Décisions de la Cour d'appel fédérale

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Date : 20240307


Dossier : A-48-17

Référence : 2024 CAF 40

CORAM :

LE JUGE EN CHEF DE MONTIGNY

LA JUGE GOYETTE

LE JUGE HECKMAN

 

ENTRE :

 

 

MARIE MACHE RAMEAU

 

 

appelante

 

 

et

 

 

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

intimé

 

Audience tenue à Ottawa (Ontario), le 13 septembre 2023.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 7 mars 2024.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE HECKMAN

MOTIFS CONCORDANTS :

LE JUGE EN CHEF DE MONTIGNY

LA JUGE GOYETTE

 


Date : 20240307


Dossier : A-48-17

Référence : 2024 CAF 40

CORAM :

LE JUGE EN CHEF DE MONTIGNY

LA JUGE GOYETTE

LE JUGE HECKMAN

 

ENTRE :

 

 

MARIE MACHE RAMEAU

 

 

appelante

 

 

et

 

 

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

intimé

 

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE HECKMAN

[1] La Cour est saisie de l’appel du jugement prononcé par la Cour fédérale dans la décision Mache-Rameau c. Canada (Procureur général), 2017 CF 43, [2017] A.C.F. no 24 (Q.L.) (la juge St-Louis) (le Jugement). Aux termes du Jugement, la juge rejetait la demande de contrôle judiciaire introduite par l’appelante à l’encontre d’une décision (la Décision) de la Commission canadienne des droits de la personne (la Commission) concluant, en vertu du sous-alinéa 44(3)b)(i) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. 1985, c. H-6 (la Loi), qu’un examen de sa plainte pour discrimination, représailles et harcèlement (la Plainte) de la part de son ancien employeur n’était pas justifié, compte tenu des circonstances.

[2] Dans le Jugement, la Cour fédérale a commis une erreur en appliquant la norme de la décision correcte à un aspect de la décision discrétionnaire de la Commission à l’effet que l’examen par le Tribunal de la Plainte n’était pas justifié compte tenu des circonstances relatives à la Plainte – à savoir si la Commission pouvait exclure de son traitement de la Plainte les allégations de violation d’un protocole d’entente conclu par les parties pour régler une plainte antérieure – et en substituant aux motifs de la Commission sa propre justification du résultat obtenu par la Commission. Me mettant à la place de la Cour fédérale et appliquant la norme de contrôle appropriée, je conclus que la décision de la Commission est déraisonnable parce que ses motifs sur cet aspect de la Décision ne font pas état d’une analyse rationnelle et parce qu’elle n’est pas justifiée au regard de l’ensemble du droit et des faits pertinents. Cependant, j’exercerais mon pouvoir discrétionnaire de réparation en n’annulant pas la Décision et en ne renvoyant pas l’affaire à la Commission pour une nouvelle décision puisque la seule décision raisonnable, compte tenu des contraintes juridiques et factuelles applicables en l’espèce, serait de rejeter la Plainte.

I. Contexte

[3] Il sera utile de présenter le contexte entourant les questions soulevées dans le présent appel.

A. Contexte législatif

[4] La Loi interdit plusieurs actes discriminatoires. Notamment, elle interdit, à l’article 7, le fait de refuser de continuer d’employer un individu ou de le défavoriser en cours d’emploi pour un motif de distinction illicite, dont la race, l’origine nationale ou ethnique et la couleur. La Loi interdit également, à l’alinéa 14(1)a), le fait de harceler un individu en matière d’emploi pour un motif de distinction illicite. À l’article 14.1, la Loi interdit à la personne visée par une plainte de discrimination sous la Loi, ou la personne qui agit en son nom, d’exercer ou de menacer d’exercer des représailles contre le plaignant ou la victime présumée.

[5] Aux termes du paragraphe 40(1), sous réserve de certaines conditions de recevabilité qui ne sont pas applicables en l’espèce, les personnes ayant des motifs raisonnables de croire qu’une personne a commis un acte discriminatoire peuvent déposer une plainte devant la Commission.

[6] Lorsqu’elle reçoit une plainte, la Commission peut refuser de statuer sur la plainte dont elle est saisie si elle la juge irrecevable pour un des motifs définis au paragraphe 41(1) de la Loi :

Irrecevabilité

Commission to deal with complaint

41 (1) Sous réserve de l’article 40, la Commission statue sur toute plainte dont elle est saisie à moins qu’elle estime celle-ci irrecevable pour un des motifs suivants :

41 (1) Subject to section 40, the Commission shall deal with any complaint filed with it unless in respect of that complaint it appears to the Commission that

a) la victime présumée de l’acte discriminatoire devrait épuiser d’abord les recours internes ou les procédures d’appel ou de règlement des griefs qui lui sont normalement ouverts;

(a) the alleged victim of the discriminatory practice to which the complaint relates ought to exhaust grievance or review procedures otherwise reasonably available;

b) la plainte pourrait avantageusement être instruite, dans un premier temps ou à toutes les étapes, selon des procédures prévues par une autre loi fédérale;

(b) the complaint is one that could more appropriately be dealt with, initially or completely, according to a procedure provided for under an Act of Parliament other than this Act;

c) la plainte n’est pas de sa compétence;

(c) the complaint is beyond the jurisdiction of the Commission;

d) la plainte est frivole, vexatoire ou entachée de mauvaise foi;

(d) the complaint is trivial, frivolous, vexatious or made in bad faith; or

e) la plainte a été déposée après l’expiration d’un délai d’un an après le dernier des faits sur lesquels elle est fondée, ou de tout délai supérieur que la Commission estime indiqué dans les circonstances.

(e) the complaint is based on acts or omissions the last of which occurred more than one year, or such longer period of time as the Commission considers appropriate in the circumstances, before receipt of the complaint.

[7] En vertu du paragraphe 43(1), la Commission peut charger une personne (« l’enquêteur ») d’enquêter sur une plainte et, une fois l’enquête terminée, de présenter un rapport d’enquête à la Commission selon le paragraphe 44(1).

[8] La Commission exerce alors un pouvoir discrétionnaire, défini aux paragraphes 44(2) et (3), pour décider comment donner suite au rapport. L’une des options prévues au paragraphe 44(3) est de demander au président du Tribunal des droits de la personne (« Tribunal ») de désigner un membre pour instruire la plainte. Le Tribunal tient alors une audience, donnant à la Commission et aux parties la possibilité entière de comparaître et de présenter des éléments de preuve et leurs observations afin de trancher les questions de fait et de droit soulevées par la plainte. L’autre option est de rejeter la plainte si la Commission est convaincue que son examen n’est pas justifié à la lumière des circonstances applicables ou que la plainte n’est pas recevable pour un des motifs énoncés aux alinéas 41(1)c) à e).

[9] L’article 48 de la Loi traite de la possibilité de règlements. Elle prévoit que les parties peuvent tenter de régler leurs différends à la suite du dépôt de la plainte mais avant le début de l’audience au Tribunal : Loi, art. 48(1). Tout règlement doit être approuvé par la Commission, après quoi, par requête d’une des parties ou de la Commission, il peut être assimilé à une ordonnance de la Cour fédérale et exécuté comme telle: Loi, art. 48(2)–(3).

B. Contexte factuel

[10] Cet appel s’inscrit dans la foulée d’une série de procédures judiciaires et administratives intentées par l’appelante sur une période de vingt ans devant la Commission, le Tribunal et la Cour fédérale à la suite d’un traitement par son ancien employeur qu’elle juge avoir été discriminatoire. Afin de replacer le Jugement dans son contexte factuel, il est nécessaire d’examiner l’historique de ces procédures.

(1) La plainte de 2003 et le protocole d’entente

[11] L’appelante, Mme Marie Mache Rameau, a œuvré dans la fonction publique du Canada de 1990 à 2014 quand son poste a été éliminé dans le cadre d’un réaménagement des effectifs. L’appelante a notamment travaillé au sein de l’Agence canadienne de développement international (l’ACDI), qui fait à présent partie d’Affaires mondiales Canada.

[12] Le 28 juillet 2003, l’appelante dépose auprès de la Commission une première plainte (la plainte de 2003) alléguant qu’en cours d’emploi, l’ACDI s’est livrée à de la discrimination et à du harcèlement fondés sur la race contrairement aux articles 7 et 14 de la Loi. La Commission achemine la plainte de 2003 au Tribunal en décembre 2005.

[13] Avant que la plainte de 2003 ne soit instruite devant le Tribunal et à la suite d’une séance de médiation, les parties signent, le 29 novembre 2006, un protocole d’entente (le protocole) pour résoudre les allégations soulevées dans la plainte de 2003.

[14] Au paragraphe 10 du protocole, l’appelante convient que ce dernier « représente un règlement définitif [à] l’égard de tous les incidents allégués dans [la plainte de 2003] et libère et décharge pour toujours l’intimée […] de toute réclamation ou cause d’action découlant des allégations faites dans la plainte. »

[15] Les parties prévoient aux paragraphes 14 à 16 du protocole les moyens par lesquels ce règlement sera exécuté :

14. Les parties reconnaissent que la Commission fera le suivi du règlement, une fois approuvé, afin d’assurer la mise en œuvre des modalités tel que convenues dans cette entente.

15. Les parties consentent à ce que ce règlement soit assimilé à une ordonnance de la Cour fédérale et soit exécuté comme telle en vertu du paragraphe 48(3) de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

16. Une fois le règlement approuvé par la Commission, dans l’éventualité d’un désaccord concernant la mise en œuvre de l’une ou l’autre de ses conditions, les parties conviennent de reprendre la médiation afin de renégocier les points en litige. Les parties conviennent également que la modification sera soumise [à] l’approbation de la Commission conformément à l’article 48 de la Loi canadienne sur les droits de la personne et que celle-ci aura force exécutoire en Cour fédérale selon les mêmes modalités que le règlement initial.

[16] La Commission approuve l’entente et le 17 janvier 2007, le Tribunal arrête les procédures et ferme son dossier.

[17] En vertu des paragraphes 4 et 5 du protocole, l’appelante est nommée à titre intérimaire dans un poste au groupe et niveau PE-04 et affectée dans un poste au sein de la Commission de la fonction publique (CFP) pour une période de 12 mois en vertu d’une entente d’affectation, aux frais de l’ACDI, convenue entre la CFP et l’ACDI. L’appelante complète sa formation à la CFP et son affectation est reconduite, cette fois aux frais de la CFP, pour une autre période de 12 mois.

