Décisions de la Cour d'appel fédérale

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Date : 20230927


Dossier : A-129-22

Référence : 2023 CAF 194

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LE JUGE STRATAS

LE JUGE WEBB

LE JUGE RENNIE

 

ENTRE :

VOLTAGE HOLDINGS, LLC

appelante

et

UNTEL NO 1 et autres

(Voir l’annexe 1 pour obtenir la liste des défendeurs)

intimés

et

CLINIQUE D’INTÉRÊT PUBLIC ET DE POLITIQUE

INTERNET DU CANADA SAMUELSON-GLUSHKO

intervenante

Audience tenue à Toronto (Ontario), le 28 mars 2023.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 27 septembre 2023.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE RENNIE

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE STRATAS

LE JUGE WEBB

 


Date : 20230927


Dossier : A-129-22

Référence : 2023 CAF 194

CORAM :

LE JUGE STRATAS

LE JUGE WEBB

LE JUGE RENNIE

 

ENTRE :

VOLTAGE HOLDINGS, LLC

appelante

et

UNTEL NO 1 et autres

(Voir l’annexe 1 pour obtenir la liste des défendeurs)

intimés

et

CLINIQUE D’INTÉRÊT PUBLIC ET DE POLITIQUE

INTERNET DU CANADA SAMUELSON-GLUSHKO

intervenante

MOTIFS DU JUGEMENT


TABLE DES MATIÈRES

En

[blank/en blanc]

Par.

I. Résumé des faits

5

II. La décision de la Cour fédérale

10

III. Observations devant la Cour

17

IV. Le droit de l’autorisation de la violation

21

Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique c. Entertainment Software Association, 2022 CSC 30, 471 D.L.R.(4th) 391

28

V. Fardeaux de la preuve et conclusions défavorables

38

(1) Cook c. Lewis, [1951] R.C.S. 830, [1952] 1 D.L.R.1

44

(2) National Trust Co. Ltd. c. Wong Aviation Ltd. et autre, [1969] R.C.S. 481, 3 D.L.R.(3d) 55

46

(3) Snell c. Farrell, [1990] 2 R.C.S. 311, 72 D.L.R.(4th) 289

48

(4) Rainbow Industrial Caterers Ltd. c. Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, [1991] 3 R.C.S. 3

50

(5) Hollis c. Dow Corning Corp., [1995] 4 R.C.S. 634, 129 D.L.R.(4th) 609

52

(6) Benhaim c. St-Germain, 2016 CSC 48, [2016] 2 R.C.S. 352

55

VI. Analyse de la décision de la Cour fédérale

59

L’allégation de violation directe de l’appelante

59

(1) Jurisprudence invoquée par l’appelante

67

(2) Conséquences du défaut de contester

73

L’allégation d’autorisation de la violation de l’appelante

79

VII. Conclusion

86

 


LE JUGE RENNIE

[1] L’appelante a demandé un jugement par défaut contre les intimés pour deux types de violation du droit d’auteur : la violation directe et l’autorisation de la violation. En ce qui concerne la première, l’appelante fait valoir que les intimés ont directement violé ses droits d’auteur en mettant une œuvre protégée à disposition pour le téléchargement en ligne (en affichant ou en téléchargeant l’œuvre); en ce qui concerne la seconde, l’appelante affirme que les intimés ont autorisé une personne inconnue à violer directement les droits d’auteur de l’appelante. La Cour fédérale (2022 CF 827, la juge Furlanetto) a rejeté la requête introduite en application du paragraphe 210(1) des Règles des Cours fédérales, D.O.R.S./98-106 (les Règles). C’est sur cette décision que porte le présent appel.

[2] L’appel soulève deux questions. La première concerne la jurisprudence relative à la définition de la violation directe et de l’autorisation de la violation. La deuxième question concerne le fardeau de la preuve et les circonstances dans lesquelles on peut s’en décharger en tirant une conclusion défavorable.

[3] Ces questions sont étroitement liées. La jurisprudence relative au droit d’auteur détermine les exigences minimales en matière de preuve pour établir les types de violation allégués; en d’autres termes, la jurisprudence limite la mesure dans laquelle une conclusion défavorable peut être tirée dans le contexte de la violation des droits d’auteur en ligne.

[4] Les présents motifs traitent de cette interdépendance, examinent les limites procédurales et pratiques de la communication préalable dans le contexte de la violation en ligne et offrent des orientations quant à l’application des principes énoncés dans les arrêts CCH Canadienne Ltée c. Barreau du Haut-Canada, 2004 CSC 13, [2004] 1 R.C.S. 339 [arrêt CCH], Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique c. Assoc. canadienne des fournisseurs Internet, 2004 CSC 45, [2004] 2 R.C.S. 427 [arrêt SOCAN], Rogers Communications Inc. c. Voltage Pictures, LLC, 2018 CSC 38, [2018] 2 R.C.S. 643 [arrêt Rogers], et Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique c. Entertainment Software Association, 2022 CSC 30, 471 D.L.R. (4th) 391 [arrêt ESA], dans les circonstances de l’espèce.

I. Les faits

[5] En 2012, le Parlement a adopté la Loi sur la modernisation du droit d’auteur, L.C 2012, ch. 20 (la LMDA), afin de modifier la Loi sur le droit d’auteur, L.R.C. (1985), ch. C-42 (la Loi) et de répondre aux nouvelles voies technologiques qui facilitent la violation du droit d’auteur en ligne. Le résumé accompagnant la LMDA indique que les modifications apportées à la Loi visent à « mettre à jour les droits et les mesures de protection dont bénéficient les titulaires du droit d’auteur, en conformité avec les normes internationales, afin de mieux tenir compte des défis et des possibilités créés par Internet ». Le résumé indique également que les modifications visent à « clarifier la responsabilité des fournisseurs de services Internet et ériger en violation du droit d’auteur le fait de faciliter la commission de telles violations en ligne ».

[6] La LMDA a mis en place un système permettant aux titulaires de droits d’auteur d’envoyer un avis aux fournisseurs de services Internet (FSI) dans lequel ils allèguent une violation des droits d’auteur en ligne se produisant à un emplacement électronique particulier appelé adresse de protocole Internet (adresse IP). Dès réception, le FSI doit transmettre un avis à l’abonné Internet correspondant à l’adresse IP désignée par le titulaire du droit d’auteur. C’est ce qu’on appelle le régime d’« avis et avis » (Loi, articles 41.25 et 41.26).

[7] L’appelante, Voltage Holdings, LLC, est une société de production cinématographique et la titulaire des droits d’auteur sur le film Revolt (l’œuvre). L’appelante a détecté que des internautes à certaines adresses IP mettaient l’œuvre à disposition en utilisant le logiciel BitTorrent, un protocole de distribution de fichiers sur un réseau poste à poste. Le logiciel BitTorrent est particulièrement bien adapté au transfert de fichiers volumineux tels que des films, de la musique ou des logiciels, en raison de sa capacité à télécharger des fichiers à partir d’un groupe d’hôtes plutôt qu’à partir d’un serveur à source unique. À l’aide de ce logiciel, les utilisateurs d’Internet aux adresses IP signalées téléchargeaient et offraient des copies de l’œuvre sans le consentement de l’appelante.

[8] Des avertissements ont été envoyés aux abonnés à Internet dans le cadre du régime d’avis et d’avis, les informant qu’une activité illicite avait été détectée en ce qui concernait leurs adresses IP. En cas de deuxième violation à la même adresse IP dans les sept jours suivant le premier avis, l’appelante envoyait un deuxième avis à l’abonné à l’adresse IP incriminée. L’appelante a ensuite obtenu des ordonnances de type Norwich obligeant les fournisseurs de services Internet à lui fournir des renseignements sur l’identité des abonnés à Internet en fonction des adresses IP à partir desquelles l’infraction a été commise. L’appelante a ensuite signifié une déclaration aux défendeurs, un sous-ensemble de tous les abonnés à Internet qui avaient reçu deux avertissements. Aucune défense n’a été déposée.

[9] L’appelante a ensuite introduit une requête en jugement par défaut à l’encontre des intimés. La Clinique d’intérêt public et de politique Internet du Canada Samuelson-Glushko (CIPPIC) a reçu l’autorisation d’intervenir et a présenté des observations écrites et des arguments oraux lors de l’audition de la requête.

II. La décision de la Cour fédérale

[10] La Cour fédérale a rejeté la demande de jugement par défaut. Elle a conclu que les intimés étaient en défaut de déposer une défense, mais a déterminé que l’appelante n’avait pas fourni d’éléments de preuve suffisants pour établir que les intimés étaient eux-mêmes les contrefacteurs directs ou qu’ils exerçaient un contrôle suffisant sur les personnes qui avaient affiché l’œuvre pour autoriser la violation (motifs, par. 26, 56 et 70).

[11] Après avoir examiné l’orientation de la Cour suprême dans l’arrêt Rogers, aux paragraphes 26 et 27, la Cour fédérale a déclaré que le régime d’avis et d’avis n’était pas un « cadre de responsabilité absolue » et qu’il existait une « présomption d’innocence » pour les abonnés à Internet (motifs, par. 42). La Cour fédérale a noté que le régime d’avis et d’avis n’était pas une solution complète à la violation du droit d’auteur en ligne et que la violation par les abonnés à Internet, qu’elle soit directe ou commise par voie d’autorisation, doit toujours être prouvée pour que la demande puisse être accueillie (motifs, par. 42).

[12] La Cour fédérale a rejeté l’argument de l’appelante selon lequel les avis transféraient aux intimés le fardeau de la preuve en vue de réfuter les allégations contenues dans sa déclaration. Au lieu de cela, elle a noté que toutes les allégations contenues dans une déclaration sont considérées comme réfutées dans une procédure par défaut et que l’appelante était « tenue de présenter une preuve suffisante [permettant] à la Cour [fédérale] de conclure, selon la prépondérance des probabilités, que les [intimés étaient] les défendeurs appropriés [à l’action sous-jacente] et qu’ils [avaient] violé le droit d’auteur » (motifs, au par. 45).

[13] En ce qui concerne l’allégation de l’appelante de violation directe, la Cour fédérale a refusé de tirer une conclusion défavorable contre les intimés en l’absence de preuve que l’appelante avait cherché à identifier l’utilisateur du logiciel BitTorrent (motifs, par. 52) :

À mon avis, il faut tenter d’identifier l’internaute responsable de la violation avant que s’applique la présomption selon laquelle l’abonné à Internet est cet utilisateur ou avant que le défaut de donner suite justifie une inférence défavorable.

