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Date : 20231024


Dossier : A-2-21

Référence : 2023 CAF 211

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LE JUGE WEBB

LE JUGE LASKIN

LA JUGE GOYETTE

 

ENTRE :

 

 

SOCIÉTÉ D’ASSURANCE DES ENTREPRISES NORTHBRIDGE

 

 

appelante

 

 

et

 

 

SA MAJESTÉ LE ROI

 

 

intimé

 

Audience tenue à Toronto (Ontario), le 14 décembre 2022.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 24 octobre 2023.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE WEBB

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE LASKIN

LA JUGE GOYETTE

 


Date : 20231024


Dossier : A-2-21

Référence : 2023 CAF 211

CORAM :

LE JUGE WEBB

LE JUGE LASKIN

LA JUGE GOYETTE

 

ENTRE :

 

 

SOCIÉTÉ D’ASSURANCE DES ENTREPRISES NORTHBRIDGE

 

 

appelante

 

 

et

 

 

SA MAJESTÉ LE ROI

 

 

intimé

 

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE WEBB

[1] La Société d’assurance des entreprises Northbridge (Northbridge) a établi des polices d’assurance pour des sociétés de camionnage qui menaient des activités au Canada et aux États‑Unis. Les polices offraient une couverture d’assurance contre les accidents et autres événements assurables. Northbridge a demandé des crédits de taxe sur les intrants (CTI) à l’égard d’une partie de la TPS/TVQ (que j’appellerai, par souci de commodité, la TPS) qu’elle avait payée en lien avec des frais généraux d’entreprise au motif que ces polices visaient entre autres des fournitures détaxées.

[2] S’agissant des polices d’assurance en litige dans le présent appel, l’article 2 de la partie IX de l’annexe VI de la Loi sur la taxe d’accise (la LTA), L.R.C. (1985), ch. E-15, dispose que la fourniture par une institution financière d’un service financier lié à une police donnée sera détaxée dans la mesure où cette police concerne « des risques qui sont habituellement situés à l’étranger » (alinéa 2d)). La seule question en litige dans le présent appel porte sur l’interprétation des mots « des risques qui sont habituellement situés à l’étranger » figurant à l’alinéa 2d).

[3] Les polices d’assurance établies par Northbridge constitueraient des fournitures détaxées dans la mesure où elles concernent des risques qui sont habituellement situés à l’étranger. Northbridge aurait le droit de demander des CTI à l’égard de la TPS qu’elle a payée pour acquérir des biens ou des services pour consommation, utilisation ou fourniture dans le cadre de la réalisation de ces fournitures détaxées.

[4] Les CTI demandés par Northbridge ont toutefois été refusés par le ministre du Revenu national. La Cour canadienne de l’impôt a rejeté l’appel de Northbridge (2020 CCI 132) au motif que les « risques » visés à l’alinéa 2d) s’entendent des objets de la police d’assurance (les camions en l’espèce) et que la preuve était insuffisante pour déterminer si les camions étaient habituellement situés à l’étranger.

[5] Northbridge interjette appel de cette décision de la Cour canadienne de l’impôt et, pour les motifs énoncés ci-après, j’accueillerais son appel.

I. Les faits

[6] Northbridge est autorisée à fournir divers types de polices d’assurance. Les polices pertinentes dans le présent appel sont celles qui ont été établies à l’égard des entreprises commerciales de camionnage. Elles couvraient le parc de camions et de remorques de la compagnie en cas d’accidents et autres événements assurables. Certaines polices couvraient également les marchandises transportées.

[7] Les polices établies couvraient les événements assurables survenant dans toute province canadienne ou l’un des 48 États continentaux des États-Unis situés au sud du Canada.

[8] Les primes d’assurance exigées par Northbridge étaient calculées annuellement en fonction de la [traduction] « meilleure estimation actuarielle des sinistres éventuels applicable à chaque police (le “calcul des sinistres”) » (paragraphe 12 de l’exposé conjoint partiel des faits). Le [traduction] « calcul des sinistres de Northbridge est fonction du lieu et les estimations sont établies en tenant compte des États ou des provinces d’Amérique du Nord où les véhicules de l’assuré sont susceptibles de circuler » (paragraphe 18 de l’exposé conjoint partiel des faits).