[18] Le 16 février 2009, au terme de cette deuxième période d’affectation, l’appelante réintègre son poste au sein de l’ACDI au niveau PE-03. Elle demande alors d’être nommée à un poste de niveau PE-04 en vertu du paragraphe 6 du protocole :

6. Dans le cas où la plaignante ne réussi (sic) pas la formation dans les six premiers mois de son affectation à la Commission de la fonction publique, la plaignante retourne au sein de l’intimée au poste de PE-3. L’intimée s’engage à lui offrir une formation de 18 mois. Moyennant le résultat positif de l’évaluation trimestrielle basé sur des objectifs clairs et précis ainsi que des critères d’évaluation, la plaignante sera nommée au niveau PE-4 via un processus non annoncé à la fin de la période de formation de 18 mois.

[19] Selon l’appelante, l’ACDI s’engage, au paragraphe 6, à lui fournir une formation de 18 mois et à la nommer à un poste PE-04 peu importe le moment de son retour à l’ACDI. L’ACDI retient une interprétation fort différente du paragraphe 6. Elle soutient qu’elle ne s’engage à remplir les obligations qui y sont énoncées que si l’appelante ne réussit pas sa formation à la CFP et revient à l’ACDI dans les six premiers mois. Selon elle, puisque l’appelante a complété sa formation à la CFP, le « Plan B » formulé au paragraphe 6 ne s’applique pas.

[20] Vu ce désaccord quant à l’interprétation du protocole, les parties tentent, en vertu du paragraphe 16 du protocole, de reprendre la médiation par l’entremise de la Commission afin de renégocier les points en litige. Le processus de médiation est infructueux et l’ACDI s’en retire le 7 mars 2012.

[21] Le 11 avril 2012, l’appelante apprend que son poste est touché par un réaménagement des effectifs.

[22] Le 28 mai 2012, l’appelante dépose, auprès de la Commission, la Plainte alléguant que l’ACDI a contrevenu au protocole, l’a soumise à un traitement discriminatoire en matière d’emploi et a exercé des représailles contre elle en se soustrayant de ses obligations sous le protocole et en prenant d’autres mesures défavorables contre elle. Je reviendrai au traitement de la Plainte ci-dessous dans la section I. B. 3) de ces motifs.

(2) Tentatives de l’appelante de faire exécuter et interpréter le protocole

[23] Le 29 mai 2012, après que l’ACDI se soit retirée du processus de médiation prévu au paragraphe 16 du protocole et visant la renégociation des points en litige quant à la mise en œuvre du protocole, à la demande de l’appelante et conformément au paragraphe 15 du protocole, le juge Pinard de la Cour fédérale rend une ordonnance assimilant le protocole à une ordonnance de la Cour fédérale en vertu du paragraphe 48(3) de la Loi.

[24] L’appelante demande alors à la Cour fédérale d’émettre une ordonnance de justification à l’encontre de la présidente de l’ACDI, plaidant qu’en refusant de la nommer à un poste PE-04, elle a violé le protocole, assimilé à une ordonnance de la Cour fédérale, et a donc commis un outrage au tribunal. Le 2 novembre 2012, dans la décision Rameau c. Canada (Procureur général), 2012 CF 1286, [2012] A.C.F. no 1641 (Q.L.) (le Jugement sur l’outrage), le juge Boivin (maintenant juge à cette Cour) rejette la requête. Vu l’ambiguïté du paragraphe 6 du protocole, qui n’énonce pas clairement la conduite des parties, il décide qu’il ne peut y avoir une violation délibérée du protocole et donc un outrage au tribunal. Il détermine aussi que les faits présentés par les parties n’établissent pas que le déroulement des négociations entreprises en vertu du paragraphe 16 du protocole puisse être assimilé à un outrage : Jugement sur l’outrage au para. 20. L’appelante ne porte pas le Jugement sur l’outrage en appel.

[25] Le 16 janvier 2013, l’appelante demande au Tribunal de trancher une question d’interprétation portant sur l’application du paragraphe 6 du protocole.

[26] Le 26 août 2014, le Tribunal refuse de se saisir du désaccord portant sur l’interprétation et l’application du protocole : Mache-Rameau c. Agence canadienne de développement international, 2014 TCDP 26, [2014] D.C.D.P. no 26 (Q.L.) (Rameau TCDP). Il fait valoir que sa compétence est tributaire des plaintes dont il est saisi par la Commission. Puisqu’il a fermé son dossier quant à la plainte de 2003 à la suite de l’approbation du protocole par la Commission et avant qu’il n’instruise cette plainte, il ne peut accueillir la requête de l’appelante de se saisir de ce dossier afin d’interpréter le protocole : Rameau TCDP aux para. 52–54.

[27] Le Tribunal prend acte du fait que les parties conviennent, au paragraphe 15 du protocole, que le protocole soit assimilé à une ordonnance de la Cour fédérale et, au paragraphe 16, que toute modification au protocole négociée par les parties afin de régler un désaccord concernant sa mise en œuvre ait aussi force exécutoire en Cour fédérale. Il décide que ces dispositions ont pour effet de lui retirer « de façon définitive toute compétence […] au regard de ce protocole d’entente, lequel a identifié la Cour fédérale comme étant le nouveau forum légal applicable afin de régler toute mésentente en ce qui a trait à ce protocole d’entente signé entre les parties » : Rameau TCDP au para. 58.

[28] L’appelante dépose à la Cour fédérale une demande en contrôle judiciaire de la décision du Tribunal. Le 19 octobre 2015, dans la décision Rameau c. Canada (Procureur général), 2015 CF 1180, [2015] A.C.F. no 1212 (Q.L.) (le Jugement sur la compétence du Tribunal), le juge Roy rejette sa demande. Il décide que « le Tribunal avait raison d’affirmer qu’il ne pouvait disposer de la question d’interprétation que voulait lui soumettre la demanderesse » et que la décision du Tribunal était donc « correcte » : Jugement sur la compétence du Tribunal au para. 21.

[29] Selon le juge Roy, la compétence conférée au Tribunal est d’instruire une plainte. Aucune instruction de la plainte de 2003 n’avait eu lieu, puisqu’elle avait fait l’objet d’un règlement complet et définitif. Sans instruction de plainte, le Tribunal, qui n’était ni partie au règlement entériné par la Commission ni partie à l’ordonnance d’une Cour, était sans compétence.

[30] Le juge Roy se dit aussi d’avis, au paragraphe 38, « qu’un poids certain doit être donné au fait que l’entente, le règlement, soit devenue une ordonnance de cette Cour ». À ce titre, le juge Roy observe que le Tribunal, en expliquant que le protocole lui retirait, en faveur de la Cour fédérale, toute compétence au regard du protocole, constatait son absence de compétence d’agir au sujet du protocole devenu ordonnance de la Cour : Jugement sur la compétence du Tribunal aux para. 45–46.

[31] L’appelante ne porte pas le Jugement sur la compétence du Tribunal en appel.

(3) La Plainte

[32] Dans la Plainte, déposée à la Commission le 28 mai 2012, l’appelante allègue que l’ACDI a contrevenu au protocole, qu’elle est victime d’un traitement discriminatoire en matière d’emploi sur la base de sa race, de sa couleur et de son origine nationale ou ethnique et que l’ACDI a fait preuve de discrimination en exerçant des représailles contre elle, y compris en se soustrayant à ses obligations telles que stipulées dans le protocole et en prenant d’autres mesures défavorables contre elle. Plus précisément, elle affirme que l’ACDI a contrevenu au protocole en ne la nommant pas au niveau PE-04 à son retour d’affectation à la CFP en février 2009, que l’ACDI refuse toujours de reconnaître ses compétences et qu’elle est victime d’un refus systématique de toute possibilité de promotion ou d’avancement au-delà du niveau PE-03 ainsi que de représailles et de harcèlement.

[33] D’emblée, l’ACDI, la mise en cause dans la Plainte, demande à la Commission de se prononcer sur la recevabilité de la Plainte en vertu de l’article 41 de la Loi à la lumière des procédures intentées par l’appelante devant la Cour fédérale afin de faire exécuter le protocole, désormais assimilé à une ordonnance de la Cour.

[34] Une enquêtrice de la Commission (la première enquêtrice) examine si le Jugement sur l’outrage prononcé par le juge Boivin avait traité des questions des droits de la personne soulevées par la Plainte, la rendant vexatoire au sens de l’alinéa 41(1)d) de la Loi. Dans un rapport d’enquête du 21 mars 2013 (le Rapport sur la recevabilité), elle conclut que la Plainte compte des allégations qui n’ont pas été traitées par la Cour fédérale dans son Jugement sur l’outrage et que la Plainte, n’étant pas vexatoire au sens de l’alinéa 41(1)d) de la Loi, n’est pas irrecevable. En particulier, elle constate que la Plainte inclut des allégations additionnelles, notamment, l’allégation que la suppression du poste de l’appelante constitue une mesure de représailles :

Bien que la Cour fédérale a (sic) rejeté la requête de la plaignante, les questions des droits de la personne soulevées par la plainte n’étaient pas devant la Cour et il y a des allégations dans la plainte qui n’étaient pas devant la Cour non plus. De plus, la décision de la Cour fédérale a été prise dans le contexte d’une procédure d’outrage, ce qui soulève des considérations différentes et un fardeau de preuve distinct d’une plainte à la Commission.

L’enquêtrice recommande donc que la Commission statue sur la Plainte.

[35] Le 19 juin 2013, s’appuyant sur le Rapport sur la recevabilité et les représentations des parties, la Commission décide que la Plainte « contient des allégations qui n’ont pas été traitées par la Cour fédérale » et que par conséquent, elle n’est pas vexatoire au sens de l’article 41 (la Décision sur la recevabilité). Elle charge donc une enquêtrice de la Plainte (la deuxième enquêtrice).

[36] Dans un rapport d’enquête du 27 mars 2014 (le Rapport), la deuxième enquêtrice recommande à la Commission de rejeter la Plainte en vertu du sous-alinéa 44(3)b)(i) de la Loi au motif que, compte tenu des circonstances, l’examen de la Plainte par le Tribunal n’est pas justifié.

[37] Dans le Rapport, l’enquêtrice fait référence au Jugement sur l’outrage et à la conclusion du juge Boivin selon laquelle les faits n’étayaient pas la prétention que le déroulement des négociations en vertu du paragraphe 16 du protocole puisse être assimilé à un outrage. Elle conclut :

De ce fait, les allégations concernant la contravention du protocole d’entente ont été traitées par un autre processus et la Commission ne traitera pas de ces allégations. Cependant, quant aux allégations de représailles et de discrimination en matière d’emploi, la Commission a décidé, le 19 juin 2013, de statuer sur la plainte en vertu du paragraphe 41(1) de la Loi canadienne sur les droits de la personne parce que la plainte contient des allégations qui n’ont pas été traitées par la Cour fédérale.

[Je souligne.]

