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Date : 20231012


Dossier : A-50-21

Référence : 2023 CAF 208

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LA JUGE MACTAVISH

LA JUGE MONAGHAN

LA JUGE BIRINGER

 

ENTRE :

 

 

HESAMEDDIN ABBASPOUR TAZEHKAND

 

 

appelant

 

 

et

 

 

BANQUE DU CANADA

 

 

intimée

 

Audience tenue à Ottawa (Ontario), le 20 septembre 2023.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 12 octobre 2023.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LA JUGE MACTAVISH

Y ONT SOUSCRIT :

LA JUGE MONAGHAN

LA JUGE BIRINGER

 


Date : 20231012


Dossier : A-50-21

Référence : 2023 CAF 208

CORAM :

LA JUGE MACTAVISH

LA JUGE MONAGHAN

LA JUGE BIRINGER

 

ENTRE :

 

 

HESAMEDDIN ABBASPOUR TAZEHKAND

 

 

appelant

 

 

et

 

 

BANQUE DU CANADA

 

 

intimée

 

MOTIFS DU JUGEMENT

LA JUGE MACTAVISH

[1] Hesameddin Abbaspour Tazehkand est un résident permanent du Canada d’origine iranienne. Lorsque sa candidature à un poste à la Banque du Canada a été rejetée sans qu’il ait été convoqué à un entretien d’embauche, M. Tazehkand a déposé une plainte auprès de la Commission canadienne des droits de la personne, alléguant qu’il avait été victime d’une discrimination fondée sur sa race et son origine nationale ou ethnique.

[2] Après avoir examiné sa plainte, la Commission a conclu qu’une enquête plus approfondie sur la plainte de M. Tazehkand n’était pas justifiée. En concluant que sa plainte devait être rejetée, la Commission a estimé que M. Tazehkand ne possédait pas les qualifications essentielles pour le poste auquel il avait posé sa candidature. La Commission a également constaté qu’il n’avait pas fourni d’éléments de preuve à l’appui de son affirmation selon laquelle sa race ou son origine nationale ou ethnique avaient été des facteurs dans la décision de la Banque de ne pas lui accorder un entretien d’embauche ou de ne pas l’embaucher.

[3] Dans une décision portant le numéro de référence 2020 CF 1193, la Cour fédérale a rejeté la demande de contrôle judiciaire de M. Tazehkand à l’égard de la décision de la Commission. La Cour fédérale a estimé qu’il avait été traité équitablement dans le cadre de la procédure de la Commission et que la décision de cette dernière de rejeter sa plainte pour violation des droits de la personne était raisonnable.

[4] M. Tazehkand interjette maintenant appel de la décision de la Cour fédérale, affirmant que la Cour fédérale a commis une erreur en concluant que la Commission avait fait preuve d’équité procédurale à son égard et que la décision de la Commission était raisonnable. Selon M. Tazehkand, la Cour fédérale a également commis une erreur en refusant de prendre en considération un document relatif à une plainte contre la Banque qu’il avait déposée auprès du commissaire à la protection de la vie privée, et en estimant que ses arguments concernant la conduite de la Banque n’étaient pas « réellement en jeu », qu’ils ne faisaient pas avancer sa demande ou qu’ils n’étaient pas pertinents.

[5] Pour les motifs qui suivent, je ne suis pas convaincue que la Cour fédérale a commis une erreur dans la détermination des normes de contrôle à appliquer à la décision de la Commission de rejeter la plainte en matière de droits de la personne de M. Tazehkand ou qu’elle a commis une erreur dans l’application de ces normes en l’espèce. Je ne suis pas non plus convaincue que la Cour fédérale a commis une erreur en excluant le rapport du commissaire à la protection de la vie privée ou en rejetant les arguments de M. Tazehkand concernant la conduite de la Banque. Par conséquent, je rejetterais l’appel de M. Tazehkand.

I. Les faits

[6] En 2016, M. Tazehkand a posé sa candidature à l’un des neuf postes d’« analyste (maîtrise, nouveaux diplômés) » à la Banque du Canada. Les exigences en matière de scolarité pour les postes désignés dans l’offre d’emploi indiquaient que les candidats devaient être titulaires d’un [traduction] « diplôme de maîtrise en finance ou dans un domaine apparenté, comme l’économie, l’informatique, les mathématiques, les statistiques, l’administration des affaires (MBA) ». L’offre d’emploi précisait en outre que [traduction] « [p]our que votre candidature soit prise en considération, la date d’obtention de votre diplôme de maîtrise doit se situer entre janvier 2015 et décembre 2017 ».

[7] Bien que l’offre d’emploi mentionne d’autres exigences clés telles que des compétences en matière de communication et des compétences analytiques et techniques, les arguments de M. Tazehkand à la Cour fédérale et à notre Cour se sont concentrés sur les exigences en matière de scolarité pour les postes et sur la question de savoir s’il répondait à ces exigences.

[8] Selon le curriculum vitæ qu’il a fourni à la Banque avec sa demande d’emploi, M. Tazehkand a obtenu une maîtrise en affaires publiques et internationales de l’Université d’Ottawa en 2015. Il est également titulaire d’un doctorat en mathématiques de l’Université de Colombie-Britannique, qu’il a obtenu en 2012, ainsi que d’une maîtrise en mathématiques décernée par l’Université Simon Fraser en 2007. En outre, M. Tazehkand a obtenu un baccalauréat en mathématiques à l’université technologique de Sharif en 2004.

[9] N’ayant pas eu de nouvelles de sa demande pendant plusieurs semaines, M. Tazehkand a communiqué avec la Banque pour savoir ce qu’il en était. Après plusieurs échanges de courriels, la Banque a informé M. Tazehkand qu’elle avait [traduction] « reçu des candidatures de candidats plus expérimentés, dont certains avaient une grande expérience du poste à pourvoir ». Après que M. Tazehkand a remis en question le commentaire de la Banque sur l’expérience, soulignant que le poste ne s’adressait qu’aux nouveaux diplômés, un représentant de la Banque l’a informé que [traduction] « certains candidats avaient mis en valeur des activités para‐universitaires et des notes élevées ».

