Date : 20231109
Dossier : A-128-22
Référence : 2023 CAF 221
[TRADUCTION FRANÇAISE]
CORAM :
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LE JUGE LOCKE
LA JUGE MACTAVISH
LA JUGE MONAGHAN
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ENTRE : |
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SANDOZ CANADA INC.
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appelante |
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et |
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JANSSEN INC. et ACTELION PHARMACEUTICALS LTD. |
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intimées |
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Audience tenue à Toronto (Ontario), le 4 octobre 2023.
Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 9 novembre 2023.
MOTIFS DU JUGEMENT : |
LE JUGE LOCKE |
Y ONT SOUSCRIT : |
LA JUGE MACTAVISH LA JUGE MONAGHAN |
Date : 20231109
Dossier : A-128-22
Référence : 2023 CAF 221
CORAM :
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LE JUGE LOCKE
LA JUGE MACTAVISH
LA JUGE MONAGHAN
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ENTRE : |
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SANDOZ CANADA INC.
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appelante |
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et |
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JANSSEN INC. et ACTELION PHARMACEUTICALS LTD. |
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intimées |
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MOTIFS DU JUGEMENT
LE JUGE LOCKE
I. Aperçu
[1] Le présent appel vise la décision (2022 CF 715, la juge Christine M. Pallotta) par laquelle la Cour fédérale a rejeté les allégations de l’appelante, Sandoz Canada Inc., portant que le brevet canadien no 2 659 770 (le brevet) est invalide pour divers motifs. Dans son mémoire des faits et du droit, Sandoz a soulevé les motifs d’invalidité suivants : i) le brevet était dénué d’utilité, puisque l’utilité n’avait pas été démontrée au moment du dépôt de la demande de brevet et que les exigences relatives à une prédiction valable de l’utilité n’avaient pas été respectées; ii) l’objet de la revendication avait une portée excessive qui dépassait l’invention faite ou divulguée. À titre subsidiaire, Sandoz a également fait valoir que, si le brevet n’est pas invalide pour cause d’absence d’utilité ou de portée excessive, il doit l’être alors pour cause d’évidence.
[2] Dans ses observations orales, Sandoz n’a avancé que l’argument sur l’absence d’utilité et a demandé à la Cour de se concentrer sur cet argument.
[3] Pour les motifs exposés ci-après, je rejetterais le présent appel.
II. Brevet et décision de la Cour fédérale
[4] Le brevet concerne le traitement des maladies dans lesquelles intervient la vasoconstriction, dont l’une est appelée l’hypertension artérielle pulmonaire (HTAP), par l’utilisation de macitentan, qui est un antagoniste des récepteurs de l’endothéline (ARE), en combinaison avec un inhibiteur de la phosphodiestérase de type 5 (I-PDE5).
[5] La Cour fédérale a examiné les allégations d’évidence, d’absence d’utilité, de portée excessive et de divulgation insuffisante.
[6] Pour toutes ces questions, la Cour fédérale a appliqué le bon critère juridique et a conclu que l’invalidité n’avait pas été établie.
[7] En ce qui a trait à l’absence d’utilité, la Cour fédérale a pris acte de l’exigence selon laquelle, au moment du dépôt de la demande de brevet, l’utilité doit avoir été démontrée ou que les exigences relatives à une prédiction valable de l’utilité doivent être respectées. Elle a conclu que, bien que l’utilité n’ait pas été démontrée, les exigences relatives à une prédiction valable de l’utilité avaient été respectées. Elle a donc rejeté l’argument sur l’absence d’utilité. Les exigences applicables relatives à une prédiction valable sont énoncées au paragraphe 70 de l’arrêt Apotex Inc. c. Wellcome Foundation Ltd., 2002 CSC 77, [2002] 4 R.C.S. 153 (Wellcome), et ont été citées à juste titre par la Cour fédérale :
La prédiction doit avoir un fondement factuel;
L’inventeur doit avoir un raisonnement clair et valable qui permette d’inférer du fondement factuel le résultat souhaité;
Il doit y avoir divulgation suffisante.