[38] Bien qu’elle exclut de son enquête un traitement des allégations concernant le non-respect du protocole, la deuxième enquêtrice examine trois allégations formulées dans la Plainte :

  • a)que l’appelante s’est vue refuser toute possibilité d’obtenir un emploi, une promotion, une affectation intérimaire ou tout autre occasion emploi;

  • b)qu’elle a subi un traitement différentiel négatif dans le cadre de son emploi lorsque l’ACDI ne lui a pas offert de possibilité de formation en dotation;

  • c)qu’elle a été victime de représailles de la part de l’ACDI, qui l’a maintenue à un niveau PE-03 et a bloqué ses avancements de carrière du fait qu’elle a déposé une plainte antérieure à la Commission et parce qu’elle a exercé ses droits en disputant l’interprétation du protocole. De ce fait, elle a été négativement affectée par le réaménagement des effectifs qui a touché les employés de niveau PE-03.

Elle conclut, pour les motifs suivants, qu’aucune de ces allégations n’est appuyée.

[39] Quant à la première allégation, la preuve indique que l’appelante ne répondait pas aux exigences requises ou n’avait pas manifesté d’intérêt pour les postes en question.

[40] Quant à la deuxième allégation, la preuve indique que l’appelante n’avait pas fait de demande de formation dans ses plans d’apprentissage et que l’ACDI n’était pas obligée d’offrir des formations qui n’étaient pas connexes aux fonctions de l’employée.

[41] Enfin, quant à la troisième allégation, la preuve indique que l’appelante et son autre collègue de niveau PE-03 ont été traitées de la même façon dans le processus de sélection aux fins de maintien au poste et de mise en disponibilité et n’appuie pas l’allégation de représailles.

[42] Le 16 juillet 2014, la Commission décide, à la suite de son examen du Rapport et des observations transmises par l’appelante et par l’intimée, de rejeter la Plainte au motif que, compte tenu des circonstances, l’examen de la Plainte par le Tribunal n’est pas justifié (la Décision).

II. La décision de la Cour fédérale sous appel

[43] Le 15 août 2014, l’appelante demande le contrôle judiciaire de la Décision.

[44] En premier lieu, elle soutient que la Commission, agissant conformément à la recommandation de la deuxième enquêtrice, a commis une erreur de droit en refusant, à la lumière du Jugement sur l’outrage du juge Boivin, de traiter de la question du non-respect du protocole.

[45] Deuxièmement, elle plaide que la Commission a rendu une décision déraisonnable en adoptant les motifs d’un rapport d’enquête résultant d’une enquête déficiente, illogique, incomplète et à l’encontre des principes et valeurs de la Loi. Elle reproche à la Commission d’avoir refusé, sans explication, de considérer les circonstances de la plainte de 2003, y compris le non-respect du protocole, dans son évaluation de la Plainte. Elle soutient que la décision de la Commission de ne pas enquêter sur une contravention alléguée à une entente approuvée par la Commission mine l’intégrité du système de la Commission et le respect des droits de la personne au Canada. Elle prétend aussi que la deuxième enquêtrice a erré en omettant d’étudier l’impact de la décision de l’ACDI, en contravention au protocole, de ne pas la nommer à un poste PE-04 où elle aurait été protégée du réaménagement des effectifs mené par son employeur.

[46] Troisièmement, elle soutient avoir été victime de manquements à l’équité procédurale. Notamment, elle plaide que la Commission l’a empêché de répondre adéquatement aux erreurs commises par la deuxième enquêtrice en limitant ses observations à la suite du Rapport à un maximum de dix pages. De plus, elle prétend que l’omission de la deuxième enquêtrice de lui dévoiler qu’elle ne traiterait pas des allégations de contravention au protocole avant de transmettre le Rapport aux parties l’a privée de l’opportunité de déposer d’autres documents et pièces justificatives pour appuyer et éclairer sa position.

A. Norme de contrôle

[47] Tout d’abord, la Cour fédérale souscrit à la position des parties que la décision de la Commission de ne pas considérer les allégations de contravention au protocole donne lieu à une question de droit qui doit être examinée selon la norme de la décision correcte : Jugement au para. 47. Hormis cette question, elle examine le bien-fondé de la décision de la Commission que l’examen de la Plainte par le Tribunal n’est pas justifié en appliquant la norme de la décision raisonnable. Enfin, elle examine la question de manquement à l’équité procédurale selon la norme de la décision correcte.

B. Refus de traiter de la question du non-respect du protocole

[48] La Cour fédérale conclut que la Commission n’a pas erré en décidant, conformément à la recommandation de la deuxième enquêtrice, qu’elle n’examinerait pas les allégations de non-respect du protocole dans le cadre de son traitement de la Plainte.

[49] Comme l’avait conclu le Rapport sur la recevabilité, la Cour fédérale convient que le Jugement sur l’outrage ne traite pas des questions des droits de la personne soulevées par la Plainte : Jugement au para. 58. Le juge Boivin ne fait que constater l’ambiguïté du protocole et conclut que les faits ne lui permettent pas de déduire que le déroulement des négociations entre l’appelante et l’ACDI en vertu du protocole puisse être assimilé à un outrage. La Cour observe que cela ne voulait pas dire pour autant que le Rapport sur la recevabilité recommandait à la Commission de traiter toutes les allégations de l’appelante. En tout état de cause, la Cour estime déterminant que :

[… T]el que l’a souligné le PGC, l’assimilation du protocole d’entente à une ordonnance de la Cour fédérale limite la capacité de la Commission ou du Tribunal de statuer sur une allégation de violation. Selon les paragraphes 15 et 16 du protocole d’entente, les parties ont consenti à ce que celui-ci soit assimilé à une ordonnance de notre Cour, soit exécuté de la sorte et que tout désaccord concernant la mise en œuvre d’une ou l’autre de ses conditions fasse l’objet d’une médiation permettant de renégocier les points en litige.

[Jugement au para. 59.]

C. Caractère raisonnable de la Décision

[50] La Cour décide que le Rapport considère adéquatement le contexte de la plainte de 2003 en référant à une « plainte préalable » ou à une « plainte antérieure », en la mentionnant dans la chronologie des événements reliés à la Plainte et en s’en servant comme point de départ de son analyse des allégations de représailles avancées par l’appelante. Puisque la deuxième enquêtrice n’avait pas erré en refusant de traiter des allégations de contravention au protocole, la Cour rejette l’argument de l’appelante selon lequel l’enquêtrice aurait dû aborder les conséquences positives qui auraient pu résulter de sa nomination à un poste PE-04 en vertu du paragraphe 6 du protocole.

D. Déni d’équité procédurale

[51] La Cour conclut qu’il n’y a pas eu de déni d’équité procédurale dans le processus suivi par la deuxième enquêtrice et la Commission.

[52] Se fondant sur Jean Pierre c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2015 CF 1423, [2015] A.C.F. no 1503 (Q.L.) au para. 51, et Donoghue c. Canada (Ministre de la Défense nationale), 2010 CF 404, [2010] A.C.F. no 459 (Q.L.) au para. 28, elle décide que l’exigence imposée aux parties de soumettre des observations au sujet du Rapport ne dépassant pas dix pages est raisonnable et ne pose aucun problème véritable d’équité procédurale.

[53] La Cour décide que l’omission de la deuxième enquêtrice de dévoiler à l’appelante qu’elle ne traiterait pas des allégations concernant le non-respect du protocole ne constitue pas un manquement à l’équité procédurale puisque, en recevant le Rapport, l’appelante a été informée de la preuve considérée par l’enquêtrice et a pu expliquer et présenter tous les arguments pertinents s’y rapportant.

III. Les questions en litige et le rôle de la Cour dans cet appel

[54] Ce pourvoi soulève trois questions. Premièrement, y a-t-il eu un déni d’équité procédurale dans le processus suivi par la deuxième enquêtrice et la Commission? Deuxièmement, mis à part sa décision de ne pas traiter des allégations de non-respect du protocole, la décision de la Commission est-elle déraisonnable dans son traitement de la preuve placée devant elle? Troisièmement, le refus de la Commission de traiter des allégations de non-respect du protocole rend-il la Décision déraisonnable?

[55] Avant d’examiner ces questions, il est nécessaire de traiter du rôle de la Cour dans le présent appel.

[56] Notre Cour est tenue de décider si la Cour fédérale a employé la norme de contrôle appropriée et si elle l’a appliqué correctement. De cette façon, en nous mettant à la place de la Cour fédérale, nous nous concentrons effectivement sur la décision administrative : Agraira c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, [2013] 2 R.C.S. 559 aux para. 45–47; Office régional de santé du Nord c. Horrocks, 2021 CSC 42, [2021] A.C.S. no 42 (Q.L.) aux para. 10–12.

[57] En ce qui concerne les questions d’équité procédurale, la cour de révision doit trancher si la procédure suivie par le décideur administratif est équitable eu égard à l’ensemble des circonstances : Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c. Canada (Procureur général), 2018 CAF 69, [2019] 1 R.C.F. 121 au para. 54. En ce faisant, la cour de révision n’applique aucune norme de contrôle : Chemin de fer Canadien Pacifique au para. 54. La question fondamentale demeure celle de savoir si la partie visée par la décision administrative connaissait la preuve à réfuter et si elle a eu possibilité complète et équitable d’y répondre : Chemin de fer Canadien Pacifique au para. 56; Canada (Procureur général) c. Ennis, 2021 CAF 95, [2021] 4 R.C.F. 154 aux para. 44–45.

[58] La norme déférente de la décision raisonnable s’applique au bien-fondé de la décision de la Commission de référer ou non au Tribunal une plainte relative aux droits de la personne, compte tenu des circonstances relatives à la plainte : Ennis au para. 46. Comme cette décision administrative n’est pas susceptible d’appel, cette norme s’applique sauf dans des circonstances extraordinaires : Ennis au para. 46, citant Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov, 2019 CSC 65, [2019] 4 R.C.S. 653. En l’espèce, les parties s’entendent sur l’application de la norme de la décision raisonnable et n’ont soulevé aucune circonstance pouvant justifier une dérogation à la présomption d’application de cette norme.

[59] Il s’ensuit que la Cour fédérale, dont le jugement a précédé l’arrêt Vavilov, a erré en appliquant la norme de la décision correcte à la décision de la Commission d’exclure de l’enquête le traitement des allégations de non-respect du protocole au motif qu’il s’agissait d’une question de droit : Jugement au para. 47. Pour les deux autres questions en litige, la Cour fédérale a correctement identifié les normes de contrôle applicables.