[14] La Cour fédérale a également rejeté la théorie de l’autorisation de la violation de l’appelante; elle a décidé que l’appelante ne pouvait pas établir les éléments de l’allégation d’autorisation de la violation en fonction de la seule connaissance de l’activité contrefaisante par les intimés. Elle a conclu qu’une telle décision aurait pour effet de rompre l’équilibre recherché par le régime de l’avis et avis (motifs, par. 67 et 68). Là encore, suivant le critère établi par la Cour suprême dans l’arrêt Rogers, la Cour fédérale a estimé que l’appelante n’avait pas apporté d’« élément de preuve [quant à la] nature des relations entre les abonnés à Internet identifiés comme étant les défendeurs en défaut et ceux qui ont réellement téléversé le contenu non autorisé » ce qui, selon la Cour fédérale, était nécessaire à l’appelante pour faire valoir qu’il y a eu autorisation de la violation (motifs, par. 70).

[15] La Cour fédérale a conclu que la communication préalable pourrait permettre de découvrir des renseignements supplémentaires qui aideraient l’appelante à faire valoir cette prétention (motifs, par. 70) :

Aucun élément de preuve n’établit non plus quelles mesures ont été prises, le cas échéant, par les abonnés à Internet pour prévenir d’autres violations. Comme je l’ai fait remarquer plus tôt, il serait possible de demander la tenue d’une sorte d’interrogatoire préalable afin d’obtenir ces faits ou tout autre fait qui justifierait de conclure à l’existence d’une autorisation ou qui permettrait de tirer une conclusion défavorable.

[16] J’expliquerai dans les présents motifs pourquoi la Cour fédérale n’a pas commis d’erreur en concluant qu’il était prématuré de tirer une conclusion défavorable à l’encontre des intimés. L’appelante n’avait pas encore tenté d’obtenir l’interrogatoire préalable des intimés et leurs éléments de preuve potentiels. Mais la Cour fédérale a également eu raison de ne pas fermer la porte à cette possibilité, sinon il y avait un risque de créer une zone d’immunité autour de la violation en ligne. Une jurisprudence solide soutient le renversement du fardeau de la preuve ou l’établissement de conclusions défavorables dans des circonstances où, comme en l’espèce, il existe un déséquilibre en matière d’information ou des éléments de preuve essentiels sont uniquement entre les mains du défendeur. Les lacunes dans la preuve du demandeur peuvent être comblées par une conclusion défavorable ou par le fait que le défendeur ne s’est pas acquitté du fardeau de la preuve. La question n’est donc pas de savoir si une cour peut déplacer le fardeau de la preuve, mais quand et dans quelles circonstances.

III. Observations devant la Cour

[17] La principale plainte de l’appelante, s’agissant de son allégation de violation directe, réside dans la décision de la Cour fédérale de ne pas tirer de conclusion défavorable à l’encontre des intimés. L’appelante soutient que cette conclusion aurait permis à la Cour fédérale de conclure que les intimés avaient téléchargé l’œuvre, et que le juge a commis une erreur en ne tirant pas cette conclusion uniquement parce que l’appelante n’avait pas cherché à obtenir d’autres renseignements auprès des intimés. Selon l’appelante, une fois qu’elle a présenté tous les éléments de preuve dont elle disposait sur le plan technologique, ce qu’elle décrit comme un fardeau de la preuve [traduction] « tactique » a été transféré à chaque intimé, qui devait prouver qu’il n’avait pas mis l’œuvre en ligne.

[18] La CIPPIC, en revanche, soutient la conception qu’a la Cour fédérale des principes d’administration de la preuve lors de la présentation d’une requête pour jugement par défaut pour des allégations de violation directe. Invoquant l’arrêt Snell c. Farrell, [1990] 2 R.C.S. 311, 72 D.L.R. (4th) 289 [arrêt Snell], la CIPPIC affirme que les intimés n’avaient pas le fardeau de réfuter les allégations de l’appelante dans la mesure où l’appelante elle-même n’était pas capable de démontrer le bien-fondé de sa cause, et que la décision de ne pas tirer de conclusion défavorable commande la déférence en appel (Benhaim c. St-Germain, 2016 CSC 48, [2016] 2 R.C.S. 352 [arrêt Benhaim]). La CIPPIC affirme également que l’appelante n’a pas entrepris d’enquête diligente pour identifier les personnes qui ont téléchargé l’œuvre aux adresses IP pertinentes, contrairement au titulaire du droit d’auteur qui a obtenu gain de cause dans l’arrêt TekSavvy Solutions Inc. c. Bell Média Inc., 2021 CAF 100, 460 D.L.R. (4th) 136 [arrêt TekSavvy]. C’est pourquoi, selon la CIPPIC, l’appelante n’a fourni aucun élément permettant de conclure à l’existence d’une violation directe.

[19] L’argumentation de l’appelante prend une orientation différente en ce qui concerne son allégation d’autorisation de la violation. Sur ce point, l’appelante affirme que le juge a commis une erreur en exigeant des éléments de preuve supplémentaires du contrôle personnel exercé par l’intimé sur les personnes qui ont mis en ligne l’œuvre par l’intermédiaire du réseau BitTorrent. Elle fait valoir que, pour établir l’autorisation de la violation, il lui suffisait de prouver le contrôle exercé par l’intimé sur les comptes Internet sur lesquels la violation a été commise. L’appelante affirme qu’elle l’a fait au moyen des ordonnances de type Norwich. Selon l’appelante, la Cour fédérale aurait dû déduire l’autorisation du contrôle exercé par les intimés sur leurs comptes Internet, combiné à leur absence de réponse aux avis de prétendue violation du droit d’auteur, renvoyant à l’arrêt SOCAN, aux paragraphes 124 à 128.

[20] La CIPPIC n’est pas d’accord, faisant valoir que la formulation de l’appelante selon laquelle l’autorisation de la violation ou de l’indifférence relève de l’aveuglement volontaire de l’abonné à Internet n’est pas étayée par les décisions de la Cour suprême.

IV. Le droit de l’autorisation de la violation

[21] Le résultat de l’action de l’appelante dépend des paramètres juridiques de la violation du droit d’auteur et des principes de la preuve qui guident ce qui est nécessaire pour convaincre un juge des faits que les circonstances dont il est saisi constituent une violation. La présente requête ajoute une dimension supplémentaire : la question de savoir si des conclusions défavorables peuvent être tirées à ce stade du contentieux. De ce fait, la décision de la Cour fédérale et le sort du présent appel sont plus facilement appréciables lorsqu’ils sont d’abord encadrés par l’état du droit en matière d’autorisation de la violation.

[22] Tout d’abord, le paragraphe 3(1) de la Loi accorde au titulaire du droit d’auteur le droit exclusif de produire (ou de reproduire), d’exécuter ou de publier son œuvre. Il accorde également au titulaire du droit d’auteur le droit exclusif d’« autoriser ces actes ». Par conséquent, quiconque autorise l’une de ces expressions de l’œuvre protégée par le droit d’auteur, en l’absence d’une licence à cet effet, porte atteinte au droit d’autorisation exclusif du titulaire du droit d’auteur (la Loi, par. 3(1) et 27(1)).

[23] Deuxièmement, et de manière connexe, l’autorisation de la violation exige que l’auteur se présente comme capable d’accorder l’un des droits exclusifs du titulaire du droit d’auteur (Barry Sookman, Steven Mason & Carys Craig, Copyright : Cases and Commentary on the Canadian and International Law, 2e éd. (Toronto : Carswell, 2013), p. 1001) :

[traduction]
Pour autoriser un acte, le contrefacteur allégué doit accorder ou prétendre accorder, expressément ou implicitement, le droit d’accomplir l’acte incriminé. En outre, le concédant doit disposer d’un certain degré de droit réel ou apparent de contrôler les actions du concessionnaire pour que l’on puisse considérer qu’il a autorisé l’acte. Un acte n’est pas autorisé par quelqu’un qui ne fait que permettre ou éventuellement aider ou même encourager une autre personne à faire cet acte, mais qui ne prétend pas avoir une quelconque autorité qu’il peut accorder pour justifier l’accomplissement de l’acte.

[24] Troisièmement, en ce qui concerne le domaine du droit d’auteur, « [a]utoriser » signifie « sanctionner, appuyer ou soutenir » (sanction, approve and countenance) (arrêt CCH, par. 38). Bien que le terme « soutenir » (countenance) dans cette définition puisse initialement sembler inclure un certain degré de passivité dans le champ d’application de l’« autorisation », la Cour suprême a confirmé qu’il faut attribuer au terme « countenance » en l’espèce « son sens le plus fort mentionné dans le dictionnaire, soit [traduction] ‘approuver, sanctionner, permettre, favoriser, encourager’ » (arrêt CCH, par. 38).

[25] Quatrièmement, il existe certains facteurs objectifs qui, à eux seuls, n’équivalent pas à autoriser la violation. Une personne qui fournit les moyens ou l’équipement pour porter atteinte au droit d’auteur d’une autre personne n’a pas nécessairement autorisé la violation, par exemple (arrêt ESA, par. 106; arrêt CCH, par. 38). De même, lorsqu’il reçoit un avertissement, un abonné à Internet n’est pas automatiquement considéré comme responsable de la violation du droit d’auteur alléguée; le simple fait d’être associé à une adresse IP ne permet pas de conclure à la culpabilité (arrêt Rogers, par. 41).

[26] Cinquièmement, le droit de l’autorisation de la violation repose en partie sur un critère subjectif. Le fait de savoir que quelqu’un pourrait utiliser une technologie neutre aux fins de contrefaçon n’est pas nécessairement suffisant pour établir l’autorisation, et les tribunaux présument qu’une personne qui autorise une activité ne le fait que dans la mesure où elle est conforme aux règles de droit en vigueur (arrêt SOCAN, par. 127; arrêt CCH, par. 38; Sookman, p. 1002). Dans certains cas, cependant, un « degré suffisamment élevé d’indifférence » peut permettre à un tribunal de déduire que la personne a effectivement autorisé la contrefaçon (arrêt CCH, par. 38; arrêt SOCAN, par. 127).

[27] Sixièmement, dans les analyses des autorisations, les tribunaux ont toujours pris en considération la relation entre l’auteur allégué de l’autorisation et la personne qui commet une violation du fait de l’autorisation. Une « certaine relation ou un certain degré de contrôle » existant entre ces parties peut renverser la présomption selon laquelle une personne qui autorise une activité n’a autorisé que des formes légales de cette activité (arrêt CCH, par. 38). Le contrôle des moyens par lesquels la violation a été commise peut également permettre de conclure à une autorisation implicite; en outre, l’autorisation peut être déduite lorsque la fourniture de ces moyens [traduction] « devait conduire à une violation et a été faite expressément dans ce but » (Sookman, p. 1002). Ces éléments indiquent que l’auteur présumé a joué un rôle actif en amenant l’autre partie à violer les droits exclusifs du titulaire du droit d’auteur visés au paragraphe 3(1) de la Loi.

Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique c. Entertainment Software Association, 2022 CSC 30, 471 D.L.R. (4th) 391

[28] Ma dernière observation préliminaire, et pour préfigurer mon raisonnement, est que la jurisprudence en matière d’autorisation, en particulier la décision de la Cour suprême dans l’arrêt ESA, apporte une réponse claire à l’argument de l’appelante selon lequel les intimés ont autorisé la violation.

[29] L’« autorisation » est un terme technique prévu par la loi qui fait partie intégrante du fonctionnement de la Loi et qui permet de déterminer la violation du droit d’auteur. La portée de l’autorisation de la violation été examinée par les tribunaux dans différents contextes, depuis la mise à disposition par une bibliothèque de photocopieurs en libre-service jusqu’à la connaissance par un fournisseur de services Internet de contenus contrefaisants dans ses installations. Cependant, le sens ordinaire du mot « autorisation » évoque également une réponse différente : un simple octroi de permission. La prémisse de l’argumentation de l’appelante repose sur ce sens simple et ordinaire du mot « autorisation », ce qui l’amène à affirmer qu’il y a deux groupes de contrefacteurs dans le présent appel : les utilisateurs d’Internet qui ont directement porté atteinte à son droit d’auteur et les abonnés à Internet qui permettent, ou autorisent, la violation. L’argumentation à la Cour fédérale et les motifs de la Cour fédérale ont également été formulés en fonction de cette interprétation, ce qui entraîne un amalgame entre ces deux concepts d’« autorisation » en ce qui concerne la violation du droit d’auteur.

[30] La décision de la Cour suprême dans l’arrêt ESA—rendue six semaines après la publication de la décision faisant l’objet de l’appel—illustre cet amalgame. L’arrêt ESA est clair sur le fait que l’autorisation, dans le contexte de la violation des droits d’auteur en ligne, s’adresse à ceux qui mettent à disposition le matériel protégé par les droits d’auteur en vue de son téléchargement et n’est possible qu’à l’égard de ceux-ci. Alors que l’argumentation de l’appelante adopte une double approche pour établir la violation, soit directe, soit commise par voie d’autorisation, le droit relatif à l’autorisation exige que sa position se résume à un seul argument de contrefaçon; les arguments de l’appelante relatifs à l’autorisation de la violation sont, en substance, des arguments de preuve à l’appui de son allégation de violation directe. Comme je l’expliquerai, la théorie de l’appelante sur ce que je qualifierai d’« autorisation de tiers » – qui suppose le consentement d’un abonné à partager l’accès à son compte Internet, et l’indifférence quant aux fins pour lesquelles il est utilisé – ne correspond pas au domaine du droit d’auteur tel qu’il est actuellement compris.

[31] Dans l’arrêt ESA, la Cour suprême a rappelé qu’en application du paragraphe 3(1) de la Loi, les auteurs n’ont que trois droits d’auteur sur leurs œuvres : le droit de produire ou de reproduire une œuvre sous quelque forme matérielle que ce soit, le droit d’exécuter une œuvre en public et le droit de publier une œuvre non publiée (arrêt ESA, par. 54). Une activité qui met en jeu l’un des trois droits d’auteur visés au paragraphe 3(1) constitue une violation du droit d’auteur, selon le paragraphe 27(1) de la Loi, puisque l’activité est quelque chose que seul le titulaire du droit d’auteur a le droit exclusif d’exercer (arrêt ESA, par. 104). D’autre part, une activité qui ne met pas en jeu l’un des trois droits d’auteur visés au paragraphe 3(1), ou les droits moraux de l’auteur, « n’est pas protégée ou ne justifie pas rémunération suivant la [Loi] » (arrêt ESA, par. 57). Cette distinction confirme que les activités non contrefaisantes prennent fin, et que les activités contrefaisantes commencent, dès le déclenchement d’un droit conféré à un auteur au paragraphe 3(1).

[32] La Cour suprême a ensuite établi un lien entre les diverses activités de contrefaçon et l’intérêt précis en matière de droit d’auteur suscité par chaque violation, en examinant ce que cette activité fait à l’œuvre protégée par le droit d’auteur (arrêt ESA, par. 56). Comme l’a expliqué le juge Rowe, si une œuvre est diffusée en continu ou mise à disposition pour une diffusion en continu à la demande, le droit d’exécution de l’auteur est mis en jeu; si l’œuvre est téléchargée, le droit de reproduction de l’auteur est mis en jeu; et, surtout, « si l’œuvre est mise à la disposition pour téléchargement, le droit de l’auteur d’autoriser les reproductions est mis en jeu » (arrêt ESA, par. 8, 103, et 106 à 108).

[33] La Cour suprême a approuvé la décision de la Commission du droit d’auteur selon laquelle « c’est l’acte même de rendre disponible [l’œuvre] qui constitue une autorisation », car la personne qui met l’œuvre à disposition « contrôle ou prétend contrôler le droit de la communiquer » et « se trouve à offrir à ceux qui ont accès à l’Internet de leur communiquer l’œuvre » (arrêt ESA, par. 106). L’auteur est la personne qui s’occupe directement du matériel protégé par le droit d’auteur. Cette relation étroite entre l’auteur et le matériel protégé par le droit d’auteur est soulignée et répétée tout au long des motifs de la Cour suprême (arrêt ESA, par. 8, 103 et 106 à 108).

[34] Il ne fait aucun doute, compte tenu de l’arrêt ESA, que la personne qui utilise les comptes Internet des intimés pour mettre l’œuvre à disposition en vue du téléchargement par le réseau BitTorrent autorise la violation. Cette situation est l’exemple précis d’autorisation de la violation décrit tout au long de l’arrêt ESA (arrêt ESA, par. 8, 103 et 106 à 108). Toutefois, l’allégation de l’appelante concernant l’autorisation de la violation n’est pas conforme à cet exemple. Selon l’arrêt ESA, un autorisateur permet la reproduction; l’appelante dit qu’un autorisateur est quelqu’un qui permet à quelqu’un de permettre la reproduction. De plus, comme le fait remarquer le juge Rowe, le paragraphe 3(1) de la Loi énonce « de manière exhaustive » l’étendue des intérêts en matière de droit d’auteur (arrêt ESA, par. 54).

[35] Deux questions relatives à l’autorisation de la violation restent donc posées à la Cour : premièrement, l’appelante a-t-elle démontré, selon la prépondérance des probabilités, que les intimés sont eux-mêmes les personnes qui ont mis l’œuvre à disposition pour le téléchargement au moyen du réseau BitTorrent (suivant l’exemple de l’autorisation de la violation dans l’arrêt ESA); deuxièmement, l’appelante a-t-elle démontré que les intimés ont d’une quelconque façon autorisé la violation, en fonction de la jurisprudence exposée ci-dessus. Comme je l’ai indiqué précédemment, ces questions font appel à des considérations d’ordre probatoire, à la lumière du déplacement des fardeaux et des conclusions défavorables que l’appelante demande à la Cour de tirer.

[36] Je conclus que l’appelante n’a pu démontrer l’existence d’une telle erreur dans la décision de la Cour fédérale qui justifierait l’infirmation de la décision. Cette conclusion se fonde, en partie, sur mon observation précédente selon laquelle l’orientation des arguments de l’appelante devant la Cour est incompatible avec l’arrêt ESA de la Cour suprême. Je souligne également que la première question décrite au paragraphe ci-dessus révèle comment l’allégation de violation directe de l’appelante se heurte au droit applicable à l’autorisation de la violation dans la foulée de l’arrêt ESA. Cette collision apparaît très clairement lorsque le paragraphe 2 du mémoire des faits et du droit de l’appelante est juxtaposé à la directive de l’arrêt ESA selon laquelle la mise à disposition d’une œuvre en vue de son téléchargement fait intervenir le droit d’autorisation de l’auteur :

[traduction]
Voltage invoque deux théories de violation du droit d’auteur à l’encontre des [intimés] : a) la violation par les [intimés] qui mettent l’œuvre à disposition en vue de son téléchargement en ligne (la « violation directe »); et b) la violation par un intimé qui a autorisé la violation directe de l’œuvre par une personne inconnue en ne répondant pas aux avertissements indiquant que l’œuvre était violée, et en permettant à la violation de se poursuivre (l’« autorisation de la violation »).

(Caractères gras dans l’original, non souligné dans l’original.)

[37] Néanmoins, aux fins du présent appel, je traiterai des motifs de la Cour fédérale et des arguments présentés devant nous tels qu’ils ont été présentés. J’expliquerai, le cas échéant, pourquoi ils ne sont pas conformes à l’arrêt ESA et au droit applicable en matière de violation du droit d’auteur.

V. Fardeaux de la preuve et conclusions défavorables

[38] L’absence de défense d’un défendeur signifie qu’aucune allégation de fait dans un acte de procédure n’est admise (par. 184(1) des Règles; Tatuyou, LLC c. H2Ocean Inc., 2020 CF 865, 176 C.P.R. (4th) 1, par. 9 [décision Tatuyou]; NuWave Industries Inc. c. Trennen Industries Ltd, 2020 CF 867, 177 C.P.R. (4th) 1, par. 16 [décision NuWave]). Par conséquent, l’appelante, en tant que demanderesse à la Cour fédérale, supportait le fardeau juridique, ou fardeau de persuasion, de présenter des éléments de preuve suffisants pour prouver les éléments nécessaires de sa demande selon la prépondérance des probabilités (décision Tatuyou, par. 9 et 25; décision NuWave, par. 16).

[39] Le fardeau juridique de la preuve, parfois appelée « fardeau de persuasion » (voir R. c. Morrison, 2019 CSC 15, [2019] 2 R.C.S. 3), n’est jamais déplacé, et les éléments de preuve qui permettent de s’en acquitter peuvent comprendre des éléments de preuve affirmatifs et des conclusions défavorables. Quelle que soit la façon dont le fardeau est acquitté, le demandeur dans une affaire civile doit prouver ses prétentions selon la prépondérance des probabilités au moyen d’une preuve « très claire, convaincante et solide » (Canada (Procureur général) c. Hôtels Fairmont Inc., 2016 CSC 56, [2016] 2 R.C.S. 720, par. 36; Nelson (City) c. Mowatt, 2017 CSC 8, [2017] 1 R.C.S. 138, par. 40; F.H. c. McDougall, 2008 CSC 53, [2008] 3 R.C.S. 41, par. 46).