[8] Dans le présent appel, le fait que la Cour fédérale n’a pas mentionné l’arrêt Eli Lilly Canada Inc. c. Novopharm Limited, 2010 CAF 197, [2010] A.C.F. no 951 (Eli Lilly), rendu par notre Cour ainsi que le passage suivant qui en est tiré revêt une importance particulière :
[84] [Wellcome] ne définit pas le poids que doit avoir la preuve sur la question de la prédiction valable. Toutefois, de l’avis du juge Binnie, il faut plus que de simples spéculations (paragraphe 69). Il donne également les indices suivants :
· les revendications doivent être honnêtement fondées sur la divulgation contenue dans le brevet (paragraphe 59);
-
il doit, à première vue, être raisonnable que le titulaire du brevet puisse formuler une revendication (paragraphe 60);
-
il n’est pas nécessaire qu’il s’agisse d’une certitude (paragraphe 62);
-
il doit être possible d’inférer le résultat souhaité du fondement factuel (paragraphe 70).
[85] À mon avis, ces indices laissent entendre qu’une prédiction valable exige une inférence prima facie raisonnable de l’utilité.
[9] Sandoz fait valoir que non seulement la Cour fédérale n’a pas mentionné l’arrêt Eli Lilly, mais elle ne semble pas non plus avoir pris acte de l’exigence qui y est énoncée selon laquelle, pour qu’une prédiction soit valable, la partie doit établir « une inférence prima facie raisonnable de l’utilité »
. Sandoz soutient que la Cour fédérale a commis une erreur en appliquant un seuil moins exigeant pour conclure à une prédiction valable.
III. Norme de contrôle
[10] Les parties conviennent, et je suis du même avis, que la norme de contrôle que notre Cour doit appliquer est celle qui doit normalement s’appliquer en appel selon les règles énoncées dans l’arrêt Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235 (Housen). Les questions de droit sont assujetties à la norme de la décision correcte, et les questions de fait ou les questions mixtes de fait et de droit, où aucune question de droit n’est isolable, sont assujetties à la norme de l’erreur manifeste et dominante. Une erreur manifeste est une erreur évidente. Une erreur dominante est une erreur qui touche directement à l’issue de l’affaire. On ne peut se contenter de tirer sur les feuilles et les branches et laisser l’arbre debout. On doit faire tomber l’arbre tout entier : Benhaim c. St-Germain, 2016 CSC 48, [2016] 2 R.C.S. 352, par. 38, citant l’arrêt Canada c. South Yukon Forest Corporation, 2012 CAF 165, [2012] A.C.F. no 669, par. 46. Une erreur manifeste et dominante tient, non pas de l’aiguille dans une botte de foin, mais de la poutre dans l’œil : Benhaim, par. 39, citant l’arrêt J.G. c. Nadeau, 2016 QCCA 167, [2016] J.Q. no 635 (QL), par. 77.
[11] À l’audience, Sandoz a présenté la seule question soulevée dans l’appel comme une question de droit isolable de la question mixte de fait et de droit consistant à déterminer s’il existe une prédiction valable de l’utilité. La question de droit isolable est celle de savoir si la Cour fédérale a appliqué le mauvais critère juridique relatif à la prédiction valable en ne tenant pas compte de l’exigence d’une inférence prima facie raisonnable de l’utilité. Sandoz affirme que la norme de contrôle applicable à cette question est celle de la décision correcte. Elle ne soutient pas que la Cour fédérale a commis une erreur manifeste et dominante.
[12] Elle fait valoir que sa position est semblable à celle de l’exemple cité au paragraphe 27 de l’arrêt Housen tiré de l’arrêt Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c. Southam Inc., [1997] 1 R.C.S. 748, 1997 CanLII 385 (CSC), par. 39 :
[S]i un décideur dit que, en vertu du critère applicable, il lui faut tenir compte de A, B, C et D, mais que, dans les faits, il ne prend en considération que A, B et C, alors le résultat est le même que s’il avait appliqué une règle de droit lui dictant de ne tenir compte que de A, B et C. Si le bon critère lui commandait de tenir compte aussi de D, il a en fait appliqué la mauvaise règle de droit et commis, de ce fait, une erreur de droit.