[10] Non satisfait de la réponse de la Banque à ses questions, M. Tazehkand a demandé à rencontrer le chef de l’exploitation de la Banque, qui a transmis sa demande à la directrice adjointe de la division du recrutement de la Banque pour qu’elle y réponde. Celle-ci a informé M. Tazehkand que les exigences pour les postes en question étaient fondées sur les besoins prévisionnels des services et que, bien que sa formation universitaire soit approfondie, elle [traduction] « n’était pas particulièrement pertinente au regard de ce que recherchaient les divisions du secteur financier cette année ». C’est pour cette raison que la candidature de M. Tazehkand n’a pas été retenue en vue d’une entrevue.

[11] À l’insu de M. Tazehkand, la directrice adjointe a ensuite organisé une [traduction] « révision à l’aveugle » de sa demande pour s’assurer que l’évaluation initiale avait été équitable. Le nom de M. Tazehkand et toutes les caractéristiques permettant de l’identifier ont été supprimés de sa candidature, qui a ensuite été distribuée à des responsables n’ayant pas participé à la sélection initiale. Cette révision a confirmé les résultats de l’évaluation initiale, et mis en relief le fait que M. Tazehkand ne possédait pas de maîtrise dans un domaine propre à l’économie et n’avait pas rédigé de thèse sur un sujet pertinent en matière de politique monétaire, contrairement à d’autres candidats.

[12] Lorsque M. Tazehkand a continué à mettre en doute la décision de la Banque de ne pas donner suite à sa candidature, la directrice adjointe de la division du recrutement l’a informé qu’elle avait reçu beaucoup plus de candidatures que de postes disponibles et que le comité de recrutement avait donné la préférence aux candidats [traduction] « ayant une formation plus approfondie en matière de politique monétaire, attestée par des cours et des travaux de thèse ».

[13] Frustré par ce qu’il considérait comme des explications sans cesse changeantes de la part de la Banque sur les raisons pour lesquelles sa demande n’était pas passée à l’étape de l’entretien, M. Tazehkand a déposé sa plainte auprès de la Commission canadienne des droits de la personne, aux termes de l’article 7 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. (1985), ch. H-6 (LCDP), qui considère comme une pratique discriminatoire le fait de refuser d’employer une personne pour un motif de discrimination interdit, soit, en l’espèce, en raison de sa race et de son origine nationale ou ethnique.

II. La décision de la Commission

[14] Après enquête, une enquêteuse de la Commission a conclu que M. Tazehkand n’était pas qualifié pour les postes d’analyste à la Banque. L’enquêteuse a estimé que la seule raison du rejet de sa candidature est le fait qu’il n’ait pas pu montrer dans son curriculum vitæ et dans sa lettre de présentation que les cours suivis ou son expérience avaient porté sur des sujets liés à la politique monétaire ou à la stabilité du système financier. L’enquêteuse a également estimé que la preuve n’établissait pas que le fait que M. Tazehkand n’avait pas obtenu de poste était lié à sa race ou à son origine nationale ou ethnique. Par conséquent, l’enquêteuse a recommandé que la plainte de M. Tazehkand pour violation des droits de la personne soit rejetée.

[15] M. Tazehkand a eu la possibilité de répondre au rapport d’enquête. Il a présenté à la Commission des observations détaillées sur ce qu’il considérait comme des erreurs et des lacunes dans le rapport, demandant que sa plainte soit renvoyée au Tribunal canadien des droits de la personne pour y être entendue. La Commission avait en main le rapport d’enquête et la réponse de M. Tazehkand lorsqu’elle a examiné sa plainte.

[16] La Commission a accepté la recommandation de l’enquêteuse et a rejeté la plainte de M. Tazehkand, estimant qu’il était clair qu’il ne possédait pas les qualités essentielles pour occuper les postes en question. La Commission a également constaté que M. Tazehkand n’avait pas fourni d’autres éléments de preuve à l’appui de son affirmation selon laquelle le refus de la Banque de lui accorder un entretien ou de l’embaucher était fondé sur sa race ou sur son origine nationale ou ethnique.

[17] M. Tazehkand a alors demandé le contrôle judiciaire de la décision de la Commission à la Cour fédérale.

III. La décision de la Cour fédérale

[18] M. Tazehkand a cherché à déposer un rapport du Commissariat à la protection de la vie privée à l’appui de sa demande de contrôle judiciaire. Ce rapport concernait sa tentative d’obtenir des renseignements de la part de la Banque portant sur sa demande d’emploi. M. Tazehkand n’avait reçu initialement que trois courriels de la Banque en réponse à sa demande d’information en application de la Loi sur la protection des renseignements personnels, L.R.C. (1985), ch. P-21. Il a cependant échangé plus d’une douzaine de courriels avec des représentants de la Banque. Cela a conduit M. Tazehkand à déposer une plainte auprès du commissaire à la protection de la vie privée, ce qui a finalement abouti à la publication par la Banque de près de 150 pages de courriels internes caviardés.

[19] Par suite de la divulgation de la Banque, le Commissariat à la protection de la vie privée a déterminé que la plainte de M. Tazehkand était [traduction] « bien fondée » mais [traduction] « résolue ».

[20] M. Tazehkand a fait valoir à la Cour fédérale que ce rapport devait être pris en considération dans le cadre de sa demande de contrôle judiciaire, car il établissait un manquement de la part de la Banque. La Cour fédérale a refusé d’admettre le document au motif qu’il n’avait été présenté ni à l’enquêteuse ni à la Commission et qu’il ne relevait d’aucune des exceptions reconnues à la règle selon laquelle le contrôle judiciaire doit être mené en fonction du dossier dont disposait le décideur initial.

[21] En réponse aux arguments relatifs à l’équité procédurale de M. Tazehkand, la Cour fédérale a noté que le désaccord avec les résultats d’une enquête n’est pas un argument lié à l’équité procédurale. La Cour fédérale a également estimé que l’affirmation de M. Tazehkand selon laquelle il avait été traité de manière inéquitable n’était pas fondée, car l’enquêteuse et la Commission avaient toutes deux examiné le dossier de manière approfondie.

[22] En ce qui concerne le bien-fondé de la demande de contrôle judiciaire, la Cour fédérale a fourni une analyse longue et détaillée qui l’a amenée à conclure que la décision de rejeter la plainte de M. Tazehkand pour violation des droits de la personne était justifiée à la lumière des faits de l’affaire et des contraintes juridiques. La Cour fédérale a en outre constaté que la décision était transparente et intelligible et qu’elle contenait une analyse rationnelle et cohérente, sans erreur fatale.

[23] La Cour fédérale a en outre conclu que les allégations de M. Tazehkand quant à un manquement de la part de la Banque ne permettaient pas de faire avancer sa demande. Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire de M. Tazehkand a été rejetée.