[40] Le besoin de prévisibilité dans les instances judiciaires exige que le fardeau de la preuve soit réparti selon les règles de droit et non selon les décisions ponctuelles du juge des faits (Sidney N. Lederman, Michelle K. Fuerst & Hamish C. Stewart, Sopinka, Lederman & Bryant : The Law of Evidence in Canada, 6e éd. (Toronto : LexisNexis, 2022), p. 105). Ainsi, normalement, il n’y a pas de véritable « déplacement » d’un fardeau de preuve juridique au cours d’une action. Le demandeur doit présenter des éléments de preuve sur les éléments requis de l’affaire, et les questions de défense affirmative doivent être prouvées par le défendeur (J. Kenneth McEwan, Sopinka on the Trial of an Action, 4e éd. (Toronto : LexisNexis, 2020), p. 84). La question de savoir quelle partie supporte le fardeau juridique ou le fardeau de persuasion de la preuve concernant un fait ou une question est régie par les règles juridiques de fond, et le fardeau incombe toujours à la partie qui affirme une proposition ou un fait qui n’est pas évident (WIC Radio Ltd. c. Simpson, 2008 CSC 40, [2008] 2 R.C.S. 420, par. 30; Robins v. National Trust Co, [1927] A.C. 515, [1927] 2 D.L.R. 97 (C.P.), p. 100 et 101).

[41] Le fardeau de la preuve, en revanche, renvoie à l’obligation d’une partie d’établir, par des éléments de preuve suffisants, l’existence ou l’inexistence d’un fait ou d’une question particulière, de sorte qu’un argument particulier soit valable devant la Cour (R. c. Schwartz, [1988] 2 R.C.S. 443, 55 D.L.R. (4th) 1, p. 466 et 467 [arrêt Schwartz]). Contrairement à la partie qui a le fardeau juridique, la partie qui a le fardeau de la preuve n’est pas strictement tenue de convaincre le juge des faits de quoi que ce soit, puisqu’une question peut être soulevée sans être prouvée (arrêt Schwartz, p. 467). Ainsi, l’utilisation de l’expression « fardeau tactique » pour décrire le fardeau de la preuve a été critiquée, car notre droit impose la norme du fardeau de la preuve, il ne relève pas de la tactique (Lederman, p. 101, renvoyant à G. Williams, Textbook of Criminal Law, 2e éd. (Londres : Stevens & Sons, 1983); R. c. Fontaine, 2004 CSC 27, [2004] 1 R.C.S. 702, par. 11 et 12).

[42] Bien que juridiquement distincts, le déplacement du fardeau de preuve et les conclusions défavorables sont étroitement liés et fréquemment utilisés de manière interchangeable. Le fait de ne pas répondre par des éléments de preuve disculpatoires aux éléments de preuve apportés par un demandeur peut avoir des conséquences pour un défendeur. Comme l’a noté la Cour suprême, « [i]l n’est pas tout à fait exact de parler d’un déplacement du fardeau vers le défendeur lorsqu’on veut dire que la preuve présentée par le demandeur peut avoir comme résultat une inférence défavorable au défendeur » (arrêt Snell, p. 329 et 330). En ce sens, l’expression « fardeau tactique » est appropriée, car elle tient compte de la dynamique du procès. Comme on peut le lire dans l’ouvrage Sopinka on the Trial of an Action, [traduction] « l’utilisation de l’expression “fardeau de la preuve” n’est qu’une façon générale de résumer les conséquences de l’absence de preuve pour réfuter la preuve qui donne lieu à la conclusion » (J. Kenneth McEwan, p. 84 et 85).

[43] Les conséquences de l’absence de preuve pour réfuter les éléments de preuve inculpatoires dans le contexte de la violation du droit d’auteur en ligne constituent une question majeure dans le présent appel; un examen des adaptations antérieures du fardeau de la preuve typique dans les affaires civiles aide à cerner ces conséquences, le cas échéant.

(1) Cook v. Lewis, [1951] R.C.S. 830, [1952] 1 D.L.R. 1 [arrêt Cook]

[44] Aucun juge ou avocat ne peut oublier l’arrêt Cook v. Lewis, l’arrêt classique que nous avons appris en tant qu’étudiants en première année à la faculté de droit. Dans l’affaire sur laquelle s’est prononcée la Cour suprême, un demandeur avait été blessé par balle lors d’un accident de chasse, mais n’avait pas été en mesure, lors du procès, de prouver lequel des deux défendeurs était responsable.

[45] La Cour suprême a conclu qu’une fois la preuve faite que le demandeur avait été blessé par l’un des chasseurs, il incombait à chaque chasseur d’établir qu’il n’avait pas été négligent. Le juge Cartwright, s’exprimant au nom de la majorité, a déterminé que, lorsqu’un juge des faits ne pouvait pas déterminer quel défendeur en particulier avait causé la blessure du demandeur, parce que l’un ou l’autre défendeur aurait pu également avoir causé la blessure, les deux devraient être tenus responsables (arrêt Cook, p. 842). Le juge Rand, dans des motifs concordants qui ont été approuvés par la suite par la Cour suprême dans l’arrêt Hollis c. Dow Corning Corp., [1995] 4 R.C.S. 634, 129 D.L.R. (4th) 609 [arrêt Hollis], a expliqué la raison d’être d’un tel renversement du fardeau de preuve : il a estimé que les défendeurs avaient, par leur propre conduite, [traduction] « rendu plus difficile, voire impossible, l’établissement de la preuve » de la cause du demandeur, et avaient « de fait, détruit les moyens de preuve à la disposition de la victime » (arrêt Cook, p. 832).

(2) National Trust Co. Ltd. v. Wong Aviation Ltd. et al, [1969] R.C.S. 481, 3 D.L.R. (3d) 55 [arrêt National Trust]

[46] Les répercussions des lacunes dans la preuve créées par les défendeurs sont également observées dans les litiges en matière de contrats de baillement. Dans l’arrêt National Trust, la Cour suprême a adopté le raisonnement suivant pour imposer un fardeau au baillaire défendeur (p. 489) :

[traduction]
Le lord juge Atkin explique les raisons sur lesquelles le principe [régissant le fardeau de preuve dans les litiges de contrats de baillement] est fondé, et je cite ses propos comme suit : « Le baillaire sait tout cela; il doit s’expliquer. Lui et ses employés sont les responsables; le baillant n’a aucune possibilité de savoir ce qui s’est passé. Ces considérations, associées à l’obligation de diligence, entraînent l’obligation pour le baillaire de démontrer qu’il s’est acquitté de cette obligation ».

[47] Dans l’arrêt National Trust, la Cour suprême a souligné que cette règle de preuve, qui exige effectivement du défendeur ou du baillaire qu’il prouve un point négatif (qu’il n’a pas été négligent dans la manipulation des biens du baillant), ne devrait être invoquée que dans des circonstances où toutes les considérations énoncées par lord Atkin s’appliquent (arrêt National Trust, p. 489). Le juge Ritchie a écrit qu’il [traduction] « [n’estimait] pas souhaitable, sauf dans les cas les plus clairs, qu’une question de responsabilité soit tranchée au seul motif que les règles strictes de la preuve concernant le déplacement du fardeau de la preuve n’ont pas été respectées » (arrêt National Trust, p. 491). Cela a conduit à l’observation ultérieure de la Cour suprême dans l’arrêt Snell, selon laquelle le fardeau juridique peut être renversé si la raison de son attribution initiale – à savoir que la partie qui fait valoir un argument est la mieux placée pour le prouver – est absente.

(3) Snell c. Farrell, [1990] 2 R.C.S., 72 D.L.R. (4th) 289.

[48] Dans l’arrêt Snell, le juge Sopinka a noté que l’attribution du fardeau de la preuve est un concept souple. Il a confirmé que la Cour suprême « n’a pas hésité à modifier l’attribution du fardeau ultime de la preuve en cas d’absence de motifs sous‑jacents à son attribution dans un cas particulier », en renvoyant aux arrêts National Trust et Cook (arrêt Snell, p. 321). La possibilité unique pour un défendeur de connaître les faits à prouver peut ouvrir la porte à une conclusion défavorable, et « il suffit de très peu d’éléments de preuve affirmative de la part du demandeur pour justifier une déduction de causalité en l’absence de preuve contraire » (arrêt Snell, p. 328 et 329, 335 et 336).

[49] La Cour suprême a ensuite distingué l’affaire dont elle était saisie de l’arrêt Cook, dans lequel le renversement du fardeau de preuve était justifié par le fait que le comportement délictueux des défendeurs avait détruit les moyens de preuve du demandeur. Dans l’arrêt Cook, la Cour suprême a estimé que le préjudice n’avait pas été causé par une « conduite neutre »; il en allait donc « tout à fait différemment » pour ce qui était de renverser le fardeau de la preuve lorsque le préjudice pouvait très bien être dû à des facteurs qui n’étaient « pas reliés au défendeur et qui ne résult[aient] de la faute de personne » (arrêt Snell, p. 327). La Cour suprême a poursuivi en notant que, s’il n’est pas exact de décrire le fardeau comme transféré au défendeur, le demandeur peut néanmoins produire des éléments de preuve suffisants pour justifier une conclusion défavorable à l’encontre du défendeur (arrêt Snell, p. 329 et 330) :

Qu’une inférence puisse ou non être tirée dépend de l’évaluation de la preuve. Le défendeur s’expose à une inférence défavorable en l’absence de preuve contraire. Quelquefois cette situation est désignée comme l’imposition au défendeur d’un fardeau provisoire ou tactique [...] À mon avis, il ne s’agit pas d’un véritable fardeau de la preuve et l’utilisation d’une étiquette supplémentaire pour décrire ce qui constitue une étape ordinaire du processus de constatation des faits n’est pas justifiée.

(4) Rainbow Industrial Caterers Ltd. c. Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, [1991] 3 R.C.S. 3 [arrêt Rainbow Caterers]

[50] Dans l’arrêt Rainbow Caterers, la Cour suprême a rappelé que le fardeau juridique n’est pas immuable, renvoyant aux arrêts National Trust et Snell. La Cour suprême a défini la procédure en matière de preuve applicable à l’affaire en fonction de la question soulevée par chaque partie (arrêt Rainbow Caterers, p. 15) :

Du moment qu’il établit la perte occasionnée par le marché en question, le demandeur s’acquitte du fardeau de la preuve qui lui incombe relativement aux dommages‑intérêts. Le défendeur qui allègue que le demandeur aurait conclu un marché à des conditions différentes soulève une nouvelle question qui oblige le tribunal à s’interroger sur ce qui se serait produit dans une situation hypothétique. Il s’agit d’un domaine dans lequel il est généralement impossible de produire des éléments de preuve concrets. Or, à défaut d’éléments de preuve justifiant une conclusion sur cette question, est‑ce le demandeur ou bien le défendeur qui doit supporter le risque de ne pas convaincre le tribunal? Le demandeur est‑il tenu de réfuter toute proposition de nature conjecturale quant à ce qu’aurait été sa situation si le défendeur n’avait pas commis de délit civil, ou est‑ce à l’auteur du délit civil qui invoque cette situation hypothétique d’en faire la preuve?