IV. Analyse
A. Principal argument : seuil pour conclure à une prédiction valable
[13] Le fait que Sandoz met l’accent sur des questions de droit isolables établit un seuil peu exigeant pour conclure à l’existence d’une erreur susceptible de contrôle, mais l’empêche de contester les conclusions de fait tirées par la Cour fédérale. Nous ne pouvons pas examiner les conclusions de fait selon la norme de la décision correcte. Ce point est important, puisque la Cour fédérale n’a pas explicitement mal énoncé le critère juridique applicable. Sandoz demande plutôt à notre Cour de conclure que la Cour fédérale a appliqué le mauvais critère. Elle souligne que la Cour fédérale n’a pas mentionné l’exigence d’une « inférence prima facie raisonnable de l’utilité »
. Elle se fonde également sur les éléments de preuve présentés au procès.
[14] À ce stade, il convient d’examiner une fois de plus la déclaration faite dans l’arrêt Eli Lilly (invoquée par Sandoz) ainsi que l’arrêt Wellcome, dont découle cette déclaration. De toute évidence, en rendant l’arrêt Eli Lilly, notre Cour n’entendait pas modifier le critère juridique énoncé dans l’arrêt Wellcome. Elle tentait plutôt de dégager des motifs de cet arrêt le seuil approprié pour conclure à une prédiction valable. Dans l’arrêt Eli Lilly, notre Cour a formulé l’exigence « d’une inférence prima facie raisonnable de l’utilité »
en s’appuyant sur des passages provenant des paragraphes 59, 60, 62, 69 et 70 de l’arrêt Wellcome.
[15] Sandoz cite également plusieurs autres passages de l’arrêt Wellcome, qui illustrent les cas qui ne permettent pas de conclure à une prédiction valable :
Le fait de seulement croire que quelque chose peut être utile (par. 25);
Le fait qu’il ne s’agit guère plus que l’annonce d’un projet de recherche (par. 64);
Le fait que la population obtienne seulement une promesse selon laquelle une hypothèse pourrait s’avérer ultérieurement utile (par. 84).
[16] J’estime que l’arrêt Eli Lilly ne s’écarte pas des principes qui se dégagent d’une lecture complète de l’arrêt Wellcome. Bien que la prédiction n’ait pas à être certaine (Wellcome, par. 62) ou à atteindre une norme réglementaire (Wellcome, par. 63), la population a droit à un solide enseignement (Wellcome, par. 69) exact et utile (Wellcome, par. 83), qui n’est pas fondé sur des spéculations, mais sur la science exacte (Wellcome, par. 84).
[17] En ce qui concerne les motifs de la décision de la Cour fédérale portée en appel, je fais remarquer que les paragraphes 207 à 209 de cette décision renvoient expressément et fréquemment à l’arrêt Wellcome, plus précisément aux paragraphes 56, 62, 66, 70 et 77. La Cour fédérale a manifestement lu et pris en compte l’ensemble de l’arrêt Wellcome, pas seulement les trois exigences relatives à une prédiction valable énoncées au paragraphe 7 ci-dessus. Il serait difficile de conclure que, malgré un examen attentif d’une bonne partie de l’arrêt Wellcome, la Cour fédérale n’a pas tenu compte des paragraphes concernant l’exigence « d’une inférence prima facie raisonnable de l’utilité »
.
[18] Sandoz reconnaît que la Cour fédérale n’a pas commis d’erreur simplement en omettant de mentionner que le seuil pour conclure à une prédiction valable est une inférence prima facie raisonnable de l’utilité. Cependant, Sandoz demande à notre Cour de conclure que la Cour fédérale n’a pas appliqué ce seuil, car, selon elle, les éléments de preuve ne le lui permettaient pas.
[19] Sandoz cite onze conclusions de fait tirées par la Cour fédérale (qu’elle ne conteste pas) à l’appui de sa position :
L’hypertension pulmonaire est un terme général qui désigne une pression anormalement élevée dans le système circulatoire pulmonaire (voir le paragraphe 118 des motifs de la Cour fédérale).