IV. Questions en litige

[24] M. Tazehkand soulève devant notre Cour un grand nombre de questions identiques à celles qu’il a soulevées devant la Cour fédérale. Il allègue qu’il a été privé de son droit à l’équité procédurale dans l’examen mené par la Commission, l’enquête sur sa plainte pour violation des droits de la personne n’ayant été ni neutre ni approfondie. Il fait valoir en outre que la décision de la Commission était substantiellement déraisonnable. Enfin, M. Tazehkand affirme que la Cour fédérale a commis une erreur en excluant le rapport du commissaire à la protection de la vie privée et qu’elle a traité de façon déraisonnable ses arguments relatifs au manquement allégué de la Banque.

[25] Bien que nous ayons soigneusement examiné toutes les questions en litige soulevées par M. Tazehkand, il est seulement nécessaire d’examiner certaines d’entre elles.

V. Rôle de notre Cour et norme de contrôle

[26] Dans un appel, comme celui-ci, d’une décision de la Cour fédérale, la tâche de notre Cour n’est pas de se plonger dans les faits qui sous-tendent la plainte de M. Tazehkand pour violation des droits de la personne, ni de réexaminer la preuve présentée par les parties. Ce n’est pas non plus le rôle de la Cour de prendre la décision qu’elle estime que la Commission aurait dû prendre : Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, au para. 59.

[27] Le rôle de notre Cour est plutôt de déterminer si la Cour fédérale a employé la norme de contrôle appropriée à l’égard de la décision de la Commission, et si elle l’a appliquée correctement : Office régional de la santé du Nord c. Horrocks, 2021 CSC 42, aux paras. 10 à 12; Agraira c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, aux paras. 45 à 47. On décrit cette façon de faire comme le fait d’exiger de notre Cour qu’elle « se mette à la place » du juge de la Cour fédérale, et qu’elle se concentre sur la décision administrative des instances inférieures.

VI. Règles de droit régissant les décisions de la Commission

[28] Avant de se pencher sur les questions en litige soulevées par M. Tazehkand, il convient d’examiner d’abord la nature et l’étendue des obligations de la Commission lors d’une enquête sur une plainte de discrimination déposée aux termes de la LCDP.

[29] La Cour suprême du Canada s’est penchée sur le rôle de la Commission dans l’arrêt Cooper c. Canada (Commission des droits de la personne), [1996] 3 R.C.S. 854, 140 D.L.R. (4th) 193. Dans cet arrêt, elle a fait observer que la Commission n’était pas un organisme décisionnel et que c’était au Tribunal canadien des droits de la personne qu’il revenait de trancher les plaintes pour violation des droits de la personne. Le rôle de la Commission consiste plutôt à « déterminer si, aux termes des dispositions de la Loi et eu égard à l’ensemble des faits, il est justifié de tenir une enquête. L’aspect principal de ce rôle est alors de vérifier s’il existe une preuve suffisante » (au paragraphe 53). Voir également Syndicat des employés de production du Québec et de l’Acadie c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne), [1989] 2 R.C.S. 879, [1989] A.C.S. no 103 (arrêt SEPQA).

[30] La Cour suprême nous enseigne de plus que la Commission dispose d’un large pouvoir discrétionnaire pour décider si, compte tenu de l’ensemble des circonstances, la poursuite de l’enquête sur la plainte est justifiée : Halifax (Regional Municipality) c. Nouvelle‐Écosse (Human Rights Commission), 2012 CSC 10, aux paras. 21 et 25. Comme l’a reconnu notre Cour dans l’arrêt Canada (Procureur général) c. Ennis, 2021 CAF 95, ce pouvoir discrétionnaire « découle de la reconnaissance judiciaire de l’expertise de la Commission pour s’acquitter de sa fonction de sélection et de son rôle de gardien importants » : au para. 56. Dans l’arrêt Ennis, notre Cour a également observé que la nature non limitative du libellé de la loi en question n’impose qu’une contrainte minimale à la Commission : voir l’arrêt précité, au para. 56.

[31] D’ailleurs, dans l’arrêt Bell Canada c. Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier (1998), [1999] 1 C.F. 113, [1998] A.C.F. no 1609, notre Cour a fait observer, au paragraphe 38, que « [l]a Loi confère à la Commission un degré remarquable de latitude dans l’exécution de sa fonction d’examen préalable au moment de la réception d’un rapport d’enquête » [non souligné dans l’original].

[32] Cependant, lorsqu’il s’agit de déterminer si une enquête plus approfondie est justifiée, la Commission doit utiliser un processus équitable.

[33] Dans la décision Slattery c. Canada (Commission des droits de la personne), [1994] 2 C.F. 574, [1994] A.C.F. no 181, conf. par 205 N.R. 383 (C.A.F.), la Cour fédérale a confirmé qu’en s’acquittant de sa responsabilité prévue par la loi d’enquêter sur les plaintes de discrimination, la Commission doit mener des enquêtes à la fois neutres et approfondies.

[34] Ceci dit, la Cour fédérale a également fait observer dans la décision Slattery qu’il « faut faire montre de retenue judiciaire à l’égard des organismes décisionnels administratifs qui doivent évaluer la valeur probante de la preuve et décider de poursuivre ou non les enquêtes » : au para. 56.

[35] La Commission est, en outre, maître de son propre processus et doit bénéficier de beaucoup de latitude dans la manière dont elle mène ses enquêtes : Tahmourpour c. Canada (Solliciteur général), 2005 CAF 113, au para. 39.

[36] La jurisprudence a en outre établi qu’il n’est pas nécessaire que les enquêtes de la Commission soient parfaites et que les enquêteurs de la Commission ne sont pas tenus de faire toutes les vérifications nécessaires dans le cadre de l’instruction d’une plainte. De fait, comme notre Cour l’a fait observer dans l’arrêt Tahmourpour, précité : « [t]out contrôle judiciaire d’une procédure de la Commission doit reconnaître que l’organisme est maître de son processus et [sic] doit lui laisser beaucoup de latitude dans la façon dont il mène ses enquêtes »: au para. 39.

[37] L’exigence d’exhaustivité de l’enquête doit également être examinée en tenant compte des réalités administratives et financières de la Commission. Dans cette optique, la jurisprudence a également noté que la Commission dispose de ressources limitées et d’une lourde charge de travail, et qu’elle doit trouver un équilibre entre les intérêts des plaignants, qui souhaitent une enquête aussi complète que possible, et les exigences de l’efficacité administrative : arrêt Tahmourpour, précité, au para. 39.

