et [traduction] « à prendre part au carnage ».

[10] Les éléments de preuve au dossier montrent sans le moindre doute qu’une ordonnance contre un plaideur quérulent s’impose afin d’encadrer l’accès de M. Turmel à notre Cour. Ils montrent également que, pour atteindre cet objectif, l’ordonnance doit s’étendre au-delà de M. Turmel pour inclure l’aide et l’encouragement qu’il offre à d’autres personnes pour qu’elles intentent des poursuites devant notre Cour.

[11] Par conséquent, je rendrai l’ordonnance essentiellement dans les termes demandés par le procureur général :

a) qu’aucune nouvelle procédure ne peut être intentée et que toute procédure déjà intentée, à l’exception du présent appel, ne peut être poursuivie devant la Cour d’appel fédérale par John Turmel, sauf avec l’autorisation de la Cour;

b) que toute demande déposée par John Turmel en vue d’obtenir l’autorisation d’introduire ou de poursuivre une procédure devant la Cour d’appel fédérale doit, en plus de répondre aux critères du paragraphe 40(4) de la Loi sur les Cours fédérales, démontrer que tous les dépens impayés auxquels la Cour d’appel fédérale l’a condamné ont été acquittés intégralement.

c) qu’il est strictement interdit à John Turmel de préparer, de distribuer ou, de quelque façon que ce soit, de diffuser des documents de procédures, y compris des modèles de documents, afin qu’ils soient utilisés par d’autres personnes dans des procédures déposées devant la Cour d’appel fédérale;

d) qu’il est interdit à John Turmel d’aider d’autres plaideurs quant à leurs procédures devant la Cour d’appel fédérale, y compris en déposant des documents ou en prétendant les représenter ou communiquer avec la Cour en leur nom;

e) qu’aucune nouvelle procédure ne peut être engagée devant la Cour d’appel fédérale au moyen d’actes introductifs d’instance, y compris des modèles de documents, qui sont, de quelque façon que ce soit, préparés, distribués ou diffusés par John Turmel, sauf avec l’autorisation de la Cour.

f) que John Turmel paye au procureur général du Canada les dépens afférents à la présente requête, lesquels sont fixés à 500 $.

[12] Puisque la question de savoir si une ordonnance contre un plaideur quérulent prononcée par la Cour fédérale peut s’étendre aux instances devant la Cour d’appel fédérale n’est pas une question portée devant notre Cour en l’espèce, je n’offre que les brèves observations suivantes à ce sujet. Depuis l’entrée en vigueur de la Loi sur le Service administratif des tribunaux judiciaires, L.C. 2002, ch. 8, la Cour d’appel fédérale et la Cour fédérale sont deux cours supérieures distinctes : voir les articles 3 et 4 de la Loi sur les Cours fédérales. Il serait inhabituel qu’une ordonnance d’une de ces cours puisse, en l’absence de dispositions législatives expresses en ce sens (telles que les dispositions prévoyant des appels d’une cour à l’autre), vienne lier l’autre cour. Le paragraphe 40(1) de la Loi sur les Cours fédérales semble avoir été rédigé, avec des expressions comme « devant elle » et « that court », dans le but de limiter l’effet des ordonnances relatives aux instances vexatoires à la Cour qui les prononce.

« J.B. Laskin »

j.c.a.


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

A-265-22

INTITULÉ :

JOHN TURMEL c. SA MAJESTÉ LE ROI

REQUÊTE JUGÉE SUR DOSSIER SANS COMPARUTION DES PARTIES

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :

LE JUGE LASKIN

DATE DES MOTIFS :

LE 15 JUIN 2023

OBSERVATIONS ÉCRITES :

John Bricker

Addison Leigh

Pour l’intimé

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Shalene Curtis-Micallef

Sous-procureure générale du Canada

Pour l’intimé

 

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