[9] Aux fins de cette analyse, les États-Unis ont été divisés en sept groupes distincts sur la base d’une analyse de l’historique des sinistres. Le groupe auquel étaient associés les coûts de réclamation les plus faibles ne comptait qu’un seul État, le Wyoming. À l’opposé, le Massachusetts, New York et le Texas étaient classés dans le groupe des États affichant les coûts les plus élevés. Le taux de base variait pour chaque groupe d’États, le Wyoming affichant le taux de base le plus bas, alors que le Massachusetts, New York et le Texas avaient le taux de base le plus élevé. Les primes d’assurance étaient également déterminées en fonction du kilométrage parcouru dans les États de chacun des groupes. Plusieurs facteurs différents étaient pris en compte pour déterminer le montant final de la prime.

II. Décision de la Cour canadienne de l’impôt

[10] La principale question que devait trancher la Cour de l’impôt était de savoir si les « risques » visés à l’alinéa 2d) de la partie IX de l’annexe VI de la LTA signifient :

  • a)les objets de la police d’assurance;

  • b)les périls visés par la police d’assurance; ou

  • c)la probabilité qu’un péril visé par la police survienne.

[11] Après avoir procédé à une analyse textuelle, contextuelle et téléologique, le juge de la Cour canadienne de l’impôt (le juge de la Cour de l’impôt) a conclu que les « risques » s’entendent des objets de l’assurance, c’est-à-dire les camions en l’espèce.

[12] Ayant conclu que les « risques » signifient les objets de l’assurance, le juge de la Cour de l’impôt a déclaré ce qui suit :

[72] [...] l’article 2 est un article très particulier en application duquel la répartition est effectuée à l’égard d’une fourniture donnée selon chaque objet. L’appelante aurait dû procéder à une répartition distincte pour chaque police selon chacun des véhicules couverts par cette police.

[73] Tous les éléments de preuve présentés à l’audience étaient une preuve globale. On ne m’a présenté aucun élément de preuve précis concernant les polices précises en cause, et encore moins de preuve concernant les véhicules couverts par ces polices. Sans ces éléments de preuve, il m’est impossible de déterminer si la fourniture d’une police donnée était partiellement détaxée. L’absence d’éléments de preuve est un motif suffisant pour que je rejette les appels, ce que je fais pour ce motif.

[13] L’appel de Northbridge a été rejeté.

III. Question en litige et norme de contrôle

[14] La question en litige dans le présent appel porte sur l’interprétation de l’alinéa 2d) de la partie IX de l’annexe VI de la LTA. Comme il s’agit d’une question de droit, la norme de contrôle applicable est celle de la décision correcte (Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33).

IV. Analyse

[15] Une police d’assurance est un effet financier (alinéa c) de la définition du terme « effet financier » au paragraphe 123(1) de la LTA). L’émission d’un effet financier constitue un service financier (alinéa d) de la définition du terme « service financier » au paragraphe 123(1) de la LTA). La fourniture d’un service financier constitue une fourniture exonérée aux fins d’application de la LTA, sauf si ce service figure à la partie IX de l’annexe VI (article 1 de la partie VII de l’annexe V).

[16] Aucune TPS n’est percevable à l’égard des fournitures exonérées (article 165 de la LTA et définitions des termes « fourniture taxable » et « activité commerciale » au paragraphe 123(1) de la LTA) et aucun CTI ne peut être demandé relativement à la TPS payée sur des biens ou des services acquis dans la réalisation de fournitures exonérées (article 169 de la LTA et définition du terme « activité commerciale » au paragraphe 123(1) de la LTA).

[17] La partie IX de l’annexe VI dispose que la fourniture de certains services financiers sera détaxée. L’acquéreur d’une fourniture détaxée n’a aucune TPS à payer (paragraphe 165(3) de la LTA); cependant, puisqu’une fourniture détaxée n’est pas une fourniture exonérée, la personne qui exploite une entreprise dont les activités comportent la réalisation de fournitures détaxées (ou d’autres fournitures taxables) peut demander des CTI à l’égard de la TPS qu’elle a payée pour acquérir les biens et les services utilisés dans la réalisation de ces fournitures détaxées (ou autres fournitures taxables). L’article 169 de la LTA définit la règle générale à suivre pour déterminer les CTI qui peuvent être demandés. L’article 141.02 de la LTA est également utile pour déterminer les CTI qu’une institution financière peut demander.