[38] La jurisprudence a en outre établi que tous les défauts d’une enquête ne sont pas fatals à une décision de la Commission. Il est possible de surmonter certaines failles dans les enquêtes menées par la Commission en accordant aux parties le droit de présenter des observations concernant le rapport d’enquête : décision Slattery, précitée, au para. 57. Les seules erreurs pouvant justifier une révision judiciaire sont « [l]es erreurs d’enquête qui sont à ce point fondamentales que les observations complémentaires des parties ne peuvent y remédier » : Canada (Procureur général) c. Sketchley, 2005 CAF 404, au para. 38.

[39] Comme nous l’avons mentionné précédemment, lorsque la Commission adopte les recommandations formulées dans un rapport d’enquête et fournit des motifs limités pour justifier sa décision, on considère alors que le rapport d’enquête expose le raisonnement adopté par la Commission aux fins d’une décision rendue en application du paragraphe 44(3) de la Loi : voir l’arrêt SEPQA, précité, au para. 35; arrêt Bell Canada, précité, au para. 30. En l’espèce, la Commission a brièvement motivé sa décision de rejeter la plainte pour violation des droits de la personne déposée par M. Tazehkand, et ces motifs peuvent donc être complétés par un renvoi au rapport d’enquête.

[40] Cependant, si la Commission décide de rejeter une plainte à cause d’une enquête lacunaire, cette décision sera elle-même lacunaire, car, si le rapport d’enquête est défectueux, « il s’ensuit que la Commission ne disposait pas d’un nombre suffisant de renseignements pertinents pour exercer à bon droit son pouvoir discrétionnaire » : voir Grover c. Canada (Conseil national de recherches), 2001 CFPI 687, au para. 70, 206 F.T.R. 207; voir aussi l’arrêt Sketchley, précité, au para. 112.

[41] Après avoir passé en revue le rôle et les responsabilités de la Commission en ce qui concerne le traitement des plaintes pour motif de discrimination, je vais maintenant examiner les arguments de M. Tazehkand quant à l’injustice du processus suivi par l’enquêteuse de la Commission et au caractère inapproprié de l’enquête en l’espèce.

VII. M. Tazehkand a-t-il été privé de son droit à l’équité procédurale dans le processus mené par la Commission?

[42] Certains des arguments de M. Tazehkand concernant ce qu’il qualifie de manquement à l’équité procédurale de la part de la Commission portent en réalité sur le caractère raisonnable de la décision de rejeter sa plainte en violation des droits de la personne. On en trouve un exemple au paragraphe 25 de son mémoire des faits et du droit. M. Tazehkand y conteste l’utilisation du mot [traduction] « énumérés » dans la décision de la Commission, déclarant que, dans sa décision, la Cour fédérale [traduction] « n’explique jamais comment le choix de ce mot n’entraîne pas de manquement à l’équité procédurale étant donné que la brève décision se termine par une autre déclaration erronée ».

[43] L’utilisation par la Commission du terme [traduction] « énumérés » était au cœur de l’argument de M. Tazehkand concernant les types de diplômes de maîtrise qui devraient qualifier les candidats pour les postes d’analystes à la Banque. Sans diminuer en quoi que ce soit l’importance de l’argument pour M. Tazehkand, celui-ci n’est pas lié à une question d’équité procédurale, mais plutôt au caractère raisonnable de la décision de la Commission et sera examiné dans ce contexte.

[44] Dans la mesure où les arguments de M. Tazehkand soulèvent des questions d’équité procédurale, la Cour doit examiner le processus suivi par la Commission en l’espèce et déterminer elle-même si ce processus a atteint le niveau d’équité requis dans toutes les circonstances. En d’autres termes, nous devons appliquer la norme de la décision correcte : Girouard c. Canada (Procureur général), 2020 CAF 129, au para. 38.

[45] Comme nous l’avons indiqué précédemment, l’équité procédurale exige que l’enquête de la Commission soit à la fois neutre et approfondie, et que « les parties [aient] la possibilité [de] répondre [au rapport de l’enquêteuse] » : Canada (Procureur général) c. Davis, 2010 CAF 134, au para. 6.

[46] En soutenant que l’enquête de la Commission en l’espèce n’a pas été suffisamment approfondie, M. Tazehkand note que l’enquêteuse de la Commission ne l’a jamais interrogé, ce qui signifie que l’on peut difficilement dire que l’enquête a été approfondie. Je ne suis pas de cet avis.

[47] L’enquêteuse de la Commission a reçu la plainte pour violation des droits de la personne de M. Tazehkand, qui décrit en détail ses allégations de discrimination de la part de la Banque dans le traitement de sa demande d’emploi.

[48] L’enquêteuse a demandé à la Banque une réponse écrite à la plainte de M. Tazehkand. Cette demande était appropriée, étant donné que ce que la Banque a fait de la demande d’emploi de M. Tazehkand était une question qui relevait uniquement de la connaissance de la Banque. Une copie de la réponse de la Banque a ensuite été transmise à M. Tazehkand pour commentaires. Il a donc eu l’occasion de fournir à l’enquêteuse tous les renseignements et tous les documents qu’il avait en sa possession et qu’il estimait pertinents pour sa plainte, et il a fourni à l’enquêteuse une réponse complète à la déclaration de la Banque.

[49] Après avoir reçu les commentaires des deux parties, l’enquêteuse a rédigé le rapport d’enquête, dont une copie a été remise à M. Tazehkand et à la Banque. M. Tazehkand a eu la possibilité de présenter à la Commission des observations écrites en réponse au rapport d’enquête. M. Tazehkand a une fois de plus saisi cette occasion, en présentant à la Commission des observations détaillées sur ce qu’il considérait comme des lacunes dans le rapport d’enquête.

[50] À mon avis, les possibilités offertes à M. Tazehkand de fournir des renseignements à l’enquêteuse de la Commission ont respecté ses droits de participation et étaient suffisantes pour satisfaire à l’exigence d’équité procédurale. Il a été informé de la position de la Banque concernant sa plainte relative aux droits de la personne et a eu la possibilité de dire à l’enquêteuse pourquoi il n’était pas d’accord avec ce que la Banque avait dit. M. Tazehkand a ensuite reçu le rapport d’enquête et a pu dire à la Commission ce qu’il considérait comme des lacunes dans l’enquête, des erreurs dans le rapport d’enquête et pourquoi il n’était pas d’accord avec ses conclusions. En effet, sous réserve des commentaires des trois paragraphes suivants, M. Tazehkand n’a décelé aucune information qu’il n’a pas été en mesure de fournir à l’enquêteuse et à la Commission par les voies qui lui étaient accessibles.

