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Date : 20230818

Dossiers : A-327-21

A-328-21

A-329-21

Référence : 2023 CAF 178

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LA JUGE WOODS

LE JUGE LASKIN

LA JUGE MONAGHAN

 

 

ENTRE :

SA MAJESTÉ LE ROI

appelant

et

JOHN PRESTON, MONIKA PRESTON et THE PRESTON FAMILY TRUST II

intimés

Audience tenue à Toronto (Ontario), le 18 janvier 2023.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 18 août 2023.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LA JUGE MONAGHAN

Y ONT SOUSCRIT :

LA JUGE WOODS

LE JUGE LASKIN


Date : 20230818


Dossiers : A-327-21

A-328-21

A-329-21

Référence : 2023 CAF 178

CORAM :

LA JUGE WOODS

LE JUGE LASKIN

LA JUGE MONAGHAN

 

 

ENTRE :

SA MAJESTÉ LE ROI

appelant

et

JOHN PRESTON, MONIKA PRESTON et THE PRESTON FAMILY TRUST II

intimés

MOTIFS DU JUGEMENT

LA JUGE MONAGHAN

[1] Une hypothèse dans une réponse à un avis d’appel devant la Cour canadienne de l’impôt devrait-elle être radiée uniquement au motif qu’il s’agit d’un énoncé mixte de fait et de droit? Dans la décision Preston Family Trust II c. La Reine (2021 CCI 79, le juge Spiro), la Cour de l’impôt semble avoir conclu que ce devrait être le cas. La Couronne a interjeté appel de cette décision, faisant valoir que la Cour de l’impôt a commis une erreur en le faisant. Je suis du même avis qu’elle. Avant d’expliquer pourquoi, je vais résumer le contexte dans lequel la décision de la Cour de l’impôt a été rendue.

I. La requête devant la Cour de l’impôt

[2] En 2018, le ministre du Revenu national (ministre) a établi une nouvelle cotisation à l’égard de chacun des intimés dans le présent appel, John Preston, Monika Preston et The Preston Family Trust II (Trust), en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. 1985, ch. 1 (5e suppl.) en ce qui concerne des transactions effectuées en 2014. En février 2020, chaque intimé a déposé un avis d’appel devant la Cour de l’impôt, après quoi l’appelant a déposé une réponse. Comme ils avaient le droit de le faire, chaque intimé a par la suite déposé une réplique.

[3] Les Règles de la Cour canadienne de l’impôt (procédure générale), DORS/90-688a (Règles) prescrivent le contenu de l’avis d’appel et de la réponse. L’alinéa 49(1)d) des Règles exige que les conclusions ou les hypothèses de fait sur lesquelles le ministre s’est fondé en établissant sa cotisation donnant lieu à l’appel soient énoncées dans la réponse. Le contribuable a habituellement le fardeau de réfuter les hypothèses de fait du ministre (Voitures Orly Inc. c. Canada, 2005 CAF 425, par. 20, citant, entre autres, les décisions Anderson Logging Co. v. The King (1924), [1925] R.C.S. 45, [1925] 2 D.L.R. 143 et Pollock c. Canada (Ministre du Revenu national), [1993] A.C.F. no 1055, 161 N.R. 232 (C.A.F.). Voir aussi les arrêts Canada c. Anchor Pointe Energy Ltd., 2007 CAF 188, demande de pourvoi rejetée 32157 (17 janvier 2008), par. 35 [arrêt Anchor Pointe 2007] et Goheen c. Canada, 2019 CAF 104, par. 15).

[4] En mars 2021, les intimés ont déposé des requêtes écrites auprès de la Cour de l’impôt pour faire radier certaines hypothèses dans les réponses, conformément au paragraphe 53(1) des Règles, affirmant qu’il s’agissait de conclusions de droit ou de conclusions mixtes de fait et de droit, et non d’hypothèses de fait et que, pour ce motif, elles devraient être radiées. Ce faisant, les intimés se sont principalement appuyés sur les arrêts Canada c. Anchor Pointe Energy Ltée, 2003 CAF 294 [arrêt Anchor Pointe] et Banque Canadienne Impériale de Commerce c. Canada, 2013 CAF 122 [arrêt BCIC].

[5] Le paragraphe 53(1) des Règles prévoit qu’un acte de procédure peut être radié « parce que l’acte […]

a) peut compromettre ou retarder l’instruction équitable de l’appel;

b) est scandaleux, frivole ou vexatoire;

c) constitue un recours abusif à la Cour [de l’impôt];

d) ne révèle aucun moyen raisonnable d’appel ou de contestation de l’appel. »

Les intimés n’ont pas précisé quelle partie du paragraphe 53(1) des Règles ils invoquaient, mais la Cour de l’impôt a considéré qu’il s’agissait de l’alinéa 53(1)a) des Règles.

[6] Outre le fait de citer les paragraphes 25 et 26 de l’arrêt Anchor Pointe et d’affirmer que les conclusions de droit ou les conclusions mixtes de fait et de droit dans l’acte de procédure [traduction] « enfreignent les règles de base de la plaidoirie », les observations écrites des intimés n’ont fourni qu’une seule justification pour radier les actes de procédure. [TRADUCTION] « [L]es [hypothèses] contestées sont toutes des conclusions de droit ou des conclusions mixtes de fait et de droit sans précision quant à la base factuelle en fonction de laquelle le [ministre] pourrait tirer ses conclusions », de sorte qu’elles [TRADUCTION] « ne permettent pas aux [intimés] de savoir ce qu’ils doivent prouver » (les observations écrites modifiées des intimés à la Cour de l’impôt, par. 32 (OEI)).

[7] L’appelant a reconnu qu’il fallait radier deux paragraphes en litige et, pour répondre aux préoccupations des intimés, il a proposé des modifications à deux autres, demandant l’autorisation de les modifier. Hormis ces exceptions, l’appelant a soutenu que les actes de procédure contestés ne devraient pas être radiés, principalement parce qu’il s’agissait d’hypothèses de fait, et que la requête devrait être rejetée. Subsidiairement, si la Cour de l’impôt ordonnait la radiation de tout autre paragraphe, l’appelant a demandé l’autorisation de modifier les réponses.

