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Date : 20230823


Dossier : A-262-22

Référence : 2023 CAF 180

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Présente : LA JUGE MACTAVISH

ENTRE :

MARSHALL MACCIACCHERA faisant affaire sous le nom de SMOOTHSTREAMS.TV, ANTONIO MACCIACCHERA faisant affaire sous le nom de SMOOTHSTREAMS.TV, ARM HOSTING INC., STAR HOSTING LIMITED (HONG KONG), ROMA WORKS LIMITED (HONG KONG) et ROMA WORKS SA (PANAMA)

appelants

et

BELL MEDIA INC., ROGERS MEDIA INC., COLUMBIA PICTURES INDUSTRIES INC., DISNEY ENTERPRISES, INC., PARAMOUNT PICTURES CORPORATION, UNIVERSAL CITY STUDIOS LLC, UNIVERSAL CITY STUDIOS PRODUCTIONS LLLP et WARNER BROS. ENTERTAINMENT INC.

intimées

Requête jugée sur dossier sans comparution des parties.

Ordonnance rendue à Ottawa (Ontario), le 23 août 2023.

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :

LA JUGE MACTAVISH

 


Date : 20230823


Dossier : A-262-22

Référence : 2023 CAF 180

Présente : LA JUGE MACTAVISH

ENTRE :

MARSHALL MACCIACCHERA faisant affaire sous le nom de SMOOTHSTREAMS.TV, ANTONIO MACCIACCHERA faisant affaire sous le nom de SMOOTHSTREAMS.TV, ARM HOSTING INC., STAR HOSTING LIMITED (HONG KONG), ROMA WORKS LIMITED (HONG KONG) et ROMA WORKS SA (PANAMA)

appelants

et

BELL MEDIA INC., ROGERS MEDIA INC., COLUMBIA PICTURES INDUSTRIES INC., DISNEY ENTERPRISES, INC., PARAMOUNT PICTURES CORPORATION, UNIVERSAL CITY STUDIOS LLC, UNIVERSAL CITY STUDIOS PRODUCTIONS LLLP et WARNER BROS. ENTERTAINMENT INC.

intimées

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

LA JUGE MACTAVISH

[1] Le présent appel s’inscrit dans le contexte d’une affaire de violation du droit d’auteur mettant en cause trois services de diffusion en continu exploités par les appelants et qui seraient à l’origine de la violation. La Clinique d’intérêt public et de politique d’Internet du Canada Samuelson-Glushko demande l’autorisation d’intervenir dans le présent appel. Pour les motifs énoncés ci-dessous, la requête sera rejetée.

I. Nature de l’appel

[2] Le présent appel soulève des questions quant à la légalité de l’exécution d’une ordonnance ex parte de type Anton Piller rendue par la Cour fédérale. La validité de l’ordonnance Anton Piller en soi n’est pas contestée.

[3] Au terme de son examen de la requête en révision de l’exécution de l’ordonnance Anton Piller, la Cour fédérale a conclu que l’ordonnance avait été légalement exécutée à l’encontre des appelants. Notre Cour est saisie d’un appel de la décision de la Cour fédérale sur la requête en révision. Les appelants contestent également l’ordonnance relative aux dépens rendue par la Cour fédérale dans le cadre de la révision.

II. L’intervenante proposée

[4] La Clinique d’intérêt public et de politique d’Internet du Canada Samuelson-Glushko décrit sa mission fondamentale comme étant, notamment, « de promouvoir dans l’intérêt public diverses questions survenant à l’intersection du droit et de la technologie » et [traduction] « de fournir une assistance juridique aux organisations et aux particuliers sous-représentés sur des questions touchant le droit et la technologie ». Elle témoigne également en qualité d’expert auprès de comités parlementaires et participe à des instances réglementaires et quasi judiciaires. La Clinique s’est vu accorder le statut d’intervenante dans de nombreuses instances devant notre Cour et d’autres tribunaux.

[5] La Clinique affirme que ses activités lui ont permis d’acquérir une vaste expertise en matière d’application des principes d’equity dans les actions pour violation du droit d’auteur.

[6] Selon la Clinique, l’issue de la présente affaire pourrait influer sur la manière dont les Cours fédérales traiteront les futures ordonnances Anton Piller, en particulier dans les affaires de violation du droit d’auteur. La Clinique fait en outre valoir qu’il est crucial de voir à l’application cohérente de ce type d’ordonnance afin d’assurer le juste équilibre entre les droits des demandeurs et ceux des défendeurs. La Clinique estime être très bien placée pour traiter de ces questions, qui touchent directement à son domaine de spécialité.

[7] La Clinique indique qu’elle abordera les questions suivantes si le statut d’intervenante lui est accordé :

a) Elle fera valoir que la Cour fédérale devrait adopter un modèle type d’ordonnance Anton Piller qui établirait de manière explicite les modalités de ce type d’ordonnances, comme l’ont fait d’autres territoires de common law au Canada et à l’étranger;

b) Elle fera valoir que la Cour fédérale devrait adopter une liste d’avocats superviseurs indépendants préalablement approuvés qui se spécialisent dans l’exécution des ordonnances Anton Piller;

c) Elle fera valoir que la Cour devrait adopter une liste d’avocats préalablement approuvés auxquels pourraient faire appel les défendeurs lors de l’exécution d’ordonnances Anton Piller.