[60] Dans l’arrêt Tazehkand c. Banque du Canada, 2023 CAF 208, 2023 CarswellNat 5838 aux para. 28–40, notre Cour a récemment résumé les principes juridiques qui encadrent le contrôle judiciaire des décisions de la Commission. Il en ressort les principes importants suivants :

  • a)La Commission n’est pas un organisme décisionnel, une fonction remplie par le Tribunal. Son rôle est de « déterminer si, aux termes des dispositions de la Loi et eu égard à l’ensemble des faits, il est justifié de tenir une enquête. L’aspect principal de ce rôle est alors de vérifier s’il existe une preuve suffisante » : Cooper c. Canada (Commission des droits de la personne), [1996] 3 R.C.S. 854, 1996 CanLII 152 (C.S.C.) au para. 53; Tazehkand au para. 29.

  • b)La Commission jouit d’un vaste pouvoir discrétionnaire pour décider, à la suite de l’examen d’une plainte, qu’une enquête par le Tribunal est justifiée compte tenu des circonstances relatives à celle-ci. Les dispositions législatives qui confèrent cette discrétion empruntent des termes non-limitatifs, et imposent ainsi des contraintes minimales à la Commission dans l’exercice de cette fonction : Tazehkand au para. 30; Halifax (Regional Municipality) c. Nouvelle-Écosse (Human Rights Commission), 2012 CSC 10, [2012] 1 R.C.S. 364 au para. 25; Ennis au para. 56.

  • c)Dans le cadre de l’enquête que mène la Commission afin de décider s’il est justifié de constituer un Tribunal en vertu de l’article 44 de la Loi, la Commission doit faire preuve de neutralité et de rigueur : Slattery c. Canada (Commission des droits de la personne), [1994] 2 C.F. 574, 1994 CanLII 3463 (C.F.) à la p. 598, conf par 205 N.R. 383, 118 F.T.R. 318 (C.A.F.); Tazehkand au para. 33.

  • d)Cependant, il faut faire preuve de retenue judiciaire à l’égard des organismes administratifs, dont la Commission, qui doivent évaluer la valeur probante de la preuve et décider de poursuivre ou non les enquêtes : Slattery à la p. 600; Tazehkand au para. 34.

  • e)La cour de révision doit reconnaître que la Commission est maître de son processus et lui laisser beaucoup de latitude dans la façon dont elle mène ses enquêtes : Tahmourpour c. Canada (Solliciteur général), 2005 CAF 113, 332 N.R. 60 au para. 39; Tazehkand aux para. 35–36.

  • f)En évaluant si la Commission fait preuve de rigueur dans son enquête, il ne faut pas astreindre cette dernière à une norme de perfection. Vu ses ressources limitées et son volume de travail élevé, la Commission doit chercher un équilibre entre l’intérêt des plaignants d’avoir droit à l’enquête la plus complète possible, et la nécessité pour la Commission de répondre aux exigences de l’efficacité administrative: Slattery à la p. 600; Tahmourpour au para. 39; Tazehkand aux para. 36–37.

  • g)Les parties peuvent compenser les omissions moins graves dans le rapport de l’enquêteur en les portant à l’attention de la Commission dans leurs observations complémentaires. Les seules lacunes dont serait entaché le rapport d’un enquêteur qui nécessiteront une intervention du tribunal sont celles qui sont à ce point fondamentales qu’il ne pourra y être remédié par les observations complémentaires présentées par les parties à la Commission : Sketchley c. Canada (Procureur général), 2005 CAF 404, [2006] 3 R.C.F. 392 au para. 38; Slattery aux pp. 600–601; Tazehkand au para. 38.

  • h)Lorsque la Commission entérine les recommandations d’un enquêteur et motive sa décision de manière sommaire, la Cour de révision présume que les motifs de la Commission sont ceux exposés dans le rapport d’enquête. Les motifs de la Commission peuvent donc être complétés en se référant au rapport d’enquête : Syndicat des employés de production du Québec et de l’Acadie c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne), [1989] 2 R.C.S. 879, 1989 CanLII 44 (C.S.C.) à la p. 903, au para. 35; Bell Canada c. Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier, [1999] 1 C.F. 113, [1998] A.C.F. no 1609 (Q.L.) au para. 30; Tazehkand au para. 39.

  • i)Si la Commission fonde sa décision de ne pas constituer un Tribunal en vertu de l’article 44 sur une enquête déficiente, cette décision sera déraisonnable puisque la Commission ne disposait pas des renseignements pertinents nécessaires à l’exercice de son pouvoir discrétionnaire : Sketchley au para. 112; Grover c. Canada (Conseil national de recherches), 2001 CFPI 687, 206 F.T.R. 207 au para. 70; Tazehkand au para. 40.

[61] En gardant ces principes à l’esprit, je vais examiner chacune des trois questions en litige.

IV. Analyse

A. Y a-t-il eu un déni d’équité procédurale?

[62] L’appelante soutient que dans sa Décision sur la recevabilité, la Commission a rejeté l’objection de l’ACDI que la Plainte était vexatoire à la lumière du Jugement sur l’outrage du juge Boivin. Elle estime donc qu’elle avait, compte tenu de la Décision sur la recevabilité, une attente légitime que la deuxième enquêtrice tiendrait compte de la contravention alléguée du protocole. En refusant de la considérer, la Commission se serait « contredite », aurait « ressuscité » l’objection de l’ACDI dans le Rapport et aurait porté atteinte à l’attente légitime de l’appelante.

[63] L’appelante soumet que si la deuxième enquêtrice lui avait indiqué qu’elle ne tiendrait pas compte de la contravention alléguée du protocole, elle aurait déposé, dans le cadre de l’enquête, des documents additionnels pour appuyer et étayer sa position, notamment la plainte de 2003, la recommandation de la Commission concernant la plainte de 2003 et les rapports d’évaluation concernant la formation de l’appelante à la CFP en 2006–2007. C’est dans ce contexte que l’appelante maintient qu’il est contraire à l’équité procédurale de limiter sa réponse à un maximum de 10 pages.

[64] L’intimé soumet que les exigences de l’équité procédurale ont été respectées puisque l’appelante connaissait la preuve à réfuter et a eu une possibilité complète et équitable d’y répondre. L’appelante a reçu le Rapport avant qu’il ne soit envoyé à la Commission et a donc appris que l’enquêtrice ne traitait pas des allégations de non-respect du protocole. Dans leurs représentations écrites, les procureurs de l’appelante ont contesté cette conclusion de l’enquêtrice, expliqué pourquoi ces allégations devraient être considérées et joint une copie du protocole. Selon l’intimé, la limite de 10 pages imposées aux parties pour répondre au Rapport n’enfreignait pas l’équité procédurale.

[65] À mon avis, la Cour fédérale n’a pas erré en concluant que l’appelante n’a pas établi qu’il y a eu un déni d’équité procédurale dans le processus emprunté par la Commission pour en arriver à la Décision.

[66] L’appelante a reçu le Rapport avant que la Commission ne l’examine et prenne sa décision. Elle a, de ce fait, pris connaissance de la preuve à réfuter, y compris la décision de la deuxième enquêtrice de ne pas traiter les allégations de non-respect du protocole. Elle a eu la possibilité d’y répliquer et a d’ailleurs soumis des représentations en réponse au Rapport qui faisaient état de sa position sur la question.

[67] L’appelante n’a pas soulevé, dans le dossier devant la Cour, une affirmation claire, nette et explicite qui aurait suscité chez elle une attente légitime concernant la tenue de l’enquête de la Plainte : Canada (Procureur général) c. Mavi, 2011 CSC 30, [2011] 2 R.C.S. 534 au para. 68. Comme l’a constaté la Cour fédérale au paragraphe 55 du Jugement, ni la Décision sur la recevabilité ni le Rapport sur la recevabilité ont affirmé que la Commission devait se prononcer sur l’interprétation du protocole. En tout état de cause, l’appelante a eu l’occasion de présenter des représentations en réponse au Rapport d’enquête. Ses droits procéduraux ont été respectés.

[68] L’argument de l’appelante selon laquelle elle aurait déposé, dans le cadre de l’enquête, des documents additionnels si la deuxième enquêtrice lui avait indiqué qu’elle ne considérerait pas les allégations de contravention au protocole ne tient pas la route. Si, comme le prétend l’appelante, certains documents étaient pertinents et indispensables pour comprendre et mettre en contexte les allégations de discrimination exposées dans la Plainte, rien ne l’empêchait de les déposer auprès de l’enquêtrice dès le début - que l’enquêtrice décide ou non de se pencher sur les allégations de non-respect du protocole.

[69] Enfin, comme cette Cour l’a confirmé dans Phipps c. Société Canadienne des Postes, 2016 CAF 117, 484 N.R. 7 au para. 8, confirmant 2015 CF 1080, [2015] A.C.F. no 1079 (Q.L.) au para. 40, l’imposition aux parties par la Commission d’une longueur maximale de 10 pages pour leurs représentations en réponse au Rapport ne constitue pas en soi un déni d’équité procédurale à condition que cette restriction soit appliquée de manière uniforme aux parties. L’appelante ne m’a pas convaincu que ce principe ne saurait trouver application en l’espèce.

B. Mise à part la décision de la Commission de ne pas traiter des allégations de non-respect du protocole, sa décision est-elle déraisonnable dans son traitement de la preuve placée devant elle ?

[70] L’appelante soumet que la décision de la Commission manque de transparence et d’intelligibilité dans son traitement des preuves relatives à la plainte de 2003 en omettant sans raison toute référence aux événements survenus entre 2009 et 2012 et soutient que ces erreurs, qui n’ont pas été traitées par la Cour fédérale, démontrent le caractère déraisonnable de la décision.

[71] L’appelante souligne notamment les erreurs suivantes :

  • a)Le Rapport ne considère pas les allégations de la plainte de 2003 en tant que circonstances factuelles pertinentes à la Plainte et ignore complètement les événements entre février 2009 et janvier 2012 dont l’étude serait nécessaire pour comprendre le lien allégué entre ces deux plaintes.

  • b)La deuxième enquêtrice n’a pas pris en compte les allégations de la plainte de 2003 afin de bien comprendre le contexte de la Plainte. Ces plaintes sont intimement liées dans les faits et les allégations de la plainte de 2003 indiquent que l’ACDI n’a jamais cessé de traiter l’appelante de façon discriminatoire en doutant de ses compétences et en lui refusant toute promotion alors qu’elle avait déjà fait ses preuves.

  • c)Plutôt que d’examiner l’impact différentiel et discriminatoire sur l’appelante, dans le cadre du réaménagement des effectifs, du refus de l’ACDI de la nommer à un poste PE-04 en contravention du protocole, la deuxième enquêtrice a examiné si l’appelante et ses collègues de niveau PE-03 avaient été traités de la même façon, une analyse illogique qui ne répond pas aux allégations de représailles soulevées dans la Plainte.