[51] M. Tazehkand soutient également qu’il n’était pas équitable de la part de la Commission de ne pas retarder sa décision jusqu’à ce que sa plainte auprès du Commissariat à la protection de la vie privée soit résolue.

[52] M. Tazehkand a mentionné sa plainte au titre de la Loi sur la protection des renseignements personnels dans les observations qu’il a fournies à la Commission en réponse au rapport d’enquête, où il a fait référence aux [traduction] « procédures en cours au Commissariat à la protection de la vie privée du Canada [...] directement liées à cette plainte ». M. Tazehkand a ensuite brièvement résumé l’état d’avancement de ces procédures. Toutefois, il n’a à aucun moment demandé que la Commission retarde sa décision concernant sa plainte pour violation des droits de la personne jusqu’à ce que la procédure prévue par la Loi sur la protection des renseignements personnels soit achevée. On ne peut donc reprocher à la Commission d’avoir traité la plainte pour violation des droits de la personne de M. Tazehkand au moment où elle l’a fait, et M. Tazehkand n’a pas été privé de son droit à l’équité procédurale à cet égard.

[53] Bien que cela suffise à éliminer cet aspect des arguments liés à l’équité procédurale de M. Tazehkand, je voudrais également noter qu’il n’a pas indiqué qu’il y avait quoi que ce soit dans les documents qu’il a obtenus par l’intermédiaire de la procédure prévue par la Loi sur la protection des renseignements personnels qui lui aurait été utile dans le cadre de sa plainte pour violation des droits de la personne à l’encontre de la Banque.

[54] Enfin, M. Tazehkand affirme que la procédure menée par la Commission n’a pas été approfondie, car l’enquêteuse et la Commission n’ont pas tenu compte de ses observations. Cet argument est dénué de fondement. La thèse de M. Tazehkand est résumée par l’enquêteuse aux paragraphes 9 à 12 et 17 à 23 du rapport d’enquête. Les paragraphes 35 et 36 du rapport citent des documents déposés par M. Tazehkand, et les paragraphes 37 et 38 du rapport d’enquête se fondent sur les observations faites par M. Tazehkand et la Banque, ainsi que sur l’offre d’emploi et la demande d’emploi de M. Tazehkand pour le poste.

[55] En outre, la décision de la Commission de rejeter la plainte pour violation des droits de la personne déposée par M. Tazehkand renvoie expressément à ses observations postérieures à l’enquête et à ce qu’il considérait comme des erreurs dans le rapport d’enquête. Le fait que la Commission n’ait pas accepté les arguments de M. Tazehkand ne signifient pas qu’ils n’ont pas été pris en considération, et aucune violation de son droit à l’équité procédurale n’a été démontrée à cet égard.

[56] En ce qui concerne la neutralité de l’enquête, M. Tazehkand se demande pourquoi nous devrions faire confiance à l’enquêteuse, étant donné ce qu’il dit être des erreurs dans le rapport d’enquête. Bien que M. Tazehkand puisse contester certaines des conclusions de l’enquêteuse, je ne vois rien dans le dossier qui permette de conclure que l’enquêteuse a manqué de neutralité.

[57] Après avoir constaté que M. Tazehkand a été traité équitablement dans le cadre de la procédure de la Commission, la question suivante est de savoir si la décision de la Commission était raisonnable.

VIII. La décision de la Commission de rejeter la plainte de M. Tazehkand était-elle raisonnable?

[58] L’argument principal de M. Tazehkand est que la Commission a commis une erreur en concluant que la liste des diplômes de maîtrise acceptables figurant dans l’offre d’emploi était censée être exhaustive plutôt qu’illustrative.

[59] Rappelons que l’offre d’emploi précisait que les candidats aux postes d’analystes devaient être titulaires d’un [traduction] « diplôme de maîtrise en finance ou dans un domaine apparenté, comme l’économie, l’informatique, les mathématiques, les statistiques, l’administration des affaires (MBA) », décerné entre janvier 2015 et décembre 2017 [sans italiques dans l’original]. M. Tazehkand soutient que, puisque la liste des diplômes acceptables suit l’expression « comme », elle est illustrative plutôt qu’exhaustive.

[60] M. Tazehkand estime que cette distinction est importante, car elle signifie que l’offre d’emploi ne porte pas sur des [traduction] « domaines énumérés dans une liste », comme l’indique la décision de la Commission. Il en résulte, selon lui, qu’il n’est plus [traduction] « clair » qu’il [traduction] « ne possédait pas les qualifications essentielles du poste annoncé ». En d’autres termes, si la conclusion de la Commission concernant les [traduction] « domaines énumérés dans une liste » est erronée, sa conclusion selon laquelle il n’avait pas de diplôme de maîtrise pertinent est nécessairement erronée.

[61] La Cour fédérale a convenu avec M. Tazehkand que la liste figurant dans l’offre d’emploi était illustrative plutôt qu’exhaustive, mais il a estimé qu’elle n’était toutefois pas ouverte et que le diplôme acceptable devait être un diplôme dans un [traduction] « domaine apparenté » à une maîtrise en finance. La Cour fédérale a en outre conclu que l’utilisation par la Commission du terme [traduction] « énumérés » dans sa décision n’avait pas d’incidence importante.

[62] La Cour suprême du Canada nous dit qu’une révision selon la norme de la décision raisonnable n’implique pas une « chasse au trésor, phrase par phrase, à la recherche d’une erreur » : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov, 2019 CSC 65, au para. 102. Nous ne devons pas non plus évaluer les motifs des organes administratifs tels que la Commission canadienne des droits de la personne en fonction d’une norme de perfection : arrêt Vavilov, précité, au para. 91.

[63] Les motifs doivent plutôt être « interprét[és] de façon globale et contextuelle » « eu égard au dossier et en tenant dûment compte du régime administratif dans lequel ils sont donnés » : arrêt Vavilov, précité, aux paras. 97 et 103. Une cour de révision doit être en mesure de retracer le raisonnement du décideur sans rencontrer de failles fatales dans sa logique globale. La cour doit, en outre, être convaincue que les motifs contiennent un mode d’analyse qui pouvait raisonnablement amener le décideur, au vu de la preuve, à sa conclusion à partir des éléments de preuve dont il disposait : arrêt Vavilov, précité, au para. 102.