[51] La Cour suprême a estimé qu’il appartenait au défendeur de faire valoir ses arguments sur une question qu’il avait soulevée, afin de tempérer la quantification des dommages telle qu’elle a été prouvée par le demandeur. La Cour suprême a noté que « [d]es motifs de principe valables suffiront pour inverser le fardeau normal de la preuve », et que l’affaire dont elle était saisie justifiait un tel renversement; le défendeur avait demandé au tribunal de parvenir à une conclusion opposée à celle affirmée par le demandeur concernant ce qui se serait produit dans une situation hypothétique, et il lui incombait donc d’écarter l’affirmation du demandeur concernant l’état des choses tel qu’il avait existé auparavant (arrêt Rainbow Caterers, p. 15 et 16).

(5) Hollis c. Dow Corning Corp., [1995] 4 R.C.S. 634, 129 D.L.R. (4th) 609.

[52] Dans l’arrêt Hollis, la Cour suprême a estimé qu’un fabricant d’implants mammaires avait l’obligation d’avertir les médecins des risques liés aux implants.

[53] Dans cet arrêt, l’appelante s’est heurtée à un obstacle probatoire similaire à celui auquel est confrontée l’appelante dans la présente affaire. Bien que les « moyens de preuve » de l’appelante n’aient pas été détruits comme ils l’avaient été dans l’arrêt Cook, ils ont néanmoins été « gravement affaiblis » par l’insistance du fabricant à ce qu’elle prouve une série hypothétique d’événements : que son médecin lui aurait transmis tous les avertissements du fabricant, s’il avait effectivement reçu des renseignements du fabricant concernant les risques de rupture d’implants (arrêt Hollis, p. 683).

[54] Bien que le comportement du médecin ait pu contribuer à la violation du droit de l’appelante à un consentement éclairé, la Cour suprême n’a pas exigé de l’appelante qu’elle élimine définitivement toute autre cause possible du préjudice qu’elle a subi avant d’engager la responsabilité du fabricant. La Cour suprême a décidé qu’il n’appartenait pas à la demanderesse, Mme Hollis, de prouver que son médecin lui aurait transmis l’avertissement; elle se trouvait dans une position d’« inégalité sur le plan de l’information » par rapport à cette question et n’avait de toute évidence « aucunement contribué à créer la série de conditions causales ayant mené au préjudice » (arrêt Hollis, p. 683).

(6) Benhaim c. St-Germain, 2016 CSC 48, [2016] 2 R.C.S. 352.

[55] Dans l’arrêt Benhaim, la Cour suprême a traité d’une tension similaire entre, d’une part, les éléments de preuve exigés d’un demandeur et, d’autre part, les limites des éléments de preuve mis à disposition par un défendeur. Dans l’arrêt Benhaim, la Cour suprême a décidé que, bien que la négligence d’un médecin ait compromis la capacité du demandeur à prouver le lien de causalité dans une affaire de responsabilité médicale, le juge de première instance n’était pas obligé de tirer une conclusion défavorable contre le défendeur (arrêt Benhaim, par. 41 et 42). Dans les cas où la recherche d’éléments de preuve par le demandeur est contrecarrée par la négligence du défendeur, « une inférence de causalité défavorable peut dégager le demandeur du fardeau de prouver l’existence du lien de causalité », mais « [c]es circonstances n’emportent pas une telle inférence » (arrêt Benhaim, par. 42, c’est le juge qui souligne dans l’original). La Cour suprême a souligné le langage permissif qui figure dans la jurisprudence pour décrire l’exercice par les juges de première instance de leur pouvoir discrétionnaire de tirer des conclusions défavorables (arrêt Benhaim, par. 43 et 52).

[56] La Cour suprême a conclu que l’incertitude ou la spéculation concernant la preuve d’un défendeur est insuffisante pour justifier une conclusion défavorable (arrêt Benhaim, par. 44). Au contraire, les décisions de tirer une conclusion défavorable doivent être fondées sur une « appréciation de l’ensemble de la preuve », y compris les faiblesses des éléments de preuve du demandeur (arrêt Benhaim, par. 44). Une autre approche de la décision, dans laquelle une déduction défavorable n’est déclenchée que par une pénurie d’éléments de preuve, aurait « le même effet qu’un renversement du fardeau de preuve » (arrêt Benhaim, par. 44 et 68). La Cour suprême a estimé qu’une telle approche, dans le contexte de l’affaire de responsabilité médicale dont elle était saisie, « risque de transformer les professionnels défendeurs en assureurs » (arrêt Benhaim, par. 68).

[57] L’examen du fardeau de la preuve et des conclusions défavorables plaide en faveur de la thèse de l’appelante. Pris ensemble, les arrêts Cook, National Trust, Snell, Rainbow Caterers, Hollis et Benhaim montrent que la répartition du fardeau de preuve doit être adaptée aux parties, à leurs capacités respectives d’obtenir des éléments de preuve essentiels ou d’y avoir accès et aux questions soulevées dans l’affaire. Ils montrent également que des conclusions peuvent être tirées lorsqu’on ne peut raisonnablement attendre d’un demandeur qu’il prouve tous les aspects du préjudice qu’il a subi.

[58] Ces thèmes primordiaux se heurtent toutefois à la réalité que le domaine du droit d’auteur est un droit écrit et que tant la « violation » que l’« autorisation » sont des termes prévus par la loi dont la portée et le contenu ont été définis par les tribunaux (arrêt CCH, par. 9 et 38; arrêt SOCAN, par. 82; arrêt ESA, par. 71, 104 à 107; Compo Co. Ltd. c. Blue Crest Music et autres, [1980] 1 R.C.S. 357, 105 D.L.R. (3d) 249, p. 372 et 273). Ainsi, les arrêts CCH, SOCAN, Rogers et ESA établissent des exigences minimales en matière de preuve pour qu’une allégation de violation soit accueillie. Plus précisément, cette jurisprudence fait deux choses : elle prescrit certains faits qui doivent être établis pour prouver la violation et elle permet de tirer des conclusions défavorables sur la violation en fonction de l’état général des éléments de preuve.

VI. Analyse de la décision de la Cour fédérale

L’allégation de violation directe de l’appelante

[59] L’appelante affirme que les intimés ont directement violé ses droits d’auteur en mettant l’œuvre à disposition en vue du téléchargement en ligne par l’intermédiaire du réseau BitTorrent. Elle affirme qu’elle a avancé tous les éléments de preuve qui sont [traduction] « technologiquement possibles » en ce qui concerne cette allégation, et que la Cour fédérale aurait dû tirer une conclusion défavorable pour combler toute lacune probatoire laissée par ces limitations, faisant ainsi droit aux allégations de violation directe de l’appelante. Elle affirme également que le défaut de répondre de façon répétée des intimés aux allégations de l’appelante rend nécessaire une conclusion défavorable à leur encontre. Enfin, l’appelante affirme que la Cour fédérale a commis une erreur en refusant de tirer une telle conclusion défavorable au motif que l’appelante n’a pas cherché à obtenir des renseignements complémentaires auprès des intimés.

[60] Je ne suis pas d’accord pour dire que la Cour fédérale a commis une erreur dans l’application des principes juridiques relatifs aux conclusions ou dans l’appréciation des éléments de preuve qui lui ont été présentés. Quoi qu’il en soit, la décision de la Cour fédérale de ne pas tirer de conclusion défavorable dans ce contexte est une question de fait à l’égard de laquelle il convient de faire preuve de déférence en appel, sous réserve de la justesse des principes juridiques qui ont guidé son appréciation des allégations (arrêt Benhaim, par. 42).

[61] L’arrêt Rogers de la Cour suprême répond en grande partie à l’argument de l’appelante en ce qui concerne son allégation de violation directe. La Cour suprême y a reconnu « qu’il y aura probablement des cas où la personne qui reçoit un avis de prétendue violation du droit d’auteur n’aura pas, en fait, partagé illégalement en ligne du contenu protégé par droit d’auteur » (arrêt Rogers, par. 35). Un abonné à Internet ne peut donc pas être considéré comme la personne responsable de toute activité illicite liée à son compte Internet (arrêt Rogers, par. 41) :

Il ne faut pas oublier que le fait qu’une personne soit associée à une adresse IP qui fait l’objet d’un avis au titre de l’al. 41.26(1)a) ne permet pas de conclure à sa culpabilité. Comme je l’ai expliqué, il est possible que la personne à qui appartenait une adresse IP au moment de la prétendue violation ne soit pas celle qui a partagé en ligne du contenu protégé par le droit d’auteur. Il est également possible qu’une erreur de la part du titulaire du droit d’auteur entraîne l’identification incorrecte d’une adresse IP comme étant la source de la violation en ligne du droit d’auteur.

[Non souligné dans l’original.]

[62] Un commentaire supplémentaire s’impose.

[63] La présomption d’innocence sous-tend le choix du législateur d’adopter un régime d’avis et d’avis plutôt qu’un régime d’avis et de retrait. Cette présomption ne signifie pas pour autant que les avis n’ont aucune valeur probante ou que le demandeur a une obligation accrue de prouver le bien-fondé de sa cause, au-delà de la norme civile habituelle de la prépondérance des probabilités. Au contraire, les avis constituent un élément pertinent de la matrice factuelle dont dispose le juge saisi de l’action. Ce ne sont pas des faits neutres.

[64] Je reviens à l’arrêt Benhaim, dans lequel la Cour suprême a refusé de tirer une conclusion défavorable sur la seule base d’une pénurie d’éléments de preuve, car « [l]eur imposer de la sorte les conséquences d’un lien de causalité incertain risqu[ait] de transformer les professionnels défendeurs [médicaux] en assureurs » (arrêt Benhaim, par. 68). L’analogie avec les faits du présent appel est évidente : tirer une conclusion défavorable, en fonction du lien entre une adresse IP signalée et l’abonné à Internet correspondant, engagerait la responsabilité stricte des abonnés à l’égard de toutes les activités de violation associées à leur compte, un résultat que la Cour suprême a clairement rejeté (arrêt Rogers, par. 26 et 41).

[65] L’argument de l’appelante concernant son incapacité à recueillir d’autres éléments de preuve n’est pas convaincant si elle ne fait aucune tentative de soumettre le titulaire du compte à un interrogatoire préalable. L’affirmation de l’appelante selon laquelle elle n’aurait pas pu fournir plus d’éléments de preuve qu’elle ne l’a fait, d’un point de vue technologique, ne lui donne pas plus de flexibilité dans l’appréciation de sa preuve, ne réduit pas la norme de preuve applicable à une norme inférieure et ne supprime pas des éléments de preuve que doit produire le titulaire de droits d’auteur pour établir l’allégation de violation. Le fardeau juridique n’est pas transféré au défendeur simplement parce que le demandeur a présenté tous les éléments de preuve possibles.