[72] L’intimé soutient que la deuxième enquêtrice n’a pas ignoré les allégations et le contexte de la plainte de 2003 puisqu’elle la mentionne dans la « Chronologie des événements de cette plainte » au paragraphe 10 du Rapport et qu’elle en fait le point de départ de son analyse des allégations de représailles aux paragraphes 58 à 61 du Rapport.

[73] Le contrôle selon la norme de la décision raisonnable s’intéresse avant tout aux motifs de la décision : Vavilov au para. 84. Une cour de révision « doit d’abord examiner les motifs donnés avec “une attention respectueuse”, et chercher à comprendre le fil du raisonnement suivi par le décideur pour en arriver à sa conclusion » : Vavilov au para. 84. Une décision raisonnable est à la fois fondée sur un raisonnement intrinsèquement cohérent et justifié à la lumière des contraintes juridiques et factuelles qui ont une incidence sur la décision : Vavilov au para. 99. Il incombe donc à l’appelante de convaincre cette Cour que la décision de la Commission et le rapport d’enquête sur lequel elle se fonde sont entachés d’une lacune suffisamment capitale pour les rendre déraisonnables : Vavilov au para. 100.

[74] Dans le Rapport, la deuxième enquêtrice a traité de trois revendications importantes qu’avançait l’appelante dans la Plainte : que l’ACDI aurait systématiquement refusé de promouvoir l’appelante, qu’elle lui aurait refusé des possibilités de formation et qu’elle aurait pris, envers l’appelante, des mesures de représailles liées au dépôt de la plainte de 2003.

[75] Je suis d’avis que la deuxième enquêtrice a suivi un raisonnement rationnel et logique dans son analyse de ces arguments et de la preuve qui lui a été présentée et qu’à ce chapitre, la décision de la Commission n’est pas déraisonnable.

(1) Dans son traitement de la preuve, le Rapport suit un raisonnement intrinsèquement cohérent et se justifie au regard des contraintes juridiques et factuelles pertinentes

[76] Dans la Plainte, l’appelante affirme avoir été victime d’un refus systématique de promotion, malgré ses expressions d’intérêt et ses dépôts de candidatures pour des concours. Elle affirme que son élimination à la présélection dans un processus de nomination PE-05 était discriminatoire, puisqu’elle exécutait à la CFP des tâches d’analyste au niveau PE-05 et avait démontré une performance satisfaisante.

[77] Dans le cadre de son enquête sur les prétentions de l’appelante relatives à l’impossibilité d’obtenir un emploi, une promotion, une affectation intérimaire ou autre occasion d’emploi, la deuxième enquêtrice fait état de trois occasions d’emplois qui se sont présentées en 2011 et les examine en profondeur.

[78] Premièrement, l’appelante a postulé pour le poste de Conseiller principal en matière de politique de ressources humaines (PE-05). Cependant, l’enquêtrice a conclu, après avoir révisé les qualifications essentielles pour ce poste, que l’appelante ne rencontrait pas la compétence d’« [e]xpérience récente et vaste de la prestation de conseils en matière de dotation ou de classification à la haute direction » qui était une qualification essentielle à ce poste.

[79] Deuxièmement, l’appelante a exprimé son intérêt pour participer à un projet spécial à l’interne au niveau PE-04 qui consistait à développer une stratégie de recrutement. L’enquêtrice a conclu que ce projet a été mis de côté quand l’ACDI a dû se préparer pour un réaménagement des effectifs et que personne n’a été choisi pour participer au projet spécial.

[80] Troisièmement, bien que l’appelante ait exprimé son intérêt verbalement pour un poste intérimaire au niveau PE-04, l’enquêtrice a conclu qu’après avoir obtenu des informations supplémentaires sur les connaissances requises, l’appelante a constaté qu’elle ne répondait pas aux exigences et n’a pas manifesté son intérêt pour le poste par écrit.

[81] Je suis d’avis que la conclusion de la deuxième enquêtrice rejetant l’allégation selon laquelle l’ACDI aurait agi de façon discriminatoire en refusant à l’appelante toute possibilité de promotion ou d’affectation aux postes en question est fondée sur un raisonnement intrinsèquement cohérent qui est à la fois rationnel et logique et tient compte de la preuve devant elle.

[82] De même, la conclusion de la deuxième enquêtrice quant à l’allégation de l’appelante qu’elle a été victime de traitement différentiel négatif dans le cadre de son emploi parce que, malgré ses demandes verbales, l’ACDI ne lui a pas offert de possibilités de formation en dotation, est fondée sur un raisonnement intrinsèquement cohérent qui est à la fois rationnel et logique et tient compte de la preuve devant elle.

[83] L’enquêtrice a noté que l’appelante a reconnu ne pas avoir fait de demande écrite pour de la formation en dotation dans ses plans d’apprentissage et que les obligations de l’employeur se limitaient à offrir aux employés des formations connexes à leurs fonctions. Ainsi, la preuve n’appuyait pas l’allégation de l’appelante qu’elle a été victime d’un traitement différentiel négatif. Devant cette Cour, l’appelante n’a pas expliqué en quoi cette détermination de l’enquêtrice était déraisonnable.

[84] Enfin, la deuxième enquêtrice a conclu que l’appelante n’avait pas démontré que le résultat du processus de sélection aux fins de maintien en poste et de mise en disponibilité constituait une mesure de représailles envers l’appelante parce qu’elle avait déposé la plainte de 2003. Elle a déterminé que, bien que certains membres du comité d’évaluation étaient au courant que la plaignante avait déposé une plainte, les examens administrés à l’appelante et à une autre candidate ont été rendus anonymes avant d’être corrigés et, contrairement à l’autre candidate, l’appelante n’a pas obtenu la note de passage pour toutes les qualifications essentielles. Cette conclusion de l’enquêtrice est aussi défendable compte tenu des éléments de preuve devant elle.

[85] Dans ses représentations à la Commission sur le Rapport, l’appelante soutient que l’enquêtrice a mal compris la Plainte en rattachant le résultat de ce processus à ses allégations sur les représailles et que le Rapport est illogique et ne répond pas aux allégations de représailles soulevées dans la Plainte.

[86] Cependant, l’appelante ne fait aucune mention dans la Plainte ou dans ses représentations d’actes précis qui constitueraient des représailles contre elle pour avoir déposé la plainte de 2003. En l’absence d’explications étayant son allégation de représailles, il était loisible à la Commission de conclure que l’allégation de représailles n’était pas appuyée.

(2) L’appelante n’a pas soulevé de lacunes fondamentales dans le traitement par la Commission et l’enquêtrice de la preuve devant elles

[87] L’appelante prétend qu’en ne prenant pas en compte les allégations de la plainte de 2003 dans son analyse de la Plainte, la deuxième enquêtrice a agi de manière déraisonnable. Elle souligne que les allégations qu’elle a formulées dans la plainte de 2003 portaient sur des comportements semblables à celles qu’elle a faites dans la Plainte.

[88] Il appert du Rapport que l’enquêtrice était bien au fait de ces prétentions. Aux paragraphes 2 et 6, après sa description des événements qui entourent la plainte de 2003, l’enquêtrice écrit que l’appelante « allègue que le mis en cause continue de refuser d’accueillir ses compétences […] et qu’elle a maintenant supprimé le poste de la plaignante, ce qui n’aurait pas eu lieu si le mis en cause n’avait pas refusé d’accepter ses compétences » [je souligne].

[89] Comme l’observait la Cour fédérale au paragraphe 61 du Jugement, l’enquêtrice dresse une chronologie des événements de la Plainte et inclut au tout début de la chronologie la plainte de 2003.

[90] Le Rapport, au paragraphe 44, reflète fidèlement l’argument de l’appelante que « compte tenu des discussions concernant la plainte précédente, le mis en cause n’a pas offert des occasions à la plaignante pour approfondir ses connaissances en dotation, au niveau opérationnel » [je souligne]. L’enquêtrice a noté que dès son retour à l’ACDI en 2009, l’appelante a reçu des formations, bien qu’elles n’étaient pas en dotation, mais n’a jamais fait de demande écrite dans ses plans d’apprentissage pour les années fiscales 2009–2010, 2010–2011 et 2011–2012.

[91] De même, au paragraphe 62 du Rapport, l’enquêtrice reflète fidèlement l’argument de l’appelante en replaçant son allégation de représailles dans le contexte des discussions entre l’appelante et l’ACDI concernant leur dispute au sujet de l’interprétation du protocole.

[92] Contrairement aux prétentions de l’appelante, je suis d’avis que l’enquêtrice a bien saisi son argument que le comportement de l’ACDI envers l’appelante après son retour en 2009 était une continuation du comportement qui a mené à la plainte de 2003.

[93] D’ailleurs, comme je l’ai mentionné dans la discussion des arguments centrés sur le déni allégué d’équité procédurale, si l’appelante était d’avis que des comportements spécifiques de l’ACDI qui auraient été mentionnés dans le rapport d’enquête de la plainte de 2003 étaient d’une importance cruciale pour comprendre la Plainte ou la mettre en contexte, rien ne l’empêchait de fournir ce rapport et tout autre document pertinent à l’enquêtrice pour qu’elle les examine avec « toute la documentation fournie par les parties en plus de la plainte, de la position du mis en cause et de la réfutation de la plaignante. »

C. Le refus de traiter des allégations de non-respect du protocole rend-t-elle la Décision déraisonnable?

[94] L’appelante plaide que la deuxième enquêtrice a commis une erreur en fait et en droit lorsqu’elle a refusé de traiter des allégations dans la Plainte concernant la contravention du protocole. Rappelons qu’ayant souligné la conclusion du juge Boivin, dans le Jugement sur l’outrage, que les faits ne lui permettaient pas de déduire que le déroulement des négociations entre l’appelante et l’ACDI en vertu du protocole puisse être assimilé à un outrage, la deuxième enquêtrice a conclu au paragraphe 8 de son Rapport que la Commission ne traiterait pas des allégations de contravention au protocole puisqu’elles « ont été traitées par un autre processus ».

[95] Je suis d’avis qu’en entérinant la recommandation de la deuxième enquêtrice de ne pas traiter des allégations de contravention au protocole, la Commission a agi de manière déraisonnable.

[96] Pour qu’une cour de révision la déclare raisonnable, il ne suffit pas qu’une décision soit justifiable; le décideur doit, au moyen de ses motifs, justifier sa décision auprès des personnes auxquelles elle s’applique.

[97] Dans l’arrêt Alexion Pharmaceuticals Inc. c. Canada (Procureur général), 2021 CAF 157, [2022] 1 R.C.F. 153, notre Cour s’est longuement penchée sur l’obligation d’un décideur administratif, à la suite de l’arrêt Vavilov, de fournir aux personnes auxquelles s’applique sa décision une explication motivée et suffisante pour appuyer cette décision.