[8] La Clinique affirme en outre qu’elle travaillera avec les parties pour éviter que ses observations et celles des parties fassent double emploi, et précise que ses observations différeront de celles des parties, car elles découleront de son mandat de défense de l’intérêt public. Elle prétend enfin que l’intervention qu’elle propose ne retardera nullement l’audition de l’affaire ni ne portera préjudice aux parties.

III. Les thèses des parties

[9] Les appelants consentent à ce que la Cour accorde à la Clinique l’autorisation d’intervenir dans le présent appel. Les intimées s’opposent à la requête de la Clinique au motif que l’intervention proposée ne sera d’aucune utilité à notre Cour pour trancher les questions en litige dans le présent appel. Les intimées prétendent en outre que des organismes comme les comités de liaison entre la magistrature et le barreau seraient mieux placés pour examiner les questions que la Clinique souhaite soulever.

IV. Le critère encadrant l’autorisation d’intervenir

[10] Le critère à remplir pour que soit accordée l’autorisation d’intervenir en l’espèce est bien établi : Sport Maska Inc. c. Bauer Hockey Corp., 2016 CAF 44.

[11] Trois éléments doivent être pris en compte pour déterminer si une autorisation devrait être accordée dans une affaire donnée. Il s’agit de déterminer :

(1) si la participation de l’intervenant sera utile par rapport aux questions que la Cour doit trancher;

(2) si l’intervenant proposé a un véritable intérêt dans les questions en litige soulevées par l’appel;

(3) si l’intervention sert l’intérêt de la justice.

[12] Les critères à remplir pour accueillir ou rejeter une requête en intervention doivent toutefois demeurer souples, car chaque requête est différente et met en cause des faits différents, des questions de droit différentes et des contextes différents : Sport Maska, précité, au para. 42.

V. Questions soulevées par les appelants

[13] Pour déterminer si les observations de la Clinique seront utiles à la Cour, il faut d’abord établir quelles sont les véritables questions en litige dans le présent appel : Le-Vel Brands, LLC c. Canada (Procureur général), 2023 CAF 66, au para. 16.

[14] Les appelants énoncent deux questions dans leur mémoire des faits et du droit. La première est de savoir si la Cour fédérale a commis une erreur en concluant que l’exécution de l’ordonnance Anton Piller avait été menée légalement. La deuxième est de savoir si la Cour fédérale a commis une erreur dans son adjudication des dépens.

[15] Les arguments sur la légalité de l’exécution de l’ordonnance Anton Piller que les appelants invoquent dans leur mémoire portent sur le délai d’exécution de l’ordonnance. Des arguments sont également invoqués au sujet de questions que l’avocat superviseur indépendant a posées à l’un des appelants sur l’emplacement des serveurs, ainsi que de questions qui, selon les appelants, obligeaient la personne interrogée à interpréter le droit.

[16] Dans leur mémoire, les appelants affirment en outre que l’ordonnance Anton Piller n’a pas été dûment expliquée à deux des appelants et que des mesures de précaution bien établies en matière de santé et de sécurité n’ont pas été respectées.

[17] Dans leur mémoire, les appelants demandent, à titre de réparation dans le présent appel, que la Cour rende un jugement déclaratoire portant que l’exécution de l’ordonnance Anton Piller rendue le 28 juin 2022 à leur endroit n’a pas été menée légalement et que la décision de la Cour fédérale à ce sujet doit être annulée. Les appelants demandent également que les dépens adjugés par la Cour fédérale soient annulés, qu’ils ne soient condamnés à aucuns dépens relativement aux instances devant la Cour fédérale et que les dépens en l’espèce leur soient accordés.

VI. Analyse

[18] Je reconnais que la Clinique est un organisme digne de foi, qui possède une expertise établie dans le domaine de la violation du droit d’auteur. Je ne suis toutefois pas convaincue que les questions que la Clinique énonce dans sa demande d’intervention et les arguments qu’elle propose d’invoquer aideraient la Cour à trancher les questions que les appelants soulèvent dans le présent appel.

[19] Comme l’a mentionné notre Cour, l’intervenant « n’est pas autorisé à s’exprimer à son gré » et à parler de tout ce qu’il pourrait avoir en tête au sujet d’une affaire : Tsleil-Waututh Nation c. Canada (Procureur général), 2017 CAF 174, au para. 17. Le tiers qui souhaite prendre part à une instance à titre d’intervenant doit composer avec les questions telles qu’elles sont formulées par les parties; il ne peut y apporter de modifications ou d’ajouts : Canada (Procureur général) c. Canadian Doctors for Refugee Care, 2015 CAF 34, au para. 19.