[64] L’argument de M. Tazehkand repose sur l’utilisation d’un seul mot dans les deux paragraphes de la décision de la Commission. Toutefois, comme nous l’avons indiqué précédemment, nous ne pouvons pas nous contenter d’examiner la décision rendue par la Commission de manière isolée, mais nous devons également tenir compte du raisonnement exposé dans le rapport d’enquête.

[65] Le rapport d’enquête indique que la thèse de la Banque n’était pas que la liste de l’offre d’emploi était exhaustive, et que M. Tazehkand n’avait pas de maîtrise récente en économie, en informatique, en mathématiques, en statistiques ou en administration des affaires. Sa thèse était plutôt qu’il n’avait pas de diplôme de maîtrise récent dans un domaine pertinent pour les postes en question. M. Tazehkand n’a pas tenté d’établir devant nous que sa maîtrise en affaires publiques et internationales (obtenu en 2015) était pertinente par rapport aux responsabilités professionnelles des analystes de la Banque.

[66] En supposant que la liste figurant dans l’offre d’emploi était censée être illustrative plutôt qu’exhaustive, M. Tazehkand n’a pas non plus démontré qu’il était déraisonnable pour la Commission d’accepter la décision de la Banque selon laquelle sa maîtrise en affaires publiques et internationales n’était pas un diplôme dans un domaine en rapport avec les postes en question.

[67] En outre, dans son rapport d’enquête, l’enquêteuse ne se contente pas d’examiner les qualifications de M. Tazehkand en matière de scolarité, mais examine également les autres exigences du poste indiquées dans l’offre d’emploi, en les comparant aux qualifications indiquées dans la demande d’emploi de M. Tazehkand. Après avoir examiné les exigences en matière de scolarité, l’enquêteuse fait observer que la demande d’emploi de M. Tazehkand ne répond pas à plusieurs exigences clés du poste, notamment [traduction] « les compétences en matière de communication », [traduction] « l’apprentissage et le développement » (c’est-à-dire la capacité à se motiver soi-même et à s’engager dans un apprentissage continu), [traduction] « le travail d’équipe et la collaboration » et [traduction] « l’innovation ».

[68] Cette analyse a conduit l’enquêteuse à conclure que [traduction] « [l’absence de] bon nombre des qualifications essentielles requises, et [...] le fait que le plaignant n’ait pas pu montrer dans son curriculum vitæ et dans sa lettre de présentation que les cours suivis ou son expérience avaient porté sur des sujets liés à la politique monétaire ou à la stabilité du système financier sont les seules raisons du rejet de sa candidature » [non souligné dans l’original]. Il s’agissait d’une conclusion que l’enquêteuse pouvait raisonnablement tirer en fonction du dossier dont elle disposait.

[69] Les arguments de M. Tazehkand posent toutefois un problème plus fondamental. Même si la Commission a commis une erreur en qualifiant la liste des diplômes figurant dans l’offre d’emploi d’énumération et non d’illustration, il n’a toujours pas fourni à la Commission des éléments de preuve démontrant que sa race ou son origine nationale ou ethnique ont été des facteurs dans la décision de la Banque de ne pas le convoquer en entrevue.

[70] Cela nous amène à l’argument suivant de M. Tazehkand, qui porte sur le fait que la Commission n’aurait pas pris en considération les données statistiques qu’il a fournies concernant le statut d’immigration et de citoyenneté des candidats qui ont été convoqués à un entretien d’embauche pour les postes d’analystes et de ceux qui ont finalement été embauchés pour les postes en question.

[71] M. Tazehkand a manifestement déposé une demande d’accès à l’information pour obtenir cette information de la Banque. Cependant, la Banque a refusé de fournir à M. Tazehkand des statistiques concernant ses possibles embauches. Il a donc dû déposer une plainte auprès du Commissariat à l’information du Canada afin d’obtenir les données.

[72] Je reviendrai sur le fait que M. Tazehkand a dû déposer une plainte auprès du Commissaire à l’information pour obtenir ces renseignements plus loin dans les présents motifs, car cela fait partie de ce que M. Tazehkand qualifie de manquement de la Banque en l’espèce.

[73] En ce qui concerne la substance des données statistiques, celles-ci indiquent que, si les citoyens canadiens représentaient 55 % de l’ensemble des candidats aux postes d’analystes, 80 % des personnes finalement embauchées étaient des citoyens canadiens.

[74] M. Tazehkand a fourni ces renseignements à la Commission dans les observations qu’il a formulées en réponse au rapport d’enquête. Il affirme que, non seulement la Commission n’a pas pris en compte ces éléments de preuve, mais que la décision de la Commission contenait une [traduction] « fausse déclaration » à cet égard.

[75] À l’appui de cet argument, M. Tazehkand note que la Commission a discuté des exigences en matière de scolarité pour le poste dans sa décision, concluant qu’il ne possédait pas les qualifications essentielles pour les postes d’analyste. La Commission a ensuite déclaré que M. Tazehkand n’avait [traduction] « pas fourni d’autres éléments de preuve à l’appui de son affirmation selon laquelle le refus de lui accorder un entretien ou de l’embaucher était fondé sur sa race ou sur son origine nationale ou ethnique ». Selon M. Tazehkand, il est évident que la Commission n’a pas prêté attention au dossier dont elle disposait et qu’elle n’a pas tenu compte des éléments de preuve statistiques fournis par M. Tazehkand.

[76] Je n’accepte pas cet argument.

[77] La déclaration de la Commission selon laquelle M. Tazehkand n’a pas fourni [traduction] « d’autres éléments de preuve à l’appui de son affirmation » selon laquelle le refus de lui accorder un entretien ou de l’embaucher était fondé sur sa race ou son origine nationale ou ethnique doit être replacée dans son contexte. La première phrase du paragraphe du dispositif de la décision de la Commission renvoie expressément aux observations de M. Tazehkand après l’enquête, indiquant clairement que la Commission avait connaissance de ces observations, y compris des données statistiques fournies par M. Tazehkand. C’est après avoir discuté des exigences du poste en matière de scolarité que la Commission a déclaré que M. Tazehkand n’avait pas fourni [traduction] « d’autres éléments de preuve » à l’appui de sa plainte pour discrimination. Lue dans son contexte, la déclaration de la Commission semble indiquer qu’il n’y a pas d’autres éléments de preuve, en dehors de celles contenues dans les observations de M. Tazehkand après l’enquête, pour étayer son allégation de discrimination.