[66] En outre, les conclusions défavorables ne découlent pas nécessairement du seul fait qu’une partie a présenté tous les éléments de preuve « raisonnablement disponibles » dans le cadre d’une requête ex parte. L’appelante devait encore prouver ses allégations de violation à la Cour fédérale selon la prépondérance des probabilités. La Cour fédérale a estimé qu’elle ne l’avait pas fait, et je ne vois pas d’erreur dans cette conclusion à la lumière des enseignements de la Cour suprême dans l’arrêt Rogers selon lesquels une simple association avec une adresse IP incriminée ne permet pas de conclure que l’abonné à Internet correspondant a partagé en ligne du matériel protégé par le droit d’auteur (motifs, par. 56; arrêt Rogers, par. 35 et 41).

(1) Jurisprudence invoquée par l’appelante

[67] L’appelante s’appuie sur l’arrêt TekSavvy pour affirmer qu’une fois que les titulaires de droits d’auteur ont mené à bien toutes les enquêtes raisonnables, on ne peut leur demander d’entreprendre des enquêtes supplémentaires. Bien que la Cour ait conclu dans l’arrêt TekSavvy que « tout effort supplémentaire déployé pour [identifier et trouver] les défendeurs [et entrer en communication avec eux] aurait été en vain », elle est parvenue à cette conclusion après avoir noté que « [l]es demandeurs ont manifestement présenté des éléments de preuve montrant qu’ils ont fait des efforts pour trouver les défendeurs » (arrêt TekSavvy, par. 85).

[68] En revanche, la Cour fédérale a conclu en l’espèce que l’appelante n’avait rien fait de plus qu’obtenir des ordonnances de type Norwich pour tenter de déterminer l’identité de l’internaute responsable de la violation alléguée (motifs, par. 52), et que d’autres interrogatoires préalables pourraient permettre de découvrir des renseignements utiles (motifs, par. 50). Les demandeurs dans l’arrêt TekSavvy avaient manifestement poussé leurs enquêtes plus loin que l’appelante en l’espèce. Cette distinction factuelle limite la pertinence de l’arrêt TekSavvy en l’espèce.

[69] L’appelante s’appuie également sur la décision Trimble Solutions Corporation c. Quantum Dynamics Inc., 2021 CF 63, 187 C.P.R. (4th) 36 [décision Trimble] pour proposer la thèse voulant que la Cour fédérale puisse accorder un jugement par défaut même lorsqu’elle ne peut pas discerner l’identité de la personne qui utilise le logiciel contrefaisant. Toutefois, la présente affaire ne permet aucunement de justifier une proposition aussi large. Dans la décision Trimble, la Cour fédérale a accueilli une demande de jugement par défaut en fonction de l’ensemble des faits dont elle était saisie, qui comprenait des éléments de preuve reliant les défendeurs aux cas de violation directe.

[70] Là encore, aucune preuve similaire n’a été présentée à la Cour fédérale. Bien que l’appelante ait obtenu les ordonnances de type Norwich pour obtenir les noms et adresses des intimés auprès de leurs fournisseurs de services Internet, cette preuve ne lie pas les intimés à l’activité de violation, comme c’était le cas dans l’affaire Trimble. Les noms d’hôte, les noms d’utilisateur et les adresses électroniques associés à l’activité illicite dans l’affaire Trimble étaient des éléments d’information permettant intrinsèquement l’identification qui renforçaient le lien entre la violation et la personne associée à ces éléments d’identification, et étayaient les conclusions tirées par le juge (décision Trimble, par. 60). Il ne faisait « aucun doute », en fin de compte, que les dispositifs utilisés pour commettre les activités de violation étaient sous le contrôle des défendeurs et se trouvaient dans leurs locaux (décision Trimble, par. 60).

[71] La preuve de l’appelante selon laquelle un abonné à Internet est souvent la personne qui utilise le logiciel BitTorrent pour distribuer des fichiers ne l’emporte pas sur la spéculation nécessaire pour conclure que ces intimés particuliers, en l’espèce, sont les internautes contrefacteurs (affidavit de Benjamin Perino, par. 16, dossier d’appel, p. 203). L’appelante elle-même a reconnu qu’[traduction] « il est bien connu que les comptes Internet domestiques peuvent être utilisés par plus d’une personne » dans ses observations écrites (mémoire des faits et du droit de l’appelante, par. 32).

[72] Hormis les ordonnances de type Norwich et le logiciel de l’appelante, qui reliait la mise en ligne de l’œuvre à une adresse IP particulière, aucun autre élément de preuve présenté à la Cour fédérale n’a permis d’identifier les intimés comme étant les internautes qui ont mis en ligne l’œuvre. Comme je l’ai décrit ci-dessus, il incombait à l’appelante de fournir ces éléments de preuve à la Cour fédérale. La Cour fédérale n’était pas tenue d’accepter que les intimés fussent les auteurs du téléversement simplement parce qu’aucune preuve devant elle n’indiquait que quelqu’un d’autre était l’auteur du téléversement. Bien qu’elle ait admis que des personnes utilisant l’adresse IP de chaque intimé avaient violé le droit d’auteur de l’appelante en téléchargeant l’œuvre, la Cour fédérale a estimé qu’elle ne pouvait pas conclure à ce stade que les intimés étaient eux-mêmes ces personnes particulières (motifs, par. 32, 33 et 56). Je suis du même avis.

(2) Conséquences du défaut de contester

[73] L’appelante souligne que les intimés ont laissé passer quatre occasions de fournir des éléments de preuve disculpatoires (après l’envoi du premier avis, après l’envoi du deuxième avis, après la réception de la déclaration et après l’envoi d’un rappel quant à la déclaration). Elle affirme que le statut de défaillance des intimés [traduction] « exige » en soi qu’une conclusion défavorable soit tirée à leur encontre.

[74] L’essentiel de l’argumentation de l’appelante sur ce point mêle l’examen en deux étapes qu’une cour entreprend lorsqu’elle est saisie d’une requête pour jugement par défaut. La constatation que l’intimé est en défaut n’est que la première des deux étapes qu’un demandeur doit franchir pour avoir gain de cause lors de la présentation d’une requête pour jugement par défaut; pour franchir la deuxième étape, le demandeur doit également fournir au tribunal des éléments de preuve suffisants à l’appui de sa demande particulière (Chase Manhattan Corp. c. 3133559 Canada Inc, 2001 CFPI 895, 2001 CarswellNat 2492 (WL Can), par. 5; Canada c. Thiel, 2016 CF 137, 2016 CarswellNat 242 (WL Can), par. 1; Canada c. Zielinski Brother’s Farm Inc., 2019 CF 1532, 2019 CarswellNat 7286 (WL Can), par. 1).

[75] Le défaut de contester, lorsqu’il est associé à d’autres éléments de preuve, rend le défendeur vulnérable à une conclusion défavorable. Le fait qu’un défendeur soit pris en défaut à la première étape n’exige pas en soi qu’une conclusion défavorable soit tirée à la deuxième étape de cette analyse. C’est à la deuxième étape de l’analyse qu’une appréciation de la preuve et qu’une évaluation du bien-fondé des prétentions du demandeur doivent être faites. Si le fait qu’un défendeur soit en défaut permettait à toutes fins que de droit de tirer des conclusions défavorables lors de la deuxième étape du critère pour les requêtes pour jugement par défaut, les demandeurs qui présentent des requêtes ex parte pour jugement par défaut n’auraient pas besoin de présenter de preuve au tribunal pour obtenir gain de cause. Certains éléments de preuve sont nécessaires.

[76] En ce qui concerne le dernier argument de l’appelante relatif à son allégation de violation directe, j’estime que la Cour fédérale n’a pas commis d’erreur en exigeant de l’appelante qu’elle demande la tenue d’un interrogatoire préalable auprès des intimés avant de tirer une conclusion défavorable à l’encontre de ces derniers. Je ne suis pas d’accord avec cette caractérisation de la décision de la Cour fédérale sur ce point, car je ne l’interprète pas comme exigeant que cette mesure soit prise pour des raisons purement procédurales, formalistes ou symboliques. Au lieu de cela, la Cour fédérale a proposé « qu’un autre interrogatoire préalable ou qu’une demande pour obtenir des renseignements supplémentaires » puisse fournir la preuve même qui manquait à l’appelante dans sa tentative de démontrer un comportement qui constituait légalement une violation (motifs, par. 50). Se concentrant sur les exigences en matière de preuve de l’allégation de l’appelante, la Cour fédérale a conclu à juste titre qu’« il faut plus que le simple fait d’affirmer qu’un abonné est, par défaut, l’utilisateur responsable de la violation » (motifs, par. 55).

[77] Je suis toutefois d’accord avec l’appelante pour dire que la Cour fédérale aurait commis une erreur en exigeant de l’appelante qu’elle découvre les dispositifs ou les enregistrements électroniques des intimés comme condition préalable à l’établissement d’une conclusion défavorable ou à la constatation d’une violation. La Cour fédérale semble avoir fait allusion à une telle exigence, en déclarant qu’« il faut tenter d’identifier l’internaute responsable de la violation [...] avant que le défaut de donner suite justifie une inférence défavorable » (motifs, paragraphe 52).

[78] Dans la mesure où ce commentaire introduit une condition procédurale aux allégations de violation du droit d’auteur, je ne suis pas d’accord. Ce qui importe en fin de compte dans les contentieux relatifs aux droits d’auteur, c’est de savoir si le titulaire des droits d’auteur a prouvé, sur le fond et selon la prépondérance des probabilités, qu’il y avait eu violation des droits d’auteur. Toutefois, compte tenu de ma conclusion antérieure selon laquelle l’appelante n’avait pas fourni à la Cour fédérale les éléments de preuve suffisants nécessaires pour établir un lien entre les intimés et l’activité constituent une violation, aucune conclusion défavorable n’aurait pu être tirée dans ces circonstances, quelles que soient les démarches procédurales entreprises par l’appelante.

L’allégation d’autorisation de la violation de l’appelante

[79] L’appelante prétend que la Cour fédérale a commis une erreur en exigeant que l’appelante établisse l’étendue du contrôle que les intimés exerçaient sur la personne qui a mis l’œuvre en ligne avant de rendre un jugement par défaut. L’appelante affirme également que les intimés ont volontairement fait abstraction de la violation de ses droits d’auteur, étant donné que la violation s’est poursuivie malgré la réception de deux avis alléguant une activité de violation à leurs adresses IP. L’appelante fait valoir que ses éléments de preuve, à savoir que deux avis ont été envoyés aux intimés et que ces derniers sont les abonnés à Internet associés aux adresses IP incriminées, sont suffisants pour conclure que les intimés ont exercé un contrôle sur l’utilisation de leur compte Internet et des appareils qui y sont connectés, de sorte qu’ils ont autorisé la violation.

[80] Ces arguments ne tiennent pas pour deux raisons.