[98] Une explication motivée comprend deux éléments. Premièrement, elle doit être adéquate, en permettant à une cour de révision de discerner une analyse cohérente et raisonnable qu’elle est en mesure de suivre et de comprendre. Le décideur administratif ne satisfait pas à cette exigence lorsque son raisonnement comprend des lacunes fondamentales parce que les motifs ne font pas état d’une analyse rationnelle, ou lorsqu’il est impossible de comprendre son raisonnement sur un point central de sorte qu’il n’y a aucun véritable raisonnement : Alexion au para. 12, citant Vavilov aux para. 85–86, 102–04. Deuxièmement, ce raisonnement doit être rationnel et logique et dénué de faille décisive dans la logique globale. Le raisonnement d’un décideur administratif ne satisfait pas à ce critère si ses motifs ne font pas état d’une analyse rationnelle, possèdent un fondement erroné, révèlent une analyse déraisonnable ou irrationnelle ou comprennent des erreurs manifestes sur le plan rationnel, dont le recours du décideur à un raisonnement tautologique, de faux dilemmes, des généralisations non fondées ou une prémisse absurde : Alexion au para. 12, citant Vavilov aux para. 96, 103–04.

[99] Afin de mériter l’intervention d’une cour de révision, une lacune ne peut être superficielle ou accessoire par rapport au fond de la décision; elle doit être manifeste et concerner un point central reposant, entre autres, sur les questions et préoccupations centrales soulevées par les parties : Alexion au para. 13, citant Vavilov aux para. 102–03, 127–28.

[100] Comme la Cour suprême dans Vavilov, notre Cour met en garde les cours de révision contre la tentation d’examiner les motifs des décideurs administratifs au regard d’une norme de perfection et d’assujettir ces décideurs aux « normes auxquelles sont astreints des logiciens érudits » : Alexion au para. 23, citant Vavilov aux para. 91, 104. S’attendre que les décideurs administratifs livrent une justice administrative qui ressemble toujours à la justice judiciaire risquerait de « judiciariser de façon excessive les processus administratifs, ce qui menacerait leur efficacité et risquerait de compromettre les motifs précis pour lesquels le législateur a confié cette compétence à l’administration, à l’origine » : Alexion au para. 24.

[101] La Cour suprême prévient que le fait qu’un décideur administratif ne mentionne pas explicitement quelque chose dans ses motifs ne mène pas nécessairement à la conclusion qu’ils sont insuffisants et que sa décision est déraisonnable. Une cour de révision doit lire ses motifs de façon globale et contextuelle, eu égard au dossier et en tenant dûment compte du régime administratif dans lequel ils sont donnés : Alexion au para. 15, citant Vavilov aux para. 97, 103. Donc, le silence dans les motifs explicites sur un point précis ne constitue pas nécessairement une « lacune fondamentale » justifiant l’intervention de la cour de révision :

Les motifs du décideur administratif, lus séparément ou au regard du dossier de façon globale et sensible, peuvent conduire légitimement la cour de révision à conclure que le décideur administratif a tiré une conclusion implicite. Le dossier de la preuve, les observations présentées, les points compris par le décideur administratif compte tenu des précédents auxquels il renvoie ou qu’il doit connaître, la nature de la question que le décideur administratif doit trancher et les autres affaires connues du décideur administratif peuvent également alimenter le fondement permettant à la cour de révision de conclure que le décideur administratif a tiré des conclusions implicites.

[Alexion au para. 16; citations omises.]

[102] Je suis d’avis que la décision de la Commission, conformément à la recommandation de la deuxième enquêtrice, de ne pas traiter des allégations de non-respect du protocole, repose sur des questions et préoccupations centrales soulevées par l’appelante et concerne donc un point central de la décision de la Commission qu’un examen par le Tribunal de la Plainte n’était pas justifié, compte tenu des circonstances.

[103] D’une part, dans la Plainte, l’appelante décrit la contravention alléguée du protocole par l’ACDI comme la première instance d’une continuation, par son employeur, d’un traitement différentiel à son endroit suite à son retour à l’ACDI en 2009. Selon l’appelante, n’eut été de la contravention du protocole, l’ACDI l’aurait nommé à un poste de niveau PE-04, où elle aurait été à l’abri de l’élimination de son poste lors du réaménagement des effectifs.

[104] D’autre part, dans sa réponse au Rapport de la deuxième enquêtrice, à laquelle elle joint une copie du protocole, l’appelante met au premier plan son argument que la recommandation de l’enquêtrice de ne pas traiter de la contravention alléguée de l’article 6 du protocole est en contradiction avec la Décision sur la recevabilité et, de ce fait, entachée d’une erreur fondamentale. C’est donc à juste titre que la juge Saint-Louis, au paragraphe 50 du Jugement, affirme que cette recommandation est « au cœur » du litige entre les parties.

[105] À mon avis, la décision de la Commission de ne pas traiter des allégations de non-respect du protocole comprend des lacunes fondamentales qui concernent ce point central. Le défaut dont souffre cette décision n’est pas qu’il est impossible de comprendre le raisonnement de la Commission, qu’il n’y a aucun véritable raisonnement, ou qu’elle n’a pas tiré de conclusions explicites dans ses motifs; il ne relève donc pas du caractère adéquat de l’explication motivée. Son défaut est plutôt que les motifs explicites de la deuxième enquêtrice, qu’entérine la Commission, reposent sur un fondement erroné, privant son raisonnement de la logique, la cohérence et la rationalité qui caractérisent une décision raisonnable.

[106] L’examen du caractère raisonnable d’une décision administrative s’intéresse avant tout aux motifs de la décision : Société canadienne des postes c. Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes, 2019 CSC 67, [2019] 4 S.C.R. 900 au para. 41. En l’espèce, une analyse comparative de la Décision sur la recevabilité et de la Décision, ainsi que des rapports d’enquête qui les sous-tendent et qui en constituent les motifs, met en évidence le caractère déraisonnable de la Décision.

[107] La première enquêtrice, chargée de la préparation du Rapport sur la recevabilité, a examiné si la Commission devait rejeter la Plainte au motif qu’elle avait fait l’objet d’une décision dans le cadre d’un autre processus et était donc vexatoire selon l’alinéa 41(1)d) de la Loi. Après un survol de la jurisprudence pertinente, notamment la décision de la Cour suprême dans Colombie-Britannique (Workers’ Compensation Board) c. Figliola, 2011 CSC 52, [2011] 3 R.C.S. 422, et de notre Cour dans Société canadienne des postes c. Barrette, [2000] 4 CF 145, [2000] A.C.F. no 539 (Q.L.), elle a conclu que :

[…L]a Commission ne peut entendre une plainte ayant fait l’objet d’une décision définitive dans le cadre d’un autre processus que si (a) la plainte formulée devant la Commission comporte des questions relatives aux droits de la personne qui n’ont pas été examinées par l’autre décideur, ou (b) le plaignant n’a pas eu l’occasion de soumettre ses questions relatives aux droits de la personne dans le cadre de l’autre processus.

[Je souligne.]

[108] L’ACDI a fait valoir à l’enquêtrice que la Commission ne devrait pas statuer sur la Plainte parce que les allégations dont elle faisait part portaient essentiellement sur les éléments présentés par l’appelante à la Cour fédérale dans sa requête en outrage et invitaient la Commission à interpréter à nouveau le paragraphe 6 du protocole.

[109] La première enquêtrice n’a pas accueilli cet argument et a conclu que la Plainte n’était pas vexatoire et de ce fait irrecevable. Il est utile de reproduire l’intégralité de son analyse :

20. La question devant la Cour fédérale était à savoir si la mise en cause avait commis un outrage à la Cour en ne respectant pas son ordonnance donnant force au protocole d’entente intervenu entre les parties en 2005. Or, la Cour a conclu qu’il y avait (sic) « qu’une différence dans l’interprétation a été soulevée et la conduite des parties n’est donc pas clairement énoncé (sic) » (Mache Rameau c. Canada (Procureur Général), 2012 CF 1286 au para 19). La Cour a aussi tenu compte des décisions à l’effet que la Cour ne doit pas conclure à un outrage quand l’ordonnance en question est ambiguë, et la requête a été rejetée.

21. Or, cette plainte inclut des allégations additionnelles, notamment, l’allégation que la suppression de son poste constitue des mesures de représailles.

22. La Cour fédérale d’appel (sic) a confirmé récemment que la Commission ne doit pas rejeter une plainte sous l’alinéa 41 que dans les cas évidents (voir Keith c Service correctionnel du Canada, 2012 CAF 117 au para 50). Ceci n’est pas un cas évident. Bien que la Cour fédérale a (sic) rejeté la requête de la plaignante, les questions des droits de la personne soulevées par la plainte n’étaient pas devant la Cour et il y a des allégations dans la plainte qui n’étaient pas devant la Cour non plus. De plus, la décision de la Cour fédérale a été prise dans le contexte d’une procédure d’outrage, ce qui soulève des considérations différentes et un fardeau de preuve distinct d’une plainte à la Commission.

Conclusion

23. Cette plainte contient des allégations qui n’ont pas été traitées par la Cour fédérale. Par conséquent, la plainte n’est pas vexatoire au sens de l’article 41.

[Je souligne.]

[110] Force est de constater que, selon la première enquêtrice, la Plainte n’était pas vexatoire parce que les questions de droits de la personne soulevées par la Plainte « n’étaient pas devant la Cour » et, selon la jurisprudence suivie par l’enquêtrice, n’avaient donc pas « été examinées par l’autre décideur ». Suivant cette recommandation, la Commission a conclu dans sa Décision sur la recevabilité que la Plainte n’était pas vexatoire au sens de l’article 41 parce qu’elle contenait des « allégations qui n’ont pas été traitées par la Cour fédérale ».

[111] Rappelons que dans la Plainte, l’appelante allègue que la prétendue contravention du protocole constitue la première instance de traitement différentiel envers elle de la part de son employeur après son retour à l’ACDI en février 2009. Cette question est donc l’une des « questions des droits de la personne soulevées par la Plainte » qui, selon la première enquêtrice, n’a pas été examinée par la Cour fédérale dans le Jugement sur l’outrage. Comme le remarque cette enquêtrice, dans le contexte de la procédure d’outrage, la question devant la Cour fédérale se limitait à savoir si les obligations des parties étaient clairement énoncées dans le protocole. Le juge Boivin n’a pas décidé s’il y a eu contravention du protocole ou si cette contravention était un acte discriminatoire. Il lui suffisait de décider que les dispositions du protocole étaient ambiguës pour disposer de la requête devant la Cour. Aux paragraphes 4 et 41 du Jugement sur la compétence du Tribunal, décidé deux ans plus tard, le juge Roy en est arrivé à la même conclusion.