L’HTAP est un sous-type d’hypertension pulmonaire dans lequel la contraction des parois des artères pulmonaires augmente la résistance vasculaire à l’écoulement du sang. En l’absence de traitement, cette pression accrue surcharge le côté droit du cœur, qui pompe le sang vers les poumons, et conduit à l’insuffisance cardiaque (voir le paragraphe 118 des motifs de la Cour fédérale).
Un I-PDE5 (le sildénafil) a été approuvé pour traiter l’HTAP, et un autre (le tadalafil) était approuvé pour traiter la dysfonction érectile, mais était parfois prescrit contre l’HTAP, une utilisation non indiquée sur l’étiquette (voir le paragraphe 128 des motifs de la Cour fédérale).
Deux ARE (le bosentan et le sitaxsentan) ont été approuvés pour traiter l’HTAP (voir le paragraphe 128 des motifs de la Cour fédérale).
Aucun essai clinique n’avait été réalisé ou publié sur la combinaison d’un ARE et d’un I-PDE5. Aucun traitement combiné n’était recommandé dans les lignes directrices d’organisations professionnelles pour traiter l’HTAP (voir le paragraphe 146 des motifs de la Cour fédérale).
Il n’y avait pas encore de consensus dans le milieu médical sur les traitements combinés et leur rôle. Le milieu médical suivait l’évolution de la situation, mais il a reconnu que des questions importantes n’avaient pas été résolues (voir le paragraphe 157 des motifs de la Cour fédérale).
Il s’agissait du début des traitements ciblant l’HTAP, et les données probantes à l’appui d’un traitement combiné étaient limitées (voir le paragraphe 165 des motifs de la Cour fédérale).
Les résultats publiés d’une étude à long terme réalisée sur neuf patients humains atteints d’HTAP et recevant un traitement combinant le bosentan (un ARE) et le sildénafil (un I-PDE5) n’ont fourni que des données qui établissaient de façon préliminaire (et non définitive) l’efficacité de cette combinaison chez les patients qui avaient participé à l’étude (voir le paragraphe 153 des motifs de la Cour fédérale).
La personne versée dans l’art ne s’attendrait pas à ce que la combinaison de tout ARE avec un I-PDE5 soit utile pour traiter les maladies dans lesquelles intervient la vasoconstriction, y compris l’HTAP. Comme des questions demeuraient quant à la question clé de savoir si les résultats étaient attribuables à la combinaison du bosentan et du sildénafil, la personne versée dans l’art considérerait qu’il n’y avait pas de niveau de confiance acceptable envers l’efficacité du traitement combiné (voir les paragraphes 159 et 165 des motifs de la Cour fédérale).
La personne versée dans l’art aurait jugé les données probantes insuffisantes pour extrapoler, sur la base de mécanismes d’action communs, les enseignements sur le bosentan et le sildénafil à toute combinaison d’un ARE et d’un I‑PDE5 (voir le paragraphe 159 des motifs de la Cour fédérale).
Le macitentan était en fait inconnu de la personne versée dans l’art (voir le paragraphe 193 des motifs de la Cour fédérale).
[20] Sandoz souligne que la Cour fédérale a conclu que les études à long terme réalisées sur des humains atteints d’HTAP ne suffisaient pas à fournir des données autres que préliminaires (plutôt que définitives) tendant à indiquer que le traitement combiné serait efficace. Comme la Cour fédérale a fondé sa conclusion relative à la prédiction valable sur les études sur les rats (et non sur les humains), qui reposaient sur des résultats de pression artérielle systémique (plutôt que pulmonaire), Sandoz affirme que la Cour fédérale n’aurait pas pu tenir compte de l’exigence d’une inférence prima facie raisonnable de l’utilité. Comme l’a mentionné Sandoz, les études sur les rats n’offrent qu’une promesse selon laquelle une hypothèse pourrait s’avérer ultérieurement utile, ce qui, selon le paragraphe 84 de l’arrêt Wellcome, ne suffit pas à étayer une conclusion d’utilité fondée sur une prédiction valable.