[8] Au paragraphe 25 de l’arrêt Anchor Pointe, la Cour a déclaré que « les déclarations ou conclusions juridiques n’ont pas leur place dans l’énoncé des hypothèses de fait du ministre » parce qu’il « en découlerait pour le contribuable le fardeau de réfuter une déclaration ou conclusion juridique ». En l’espèce, la Cour de l’impôt a affirmé que « [p]our la même raison, [la Couronne] ne peut énoncer une conclusion [mixte] de droit et de fait à titre d’hypothèse de fait » (motifs, par. 20) À son avis, c’est comme si « [la Couronne] dit en quelque sorte aux [contribuables] : “Il vous incombe de réfuter la thèse du ministre en l’espèce, notamment ses éléments de fait et de droit”. Or, comme nous l’avons vu précédemment, cela constitue un acte de procédure fautif – le contribuable n’a pas le fardeau de réfuter quelque élément juridique de la thèse du ministre » (motifs, par. 26 [souligné dans l’original]).

[9] La Cour de l’impôt a déterminé que chacune des hypothèses contestées était un énoncé mixte de fait et de droit et, pour ce motif, elle a ordonné qu’ils soient tous, à l’exception de deux, « radiés du paragraphe de la réponse dans lequel sont énoncées les hypothèses, avec autorisation de les modifier afin qu’ils figurent dans la réponse modifiée à titre de moyens sur lesquels [la Couronne] entend se fonder » (voir les ordonnances de la Cour de l’impôt, par. 2). La Cour de l’impôt a convenu que l’appelant pouvait maintenir deux paragraphes modifiés comme hypothèses, mais a rejeté les modifications proposées et a plutôt ordonné la façon dont ces hypothèses devraient être modifiées.

[10] Bien que la Cour de l’impôt ait supposé que les intimés avaient invoqué l’alinéa 53(1)a) des Règles, elle n’a pas examiné la question de savoir si le maintien des hypothèses contestées en tant que telles pouvait compromettre ou retarder l’instruction équitable des appels des intimés. La seule considération utile de son point de vue était que l’hypothèse était un énoncé mixte de fait et de droit. Comme je l’explique ci-dessous, les hypothèses de nature mixte de fait et de droit ne compromettent pas toutes l’appel d’un contribuable.

[11] Bien que les motifs de la Cour de l’impôt ne se rapportent qu’à la réponse à l’avis d’appel de Trust, ils s’appliquent également aux deux autres réponses (motifs, par. 24). Dans chaque appel, la Cour de l’impôt a rendu des ordonnances distinctes précisant les hypothèses qui seront invoquées dans la réponse modifiée, reproduisant les hypothèses non contestées et les deux hypothèses modifiées dans une annexe. Elle a ordonné à l’appelant de déposer et de signifier des réponses modifiées dans un délai de 30 jours et a autorisé les intimés à déposer des répliques modifiées après la signification des réponses modifiées.

II. L’appel

[12] La décision de radier un acte de procédure est une décision discrétionnaire. Par conséquent, la norme de contrôle en appel s’applique, et l’intervention de notre Cour n’est justifiée que si la Cour de l’impôt a commis une erreur de droit ou une erreur manifeste et dominante sur une question de fait ou une question mixte de fait et de droit (Corporation de soins de la santé Hospira c. Kennedy Institute of Rheumatology, 2016 CAF 215, par. 66 et 79).

[13] Les motifs de la Cour de l’impôt portaient sur 30 hypothèses, dont beaucoup figurent dans les trois réponses. Toutefois, le présent appel regroupé se limite aux hypothèses concernant la juste valeur marchande de biens, aux hypothèses concernant l’identité des bénéficiaires de Trust et aux hypothèses où figure l’expression [traduction] « versé […] au profit de ».

[14] L’appelant affirme que les actes de procédure ne devraient être radiés que dans les cas les plus clairs et les plus évidents, que les contraintes imposées au ministre lorsqu’il invoque des hypothèses ne remplacent pas le critère de la radiation des actes de procédure et que la Cour de l’impôt n’a pas examiné s’il était clair et évident que les hypothèses invoquées compromettaient ou retardaient l’instruction équitable des appels des intimés. De plus, selon l’appelant, la Cour de l’impôt aurait dû accorder l’autorisation de modifier les réponses.

[15] Les intimés affirment que la Cour de l’impôt n’a commis aucune erreur. Tout en reconnaissant le fait que la Cour de l’impôt n’a pas utilisé l’expression « clair et évident » ou le mot « compromettre », ils soutiennent que les motifs de la Cour de l’impôt indiquent qu’elle a conclu que, comme hypothèses, les actes de procédure compromettraient l’appel des intimés parce que, comme hypothèses, ils exigent du contribuable qu’il réfute les éléments juridiques et factuels de la thèse du ministre. Ils soutiennent également que la Cour de l’impôt a accordé à l’appelant l’autorisation de modifier les réponses.

III. Analyse

A. Radiation des actes de procédure et la décision de la Cour de l’impôt

[16] Le fardeau d’établir qu’un acte de procédure devrait être radié incombe à la personne qui souhaite le faire (Erasmus (W.) c. Canada (no 1) [1991] A.C.F. no 512 (C.F. 1re inst.); Kopstein v. The Queen, 2010 TCC 448 [décision Kopstein]; Heron c. La Reine, 2017 CCI 71, conf. dans 2017 CAF 229, par. 11; FU2 Productions Ltd. c. Le Roi, 2022 CCI 148, par. 27). Le fardeau a été décrit comme lourd (Status-One Investments Inc. c. La Reine, 2004 CCI 473, par. 11, citant Morris c. Canada, [1992] A.C.I. no 787, 93 D.T.C. 316 (C.C.I.), conf. dans Canada c. Status-One Investment Inc., 2005 CAF 119). À mon avis, les intimés en l’espèce ne se sont pas acquittés de leur fardeau.

[17] En outre, bien que la Cour de l’impôt ait estimé que les intimés avaient invoqué l’alinéa 53(1)a) des Règles, elle n’a pas alors examiné la question de savoir si les hypothèses, dans l’éventualité où elles étaient retenues en tant que telles, compromettraient ou retarderaient l’instruction équitable de l’appel. Il est plutôt évident que la Cour de l’impôt a conclu qu’aucun énoncé mixte de fait et de droit ne peut constituer une hypothèse (motifs, par. 1, 26, 28, 33, 36, 40, 42, 44, 46 et 47).

[18] Je ne suis pas de cet avis. Aucun principe de droit n’indique qu’un énoncé mixte de fait et de droit ne peut constituer une hypothèse. Le paragraphe 53(1) des Règles contient les critères pour la radiation des actes de procédure et la Cour de l’impôt n’a pas appliqué ces critères; elle a donc commis une erreur de droit.