[78] La décision de la Commission était cohérente sur le plan interne, elle était justifiée par rapport aux faits et au droit qui la contraignaient, et elle suivait une chaîne d’analyse rationnelle. De plus, la décision de la Commission indique clairement pourquoi elle a décidé de ne pas donner suite à la plainte pour violation des droits de la personne de M. Tazehkand, et sa décision était justifiée, transparente et intelligible. Elle appartient aussi aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. M. Tazehkand n’a donc pas réussi à établir que la décision de la Commission de rejeter sa plainte pour violation des droits de la personne était déraisonnable.

IX. La conduite de la Banque et l’exclusion d’éléments de preuve

[79] M. Tazehkand a formulé de graves allégations, tant auprès de notre Cour qu’auprès de la Cour fédérale, concernant ce qu’il qualifie de manquement de la part de la Banque. À une exception près, la plupart de ces allégations portent sur des faits survenus après que la Commission a pris la décision en litige dans le présent appel.

[80] Dans la mesure où le manquement allégué a eu lieu au cours du processus mené par la Commission, l’affirmation principale de M. Tazehkand est que la Banque a fait référence aux mauvaises exigences professionnelles dans sa lettre du 24 avril 2018 adressée à la Commission en réponse à sa plainte pour violation des droits de la personne. Ces exigences, qui comprenaient des éléments tels qu’[traduction] « une connaissance approfondie des marchés financiers et de la gestion des risques financiers » [TRADUCTION], « une expérience professionnelle pertinente » et [traduction] « une expérience dans la formulation de conseils politiques », ne figuraient pas dans l’offre d’emploi. L’enquêteuse de la Commission y a néanmoins renvoyé dans le rapport d’enquête.

[81] Dans la réponse au rapport d’enquête qu’il a fournie à la Commission, M. Tazehkand a fait part de ses préoccupations concernant l’inclusion de ces exigences professionnelles dans la lettre de la Banque.

[82] La Cour fédérale a estimé que, même si la Banque avait fourni des renseignements inexacts concernant les qualifications essentielles pour le poste dans sa réponse, les divergences entre les exigences essentielles présentées dans l’offre d’emploi et la réponse de la Banque étaient [traduction] « insignifiantes ». En effet, la décision de la Commission était fondée sur la constatation que M. Tazehkand ne remplissait pas une condition commune à la réponse de la Banque et à l’offre d’emploi, à savoir l’exigence d’un diplôme de maîtrise délivré entre 2015 et 2017 dans le domaine de la finance ou dans un domaine apparenté.

[83] Étant donné que les exigences en matière de scolarité décrites dans la réponse de la Banque à la plainte de M. Tazehkand pour violation des droits de la personne étaient les mêmes que celles figurant dans l’offre d’emploi, l’inclusion de cette information supplémentaire dans la réponse de la Banque ne semble pas avoir placé la Banque dans une meilleure position. M. Tazehkand n’a pas non plus démontré qu’il y avait quelque chose d’infâme dans le renvoi de la Banque à des exigences professionnelles qui ne figurent pas dans l’offre d’emploi, et cela ne constitue pas un fondement pour annuler la décision de la Commission. En effet, je ne comprends pas que M. Tazehkand suggère le contraire.

[84] La plupart des arguments de M. Tazehkand concernant ce qu’il considère comme un manquement de la part de la Banque portent sur des faits survenus dans le cadre d’autres instances, telles que celles qu’il a introduites en application de la Loi sur l’accès à l’information, L.R.C. (1985), ch. A-1 et de la Loi sur la protection de renseignements personnels. D’autres questions ont été soulevées au cours de la procédure introduite à la Cour fédérale. Si je comprends bien la thèse de M. Tazehkand, la Cour fédérale aurait dû exprimer sa désapprobation à l’égard de la conduite de la Banque en adjugeant des dépens en sa faveur.

[85] Devant notre Cour, M. Tazehkand (qui a agi pour son propre compte devant la Cour fédérale et dans le cadre du présent appel) demande que la décision de la Cour fédérale relative aux dépens, de 2 500 $ en faveur de la Banque, soit annulée et qu’il lui soit accordé entre 1 000 $ et 2 000 $ pour les dépens à la Cour fédérale et 5 000 $ pour les dépens dans le cadre du présent appel. En outre, M. Tazehkand a demandé des dommages-intérêts punitifs de 100 000 $ à l’encontre de la Banque pour sanctionner son manquement allégué. Lorsque la Cour a informé M. Tazehkand qu’il ne peut obtenir des dommages-intérêts dans le cadre d’un contrôle judiciaire, il a modifié sa demande pour réclamer 100 000 $ au titre de ce qu’il appelle des [traduction] « frais punitifs », une fois de plus pour sanctionner la Banque pour les mesures qu’elle a prises.

[86] Le [traduction] « manquement » mentionné par M. Tazehkand dans la procédure instituée à la Cour fédérale comprenait le choix du déposant par la Banque, à savoir le fait que la Banque a choisi quelqu’un qui n’était pas l’employé de la Banque qui avait initialement rejeté sa demande d’emploi. Il s’appuie également sur le fait que l’offre d’emploi erronée a été jointe à l’affidavit déposé à l’appui de la Banque dans le cadre de la demande de contrôle judiciaire. En outre, M. Tazehkand invoque les multiples explications fournies par la Banque pour justifier le fait qu’elle ne lui ait pas accordé d’entretien ou ne l’ait pas embauché, ainsi que le refus de la Banque de lui fournir les données statistiques qu’il avait demandées concernant le statut de citoyenneté des candidats à qui un entretien a été accordé et de ceux qui ont finalement été embauchés. Comme nous l’avons indiqué précédemment, cela l’a obligé à déposer une demande d’accès à l’information pour obtenir ces renseignements. M. Tazehkand évoque également le fait qu’il a dû déposer une plainte en application de la Loi sur la protection des renseignements personnels pour obtenir les documents internes de la Banque relatifs à sa candidature à un poste d’analyste.

[87] C’est à propos de cette dernière question que M. Tazehkand soutient que la Cour fédérale a commis une erreur en excluant le rapport du Commissaire à la protection de la vie privée. Selon M. Tazehkand, la Cour fédérale aurait dû admettre le rapport, car il illustre le manquement de la Banque à son égard et prouve que la Banque l’a forcé à s’adresser au commissaire à la protection de la vie privée pour obtenir des renseignements concernant sa demande d’emploi, au lieu de lui donner simplement les renseignements qu’il demandait. Le rapport montre également que le commissaire à la protection de la vie privée lui a donné raison en ce qui concerne la conduite de la Banque.