[21] Sandoz soutient également que la preuve factuelle dont disposait la Cour fédérale ne permettait pas non plus de conclure à une inférence prima facie raisonnable de l’utilité. Elle fait remarquer que les propres témoins experts des intimées n’ont jamais mentionné cette exigence et qu’on ne leur a pas demandé d’en tenir compte au moment de former leur opinion. Sandoz soutient que, pour justifier leur opinion, ces experts ont simplement affirmé que les études sur les rats détaillées dans le brevet fournissaient un signal positif à la personne versée dans l’art indiquant que le macitentan combiné à un I-PDE5 pouvait être utilisé pour traiter une maladie dans laquelle intervient la vasoconstriction.
[22] Sandoz fait valoir que le fait que la Cour fédérale s’est fondée sur ce « signal positif »
démontre que sa conclusion sur la question de la prédiction valable reposait sur le mauvais critère juridique.
[23] Dans le présent appel, la question à laquelle notre Cour doit répondre est celle de savoir s’il ressort des circonstances que la Cour fédérale a appliqué un seuil moins exigeant pour conclure à une prédiction valable que celui prévu dans les arrêts Wellcome et Eli Lilly. Je répondrais à cette question par la négative.
[24] Le seuil n’est pas exigeant. Les expressions « prima facie »
et « inférence raisonnable »
laissent à l’organe chargé de juger les faits une grande marge de manœuvre pour tirer sa conclusion. Étant donné que la Cour fédérale connaissait manifestement bien les principes formulés dans l’arrêt Wellcome, je ne suis pas disposé à conclure qu’elle n’a pas tenu compte de ces principes selon lesquels, dans le cas d’un brevet fondé sur une prédiction valable, l’enseignement doit être solide, exact, utile et fondé sur la science exacte (et non sur des spéculations) : Wellcome, par. 69, 83 et 84. Les motifs de la Cour fédérale démontrent qu’elle en était convaincue.
[25] Je ne retiens pas l’argument de Sandoz selon lequel, au moment du dépôt de la demande de brevet, les inventeurs, par défaut, pouvaient tout au plus promettre qu’une hypothèse pourrait s’avérer ultérieurement utile. Le fait que d’autres essais devaient être réalisés à la suite des études sur les rats n’a pas pour conséquence inévitable que l’utilité de l’invention n’était pas raisonnablement prévisible. De par sa nature, la règle de la prédiction valable présuppose l’existence d’autres travaux à accomplir : Wellcome, par. 77. Il appartenait à la Cour fédérale d’apprécier la preuve et de déterminer si le seuil pour conclure à une prédiction valable était atteint.
[26] Je rejette également l’affirmation de Sandoz portant que la conclusion de la Cour fédérale selon laquelle les études à long terme sur les humains qui ont été publiées et qui ne font qu’établir de façon préliminaire que la combinaison du bosentan et du sildénafil serait efficace pour traiter l’HTAP est incompatible avec la conclusion qu’il serait possible de tirer une inférence prima facie raisonnable de l’utilité à partir des études sur les rats qui mesurent la pression artérielle systémique (et non pulmonaire).
[27] Premièrement, c’est dans le cadre de son analyse de l’évidence, et non de la prédiction valable, que la Cour fédérale a employé l’adjectif « préliminaire », par opposition à « définitive »
, pour qualifier les données. Lue dans son contexte, la conclusion de la Cour fédérale était que les études sur les humains n’établissaient pas de façon définitive l’efficacité de la combinaison du bosentan et du sildénafil. De plus, les questions de l’évidence et de la prédiction valable commandent l’application de critères juridiques distincts et différents. Les connaissances générales courantes peuvent suffire pour étayer une prédiction valable, mais pas pour étayer l’évidence : Pharmascience Inc. c. Teva Canada Innovation, 2022 CAF 2, par. 38.
[28] Deuxièmement, le brevet concerne la combinaison d’un autre ARE (le macitentan) et d’un I-PDE5 testée dans les études sur les humains. Dans le cadre de l’analyse de l’évidence faite par la Cour fédérale, cela mérite d’être souligné.