[19] Plus particulièrement, en l’espèce, la Cour de l’impôt n’a pas radié les hypothèses dans son ordonnance; elle a simplement ordonné qu’elles soient transférées dans une autre partie des réponses. La seule conclusion que l’on peut tirer est que la Cour de l’impôt a conclu que le fait de les garder comme hypothèses imposait aux intimés un fardeau qu’ils ne supporteraient pas autrement. Mais ce n’est pas le cas.

[20] Une hypothèse qui est un énoncé mixte de fait et de droit n’impose pas de fardeau supplémentaire au contribuable. C’est clair. Comme l’a expliqué la Cour de l’Échiquier dans la décision Goldman v. Minister of National Revenue, [1951] Ex. C.R. 274, [1951] C.T.C. 241, citée par la Cour de l’impôt, [traduction] « lorsque la validité de la cotisation est contestée au regard du droit, […] le fardeau n’incombe en fait à aucune des deux parties, car, lorsque les faits ont été établis, il relève uniquement de la responsabilité de la cour de juger de la validité en droit de la cotisation » (C. de l’Éch., aux pages 281, 282). Comme l’a fait observer la Cour de l’impôt dans la décision Kopstein, [traduction] « [p]our déterminer s’il est approprié de radier un paragraphe [...] il faut garder à l’esprit l’effet pratique du paragraphe » et [traduction] « une hypothèse invalide ou non applicable n’impose pas de fardeau à [un contribuable] simplement parce qu’elle a été invoquée » (par. 67 et 68). Voir aussi les décisions Chad c. La Reine, 2021 CCI 45, par. 44, Gerbro Holdings Company c. La Reine, 2016 CCI 173, par. 67, conf. dans l’arrêt Canada c. Gerbro Holdings Company, 2018 CAF 197.

[21] Les intimés se plaignent du fait que, à moins que les faits ne puissent être dégagés des énoncés mixtes de fait et de droit, ils ne savent pas ce qu’ils doivent prouver. Mais ce n’est clairement pas le cas. La lecture des avis d’appel, des réponses et des répliques permet de connaître exactement l’objet des questions et ce qui est en litige. En effet, les parties semblent en grande partie d’accord sur ce qui s’est passé; le différend porte sur les conséquences.

[22] Étant donné que les intimés et la Cour de l’impôt ont invoqué les arrêts Anchor Pointe et BCIC, je vais examiner ce que ces arrêts indiquent au sujet des énoncés mixtes de fait et de droit en tant qu’hypothèses.

(i) Arrêt Anchor Pointe

[23] L’arrêt Anchor Pointe découle d’un appel d’une décision de la Cour de l’impôt (Anchor Pointe Energy Ltd. c. La Reine, 2002 CanLII 997 [décision Anchor Pointe]) qui a rejeté les actes de procédure dans la réponse qui étaient censés être des hypothèses sur lesquelles les cotisations en litige étaient fondées. Ce n’était pas le cas. La Cour de l’impôt a conclu qu’il fallait les radier parce qu’« il n’est pas vrai que, en établissant la cotisation, le ministre s’est fondé sur les hypothèses de fait formulées » et indiquer le contraire équivaut à « un recours abusif à la Cour [de l’impôt] » (décision Anchor Pointe, par. 27).

[24] Par conséquent, la Cour de l’impôt a conclu que les conditions de l’alinéa 53(1)c) des Règles étaient remplies – les faits allégués dans l’acte de procédure n’étaient pas avérés et constituaient donc un abus de procédure. En appel, la Cour a convenu que « [l]a Couronne induit en erreur en affirmant que le ministre s’est fondé sur certaines hypothèses en établissant une nouvelle cotisation, alors qu’il l’a plutôt fait en ratifiant une nouvelle cotisation » (arrêt Anchor Pointe, par. 22) et elle a donc reconnu que la Cour de l’impôt n’a pas commis d’erreur en radiant les hypothèses.

[25] Toutefois, dans la décision Anchor Pointe, la Cour de l’impôt a donné une deuxième raison de radier l’une des hypothèses, à savoir que c’était une « [conclusion] de droit qui n’[a] pas [sa] place parmi les hypothèses de fait du ministre » (décision Anchor Pointe, par. 28). Comme je l’ai indiqué ci-dessus, la Cour a souscrit à cette thèse. Toutefois, elle n’a pas souscrit à la qualification de l’hypothèse par la Cour de l’impôt comme conclusion de droit, indiquant ce qui suit (par. 26) :

Toutefois, il serait plus exact de qualifier l’hypothèse formulée à l’alinéa 10z) de conclusion mixte de fait et de droit. La conclusion selon laquelle des données sismiques achetées ne sont pas admissibles au titre de FEC au sens de l’alinéa 66.1(6)a) requiert d’appliquer le droit aux faits. L’alinéa 66.1(6)a) énonce le critère à respecter pour qu’une déduction au titre de FEC soit admissible. Pour décider si l’achat de données sismiques en l’espèce satisfait à ce critère, il faut établir si les faits y satisfont ou non. Le ministre peut présumer les éléments de fait d’une conclusion mixte de fait et de droit. S’il souhaite le faire, toutefois, il devra extraire les éléments de fait présumés, de façon à ce que le contribuable sache exactement quelles hypothèses de fait il doit réfuter pour avoir gain de cause. Il ne convient pas que les faits présumés soient enfouis dans une conclusion mixte de fait et de droit.

[Non souligné dans l’original.]

[26] Il est important de lire ce passage à la lumière du texte de l’acte de procédure applicable : « les données sismiques achetées […] ne sont pas admissibles au titre des frais d’exploration au Canada […] au sens de l’alinéa 66.1(6)a) de la Loi de l’impôt sur le revenu » (voir les parties de la réponse citées dans l’arrêt Anchor Pointe, par. 8).

[27] Tout d’abord, bien qu’il s’agisse d’un énoncé mixte de fait et de droit, il est dépourvu de faits; il est tout à fait péremptoire. Comme on peut le voir à la lecture des passages cités, l’acte de procédure indique simplement que les données sismiques achetées ne satisfont pas au critère juridique (définition) de la Loi de l’impôt sur le revenu. Il n’indique pas explicitement au contribuable quels faits ont amené le ministre à conclure que le critère juridique n’a pas été respecté ni quels éléments factuels de la définition des frais d’exploration au Canada sont contestés.