[20] Le rôle de l’intervenant n’est donc pas d’introduire de nouvelles questions, mais plutôt d’offrir une perspective différente qui « aidera à la prise d’une décision sur toute question de fait et de droit se rapportant à l’instance » : Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, articles 3 et 109; Tsleil-Waututh, précité, au para. 54; Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Ishaq, 2015 CAF 151, aux paras. 7 à 10. Comme l’a affirmé la Cour dans l’arrêt Tsleil-Waututh, « les intervenants sont des invités à une table qui est déjà mise et où les mets sont déjà disposés. Les intervenants peuvent commenter leur point de vue sur ce qu’ils voient, ce qu’ils hument et ce qu’ils goûtent. Ils ne peuvent en aucun cas ajouter d’autres mets à la table » : au paragraphe 55.

[21] Ainsi qu’il a été mentionné plus haut, la validité de l’ordonnance Anton Piller rendue par la Cour fédérale n’est pas contestée dans le présent appel. Les questions sur la forme de l’ordonnance Anton Piller ne sont donc pas en litige en l’espèce et les observations de la Clinique quant à la nécessité d’établir une ordonnance type ne seront d’aucune utilité à la Cour dans le contexte du présent appel.

[22] Les questions en litige dans le présent appel sont des questions de fait précises qui portent sur la manière dont l’ordonnance a été exécutée en l’espèce.

[23] Or, l’incapacité de l’un des appelants de retenir les services d’un avocat durant l’exécution de l’ordonnance Anton Piller n’est pas invoquée pour contester la légalité de son exécution. Par conséquent, les arguments de la Clinique sur la nécessité pour la Cour fédérale d’adopter une liste d’avocats préalablement approuvés auxquels pourraient faire appel les défendeurs durant l’exécution d’une ordonnance Anton Piller n’auraient aucune incidence sur l’issue du présent appel et n’aideraient pas la Cour à cet égard.

[24] Les appelants ne prétendent pas non plus que les avocats superviseurs indépendants n’étaient pas qualifiés pour s’acquitter de leurs responsabilités en application de l’ordonnance Anton Piller rendue par la Cour fédérale. Ils n’allèguent pas non plus que les avocats ont manqué d’indépendance en l’espèce. Par conséquent, les observations de la Clinique sur la nécessité d’établir une liste d’avocats superviseurs indépendants préalablement approuvés spécialisés dans l’exécution des ordonnances Anton Piller n’aideraient pas la Cour à évaluer la légalité de l’exécution de l’ordonnance Anton Piller en l’espèce.

[25] De même, les observations de la Clinique ne seraient d’aucune utilité à la Cour en ce qui a trait à la question des dépens.

[26] Si j’ai choisi de concentrer mon analyse sur le fait que les observations de la Clinique ne seraient guère utiles à la Cour pour justifier le rejet de sa requête en intervention, j’ai également de sérieux doutes quant au pouvoir de la Cour d’accorder les mesures de réparation demandées par la Clinique. Comme l’a déjà fait remarquer notre Cour, l’élaboration des politiques ne relève pas de l’initiative des tribunaux : Le-Vel Brands, précité, au para. 41.

[27] Cela ne veut pas dire pour autant que les questions soulevées par la Clinique ne sont pas importantes – elles pourraient bien l’être –, mais plutôt que le présent appel n’est pas le cadre qui convient pour régler ces questions. De fait, je conviens avec les intimées que les questions en litige relèvent davantage d’organismes tels que le Comité de liaison entre la magistrature et le Barreau en droit de la propriété intellectuelle de la Cour fédérale, l’Institut de la propriété intellectuelle du Canada ou l’organe législatif du gouvernement.

VII. Dispositif

[28] La requête en intervention est rejetée, sans dépens.

« Anne L. Mactavish »

j.c.a.

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

A-262-22

INTITULÉ :

MARSHALL MACCIACCHERA faisant affaire sous le nom de SMOOTHSTREAMS.TV, ANTONIO MACCIACCHERA faisant affaire sous le nom de SMOOTHSTREAMS.TV, ARM HOSTING INC., STAR HOSTING LIMITED (HONG KONG), ROMA WORKS LIMITED (HONG KONG) et ROMA WORKS SA (PANAMA) c. BELL MEDIA INC., ROGERS MEDIA INC., COLUMBIA PICTURES INDUSTRIES INC., DISNEY ENTERPRISES, INC., PARAMOUNT PICTURES CORPORATION, UNIVERSAL CITY STUDIOS LLC, UNIVERSAL CITY STUDIOS PRODUCTIONS LLLP et WARNER BROS. ENTERTAINMENT INC.

REQUÊTE JUGÉE SUR DOSSIER SANS COMPARUTION DES PARTIES

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :

LA JUGE MACTAVISH

DATE DES MOTIFS :

Le 23 août 2023

OBSERVATIONS ÉCRITES :

Paul Lomic

Pour les appelants

Francois Guay

Guillaume Lavoie Ste-Marie

Ryan E. Evans

Denise Felsztyna

Pour les intimées

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Lomic Law

Toronto (Ontario)

Pour les appelants

Smart & Biggar S.E.N.C.R.L.

Montréal (Québec)

Pour les intimées

 

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