[29] Troisièmement, à l’instar de la Cour fédérale, je ne suis pas disposé à conclure que le fait que les études sur les rats mesureraient la pression artérielle systémique plutôt que la pression artérielle pulmonaire constitue une différence suffisante pour empêcher la Cour fédérale de conclure à une prédiction valable de l’utilité au vu du dossier dont elle disposait. Je tire une conclusion semblable en ce qui concerne le fait que le brevet concerne le traitement des humains, alors que les études sur les rats portaient sur les rats. Sandoz reconnaît que les études réalisées sur des animaux peuvent servir de fondement à une prédiction valable de l’utilité chez les humains.
[30] Enfin, les conclusions de fait citées par Sandoz et énumérées au paragraphe 19 ci-dessus ne m’amènent pas à juger que la Cour fédérale a appliqué un seuil pour conclure à une prédiction valable moins exigeant qu’une inférence prima facie raisonnable de l’utilité. Le fait que la Cour fédérale n’a pas mentionné cette expression n’a rien de surprenant et ne constitue pas une erreur de droit. Les intimées citent des exemples de décisions, y compris des arrêts rendus par notre Cour, qui traitent de la question de la prédiction valable sans mentionner cette expression : Teva Canada Limited c. Leo Pharma Inc., 2017 CAF 50; Packers Plus Energy Services Inc. c. Essential Energy Services Ltd., 2017 CF 1111, [2017] A.C.F. no 1200 (QL), conf. par 2019 CAF 96; Apotex Inc. c. Allergan Inc., 2015 CAF 137, [2015] A.C.F. no 953 (QL).
[31] Je souligne que Sandoz elle-même n’a pas expressément mentionné cette expression dans ses observations écrites devant la Cour fédérale. Elle n’y a fait référence qu’indirectement en renvoyant aux paragraphes pertinents dans l’arrêt Eli Lilly. Dans ce contexte, il n’est pas étonnant que la Cour fédérale n’ait pas été portée à employer cette expression.
B. Autres arguments
[32] Bien que Sandoz ait demandé à notre Cour de se concentrer sur son principal argument sur lequel elle a fondé son appel, je souligne que j’ai examiné tous les arguments avancés par Sandoz dans son mémoire des faits et du droit et que j’ai conclu qu’aucun n’est fondé.
V. Conclusion
[33] Compte tenu de ce qui précède, l’appel devrait être rejeté. Je rejetterais l’appel avec dépens en faveur des intimées, fixés à la somme convenue de 15 000 $.
[34] En terminant, je tiens à remercier les parties d’avoir présenté des observations fort judicieuses et d’avoir travaillé à réduire le nombre de questions en litige. Non seulement cela a aidé notre Cour à trancher le présent appel dans les plus brefs délais, mais j’estime également que les parties en ont bénéficié, puisqu’elles ont pu se concentrer sur les questions les plus susceptibles d’influer sur l’issue de l’appel.
« George R. Locke »
j.c.a.
« Je suis d’accord.
Anne L. Mactavish, j.c.a. »
« Je suis d’accord.
K.A. Siobhan Monaghan, j.c.a. »
COUR D’APPEL FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
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Dossier : |
A-128-22 |
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INTITULÉ :
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SANDOZ CANADA INC. c. JANSSEN INC. et ACTELION PHARMACEUTICALS LTD. |
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LIEU DE L’AUDIENCE :
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Toronto (Ontario)
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DATE DE L’AUDIENCE :
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Le 4 octobre 2023
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MOTIFS DU JUGEMENT :
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LE JUGE LOCKE
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Y ONT SOUSCRIT :
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LA JUGE MACTAVISH LA JUGE MONAGHAN |
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DATE DES MOTIFS :
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Le 9 novembre 2023 |
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COMPARUTIONS :
Andrew Brodkin Jordan Scopa |
Pour l’appelante |
Andrew Skodyn
Melanie Baird
Dylan Churchill
|
Pour les intimées |
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Goodmans LLP Toronto (Ontario) |
Pour l’appelante |
Blake, Cassels & Graydon S.E.N.C.R.L./s.r.l. Toronto (Ontario) |
Pour les intimées |