[112] Qu’en est-il du Rapport de la deuxième enquêtrice? Après avoir constaté que la Cour fédérale avait décidé que les faits devant elle ne lui permettaient pas de déduire que le déroulement des négociations entre l’appelante et l’ACDI en vertu du paragraphe 16 du protocole puisse être assimilé à un outrage, l’enquêtrice a conclu, au para. 8 :

De ce fait, les allégations concernant la contravention du protocole d’entente ont été traitées par un autre processus et la Commission ne traitera pas de ces allégations. Cependant, quant aux allégations de représailles de discrimination en matière d’emploi, la Commission a décidé, le 19 juin 2013, de statuer sur la plainte en vertu du paragraphe 41(1) de la Loi canadienne sur les droits de la personne parce que la plainte contient des allégations qui n’ont pas été traitées par la Cour fédérale.

[Je souligne.]

[113] Le fondement de la décision de la deuxième enquêtrice de ne pas traiter des allégations concernant le non-respect du protocole, qu’elles avaient « été traitées » par le juge Boivin dans le Jugement sur l’outrage, est erroné. Comme l’a fait valoir la première enquêtrice, la portée du Jugement sur l’outrage est limitée. Afin d’obtenir gain de cause dans sa requête pour une ordonnance de justification, l’appelante devait fournir à la Cour fédérale une preuve prima facie de l’outrage reproché, y compris la preuve d’une violation délibérée de l’ordonnance du juge Pinard qui homologuait le protocole. Une violation délibérée ne pouvait être établie que si l’ordonnance énonce des obligations claires. Le juge Boivin a constaté que le paragraphe 6 du protocole était ambigu, ce qui lui a suffi pour conclure que la requête devait être rejetée. Il n’a pas résolu l’ambiguïté : Jugement sur la compétence du Tribunal aux para. 4, 41.

[114] Il s’ensuit que la conclusion de la deuxième enquêtrice que les allégations de contravention au protocole « avaient été traitées par un autre processus » ne peut prendre sa source dans l’analyse de la portée du Jugement sur l’outrage qu’effectue l’enquêtrice dans le Rapport.

[115] Puisque la Commission a entériné les recommandations de la deuxième enquêtrice et motivé sa décision de manière sommaire, je dois présumer que ses motifs sont ceux exposés dans le Rapport d’enquête et conclure qu’ils souffrent de la même lacune. La décision de la Commission d’exclure de son traitement de la plainte les allégations de non-respect du protocole ne saurait être justifiée par le fait que la Cour fédérale avait traité de ces allégations dans son Jugement sur l’outrage, vu la portée limitée de ce jugement.

[116] La conclusion de la deuxième enquêtrice dans le Rapport que le juge Boivin a traité de l’allégation de contravention du protocole est incompatible avec la conclusion de la première enquêtrice, dans le Rapport sur la recevabilité, que les questions des droits de la personne soulevées par la Plainte n’étaient pas devant la Cour fédérale et que les considérations soulevées devant la Cour dans la requête en outrage étaient différentes de celles soulevées par la Plainte à la Commission. Ni la Commission ni la deuxième enquêtrice n’ont fourni une explication permettant de concilier ces décisions apparemment contradictoires. La décision de la Commission sur ce point est dépourvue d’une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle.

[117] Mes collègues estiment que, dans son rapport, la première enquêtrice dresse une distinction entre les questions de droits de la personne relevant du non-respect du protocole, qui auraient été traitées par la Cour fédérale et ne devraient donc pas être considérées par la Commission, et les autres questions de droits de la personne qui devraient faire l’objet d’une enquête. Il n’y aurait donc pas de contradiction entre les conclusions de la première enquêtrice et celles de la deuxième.

[118] À mon avis, l’analyse de la première enquêtrice ne se prête pas à cette interprétation. Dans la dernière phrase du paragraphe 22 du Rapport sur la recevabilité, à la toute fin de son analyse et suivant sa conclusion que les questions de droits de la personne soulevées par la Plainte n’étaient pas devant la Cour, la première enquêtrice prend la peine d’expliquer que le Jugement sur l’outrage, qui portait sur les questions de non-respect du protocole, avait été décidé dans le contexte d’une procédure soulevant des considérations différentes et un fardeau de preuve distinct d’une plainte à la Commission. Cette explication n’aurait pas été nécessaire si l’enquêtrice était d’avis que les questions de non-respect du protocole avaient été traitées par la Cour et ne devaient pas être considérées par la Commission; elle fait plutôt état de la conclusion de l’enquêtrice qu’à l’issue de la procédure d’outrage, la Commission demeure libre d’examiner les questions de non-respect du protocole, en appliquant le fardeau de preuve approprié, dans le contexte de son mandat législatif visant à protéger les Canadiens contre la discrimination.

[119] Au paragraphe 58 du Jugement, la Cour fédérale a reconnu que la décision de la Commission de ne pas traiter des allégations de contravention au protocole ne trouvait aucun fondement dans le Jugement sur l’outrage :

La Cour convient que le juge Boivin n’a pas traité des questions des droits de la personne soulevées dans la Plainte. Il a soulevé l’ambiguïté du protocole d’entente, a conclu que la conduite des parties n’y était pas clairement énoncée, que le fardeau de preuve n’était donc pas satisfait et que la preuve prima facie n’avait pas établi que le déroulement des négociations entreprises entre Mme Mache-Rameau et l’ACDI ou le comportement de sa présidente, étaient assimilables à un outrage au tribunal.

[120] Comme la Cour fédérale avait choisi de réviser la décision de la Commission en appliquant la norme de la décision correcte, elle a conclu que l’enquêtrice n’avait pas erré en décidant de ne pas traiter des allégations de contravention au protocole, mais pour un motif différent de celui adopté par l’enquêtrice dans son Rapport d’enquête. Selon la Cour fédérale, l’assimilation du protocole à une ordonnance de la Cour limite la capacité de la Commission ou du Tribunal à statuer sur une allégation de contravention au protocole : Jugement au para. 59, cité ci-dessus au paragraphe 49.

[121] Cependant, la norme de contrôle qui s’applique en l’espèce est la norme de la décision raisonnable. La Cour suprême est formelle : si les motifs fournis par la deuxième enquêtrice et entérinés par la Commission pour justifier sa décision révèlent une analyse déraisonnable, « il n’est pas loisible à la cour de révision de faire abstraction du fondement erroné de la décision et d’y substituer sa propre justification du résultat » : Vavilov au para. 96. En ce faisant, la Cour fédérale a erré et sa décision ne saurait être maintenue.

[122] Mes collègues affirment qu’à la lumière des dispositions du protocole, la Commission n’avait d’autre choix que de considérer le non-respect du protocole comme ne relevant plus du Tribunal et de la Commission et de ne pas traiter de cette question. Selon eux, l’omission de la Commission « d’expliciter davantage » son raisonnement sur cette question comme l’ont fait par la suite le Tribunal et la Cour fédérale ne peut entacher la raisonnabilité de la conclusion à laquelle elle est arrivée. Mais le cœur du problème n’est pas qu’elle n’ait pas suffisamment explicité son raisonnement à propos de l’impact du libellé du protocole sur sa compétence à statuer sur le non-respect du protocole. C’est que ce raisonnement est entièrement absent, puisque ce n’est pas la justification qu’a offerte la Commission au soutien de son refus de traiter des allégations de non-respect du protocole. Comme l’exige la jurisprudence exposée ci-dessus au paragraphe 60, la Commission ayant entériné les recommandations de la deuxième enquêtrice, nous devons présumer que les motifs de la Commission sont ceux exposés dans le rapport d’enquête : qu’elle n’avait pas à traiter des allégations de non-respect du protocole parce qu’elles avaient été traitées dans le Jugement sur l’outrage. Lorsqu’un décideur administratif offre des motifs explicites pour justifier sa décision, une cour de révision doit en évaluer le caractère raisonnable à la lumière de ces motifs : Vavilov au para 84. Or, les motifs de la Commission, qui ne sont ni inexistants ni insuffisants, reposent sur un fondement erroné et rendent sa décision déraisonnable. Proposer des motifs additionnels basés sur le libellé du protocole a l’effet de supplanter plutôt que de compléter l’analyse de la Commission : Delta Air Lines Inc. c. Lukács, 2018 CSC 2, [2018] 1 R.C.S. 6 aux para. 23–24; Vavilov au para. 96.

[123] Mais il y a plus. Une décision raisonnable doit être justifiée au regard de l’ensemble du droit et des faits pertinents : Vavilov au para. 105. À ce titre, la décision de la Commission échoue à deux égards.

[124] Premièrement, la Cour suprême fait valoir que « [l]es personnes visées par les décisions administratives sont en droit de s’attendre à ce que les affaires semblables soient généralement tranchées de la même façon et que les résultats ne dépendent pas seulement de l’identité du décideur » : Vavilov au para. 129. Cela est d’autant plus vrai en l’espèce, où la deuxième enquêtrice, en décidant que l’allégation de contravention au protocole avait été traitée par le juge Boivin, est parvenue, dans la même affaire et sur la base des mêmes faits, à une conclusion contraire à celle de la première enquêtrice, et où la Commission a entériné ces deux conclusions apparemment contradictoires.

[125] Dans les circonstances, je suis d’avis que la Commission se devait d’expliquer l’écart entre ces deux conclusions et son défaut de le faire rend sa décision déraisonnable : Vavilov au para. 131.

[126] Deuxièmement, les principes de justification et de transparence qui sous-tendent le contrôle judiciaire selon la norme de la décision raisonnable exigent que les motifs du décideur administratif tiennent valablement compte des questions et préoccupations centrales soulevées par les parties : Vavilov au para. 127.

[127] Cette Cour ne peut pas s’attendre à ce que la Commission, lorsqu’elle exerce son pouvoir discrétionnaire de rejeter une plainte dans le cadre de ses fonctions d’examen préalable, réponde à tous les arguments ou modes possibles d’analyse présentés par la plaignante, au risque de paralyser son bon fonctionnement et de compromettre les valeurs importantes d’efficacité et d’accès à la justice : Vavilov au para. 128.

[128] Cependant, comme le réitérait récemment la Cour suprême dans l’arrêt Mason c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2023 CSC 21, 485 D.L.R. (4e) 583 au para. 97, lorsqu’un décideur administratif néglige de tenir compte d’un argument clé soulevé par l’une des parties, elle ne satisfait pas « à la norme fixée par l’arrêt Vavilov en ce qui concerne la justification adaptée aux questions et préoccupations soulevées. »

[129] Comme je l’ai déjà mentionné, l’argument de l’appelante dans sa réponse au Rapport de l’enquêtrice que la recommandation de l’enquêtrice de ne pas traiter de la contravention alléguée de l’article 6 du protocole était en contradiction avec la Décision sur la recevabilité et, de ce fait, entachée d’une erreur fondamentale, était sans aucun doute un argument clé. Bien que la Commission affirme avoir examiné le Rapport et les observations des parties, elle a agi de manière déraisonnable en omettant totalement d’aborder cet argument clé dans ses motifs.