(ii) Arrêt BCIC

[28] L’arrêt BCIC découlait d’un appel de deux décisions de la Cour de l’impôt (Canadian Imperial Bank of Commerce v. The Queen, 2011 TCC 568 [décision CIBC] et Canadian Imperial Bank of Commerce v. The Queen, 2012 TCC 237, par le juge en chef adjoint Rossiter). La première portait sur la requête du contribuable visant à radier la réponse; la deuxième traitait de la réponse modifiée.

[29] Les motifs dans l’arrêt BCIC concernent en grande partie un paragraphe de la réponse que la Cour de l’impôt n’a pas radié parce qu’elle n’était pas convaincue qu’il ne divulguait pas de motif raisonnable pour défendre les cotisations en litige. La Cour a indiqué qu’elle ne partage pas l’opinion de la Cour de l’impôt et a donc décidé que l’acte de procédure devrait être radié. Cette analyse dans l’arrêt BCIC (aux par. 24 à 81) n’est pas utile en l’espèce.

[30] Toutefois, la Cour de l’impôt a ordonné la radiation d’un certain nombre d’autres actes de procédure ou de parties d’actes de procédure, pour plusieurs motifs différents, comme l’indique le tableau de 11 pages annexé à ses motifs. En appel de la Couronne au sujet de certaines hypothèses, la Cour a déclaré que « les conclusions de droit n’ont pas leur place dans l’énoncé des hypothèses de fait du ministre […] et que, lorsque la cotisation faisant l’objet de l’appel est fondée sur une conclusion [mixte] de fait et de droit, le ministre doit extraire les éléments de fait présumés et les énoncer en tant qu’hypothèses de fait » (arrêt BCIC, par. 92, citant l’arrêt Anchor Pointe, par. 25).

[31] Une fois de plus, la Cour a indiqué que les énoncés de droit ne devraient pas figurer dans les actes de procédure comme hypothèses et a souligné que les éléments factuels devraient être dégagés des énoncés mixtes de fait et de droit. Toutefois, elle n’est pas allée jusqu’à dire que toute conclusion mixte de fait et de droit qui est présentée comme une hypothèse doit être écartée pour cette seule raison.

[32] Au contraire, la Cour a expressément reconnu qu’il est possible de laisser en l’état « un acte de procédure qui présente certaines lacunes si, par exemple, les faits sont relativement simples, qu’il y ait peu ou pas de controverse au sujet des principes juridiques applicables, ou s’il y a peu de risques que la partie adverse subisse un préjudice ou soit obligée de consacrer à l’affaire inutilement des ressources » : arrêt BCIC, par. 94. En d’autres termes, avant de radier un acte de procédure (y compris comme hypothèse), la Cour de l’impôt doit examiner s’il y a lieu de le faire dans les circonstances, compte tenu de la jurisprudence et du paragraphe 53(1) des Règles. En vertu de l’alinéa 53(1)a) des Règles, ces circonstances comprennent la question de savoir s’il existe un risque de compromettre ou de retarder l’instruction équitable de l’appel si l’hypothèse est maintenue.

[33] Dans l’arrêt BCIC, l’hypothèse qui illustrait une mauvaise conclusion mixte de fait et de droit a mis en lumière les lacunes de l’hypothèse évoquée dans l’arrêt Anchor Pointe. L’hypothèse en question indiquait que « les paiements effectués à titre de règlement n’étaient pas des dépenses engagées par [la contribuable] en vue de tirer un revenu ». La Cour l’a décrit comme « rien de plus qu’une paraphrase de l’alinéa 18(1)a) [de la Loi de l’impôt sur le revenu] qui ne nous apprend absolument rien » (arrêt BCIC, par. 93) Tout comme l’acte de procédure dans l’arrêt Anchor Pointe, elle était tout à fait péremptoire. Il ne précisait pas au contribuable la base factuelle de la conclusion du ministre selon laquelle les dépenses n’ont pas été engagées aux fins de gagner un revenu.

[34] En d’autres termes, même si les hypothèses formulées dans l’instance des arrêts Anchor Pointe et BCIC étaient des énoncés mixtes de fait et de droit, cet élément seul n’était pas le problème. Dans les deux instances, l’hypothèse était une déclaration péremptoire selon laquelle un critère juridique précisé dans la Loi de l’impôt sur le revenu n’était pas satisfait tant que les éléments factuels à l’appui de cette conclusion n’étaient pas fournis. Dans les deux décisions, la Cour de l’impôt a conclu expressément que l’hypothèse en litige portait atteinte aux droits du contribuable ou était susceptible de retarder le litige ou constituait un recours abusif.

[35] En outre, dans les deux décisions, il y avait d’autres raisons de radier les actes de procédure. Dans la décision Anchor Pointe, la Cour de l’impôt a radié les actes de procédure qui n’étaient pas de véritables actes de procédure et qui constituaient donc un abus de procédure. Même là, la Cour de l’impôt a dit qu’elle laissait habituellement au juge de première instance le soin de se prononcer sur une demande en radiation des actes de procédure (décision Anchor Pointe, par. 17). Dans la décision CIBC, la Cour de l’impôt a examiné plus de 100 actes de procédure dans une réponse de 83 pages, ordonnant la radiation de divers paragraphes ou parties de paragraphes pour diverses raisons. Fait important, dans ni l’une ni l’autre des décisions, la requête visant à radier les actes de procédure n’a été retenue uniquement parce qu’une hypothèse était un énoncé mixte de fait et de droit.

[36] Ce ne sont pas toutes les hypothèses mixtes de fait et de droit qui compromettent ou sont susceptibles de retarder un litige ou qui constituent un abus de procédure. Elles ne laissent pas toutes le contribuable mal informé des faits sur lesquels se fonde le ministre. Comme l’a expressément reconnu la Cour dans l’arrêt BCIC, un énoncé mixte de fait et de droit peut être considéré comme une hypothèse s’il n’y a pas de préjudice, s’il n’existe aucune controverse sur les principes juridiques, ou si les faits sont simples – aussi, ajouterais-je, s’il permet de mieux servir le processus judiciaire.

[37] La radiation d’un acte de procédure est une décision interlocutoire et discrétionnaire. En plus de décider que l’article 53 des Règles a été satisfait, avant d’exercer son pouvoir discrétionnaire de radier un acte de procédure, la Cour de l’impôt doit examiner la question de savoir s’il est nécessaire d’assurer « la résolution équitable […] de chaque instance de la façon la plus expéditive et la moins onéreuse » (par. 4(1) des Règles, voir aussi l’article 7 des Règles). Dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, elle devrait examiner la question de savoir s’il existe d’autres moyens de remédier à toute lacune perçue dans les actes de procédure.