[18] La possibilité de demander des CTI est donc ce qui distingue les fournitures exonérées des fournitures détaxées. Dans le présent appel, la question en litige est de savoir si Northbridge a le droit de demander des CTI relativement à la TPS qu’elle a payée sur ses fournitures en lien avec des frais généraux d’entreprise.

[19] Selon l’article 2 de la partie IX de l’annexe VI, les services financiers suivants sont des fournitures détaxées :

2 La fourniture par une institution financière d’un service financier lié à une police d’assurance établie par l’institution, à l’exception d’un service lié aux placements de l’institution, dans la mesure où :

2 A supply made by a financial institution of a financial service that relates to an insurance policy issued by the institution (other than a service that relates to investments made by the institution), to the extent that

a) s’agissant d’une police d’assurance-vie, d’assurance-accident ou d’assurance-maladie (sauf une police collective), la police est établie au titre d’un particulier qui, au moment de l’entrée en vigueur de la police, est un particulier non résidant;

(a) where the policy is a life or accident and sickness insurance policy (other than a group policy), it is issued in respect of an individual who at the time the policy becomes effective, is a non-resident individual;

b) s’agissant d’une police collective d’assurance-vie, d’assurance-accident ou d’assurance-maladie, la police concerne des particuliers non résidants qui sont assurés aux termes de la police;

(b) where the policy is a group life or accident and sickness insurance policy, it relates to non-resident individuals who are insured under the policy;

c) s’agissant d’une police visant un immeuble, la police concerne un immeuble situé à l’étranger;

(c) where the policy is a policy in respect of real property, it relates to property situated outside Canada; and

d) s’agissant d’un autre type de police, la police concerne des risques qui sont habituellement situés à l’étranger.

(d) where the policy is a policy of any other kind, it relates to risks that are ordinarily situated outside Canada.

[20] Dans la mesure où les polices d’assurance qu’elle a établies concernaient des risques qui sont habituellement situés à l’étranger, Northbridge aurait effectué des fournitures détaxées. Elle aurait donc le droit de demander des CTI, puisque ces fournitures seraient détaxées. Le juge de la Cour de l’impôt a toutefois conclu que Northbridge n’effectuait que des fournitures exonérées et qu’elle n’avait donc pas droit à des CTI.

[21] Comme il a été mentionné plus haut, la question en litige dans le présent appel est de savoir si les polices d’assurance en cause concernaient « des risques qui sont habituellement situés à l’étranger » visés à l’alinéa 2d) de la LTA.

[22] L’interprétation des dispositions de la LTA doit être fondée sur une analyse textuelle, contextuelle et téléologique (Hypothèques Trustco Canada c. Canada, 2005 CSC 54, au para. 10). Le rôle de notre Cour est de déterminer l’interprétation que voulait donner le législateur à la disposition en cause. Comme il est difficile dans le présent appel de séparer l’analyse textuelle de l’analyse contextuelle et téléologique, il sera traité collectivement, dans les paragraphes qui suivent, de l’analyse textuelle, contextuelle et téléologique.

[23] Le juge de la Cour de l’impôt a déclaré que le mot « risques », qui figure à l’alinéa 2d) de la partie IX de l’annexe VI de la LTA, pouvait avoir trois interprétations – l’objet de l’assurance, les périls couverts par la police d’assurance et la probabilité qu’un péril survienne.

[24] Au paragraphe 27 de ses motifs, le juge de la Cour de l’impôt a rejeté la possibilité que « périls » puisse signifier « risques » :

[27] Lorsque le terme « risques » apparaît dans l’expression « des risques qui sont habituellement situés à l’étranger », il devient évident qu’il ne peut vouloir dire « péril assuré ». Comment savoir où sont habituellement situés les risques assurés sans renvoyer à l’objet de l’assurance? Prenons l’exemple d’une compagnie d’assurance qui assure un tableau contre le vol. Si le terme « risque » signifie simplement le risque de vol, alors comment déterminer si le vol est habituellement situé à l’étranger? Malheureusement, le vol est universel. Il ne se situe nulle part.

[25] Je ne souscris pas à sa conclusion.

[26] La LTA est une loi très détaillée. La partie IX de la LTA (les dispositions relatives à la TPS) décrit un régime fiscal détaillé aux articles 122 à 363.2. La LTA compte en outre 12 annexes (I à X, comprenant les annexes II.1 et III.1). L’article 2 de la partie IX de l’annexe VI ne s’applique qu’aux institutions financières qui établissent des polices d’assurance. Il ne s’applique pas à la personne qui souscrit à une police d’assurance. Comme cet article se limite aux institutions financières qui établissent des polices d’assurance, je suis d’avis que le mot « risques » devrait être interprété du point de vue des compagnies d’assurance.