[81] La première est ancrée dans la définition du terme « autoriser » donnée par la Cour suprême (arrêt CCH, par. 38) :

« Autoriser » signifie « sanctionner, appuyer ou soutenir » (« sanction, approve and countenance »). Lorsqu’il s’agit de déterminer si une violation du droit d’auteur a été autorisée, il faut attribuer au terme « countenance » son sens le plus fort mentionné dans le dictionnaire, soit [traduction] « approuver, sanctionner, permettre, favoriser, encourager » : voir The New Shorter Oxford English Dictionary (1993), vol. 1, p. 526. L’autorisation est néanmoins une question de fait qui dépend de la situation propre à chaque espèce et peut s’inférer d’agissements qui ne sont pas des actes directs et positifs, et notamment d’un degré suffisamment élevé d’indifférence. Toutefois, ce n’est pas autoriser la violation du droit d’auteur que de permettre la simple utilisation d’un appareil susceptible d’être utilisé à cette fin. Les tribunaux doivent présumer que celui qui autorise une activité ne l’autorise que dans les limites de la légalité. Cette présomption peut être réfutée par la preuve qu’il existait une certaine relation ou un certain degré de contrôle entre l’auteur allégué de l’autorisation et les personnes qui ont violé le droit d’auteur.

[Citations omises et non souligné dans l’original.]

[82] L’« autorisation » dépend donc du contrôle exercé par l’auteur présumé sur la personne qui a commis la violation qui en résulte; elle ne dépend pas du contrôle exercé par l’auteur présumé sur la fourniture de sa technologie (arrêt CCH, par. 38 et 45; Sookman, p. 1002). Permettre la « la simple utilisation d’un appareil susceptible d’être utilisé à cette fin [la violation du droit d’auteur] », ce qui est au mieux tout ce que nous avons en l’espèce, ne relève pas de la définition juridique de l’« autorisation » (arrêt CCH, par. 38, 42 et 43). La Cour fédérale a adhéré à ce principe et a estimé que l’appelante n’avait pas prouvé qu’il y avait eu activité au-delà du partage par les intimés de leurs comptes Internet (motifs, par. 59, 68 et 70).

[83] Comme le note l’appelante, l’argument de l’autorisation de la violation a déjà été présenté à la Cour dans l’arrêt Salna c. Voltage Pictures, LLC, 2021 CAF 176, 469 D.L.R. (4th) 342 [arrêt Salna]. Il est toutefois important de noter que la Cour a examiné l’argument de l’appelante dans le contexte d’une requête en autorisation, qui n’exige pas une évaluation du bien-fondé de l’argument (arrêt Salna, par. 77). En évaluant uniquement si l’appelante avait invoqué une cause raisonnable d’action, la Cour a déterminé que l’appelant avait démontré qu’elle avait une « demande inédite, mais soutenable » d’autorisation de la violation (arrêt Salna, par. 83). Cette conclusion ne représente pas une acceptation du genre d’autorisation de la violation tel qu’il est formulé par l’appelante; elle représente plutôt une acceptation de ce genre comme étant soutenable. Comme la Cour l’a relevé dans l’arrêt Salna, il appartenait à l’appelante de prouver ses prétentions lors de l’audience sur le fond (arrêt Salna, par. 84); en l’espèce, la Cour fédérale a estimé que l’appelante n’avait pas fourni d’éléments de preuve suffisants à cet effet (motifs, par. 62 et 63).

[84] La deuxième raison de l’échec de l’allégation de l’appelante concernant l’autorisation de la violation est, comme nous l’avons déjà mentionné, la décision de la Cour suprême rendue dans l’arrêt ESA.

[85] L’arrêt ESA fournit des orientations claires sur les exigences juridiques et les exigences en matière de preuve de la violation dans le contexte de l’infraction en ligne. Pour établir l’existence d’une activité de violation, il faut prouver que l’incidence qu’a l’activité en question sur l’œuvre porte sur l’un des trois intérêts visés au paragraphe 3(1) de la Loi (arrêt ESA, par. 56 et 57). La mise en ligne d’une œuvre et l’invitation faite à d’autres personnes de la visualiser engagent le droit d’autorisation de l’auteur; toutefois, le partage de l’accès à Internet après avoir reçu des avis de violation présumée n’apporte rien à l’œuvre en question et ne met donc en jeu aucun droit d’auteur accordé exclusivement à l’auteur (arrêt ESA, par. 56 et 57, 106; la Loi, par. 3(1) et 27(1)). Ce dernier cas de figure se présentant en l’espèce, l’activité qualifiée d’« autorisation » par l’appelante ne peut justifier une protection au titre de la Loi.

VII. Conclusion

[86] Dans la matrice factuelle de l’espèce et à ce stade relativement précoce, l’absence de participation des défendeurs au contentieux ne compense pas le manque d’éléments de preuve du demandeur. La Cour fédérale n’était pas tenue de tirer une conclusion défavorable à ce stade du contentieux du seul fait que les intimés, par leur silence, n’avaient pas apporté d’éléments de preuve suffisants pour réfuter les allégations de l’appelante (arrêt Benhaim, par. 42).


 

[87] Pour les motifs énoncés ci-dessus, je rejetterais l’appel. Étant donné que ni l’appelante ni la CIPPIC n’ont demandé les dépens, aucuns dépens ne devraient être accordés.

« Donald J. Rennie »

j.c.a.

« Je souscris aux présents motifs.

Le juge Stratas, j.c.a. »

« Je souscris aux présents motifs.

Le juge Webb, j.c.a. »

Traduction certifiée conforme.

Mario Lagacé, jurilinguiste

ANNEXE 1 – LISTE DES DÉFENDEURS ET RENSEIGNEMENTS PARTICULIERS CONCERNANT LES VIOLATIONS COMMISES PAR CES DÉFENDEURS

 

Nom et adresse

Adresse IP

Date et heure (TUC) du 1er avis de violation

Date et heure (TUC) du 2e avis de violation

1.

Untel no 1, nom et adresse inconnus

156.34.2.57

2017-09-23

12:14:22

2017-10-03

15:41:47

2.

Untel no 2, nom et adresse inconnus

156.34.180.12

2017-09-23

14:26:32

2017-10-01

03:36:54

3.

Untel no 3, nom et adresse inconnus

142.162.128.245

2017-09-23

14:13:46

2017-10-01

10:05:58

4.

Untel no 4, nom et adresse inconnus

47.54.165.90

2017-09-22

21:55:01

2017-10-02

23:33:27

5.

Untel no 5, nom et adresse inconnus

156.57.220.81

2017-09-24

14:49:05

2017-11-03

00:35:45

6.

Untel no 6, nom et adresse inconnus

108.175.82.55

2017-09-24

23:55:18

2017-10-03

21:25:32

7.

Untel no 7, nom et adresse inconnus

47.55.135.155

2017-09-28

12:02:47

2017-10-06

16:46:00

8.

Untel no 8, nom et adresse inconnus

99.192.57.154

2017-10-03

15:46:37

2017-10-15

17:37:56

9.

Untel no 9, nom et adresse inconnus

99.192.98.62

2017-10-21

01:18:19

2017-10-29

01:16:02

10.

Untel no 10, nom et adresse inconnus

156.34.231.116

2017-10-23

21:20:10

2017-11-08

04:56:55

11.

Untel no 11, nom et adresse inconnus

99.192.98.54

2017-10-31

15:58:55

2017-11-08

02:13:16

12.

Untel no 12, nom et adresse inconnus

142.166.216.146

2017-11-02

00:08:42

2017-11-10

04:39:17

13.

Untel no 13, nom et adresse inconnus

142.177.66.92

2017-11-22

12:29:40

2017-11-30

00:30:50

14.

Untel no 14, nom et adresse inconnus

47.55.141.234

2017-12-06

05:04:51

2017-12-17

10:23:54

15.

Untel no 15, nom et adresse inconnus

142.167.107.117

2018-01-08

02:54:10

2018-01-16

07:38:54

16.

Untel no 16, nom et adresse inconnus

142.162.97.180

2018-01-08

22:17:39

2018-01-22

04:03:57

17.

Untel no 17, nom et adresse inconnus

70.26.9.128

2017-09-04

15:47:34

2017-09-22

20:40:39

18.

Untel no 18, nom et adresse inconnus

67.68.98.171

2017-09-09

17:37:40

2017-09-24

19:40:14

19.

Untel no 19, nom et adresse inconnus

67.68.221.129

2017-09-21

18:07:52

2017-09-30

15:19:05

20.

Untel no 20, nom et adresse inconnus

76.68.210.170

2017-09-23

04:08:35

2017-10-07

23:12:04

21.

Untel no 21, nom et adresse inconnus

64.228.79.220

2017-09-23

02:44:57

2017-10-01

00:14:25

22.

Untel no 22, nom et adresse inconnus

70.51.181.6

2017-09-21

23:51:26

2017-10-20

13:09:37

23.

Untel no 23, nom et adresse inconnus

65.93.22.84

2017-09-23

14:20:10

2017-11-01

01:52:09

24.

Untel no 24, nom et adresse inconnus

65.93.37.104

2017-09-22

20:29:47

2017-10-01

02:13:30

25.

Untel no 25, nom et adresse inconnus

70.52.111.190

2017-09-24

23:22:52

2017-10-06

01:28:51

26.

Untel no 26, nom et adresse inconnus

174.95.209.150

2017-09-28

20:57:47

2017-10-10

00:16:33

27.

Untel no 27, nom et adresse inconnus

174.91.58.211

2017-10-01

19:28:16

2017-10-12

07:30:15

28.

Untel no 28, nom et adresse inconnus

69.158.120.153

2017-10-02

02:10:25

2017-10-15

18:12:41

29.

Untel no 29, nom et adresse inconnus

69.157.112.66

2017-10-08

17:07:02

2017-10-26

09:23:29

30.

Untel no 30, nom et adresse inconnus

70.54.41.122

2017-10-09

23:43:14

2017-10-19

08:17:40

31.

Untel no 31, nom et adresse inconnus

76.68.166.197

2017-10-18

14:47:27

2017-10-28

15:44:59

32.

Untel no 32, nom et adresse inconnus

174.94.24.88

2017-10-25

04:34:03

2017-11-12

04:05:48

33.

Untel no 33, nom et adresse inconnus

76.68.165.22

2017-10-28

17:13:06

2017-11-19

05:22:22

34.

Untel no 34, nom et adresse inconnus

70.55.183.190

2017-11-02

18:51:24

2017-11-11

03:31:49

35.

Untel no 35, nom et adresse inconnus

70.53.243.234

2017-11-05

15:17:04

2017-12-01

23:56:50

36.

Untel no 36, nom et adresse inconnus

67.70.141.111

2017-11-22

21:18:01

2017-12-01

16:44:10

37.

Untel no 37, nom et adresse inconnus

174.89.225.185

2017-11-23

04:26:11

2017-12-08

22:56:01

38.