[38] Premièrement, le juge de première instance est souvent dans une meilleure position pour examiner quel poids devrait être accordé aux hypothèses (Kossow c. Canada, 2009 CAF 83, par. 20 à 23 [arrêt Kossow], citant la décision Mungovan c. La Reine, 2001 CCI 568, par. 10). Le juge de première instance, « [a]yant l’avantage de pouvoir examiner étudier l’ensemble de la preuve, […] pourra apprécier la justesse des hypothèses et fournir la réparation nécessaire s’il devait en résulter une situation inéquitable pour [la contribuable] » (arrêt Kossow, par. 23).

[39] En général, [traduction] « le juge des requêtes devrait être très prudent lorsqu’il s’agit de qualifier une allégation et de décider de radier une partie d’un acte de procédure en conséquence. À moins que la situation ne soit claire, il convient généralement de laisser les questions sur la catégorie d’allégation et […] les conséquences qui peuvent en découler au juge de première instance » (décision Kopstein, par. 23). Il peut être remédié aux lacunes au moyen d’un interrogatoire préalable ou par une demande d’éclaircissements (décision Kopstein, par. 63 à 65; Bemco Confectionery and Sales Ltd. c. La Reine, 2015 CCI 48, par. 49, conf. dans l’arrêt Bemco Confectionery and Sales Ltd. c. La Reine, 2016 CAF 21).

[40] En l’espèce, plutôt que de se demander si l’hypothèse particulière telle qu’elle est rédigée compromettait ou serait susceptible de retarder l’instruction équitable de l’appel ainsi que l’indique l’alinéa 53(1)a) des Règles, la Cour de l’impôt n’a fait que donner des explications sur la raison pour laquelle il s’agit d’un énoncé mixte de fait et de droit. En outre, la Cour de l’impôt n’a pas examiné la question de savoir si le fait de laisser les hypothèses telles quelles servirait mieux le processus judiciaire. À mon avis, la Cour de l’impôt a donc commis une erreur de droit – elle n’a pas appliqué le bon critère juridique.

[41] Il est révélateur que la Cour de l’impôt n’ait pas radié les actes de procédure dans leur intégralité; elle n’a fait qu’ordonner qu’ils soient transférés à une autre partie de la réponse. Je ne suis pas en mesure de discerner le but utile de transférer les hypothèses contenues dans les présents appels. De plus, je ne suis pas d’accord pour dire que le ministre ne peut pas tirer une conclusion à propos de la juste valeur marchande des biens.

[42] J’en viens maintenant aux hypothèses en litige dans le présent appel.

B. Hypothèses en litige en appel

(i) Hypothèses relatives à la juste valeur marchande

[43] Lorsqu’il a établi une nouvelle cotisation à l’égard de Trust, le ministre a conclu, en se fondant sur une hypothèse, que :

le 25 septembre 2014 […], la juste valeur marchande (« JVM ») du bien distribué reçu par M. et Mme Preston était de 75 511 267 $, ce qui correspond à la somme de la JVM des actions de Holdco (67 979 759 $) et de la JVM de la participation dans la société de personnes (7 531 508 $).

[44] Dans leur requête, les intimés ont soutenu que cette allégation a été avancée en guise d’argumentation et qu’il s’agit d’une question mixte de fait et de droit, mais qu’aucun fait n’a été soulevé par le ministre pour appuyer cette conclusion. Ils n’ont par ailleurs pas précisé ce qui était répréhensible.

[45] L’appelant estimait que la préoccupation des intimés portait sur l’aspect de la juste valeur marchande de l’hypothèse. Par conséquent, l’appelant a déclaré que, même si le juge est tenu [traduction] « d’appliquer la définition juridique de la juste valeur marchande aux faits […] la composante factuelle est dominante » et [traduction] « l’examen en appel de l’établissement de la juste valeur marchande est considéré comme essentiellement factuel » (observations écrites de l’appelant sur la requête à la Cour de l’impôt, par. 12 (OEA)).

[46] La Cour de l’impôt s’est concentrée sur le même sujet : la juste valeur marchande a un sens juridique. Après avoir renvoyé à la décision Henderson, succession c. Canada (ministre du Revenu national), [1973] A.C.F. no 800 (QL) au par. 20 (CF), en tant que « définition de “juste valeur marchande” qui est la plus souvent utilisée en matière fiscale », la Cour de l’impôt a déclaré qu’« [e]n appliquant le sens juridique de l’expression “juste valeur marchande” à certains faits présumés, le ministre a tiré une conclusion [mixte] de droit et de fait » (motifs, par. 39 et 40). Par conséquent, la Cour de l’impôt a conclu que l’acte de procédure ne pouvait demeurer une hypothèse et devrait plutôt être considéré comme un moyen invoqué sur lequel se fonde la cotisation.

[47] À mon avis, cette conclusion est erronée. Une déclaration selon laquelle un bien déterminé a une juste valeur marchande particulière à un moment donné constitue une hypothèse (ou une conclusion) de fait, même si la juste valeur marchande a une définition juridique. La juste valeur marchande est essentiellement fondée sur les faits (Canada (Procureur général) c. Nash, 2005 CAF 386, par. 10; Roher c. Canada, 2019 CAF 313, par. 22; Atlantic Produits d’emballage Ltée c. Canada, 2020 CAF 75, par. 17).

[48] Comme l’a reconnu la Cour de l’impôt elle-même, il n’y a pas de contestation quant au sens juridique de la juste valeur marchande. La Cour de l’impôt n’a pas indiqué quels faits devraient ou pourraient être isolés ni comment le fait de ne pas les isoler était préjudiciable. Les observations des intimés à la Cour de l’impôt ne portent pas sur la juste valeur marchande, encore moins sur des faits manquants. De plus, devant nous, ils ont été incapables d’indiquer les faits sous-jacents dont ils avaient besoin ou qui auraient pu être invoqués pour les aider. Tous les faits relatifs à l’évaluation des biens appartenant à Trust sont vraisemblablement connus de Trust. C’est exactement ce qui permet au ministre de formuler des hypothèses, le contribuable connaît les faits.

[49] Il ressort des répliques des intimés aux réponses que leur véritable préoccupation à l’égard de l’hypothèse était les mots « reçu par M. et Mme Preston ». Je crois comprendre que les parties conviennent que Trust a transféré les actions et la participation dans la société de personnes, mais ne sont pas d’accord sur la personne qui a reçu ces biens et en quelle qualité. Malheureusement, bien que les intimés aient soulevé cette préoccupation dans leurs répliques, ils ne l’ont pas fait dans leurs observations sur la requête et elle n’était pas pertinente aux fins de la décision de la Cour de l’impôt. La seule raison sur laquelle se fonde la Cour de l’impôt pour radier le paragraphe en tant qu’hypothèse est que la juste valeur marchande a un sens juridique. Il s’agit d’une erreur manifeste.