[27] Dans l’arrêt Canada c. Resman Holdings Ltd., 2000 CanLII 15312 (CAF) (autorisation de pourvoi à la Cour suprême du Canada refusée le 24 mai 2001, 28080), la question en litige portait sur l’interprétation du terme anglais « accumulation » (« gisement » en français) utilisé au paragraphe 66.1(6) de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. (1985), ch. 1 (5e suppl.) (la LIR). Notre Cour a conclu que le terme « accumulation », dans le contexte des dispositions très détaillées de la LIR, devait être compris dans le sens qui lui serait donné dans l’industrie.

[34] La Couronne soutient que le législateur a voulu que le terme « accumulation » soit compris dans le sens qui lui serait donné dans l’industrie. À mon avis, c’est la façon appropriée d’interpréter un mot de portée aussi générale que le terme « accumulation », lorsqu’il est employé dans le contexte de dispositions législatives très détaillées destinées à servir à un secteur industriel particulier.

[28] Une police d’assurance est un contrat d’assurance (définition de « police d’assurance » au paragraphe 123(1) de la LTA). Le dictionnaire Black’s Law Dictionary, 11e éd., 2019, définit le terme « insurance » (assurance) comme suit :

[traduction]
1. Contrat aux termes duquel une partie (l’assureur) s’engage à indemniser une autre partie (l’assuré) advenant la réalisation d’un risque de sinistre, de dommage ou de responsabilité découlant d’un événement imprévu précis. • La partie assurée paie habituellement une prime à l’assureur en contrepartie de laquelle l’assureur prend en charge le risque assuré. Bien que les dispositions en matière d’indemnisation se retrouvent surtout dans les polices d’assurance, les parties à tout type de contrat peuvent convenir de dispositions d’indemnisation. 2. Somme pour laquelle une personne ou un objet est couvert par un tel contrat.

[29] Dans l’arrêt Somersall c. Friedman, 2002 CSC 59, la Cour suprême du Canada a défini le risque dans le contexte de l’assurance responsabilité civile comme un événement futur pouvant occasionner une perte :

[16] L’assurance responsabilité civile a pour objet général de répartir le risque entre les personnes qui ont contracté une police d’assurance et paient, à ce titre, une prime pour être protégées. Dans l’arrêt Frenette c. Métropolitaine (La), cie d’assurance-vie, [1992] 1 R.C.S. 647, p. 668, madame le juge L’Heureux-Dubé a repris les propos du juge Malouf de la Cour d’appel et défini le risque comme un « événement futur, certain ou incertain, qui peut occasionner une perte ». Dans la décision University of Saskatchewan c. Fireman’s Fund Insurance Co. of Canada (1997), 158 Sask. R. 223 (C.A.), le juge Sherstobitoff a, aux par. 33-34, défini la notion de risque comme [traduction] « le danger contre lequel l’assuré se prémunit » ou « la possibilité qu’une malchance ou perte survienne un jour ». Il a précisé que [traduction] « la malchance ou perte qui est déjà survenue ne constitue plus un risque, mais une certitude. » Par conséquent, l’assureur crée une police qui protège les assurés contre un risque précis ou un danger futur en contrepartie du paiement périodique d’une prime. Pour fournir cette protection, l’assureur s’engage à être prêt à verser un montant à l’assuré jusqu’à concurrence du quantum maximum de la perte que ce dernier pourrait subir si le risque se réalise, pour lequel on fixe habituellement un plafond.

[30] De même, comme l’a souligné le juge de la Cour de l’impôt, dans la définition du terme « assurance » figurant dans la Loi sur les assurances de l’Ontario, L.R.O. 1990, chap. I.8, le mot « risque » est utilisé dans le sens de péril assuré :

« assurance » Engagement par une personne envers une autre de l’indemniser de tout sinistre ou de la dégager de toute responsabilité du fait d’un sinistre relativement à un risque ou à un péril déterminé auquel l’objet assuré peut être exposé, ou de verser une somme d’argent ou toute autre chose de valeur lorsqu’un certain événement se produit. Le terme s’entend, en outre, de l’assurance-vie.