Untel no 38, nom et adresse inconnus

50.100.143.185

2017-12-05

02:37:09

2017-12-26

21:59:23

39.

Untel no 39, nom et adresse inconnus

70.26.230.20

2017-12-11

10:14:24

2017-12-19

08:30:27

40.

Untel no 40, nom et adresse inconnus

65.92.242.120

2017-12-10

10:35:07

2017-12-19

02:23:52

41.

Untel no 41, nom et adresse inconnus

174.91.250.77

2017-12-13

01:14:38

2017-12-22

02:07:19

42.

Untel no 42, nom et adresse inconnus

76.64.239.125

2017-12-12

22:24:35

2017-12-23

01:07:57

43.

Untel no 43, nom et adresse inconnus

70.31.230.190

2017-12-13

06:05:28

2017-12-21

09:26:03

44.

Untel no 44, nom et adresse inconnus

70.26.203.10

2017-12-13

05:52:54

2017-12-21

04:56:51

45.

Untel no 45, nom et adresse inconnus

74.12.216.135

2017-12-13

05:47:10

2017-12-22

01:36:51

46.

Untel no 46, nom et adresse inconnus

70.49.66.137

2017-12-13

05:46:33

2017-12-21

19:44:48

47.

Untel no 47, nom et adresse inconnus

67.68.201.148

2017-12-13

05:02:09

2017-12-21

08:04:36

48.

Untel no 48, nom et adresse inconnus

184.145.217.50

2017-12-13

02:10:19

2017-12-21

19:19:35

49.

Untel no 49, nom et adresse inconnus

70.30.248.51

2017-12-13

00:41:32

2017-12-21

03:10:12

50.

Untel no 50, nom et adresse inconnus

70.51.141.35

2017-12-13

11:00:17

2017-12-21

09:45:38

51.

Untel no 51, nom et adresse inconnus

65.92.23.220

2017-12-15

05:04:17

2017-12-25

01:13:54

52.

Untel no 52, nom et adresse inconnus

70.49.77.208

2017-12-15

18:16:58

2017-12-24

03:42:10

53.

Untel no 53, nom et adresse inconnus

184.148.213.254

2017-12-17

07:22:22

2017-12-26

04:41:57

54.

Untel no 54, nom et adresse inconnus

70.53.216.231

2017-12-17

07:15:20

2018-01-12

00:00:01

55.

Untel no 55, nom et adresse inconnus

76.69.176.159

2017-12-18

00:58:02

2017-12-26

04:53:20

56.

Untel no 56, nom et adresse inconnus

174.92.168.219

2017-12-19

08:26:54

2018-01-03

12:56:12

57.

Untel no 57, nom et adresse inconnus

50.100.131.28

2017-12-20

23:14:07

2017-12-29

15:04:57

58.

Untel no 58, nom et adresse inconnus

70.30.252.247

2017-12-20

23:08:22

2017-12-31

02:49:11

59.

Untel no 59, nom et adresse inconnus

70.55.52.99

2017-12-24

05:25:07

2018-01-01

22:58:59

60.

Untel no 60, nom et adresse inconnus

76.68.216.130

2017-12-25

05:04:52

2018-01-04

07:00:02

61.

Untel no 61, nom et adresse inconnus

70.31.231.239

2017-12-28

11:53:40

2018-01-05

01:22:19

62.

Untel no 62, nom et adresse inconnus

174.95.184.185

2017-12-29

03:47:51

2018-01-13

03:39:00

63.

Untel no 63, nom et adresse inconnus

184.144.235.232

2017-12-30

11:35:25

2018-01-07

06:08:07

64.

Untel no 64, nom et adresse inconnus

76.69.134.82

2018-01-01

23:48:55

2018-01-15

05:11:09

65.

Untel no 65, nom et adresse inconnus

76.71.168.102

2018-01-03

03:32:41

2018-01-18

02:42:22

66.

Untel no 66, nom et adresse inconnus

174.95.132.108

2018-01-04

01:18:07

2018-01-18

22:35:41

67.

Untel no 67, nom et adresse inconnus

69.156.112.15

2018-01-05

11:06:28

2018-01-23

15:47:35

68.

Untel no 68, nom et adresse inconnus

67.70.207.242

2018-01-07

06:17:38

2018-01-15

04:51:47

69.

Untel no 69, nom et adresse inconnus

74.14.196.10

2018-01-10

04:34:22

2018-01-18

03:33:40

70.

Untel no 70, nom et adresse inconnus

67.68.60.66

2018-01-18

00:38:08

2018-01-27

02:07:11

71.

Untel no 71, nom et adresse inconnus

99.250.77.228

2017-08-09

02:25:50

2017-09-19

23:39:18

72.

Untel no 72, nom et adresse inconnus

99.254.226.230

2017-08-08

04:08:35

2017-10-07

04:50:47

73.

Untel no 73, nom et adresse inconnus

174.119.133.153

2017-08-16

02:02:32

2017-09-09

00:55:40

74.

Untel no 74, nom et adresse inconnus

99.242.225.141

2017-08-26

23:11:41

2017-09-29

16:38:41

75.

Untel no 75, nom et adresse inconnus

99.243.54.76

2017-09-23

13:47:35

2017-10-01

19:52:51

76.

Untel no 76, nom et adresse inconnus

174.115.223.47

2017-09-23

12:59:57

2017-10-01

05:25:36

77.

Untel no 77, nom et adresse inconnus

99.225.244.134

2017-09-23

01:32:44

2017-10-01

13:10:09

78.

Untel no 78, nom et adresse inconnus

99.251.17.193

2017-09-22

20:08:09

2017-12-05

06:34:35

79.

Untel no 79, nom et adresse inconnus

99.238.24.230

2017-09-21

20:40:34

2018-01-03

23:39:31

80.

Untel no 80, nom et adresse inconnus

174.113.37.233

2017-09-23

10:20:25

2017-12-16

11:58:11

81.

Untel no 81, nom et adresse inconnus

99.251.36.235

2017-09-23

21:20:25

2017-10-02

01:38:37

82.

Untel no 82, nom et adresse inconnus

99.240.232.60

2017-09-23

18:23:11

2017-10-06

18:41:04

83.

Untel no 83, nom et adresse inconnus

174.119.76.216

2017-09-23

17:50:23

2017-10-02

03:40:33

84.

Untel no 84, nom et adresse inconnus

174.113.26.41

2017-09-23

14:39:49

2017-10-20

15:16:17

85.

Untel no 85, nom et adresse inconnus

99.242.168.234

2017-09-24

04:39:22

2017-10-04

01:19:55

86.

Untel no 86, nom et adresse inconnus

174.115.198.172

2017-09-24

15:23:27

2017-10-02

13:05:11

87.

Untel no 87, nom et adresse inconnus

174.118.22.63

2017-09-25

00:58:28

2017-10-03

02:50:52

88.

Untel no 88, nom et adresse inconnus

99.250.125.39

2017-09-25

00:39:34

2017-10-03

05:10:33

89.

Untel no 89, nom et adresse inconnus

174.117.250.146

2017-09-25

08:21:03

2017-10-03

00:53:48

90.

Untel no 90, nom et adresse inconnus

99.248.48.8

2017-09-25

08:00:36

2017-10-09

06:45:26

91.

Untel no 91, nom et adresse inconnus

99.233.136.132

2017-09-25

02:25:26

2017-10-09

06:52:02

92.

Untel no 92, nom et adresse inconnus

99.237.68.211

2017-09-24

12:42:10

2017-10-06

18:28:45

93.

Untel no 93, nom et adresse inconnus

174.112.229.30

2017-09-27

13:39:43

2017-10-05

12:42:04

94.

Untel no 94, nom et adresse inconnus

99.255.192.147

2017-09-27

21:39:25

2017-10-11

20:40:35

95.

Untel no 95, nom et adresse inconnus

99.237.79.94

2017-10-01

03:20:36

2017-10-15

03:27:19

96.

Untel no 96, nom et adresse inconnus

174.115.30.171

2017-10-01

13:20:23

2017-10-11

01:21:58

97.

Untel no 97, nom et adresse inconnus

99.248.153.126

2017-10-02

23:25:56

2017-10-15

20:10:47

98.

Untel no 98, nom et adresse inconnus

99.249.220.227

2017-10-04

02:52:08

2017-10-15

20:09:51

99.

Untel no 99, nom et adresse inconnus

99.232.231.43

2017-10-05

21:33:07

2017-12-17

05:50:09

100.

Untel no 100, nom et adresse inconnus

99.251.120.204

2017-10-14

00:42:35

2017-11-06

20:36:14

101.

Untel no 101, nom et adresse inconnus

174.117.230.105

2017-10-24

00:49:47

2017-11-12

04:35:48

102.

Untel no 102, nom et adresse inconnus

99.249.114.233

2017-10-28

01:13:01

2017-11-09

08:17:16

103.

Untel no 103, nom et adresse inconnus

99.239.4.175

2017-10-28

07:37:12

2017-11-08

02:30:02

104.

Untel no 104, nom et adresse inconnus

99.246.146.0

2017-11-05

21:57:09

2017-11-17

02:05:40

105.

Untel no 105, nom et adresse inconnus

99.230.78.111

2017-11-09

06:35:11

2017-11-26

00:35:21

106.

Untel no 106, nom et adresse inconnus

99.246.169.135

2017-11-29

07:16:31

2017-12-07

03:20:41

107.

Untel no 107, nom et adresse inconnus

99.237.251.93

2017-12-19

18:59:47

2018-01-06

08:18:28

108.

Untel no 108, nom et adresse inconnus

99.243.10.135

2017-12-25

01:12:13

2018-01-02

00:00:26

109.

Untel no 109, nom et adresse inconnus

99.224.179.37

2017-12-30

01:43:44

2018-01-10

05:17:44

110.

Untel no 110, nom et adresse inconnus

99.242.155.58

2018-01-06

01:05:59

2018-01-19

22:46:58

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :

A-129-22

 

INTITULÉ :

VOLTAGE HOLDINGS, LLC c. UNTEL No 1 et autres et CLINIQUE D’INTÉRÊT PUBLIC ET DE POLITIQUE INTERNET DU CANADA SAMUELSON-GLUSHKO

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 28 mars 2023

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE RENNIE

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE STRATAS

LE JUGE WEBB

DATE DES MOTIFS :

Le 27 septembre 2023

COMPARUTIONS :

Kenneth R. Clark

Lawrence Veregin

Pour l’appelante

David Fewer

Pour l’intervenante

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Aird & Berlis LLP

Toronto (Ontario)

Pour l’appelante

Clinique d’intérêt public et de politiques d’Internet du Canada Samuelson-Glushko (CIPPIC)

Ottawa (Ontario)

Pour l’intervenante

 

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