[88] En ce qui concerne cette dernière question, M. Tazehkand ne m’a pas convaincue que la Cour fédérale avait commis une erreur en excluant le rapport du commissaire à la protection de la vie privée.

[89] Le rapport du commissaire à la protection de la vie privée a été publié peu après que la Commission a rejeté la plainte de M. Tazehkand pour violation des droits de la personne. Par conséquent, ni l’enquêteuse ni la Commission n’en ont été saisies lorsqu’elles ont traité la plainte de M. Tazehkand. M. Tazehkand a néanmoins inclus le rapport dans son dossier de demandeur devant la Cour fédérale, ce qui a conduit à une objection de la part de la Banque quant à sa recevabilité.

[90] En refusant d’admettre le rapport, la Cour fédérale a fait observer que, sous réserve d’exceptions limitées, le contrôle judiciaire doit normalement être effectué en tenant compte du dossier dont disposait le décideur administratif. La Cour fédérale a estimé que le rapport de la commissaire à la protection de la vie privée ne relevait d’aucune des exceptions reconnues désignées dans l’arrêt Association des universités et collèges du Canada c. Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright), 2012 CAF 22.

[91] M. Tazehkand n’a pas décelé d’erreur susceptible de révision dans la décision de la Cour fédérale d’exclure le document, qui se rapporte à une procédure différente en application d’une loi différente de celle examinée dans le présent appel.

[92] En ce qui concerne l’adjudication des dépens par la Cour fédérale, elle est « un exemple typique d’une décision discrétionnaire » : Nolan c. Kerry (Canada) Inc, 2009 CSC 39, au para. 126. Les cours d’appel ne doivent intervenir dans l’adjudication de dépens que si le tribunal inférieur « a commis une erreur de principe ou si cette attribution est nettement erronée » (Sun Indalex Finance, LLC c. Syndicat des Métallos, 2013 CSC 6, au para. 247, renvoyant à l’arrêt Hamilton c. Open Window Bakery Ltd., 2004 CSC 9, au para. 27).

[93] La Cour fédérale a examiné les divers arguments de M. Tazehkand concernant le manquement allégué de la Banque et a estimé qu’aucun d’entre eux n’était fondé.

[94] Comme nous l’avons indiqué, certaines des préoccupations de M. Tazehkand n’étaient pas liées à sa demande de contrôle judiciaire de la décision de la Commission, mais plutôt à des instances relevant d’autres lois, notamment la Loi sur la protection des renseignements personnels et la Loi sur l’accès à l’information.

[95] En ce qui concerne le choix du déposant par la Banque, la Cour fédérale a estimé qu’il s’agissait d’une question de préférence de témoin de la part de la Banque. La Cour a également conclu que l’argument de M. Tazehkand à cet égard ne l’a pas aidé, en particulier parce qu’il n’a pas contesté le choix du déposant par la Banque au motif que le témoin était un témoin inapproprié ou inadmissible, comme il aurait pu le faire aux termes des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106.

[96] M. Tazehkand a également souligné le fait que la mauvaise offre d’emploi avait été annexée à l’affidavit que la Banque a déposé à l’appui de sa thèse concernant la demande de contrôle judiciaire de M. Tazehkand. La Cour fédérale a examiné cet argument et a accepté l’explication de la Banque selon laquelle l’affichage en question avait été tiré d’une base de données interne de la Banque, estimant que son inclusion dans l’affidavit ne semblait être, au mieux, rien de plus qu’ [traduction] « une erreur innocente ».

[97] M. Tazehkand n’a pas non plus décelé de conduite de la part de la Banque qui relèverait des facteurs définis au paragraphe 400(3) des Règles des Cours fédérales. Ainsi, il n’a pas décelé de conduite de la part de la Banque qui aurait tendu à allonger inutilement la durée de l’instance devant la Cour fédérale. De même, il n’a pas démontré que la Banque a fait défaut d’admettre un élément qui aurait dû l’être. M. Tazehkand n’a pas non plus démontré que la Banque avait pris des mesures inappropriées, vexatoires ou inutiles dans le cadre de sa demande de contrôle judiciaire, et il n’a pas non plus affirmé que les mesures prises par la Banque dans le cadre du contentieux devant la Cour fédérale l’avaient été par négligence, par erreur ou par excès de prudence.

[98] Compte tenu de ce qui précède, M. Tazehkand ne m’a pas convaincue que la Cour fédérale avait commis une erreur de principe en adjugeant des dépens à la Banque, ni qu’elle avait commis une erreur manifeste dans l’adjudication des dépens.

X. Conclusion

[99] M. Tazehkand n’a donc pas réussi à démontrer que la décision de la Commission avait été prise à l’issue d’une procédure inéquitable ou que cette décision était déraisonnable. Il n’a pas non plus démontré que la Cour fédérale avait commis une erreur dans le choix de la norme de contrôle appropriée à appliquer à la décision de la Commission, ou qu’elle n’avait pas correctement appliqué ce critère lors de la révision de cette décision.

[100] M. Tazehkand n’a pas non plus établi que la Cour fédérale avait commis une erreur en excluant le rapport du commissaire à la protection de la vie privée ou qu’elle avait commis une erreur en ce qui concerne l’attribution des dépens. Par conséquent, je rejetterais son appel, les dépens de la Banque étant fixés à 2 500 $.

« Anne L. Mactavish »

j.c.a.

« Je suis d’accord.

Siobhan Monaghan »

« Je suis d’accord.

Monica Biringer »


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

Dossier :

A-50-21

INTITULÉ :

HESAMEDDIN ABBASPOUR TAZEHKAND c. BANQUE DU CANADA

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 20 septembre 2023

MOTIFS DU JUGEMENT :

LA JUGE MACTAVISH

Y ONT SOUSCRIT :

LA JUGE MONAGHAN

LA JUGE BIRINGER

DATE DES MOTIFS :

Le 12 octobre 2023

COMPARUTIONS :

Hesameddin Abbaspour Tazehkand

POUR SON PROPRE COMPTE

M. Kyle Shimon

Pour l’intimée

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Emond Harnden

Ottawa (Ontario)

Pour l’intimée

 

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