[31] Le juge de la Cour de l’impôt a également mentionné que plusieurs provinces (Alberta, Colombie-Britannique, Manitoba, Terre-Neuve-et-Labrador, Nouvelle-Écosse, Saskatchewan et Île-du-Prince-Édouard) ont également adopté une définition du terme « assurance » qui s’apparente à celle utilisée dans la loi ontarienne.

[32] L’élément essentiel d’une police d’assurance établie par une compagnie d’assurance est l’indemnisation advenant la réalisation d’un risque de sinistre, de dommage ou de responsabilité. Du point de vue de la compagnie d’assurance, le risque réside dans la possibilité que l’assuré fasse une réclamation à la suite de la survenue d’un événement assurable et que l’assureur doive payer la réclamation. Pour Northbridge, le risque était que ses clients fassent une ou plusieurs réclamations à la suite d’accidents impliquant leurs véhicules. Le risque pour Northbridge n’était pas lié aux véhicules en soi, mais plutôt à la probabilité qu’un véhicule soit impliqué dans un accident (ou autre événement assurable) qui donnerait lieu à une réclamation.

[33] Je suis d’avis que l’utilisation du mot « risques » dans l’expression « des risques qui sont habituellement situés à l’étranger », considérée du point de vue des compagnies d’assurance, ne change pas la signification de « risques », qui doit s’entendre des périls ou des événements susceptibles de donner lieu à une réclamation. Au paragraphe 37 de ses motifs, le juge de la Cour de l’impôt a reconnu que « “habituellement situés” signifie “normalement ou généralement situés” ».

[34] Le risque de réclamation découlant d’un accident (ou d’un autre événement assurable) est lié à l’emplacement géographique. L’accident (ou autre événement assurable) se produit dans un lieu précis. La couverture d’assurance est offerte contre les accidents (ou autres événements assurables) qui surviennent à l’intérieur d’une région géographique donnée. En l’espèce, la région était vaste – couvrant les provinces canadiennes et les 48 États continentaux des États‑Unis au sud du Canada – mais elle était aussi délimitée. Ainsi, si un véhicule était impliqué dans un accident au Mexique ou en Alaska, l’accident serait situé à l’extérieur de la zone couverte par la police d’assurance.

[35] Lors de l’établissement d’une police d’assurance, aucun événement assuré ne devrait avoir encore eu lieu. La police d’assurance couvre les accidents qui surviennent après qu’elle a été établie. Au moment de la souscription d’une police, on ne sait pas si un accident particulier surviendra durant la période d’application de la police. Il est fort possible qu’une société de camionnage donnée n’ait aucun accident (et donc ne fasse aucune réclamation) au cours d’une année donnée.

[36] Comme le contrat d’assurance est établi avant que survienne tout événement assuré, la question qui se pose en ce qui a trait à l’alinéa 2d) est uniquement celle de savoir si la police concerne des risques qui sont habituellement situés à l’étranger. Comme les polices établies par Northbridge concernaient en partie des accidents (ou autres événements assurables) habituellement situés à l’étranger, la fourniture d’une partie des polices pouvait être considérée comme une fourniture détaxée.

[37] Le juge de la Cour de l’impôt et l’intimé se fondent sur le libellé d’autres alinéas de l’article 2, lesquels lient tous la police d’assurance à l’objet de l’assurance. L’alinéa a) vise les polices d’assurance-vie, d’assurance-accident ou d’assurance-maladie établies à l’égard de non‑résidents, l’alinéa b), les polices collectives d’assurance-vie, d’assurance-accident ou d’assurance-maladie qui concernent des non-résidents, et l’alinéa c), les polices d’assurance qui concernent des immeubles situés à l’étranger. Le mot « risques » ne figure dans aucun de ces alinéas.

[38] Les alinéas a) à c) renvoient à l’objet de l’assurance, mais comme les assurances visent essentiellement à indemniser une partie en cas de sinistre découlant d’un événement assurable, il convient également de tenir compte de l’endroit où seraient payées les réclamations éventuelles et, donc, du lieu où serait rendu le service financier lié au paiement de ces réclamations. L’alinéa a) se limite aux polices d’assurance-vie, d’assurance-accident ou d’assurance-maladie établies à l’égard de non-résidents. Par conséquent, tout paiement relatif à une réclamation au titre de ces polices serait versé à un non-résident.