[50] Même si les intimés avaient exprimé clairement leur préoccupation, cela ne mettrait pas fin à la question. La Cour de l’impôt devrait examiner si l’expression compromettait ou risquait de retarder l’appel et, dans l’affirmative, comment elle devrait être traitée. Devrait-elle être laissée au juge de première instance? Sinon, l’appelant devrait-il être autorisé à la modifier, par exemple en remplaçant « reçu par M. et Mme Preston » par « transféré par Trust » ou en limitant la portée du paragraphe à la juste valeur marchande présumée du bien à la date applicable?

[51] En règle générale, un acte de procédure ne devrait pas être radié sans autorisation de le modifier, sauf si un défaut « ne peut être corrigé par une modification » (Collins c. Canada, 2011 CAF 140, par. 26, citant l’arrêt Simon c. Canada, 2011 CAF 6, par. 8. Voir aussi l’arrêt Sweet c. Canada, [1999] A.C.F. no 1539, 249 N.R. 17 (C.A.F.) [arrêt Sweet], par. 21, et les décisions Johnson c. La Reine, 2022 CCI 31, par. 8, et Hillcore Financial Corporation c. Le Roi, 2023 CCI 71, par. 35).

[52] En résumé, l’hypothèse selon laquelle un bien ou un service a une juste valeur marchande particulière est une hypothèse de fait tout à fait appropriée. À mon avis, la Cour de l’impôt a commis une erreur en ordonnant que cette hypothèse soit ajoutée à titre de moyen au motif que la juste valeur marchande a un sens juridique.

(ii) Hypothèses concernant les bénéficiaires

[53] Dans leurs avis d’appel, les intimés ont affirmé que les bénéficiaires de Trust étaient M. et Mme Preston et la descendance de M. Preston et que, le 25 septembre 2014, M. et Mme Preston ont valablement attribué leur participation au capital à titre de bénéficiaire à une société (SRI) dont ils étaient les actionnaires.

[54] La réponse indiquait que, lorsqu’il a établi une nouvelle cotisation à l’égard de Trust, le ministre a pris pour hypothèse que :

(h) durant toute la période en cause, les bénéficiaires de [Trust] étaient M. Preston, l’épouse de M. Preston (Mme Preston) et la descendance de M. Preston (collectivement, les « bénéficiaires »).

[…]

(k) seules des personnes physiques pouvaient être les bénéficiaires de [Trust].

(l) les bénéficiaires de [Trust] ne pouvaient pas être des sociétés.

[…]

(w) après la cession, M. et Mme Preston sont demeurés les bénéficiaires du revenu et du capital de [Trust].

[…]

(aa) la SRI n’était pas une bénéficiaire de [Trust].

[55] Les intimés ont cherché à radier ces hypothèses parce qu’il s’agit de conclusions de droit ou de conclusions mixtes de fait et de droit. Ce sont là les seules hypothèses que les intimés abordent en détail dans leurs observations à la Cour de l’impôt, les abordant ensemble sur plusieurs pages.

[56] Bien que les intimés se soient opposés à l’expression « durant toute la période en cause », ils ont fait valoir que l’appelant [traduction] « n’a fourni ni n’a dégagé aucune hypothèse factuelle à l’appui de cette conclusion, comme l’exige l’arrêt Anchor Pointe » (OEI, par. 14), la Cour de l’impôt n’a pas abordé cette question. Elle s’est plutôt concentrée uniquement sur l’utilisation du terme « bénéficiaire ».

[57] Dans leurs observations, les intimés ont dit que la question de savoir si une personne est bénéficiaire d’une fiducie doit être déterminée selon les principes de common law et certaines règles de la Loi de l’impôt sur le revenu. Ils citent les définitions de la Loi de l’impôt sur le revenu et soutiennent que ces définitions font en sorte que des personnes qui pourraient ne pas être des bénéficiaires en vertu de la common law soient visées par le terme bénéficiaire. Ils affirment ensuite qu’en [traduction] « concluant que, durant toute la période en cause, les seuls bénéficiaires de [Trust] étaient John et Monika Preston (ce qui exclut donc la SRI), le [ministre] ne s’est fondé sur aucun fait à l’appui de sa conclusion selon laquelle la SRI ne respectait pas le critère de la [Loi de l’impôt sur le revenu] pour être incluse comme bénéficiaire de [Trust] à la suite des cessions de la participation au capital, ni sur aucun fait à l’appui de sa conclusion selon laquelle [les dispositions de la Loi de l’impôt sur le revenu] ne s’appliquaient par ailleurs pas à la SRI » (OEI, par. 21).

[58] L’appelant indique dans ses observations que la question de savoir si une personne est bénéficiaire d’une fiducie est une question de fait, soulignant que, dans les réponses, les hypothèses indiquent que la SRI n’était pas bénéficiaire (comme fait avéré) et les motifs expliquent pourquoi il en était ainsi (OEA, par. 7).

[59] Bien qu’elles n’aient pas été décrites ainsi par les intimés, la Cour de l’impôt a analysé les hypothèses (h), (w) et (aa) sous la rubrique « John et Monika Preston ont continué d’être les bénéficiaires de la Preston Family Trust même après avoir cédé à la SRI leur participation au capital de cette fiducie familiale, et la SRI n’est jamais devenue une bénéficiaire de la fiducie familiale ». Elle a analysé les hypothèses k) et l) sous la rubrique « Qui pourraient ou ne pourraient pas avoir été bénéficiaires de la Preston Family Trust ».

[60] Conformément à la rubrique qu’elle a choisie, la Cour de l’impôt avait ceci à dire au sujet des hypothèses h), w) et aa) (motifs, par. 25) :

La thèse sur laquelle s’est fondé le ministre pour établir la cotisation, de même que celle [du ministre] en l’espèce, porte que John et Monika Preston ont continué d’être les bénéficiaires de la Preston Family Trust, même après avoir cédé à la SRI leur participation au capital de cette fiducie. Selon cette même thèse, la SRI n’est jamais devenue bénéficiaire de la Preston Family Trust. Chaque aspect de cette thèse reflète une conclusion [mixte] de droit et de fait. De fait, [l’appelant] affirme que l’« observation » selon laquelle la SRI n’était pas une bénéficiaire est [traduction] « à la fois une hypothèse de fait et un argument juridique ».