[39] De même, l’alinéa b) ne vise que les polices collectives d’assurance-vie, d’assurance-accident ou d’assurance-maladie qui concernent des non-résidents, de sorte que le paiement serait là aussi versé à un non-résident. Enfin, l’alinéa c) vise uniquement les polices concernant des immeubles situés à l’étranger. Toute réclamation liée à des réparations devant être effectuées sur de tels biens serait présentée à des personnes se trouvant dans le pays où le bien est situé.

[40] Les alinéas a), b) et c) concernent tous des services exportés visant des non-résidents et des immeubles situés à l’étranger. Ils portent tous sur le paiement de réclamations à l’étranger.

[41] Les règles générales relatives aux exportations, de même que le but de la détaxation de biens et de services exportés, sont énoncées dans le document Taxe sur les produits et services – Document technique, qui a été publié en août 1989 par le ministère des Finances :

Conformément au principe selon lequel la taxe doit s’appliquer uniquement à la consommation au Canada, les exportations de produits et services seront détaxées (voir la section 2.6). Cela permettra d’éliminer entièrement la TPS sur les exportations. [page 56]

[…]

Comme tous les autres produits et services, les services financiers fournis à des personnes qui ne résident pas au Canada seront détaxés. Cela permettra aux entreprises canadiennes qui fournissent des services financiers de rester concurrentielles sur les marchés mondiaux.

Le régime applicable aux services financiers touchera principalement un groupe bien précis de personnes enregistrées, c’est-à-dire les banques, les compagnies de fiducie, les assureurs, les coopératives financières et les courtiers en valeurs puisque la grande majorité des services financiers sont fournis par ces institutions. Ces dernières, outre qu’elles fourniront des services financiers exonérés, effectueront normalement des fournitures taxables et détaxées. Par conséquent, conformément aux règles générales de la TPS, elles devront répartir leurs intrants de manière à déterminer leur droit au crédit pour taxe sur intrants. La taxe payée sur leurs achats ouvrira droit à un crédit pour taxe sur intrants dans la mesure où les achats sont destinés à offrir une fourniture taxable ou détaxée. […] [page 149]

[…]

Le lieu de la fourniture d’un service d’assurance sera déterminé par l’emplacement du risque. L’assurance d’un risque à l’étranger par un assureur résident sera considérée comme une exportation de service et donc détaxée. En conséquence, un crédit pour taxe sur intrants sera accordé à l’égard des achats dans la mesure où l’on peut raisonnablement les affecter à la fourniture de ces services détaxés. [page 158]

[42] En général, les biens et services exportés ne sont pas assujettis à la TPS. Ainsi, aucune taxe n’est exigible sur la fourniture de ces biens ou services et l’exportateur a le droit de recouvrer toute TPS payée sur des biens ou services acquis dans la réalisation de cette fourniture.

[43] Dans le contexte des polices d’assurance, l’article 2 de la partie IX de l’annexe VI a pour but de faire de la fourniture d’une police d’assurance une fourniture détaxée dans la mesure où cette police concerne des risques habituellement situés à l’étranger. Les services visés par cette partie de la police seraient donc considérés comme des services exportés à l’égard desquels la compagnie d’assurance pourrait demander des CTI. Comme la police d’assurance est une entente visant à indemniser une personne advenant certains sinistres, dans la mesure où ceux‑ci se produiraient habituellement à l’étranger, le paiement de la réclamation liée à ces sinistres serait généralement versé à des personnes situées à l’étranger et cette fourniture devrait être considérée comme un service exporté.

[44] Par conséquent, dans la mesure où Northbridge établit des polices d’assurance qui couvrent des réclamations faites à la suite d’accidents ou d’autres événements assurables qui surviennent généralement aux États-Unis, ces polices devraient être considérées comme des fournitures d’assurance exportées. L’événement assurable donnant lieu à la réclamation se produit à l’étranger. Toute réclamation découlant d’un accident aux États-Unis donnerait lieu à des paiements versés à une personne située à l’étranger aux fins de réparation des véhicules ou d’indemnisation des blessés. Il s’agit d’un service exporté qui consiste à verser une indemnisation pour un sinistre causé par un événement assurable survenu à l’étranger.

[45] En conséquence, je suis d’avis que les « risques » s’entendent de la probabilité qu’un accident ou autre événement assurable donne lieu à une réclamation. Dans la mesure où les polices d’assurance établies par Northbridge couvraient des risques habituellement situés à l’étranger, la fourniture de ces polices constituerait une fourniture détaxée. Les données concernant les réclamations présentées à la suite d’accidents survenus aux États-Unis montrent que les risques seraient habituellement situés aux États-Unis.

[46] La question suivante qui se posait était de savoir dans quelle mesure les polices établies par Northbridge étaient des polices liées à des risques habituellement situés à l’étranger. Pour ce faire, il fallait déterminer la probabilité qu’un accident survienne aux États-Unis et qu’un sinistre en découle.

[47] Le juge de la Cour canadienne de l’impôt a déclaré ce qui suit :

[81] Je disposais d’une preuve abondante sur la façon dont [Northbridge] établissait le tarif de ses polices d’assurance. Cette méthode aurait été très pertinente si j’avais conclu que le terme « risques » signifiait la probabilité d’une réclamation à l’égard d’un véhicule donné. Toutefois, comme j’ai conclu que le terme « risques » désigne les véhicules eux-mêmes, je n’en aurais pas tenu compte.

[…]

C. Calcul des crédits de taxe sur les intrants

[83] Puisque j’ai conclu que [Northbridge] n’effectuait que des fournitures exonérées, il n’est pas nécessaire que je me penche sur la question de savoir si [Northbridge] a demandé à juste titre les CTI. Une partie de la question relative [aux] CTI porte sur l’article 141.02. À ma connaissance, notre Cour ne s’est jamais penchée sur cet article. Il vaut mieux reporter cette question à une autre occasion.

[48] Comme les « risques » s’entendent des périls couverts par la police d’assurance, la question qui importe est de savoir dans quelle mesure cette police concerne des accidents (et autres événements assurables) qui sont habituellement situés ou qui surviennent habituellement à l’étranger. La police d’assurance vise un parc de camions. Il ne s’agit pas de faire une analyse en fonction de chacun des véhicules couverts, comme l’a proposé le juge de la Cour de l’impôt. Il s’agit plutôt de faire une analyse des polices établies par Northbridge.

[49] Au paragraphe 81 de ses motifs, le juge de la Cour de l’impôt a déclaré que la façon dont Northbridge établissait le tarif de ses polices serait pertinente pour déterminer dans quelle mesure ses polices concernaient des risques habituellement situés à l’étranger. La tarification des polices tiendrait normalement compte de la probabilité qu’un accident (ou autre événement assurable) survenant à l’étranger et que le sinistre éventuel en résultant soient couverts par la police.

[50] Pour déterminer dans quelle mesure les polices d’assurance de Northbridge couvraient des réclamations susceptibles de découler d’accidents survenant habituellement à l’étranger, il faudrait examiner les éléments de preuve dont le juge de la Cour de l’impôt n’a pas tenu compte. Ces éléments de preuve de même que l’application potentielle de l’article 141.02 de la LTA devraient être examinés par le juge de la Cour de l’impôt.

V. Conclusion

[51] Par conséquent, j’accueillerais l’appel, avec dépens devant notre Cour et devant la Cour canadienne de l’impôt, et j’annulerais le jugement rendu par cette cour. Je renverrais l’affaire à la Cour canadienne de l’impôt afin qu’elle détermine le montant des CTI auquel Northbridge a droit pour chacune des périodes de déclaration visées par l’appel.

« Wyman W. Webb »

j.c.a.

« Je suis d’accord.

J.B. Laskin, j.c.a. »

« Je suis d’accord.

Nathalie Goyette, j.c.a. »


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

Dossier :

A-2-21

INTITULÉ :

SOCIÉTÉ D’ASSURANCE DES ENTREPRISES NORTHBRIDGE c. SA MAJESTÉ LE ROI

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 14 décembre 2022

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE WEBB

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE LASKIN

LA JUGE GOYETTE

DATE DES MOTIFS :

Le 24 octobre 2023

COMPARUTIONS :

David Douglas Robertson

Marie-Claude Marcil

Jasmine Jolin

Pour l’appelante

Tanis Halpape

David McLeod

Pour l’intimé

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

EY Cabinet d’avocats s.r.l./S.E.N.C.R.L.

Toronto (Ontario)

Pour l’appelante

Shalene Curtis-Micallef

Sous-procureure générale du Canada

Pour l’intimé

 

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