[61] En ce qui concerne les hypothèses k) et l), la Cour de l’impôt les a décrites ainsi : « [e]n d’autres termes, la loi limite les bénéficiaires potentiels de la Preston Family Trust à un certain groupe seulement » et que « [l]e fait de limiter l’application de cette conclusion de droit à la Preston Family Trust […] n’en fait pas une hypothèse de fait » (motifs, par. 28).

[62] À mon avis, ce faisant, la Cour de l’impôt prend un ensemble d’hypothèses et tire une conclusion à partir de celles-ci, plutôt que de se concentrer sur le libellé des hypothèses et sur tout risque de préjudice ou de retard. Notamment, la Cour de l’impôt n’a pas tenu compte de ce que les intimés décrivent comme un fait aux fins de leur avis d’appel (c.-à-d. que les bénéficiaires de Trust étaient deux non-résidents, John Preston et Monika Preston; le 25 septembre 2014, chacun des Preston a valablement cédé sa participation au capital à titre de bénéficiaires de Trust à la SRI), mais l’a plutôt considéré comme un énoncé mixte de fait et de droit (durant toute la période en cause, les Preston étaient bénéficiaires de Trust et la SRI n’était pas une bénéficiaire).

[63] L’acte de fiducie définit le bénéficiaire [traduction] « comme John, Monika (tant qu’elle demeure l’épouse de John) et la descendance de John » (avis d’appel de M. Preston, par. 15 (AA)). M. Preston explique que [traduction] « selon l’ARC, parce que la SRI n’a pas été désignée comme bénéficiaire de Trust en vertu de l’acte de fiducie, elle n’était pas un bénéficiaire au sens du paragraphe 108(1) de la [Loi de l’impôt sur le revenu] » (AA, par. 36). Une fois de plus, ce peut très bien être la thèse de la cotisation du ministre, mais ce n’est pas ce qu’indiquent les hypothèses.

[64] Les hypothèses ne renvoient pas à la Loi de l’impôt sur le revenu ou au sens du terme bénéficiaire selon la common law. En revanche, sous la rubrique [traduction] « Dispositions législatives, motifs invoqués et demande d’aide », l’intimé explique dans les réponses que [traduction] « la SRI n’était pas, ni ne pouvait être, bénéficiaire de [Trust] au sens de la […] [Loi de l’impôt sur le revenu] » parce qu’elle [TRADUCTION] « n’avait aucun droit en tant que bénéficiaire en vertu de l’acte de fiducie » (réponse à l’AA, par. 13).

[65] De toute évidence, les bons actes de procédure exigent de la précision. J’accepte le fait que ces hypothèses ne précisent pas dans quel sens le terme bénéficiaire est utilisé – le sens de la common law, la définition de l’acte de fiducie, le sens de la Loi de l’impôt sur le revenu ou un autre sens.

[66] Toutefois, une erreur fatale à mon avis est que la Cour de l’impôt ne précise aucun préjudice découlant de ces hypothèses telles qu’elles sont rédigées. Je me demande donc où est le préjudice.

[67] Dans la mesure où ces hypothèses comportent des conclusions juridiques, elles n’imposent aucune responsabilité aux intimés. Cela est clair.

[68] De plus, il ne fait aucun doute que l’acte de fiducie, les résolutions des fiduciaires et les autres documents applicables aux transactions en cause seront déposés en preuve devant la Cour de l’impôt. En pratique, une fois qu’ils seront déposés, ils se passeront d’explications et le juge de première instance décidera de leur effet juridique au profit des arguments avancés par les intimés et l’appelant. Le fait de préciser que l’acte de fiducie définit les bénéficiaires comme un groupe particulier de membres de la famille Preston qui se limitent aux personnes physiques et que la SRI n’est pas une personne physique fournirait-il aux intimés de meilleurs renseignements sur ce qu’ils doivent prouver ou sur les faits sous-jacents à la cotisation du ministre? Je ne vois pas comment.

[69] Ils savent déjà que c’est là le fondement de la position du ministre, comme ils le décrivent eux-mêmes dans les avis d’appel. En effet, il ne fait aucun doute que les intimés comprennent ce qu’ils ont à prouver. Dans chacune de leurs répliques, ils consacrent deux pages complètes pour expliquer pourquoi la SRI est une bénéficiaire aux fins de la Loi de l’impôt sur le revenu, peu importe ce que l’acte de fiducie pourrait indiquer. Ils savent ce que signifie l’expression « durant toute la période en cause » dans le cadre de leurs appels. Il n’y a pas de mystère et apparemment peu de controverse sur les faits applicables. Le véritable différend porte sur les effets et les conséquences de ces faits en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu.

[70] Par conséquent, les intimés n’ont fait preuve d’aucun préjudice ni du mérite de leur plainte au sujet de ces hypothèses. À mon avis, l’ordonnance de la Cour de l’impôt selon laquelle ces actes de procédure doivent être transférés des hypothèses aux moyens n’a servi à rien.

(iii) Hypothèses dans lesquelles figure l’expression « versé […] au profit de »

[71] Il est indiqué dans trois hypothèses dans les réponses que la SRI a reçu certains biens ou montants au profit de M. et Mme Preston. Les intimés ont fait valoir que ces hypothèses devraient être radiées, les décrivant comme [traduction] « de simples affirmations des conclusions [du ministre] à des questions mixtes de fait et de droit » et affirmant qu’ [traduction] « aucun fait [n’a été] soulevé par le [ministre] pour en arriver à de telles conclusions, et que le [ministre] n’a dégagé aucun fait de telles conclusions » (OEI, par. 36).

[72] La Cour de l’impôt a traité les hypothèses en utilisant l’expression « versé […] au profit de » comme décrivant le propriétaire bénéficiaire du bien. L’expression « propriétaire bénéficiaire » n’est pas utilisée dans les hypothèses et les intimés n’ont pas invoqué l’absence de cette expression comme argument en faveur de la radiation des actes de procédure.

[73] Encore une fois, la Cour de l’impôt n’a pas cherché à savoir si les hypothèses invoquées étaient préjudiciables ou pouvaient entraîner un retard. Elle n’a pas cherché à se demander quel est l’intérêt supérieur du processus judiciaire dans les circonstances. Bien que je reconnaisse que ces hypothèses sont plus appropriées en tant qu’argument que comme hypothèses, mes commentaires concernant les actes de procédure dans lesquels est utilisé le terme bénéficiaire s’appliquent également ici. Dans le contexte des présents appels, le fait de transférer ces actes de procédure de la section sur les hypothèses à celle des moyens ne sert à rien.

C. Décision relative aux appels

[74] La Cour de l’impôt a commis une erreur en radiant les trois groupes d’actes de procédure à titre d’hypothèses. Je suis d’accord avec l’appelant pour dire que la Cour de l’impôt n’a pas accordé à l’appelant l’autorisation de modifier les réponses s’il choisissait de corriger des lacunes. La Cour de l’impôt a plutôt ordonné à l’appelant de déposer des réponses modifiées dans la forme précisée par elle.

[75] Dans le contexte du présent appel, à une exception près, je ne vois guère de différence entre qualifier les actes de procédure qui font l’objet du présent appel d’hypothèses ou de moyens, étant donné que tous les documents applicables seront sans aucun doute soumis au juge de première instance, les faits semblent largement acceptés, et les deux parties comprennent la nature du différend.

[76] Toutefois, l’exception importante est l’hypothèse concernant la juste valeur marchande des actions et de la participation dans la société de personnes. Tous les faits applicables concernant cette évaluation sont vraisemblablement connus de Trust. Par conséquent, le ministre a le droit de formuler une hypothèse quant à leur juste valeur marchande et, s’ils ne l’approuvent pas, il incombe aux intimés d’établir qu’elle est incorrecte.

[77] J’accueillerais donc l’appel et j’autoriserais l’appelant à conserver les actes de procédure en cause à titre d’hypothèses.

[78] Les intimés n’ont pas cherché à obtenir des ordonnances leur permettant de déposer des répliques modifiées. Néanmoins, la Cour de l’impôt leur a accordé 30 jours après la signification des réponses modifiées pour le faire. Je n’aurais pas rendu ces ordonnances, non seulement parce que les intimés ne les ont pas demandées, mais aussi parce que le seul effet des ordonnances de la Cour de l’impôt était de déplacer les actes de procédure. En n’accordant pas à l’appelant l’autorisation de modifier les réponses, la Cour de l’impôt a empêché le dépôt de nouveaux actes de procédure. Il ne devrait donc y avoir rien de nouveau à donner en réplique.

[79] Toutefois, cet aspect de l’ordonnance de la Cour de l’impôt n’a pas fait l’objet d’un appel. Par conséquent, elle est maintenue et les intimés ont 30 jours à compter de la date à laquelle les réponses modifiées sont signifiées pour déposer des répliques modifiées, s’ils le souhaitent.

D. Dépens

[80] Les deux parties demandent les dépens du présent appel et l’appelant demande les dépens devant la Cour de l’impôt.

[81] La Cour de l’impôt a adjugé des dépens pour la requête suivant l’issue de la cause. Je ne modifierai pas cette adjudication dans les circonstances. En ce qui concerne l’appel, j’accorde les dépens à l’appelant.

IV. Conclusion

[82] Bien que, dans certaines circonstances, il soit approprié de radier une hypothèse qui est un énoncé mixte de fait et de droit, ce n’est pas toujours le cas. Dans chaque cas, la Cour de l’impôt doit évaluer les conséquences de maintenir l’hypothèse par rapport à celles de la radier. Elle doit examiner non seulement les conditions énoncées à l’article 53 des Règles, mais également l’intérêt supérieur du processus judiciaire étant donné la nécessité de faciliter la résolution équitable du litige de la façon la plus expéditive et la moins onéreuse.

[83] En l’espèce, plutôt que d’examiner la question de savoir si les intimés ont démontré un risque de préjudice ou de retard, ou si son ordonnance servait l’intérêt supérieur du processus judiciaire, la Cour de l’impôt a décidé que toute hypothèse qui constitue un énoncé mixte de fait et de droit devrait être radiée et déplacée dans la section des moyens. À mon avis, cela n’a été d’aucune utilité dans le cadre des présents appels. Les avis d’appel ont été déposés il y a plus de trois ans, et les répliques il y a plus de deux ans, peu de temps avant que les intimés ne déposent leurs requêtes. Ironiquement, en l’espèce, la seule conséquence de la décision de la Cour de l’impôt est de retarder davantage la procédure devant la Cour de l’impôt, un facteur qui aurait dû être évalué par rapport à la décision d’accueillir les requêtes des intimés dans les circonstances.

[84] J’accueillerais l’appel, j’annulerais les ordonnances de la Cour de l’impôt dans la mesure où les paragraphes des réponses en cause dans le présent appel ont été radiées comme hypothèses et, étant donné la décision que la Cour de l’impôt aurait dû rendre en ce qui concerne ces paragraphes, je rejetterais les requêtes des intimés visant à les radier. J’adjugerais les dépens à l’appelant pour le présent appel regroupé.

« K.A. Siobhan Monaghan »

j.c.a.

« Je souscris à ces motifs.

Judith Woods, j.c.a. »

« Je souscris à ces motifs.

J.B. Laskin, j.c.a. »

Traduction certifiée conforme.

Mario Lagacé, jurilinguiste


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


APPEL DE TROIS ORDONNANCES MODIFIÉES DE L’HONORABLE JUGE DAVID SPIRO DE LA COUR CANADIENNE DE L’IMPÔT, EN DATE DU 15 NOVEMBRE 2021, NOS 2020-641(IT)G, 2020-642(IT)G ET 2020-643(IT)G

DOSSIERS :

A-327-21; A-328-21; A-329-21

 

 

INTITULÉ :

SA MAJESTÉ LE ROI c. JOHN PRESTON, MONIKA PRESTON ET THE PRESTON FAMILY TRUST II

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 18 JANVIER 2023

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

LA JUGE MONAGHAN

 

Y ONT SOUSCRIT :

LA JUGE WOODS

LE JUGE LASKIN

DATE DES MOTIFS :

Le 18 août 2023

 

COMPARUTIONS :

Elizabeth Chasson

Isida Ranxi

 

POUR L’APPELANT

 

Jacob Yau

Yves St-Cyr

Caroline Harrell

POUR LES INTIMÉS

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Shalene Curtis-Micallef

Sous-procureure générale du Canada

POUR L’APPELANT

SA MAJESTÉ LE ROI

 

Dentons Canada LLP

Toronto (Ontario)

 

POUR LES INTIMÉS

JOHN PRESTON, MONIKA PRESTON ET THE PRESTON FAMILY TRUST II

 

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