D. Le recours approprié

[130] Lorsqu’une décision contrôlée selon la norme de la décision raisonnable ne peut être confirmée, il conviendra le plus souvent de renvoyer l’affaire au décideur pour qu’il revoit la décision à la lumière des motifs donnés par la Cour : Vavilov au para. 141.

[131] Je suis d’avis qu’en l’espèce la Cour fait face à l’une des circonstances limitées dans lesquelles elle devrait refuser de renvoyer la décision à la Commission. Comme l’affirme la Cour suprême au paragraphe 142 de l’arrêt Vavilov :

[… I]l y a des situations limitées dans lesquelles le renvoi de l’affaire pour nouvel examen fait échec au souci de résolution rapide et efficace d’une manière telle qu’aucune législature n’aurait pu souhaiter. L’intention que le décideur administratif tranche l’affaire en première instance ne saurait donner lieu à un va-et-vient interminable de contrôles judiciaires et de nouveaux examens. Le refus de renvoyer l’affaire au décideur peut s’avérer indiqué lorsqu’il devient évident aux yeux de la cour, lors de son contrôle judiciaire, qu’un résultat donné est inévitable, si bien que le renvoi de l’affaire ne servirait à rien. Les préoccupations concernant les délais, l’équité envers les parties, le besoin urgent de régler le différend, la nature du régime de réglementation donné, la possibilité réelle ou non pour le décideur administratif de se pencher sur la question en litige, les coûts pour les parties et l’utilisation efficace des ressources publiques peuvent aussi influer sur l’exercice par la cour de son pouvoir discrétionnaire de renvoyer l’affaire — tout comme ces facteurs peuvent influer sur l’exercice de son pouvoir discrétionnaire de casser une décision lacunaire.

[Citations omises.]

[132] Pour les motifs susmentionnés, j’ai conclu que le processus emprunté par la Commission n’a pas privé l’appelante d’équité procédurale et que l’appelante n’a pas soulevé de lacunes fondamentales dans le traitement par la Commission et la deuxième enquêtrice de la preuve devant elles qui rendraient la Décision déraisonnable, mise à part leur décision de ne pas traiter des allégations de non-respect du protocole. Notamment, l’appelante n’a pas démontré qu’en évaluant la Plainte, la deuxième enquêtrice a omis de prendre compte des allégations de la plainte de 2003. Seule la décision de la Commission, suivant la recommandation de l’enquêtrice, de ne pas traiter des allégations de non-respect du protocole est déraisonnable. Néanmoins, je suis d’avis que si cette Cour renvoyait l’affaire à la Commission pour qu’elle revoie sa décision de ne pas traiter des allégations de contravention au protocole, la seule décision raisonnable ouverte à la Commission, compte tenu des contraintes juridiques et factuelles que constituent le Jugement sur la compétence du Tribunal et le protocole lui-même, serait d’exclure de son enquête le traitement des allégations de contravention au protocole et de rejeter la Plainte.

[133] L’appelante prétend que la Cour fédérale a eu tort d’extrapoler du Jugement sur la compétence du Tribunal que la Commission n’a pas la compétence de statuer sur les allégations de contravention au protocole contenues dans la Plainte. Selon elle, la compétence du Tribunal diffère de celle de la Commission. Si cette Cour renvoyait cette affaire devant la Commission, cette dernière serait contrainte de reprendre son enquête, en tenant compte, cette fois, des allégations de discrimination relevant du non-respect du protocole, et exercer le pouvoir discrétionnaire qui lui est conféré au paragraphe 44(3) de la Loi afin de décider s’il y a lieu de saisir le Tribunal de la Plainte. Si la Commission décidait de référer la Plainte au Tribunal, ce dernier instruirait la Plainte et, de ce fait, aurait la compétence de se prononcer sur les allégations de discrimination, y compris celles relevant du non-respect du protocole.

[134] L’intimé plaide que c’est à bon droit que la Cour fédérale affirme que l’assimilation du protocole à une ordonnance de la Cour fédérale limite la capacité de la Commission ou du Tribunal de statuer sur une allégation de non-respect du protocole. À l’audience, l’intimé a fait valoir qu’il faut donner au paragraphe 48(3) de la Loi le sens que le législateur voulait lui donner. Cette disposition prévoit qu’un règlement d’une plainte entre les parties qui est approuvé par la Commission peut, par requête d’une partie, « être assimilé à une ordonnance [de la Cour fédérale] et être exécuté comme telle ». Pour exécuter une ordonnance, la Cour fédérale doit l’interpréter afin d’en préciser la portée. L’intimé prévient que si cette Cour devait reconnaître que le Tribunal conserve la compétence d’interpréter une ordonnance de la Cour fédérale émise en vertu du paragraphe 48(3), il serait possible, par le dépôt d’une nouvelle plainte, de renvoyer ces questions d’interprétation au Tribunal après quoi l’une des parties pourrait demander à la Cour fédérale de décider si l’interprétation de sa propre ordonnance par le Tribunal est raisonnable. L’intimé plaide que la décision d’une partie d’assimiler une entente approuvée par la Commission à une ordonnance de la Cour fédérale a pour conséquence que les parties entrent dans le giron de la Cour quant à l’interprétation et l’exécution de l’ordonnance.

[135] L’appelante réplique qu’en l’absence d’une disposition de la Loi retirant expressément au Tribunal et à la Commission la compétence d’interpréter une ordonnance émise par la Cour fédérale en vertu du paragraphe 48(3), la Cour ne devrait pas donner suite à l’interprétation préconisée par l’intimé, qui serait contraire aux objets de la Loi, notamment que toute plainte qui n’est pas jugée irrecevable fasse l’objet d’une enquête et d’une décision de la Commission en vertu de l’article 44 de la Loi.

[136] Les parties s’entendent qu’aucune décision, à part les jugements des juges Roy et St‑Louis de la Cour fédérale, ne traite de la question de la compétence du Tribunal et de la Commission à interpréter les dispositions d’une ordonnance de la Cour fédérale qui homologue un règlement approuvé par la Commission.

[137] Il n’est pas nécessaire pour cette Cour de se prononcer ex cathedra sur la question de savoir si, de manière générale, un règlement approuvé par la Commission et subséquemment assimilé à une ordonnance de la Cour fédérale en vertu du paragraphe 48(3) de la Loi, retire au Tribunal et à la Commission la compétence de se prononcer sur l’interprétation des dispositions du règlement. J’estime qu’il est possible de m’en tenir aux faits en l’espèce.

[138] Dans sa décision dans Rameau TCDP, Le Tribunal a refusé la demande de l’appelante de le saisir de la question de l’interprétation du paragraphe 6 du protocole pour deux motifs. Premièrement, sa compétence en vertu de la Loi est fondée sur l’instruction d’une plainte. N’étant saisi d’aucune plainte, le Tribunal ne pouvait pas se saisir du dossier de l’appelante. Deuxièmement, et ce qui est le plus important pour les fins qui nous intéressent, le Tribunal a conclu, au paragraphe 58 de sa décision, qu’il ne pouvait faire autrement que d’interpréter le paragraphe 16 du protocole comme « retirant de façon définitive toute compétence du Tribunal au regard de ce protocole d’entente, lequel a identifié la Cour fédérale comme étant le nouveau forum légal applicable afin de régler toute mésentente en ce qui a trait à ce protocole d’entente signé entre les parties ».

[139] Au soutien de cette seconde conclusion, le Tribunal a constaté qu’aucune disposition du protocole n’avait « maintenu quelque juridiction que ce soit du Tribunal » dans le dossier de l’appelante; que les parties avaient accepté, au paragraphe 15 du protocole, que ce dernier soit assimilé à une ordonnance de la Cour fédérale conformément au paragraphe 48(3) de la Loi; et qu’elles s’étaient aussi entendues, au paragraphe 16 du protocole, pour que toute modification à ce dernier découlant d’une reprise de la médiation entre les parties à la suite d’un différend concernant sa mise en œuvre soit soumise à l’approbation de la Commission conformément à l’article 48 de la Loi et ait force exécutoire en Cour fédérale selon les mêmes modalités que le protocole initial : Rameau TCDP aux para. 55–57.

[140] Au paragraphe 46 de son Jugement sur la compétence du Tribunal rejetant la demande de contrôle judiciaire de l’appelante à l’encontre de la décision du Tribunal, le juge Roy a conclu que le Tribunal, par cette analyse des dispositions du protocole, constatait son absence de compétence. Qui plus est, il a décidé, aux paragraphes 21 et 28 de ses motifs, que la décision du Tribunal à l’effet qu’il n’avait pas compétence pour se pencher sur la question d’interprétation de l’article 6 du protocole était à la fois raisonnable et correcte. À la lecture du Jugement sur la compétence, je ne peux retenir l’argument de l’appelante selon lequel le juge Roy n’aurait entériné que le premier motif du Tribunal justifiant son absence de compétence d’interpréter le protocole, soit l’absence d’une plainte.

[141] Puisque l’appelante n’a pas interjeté appel du Jugement sur la compétence, celui-ci a un effet juridique définitif et exécutoire et toutes les questions qui ont été soulevées dans l’instance, dont la compétence du Tribunal à interpréter le protocole conclu entre les parties en l’espèce, sont tranchées de façon définitive : Canada c. MacDonald, 2021 CAF 6, [2021] A.C.F. no 45 (Q.L.) au para. 14, citant Danyluk c. Ainsworth Technologies Inc., 2001 CSC 404, [2001] 2 R.C.S. 460 aux para. 18–19 et Collins c. Canada, 2011 CAF 171, [2011] A.C.F. no 722 (Q.L.) au para. 12.

[142] À mon avis, même si cette Cour décidait de renvoyer cette affaire devant la Commission pour nouvel examen, le résultat serait inévitable puisque la Commission serait liée par la décision du juge Roy affirmant la décision du Tribunal : Vavilov au para. 142. Puisque le Jugement sur la compétence confirme que l’effet du protocole conclu entre les parties en l’espèce est de retirer toute compétence du Tribunal au regard du protocole en faveur de la Cour fédérale, la Commission ne pourrait exercer sa discrétion en vertu de l’article 44 de la Loi afin de confier au Tribunal l’examen d’allégations de discrimination fondées uniquement sur une présumée contravention au protocole.

[143] Je ne me prononcerai pas sur la question à savoir si la Commission et le Tribunal peuvent, de manière générale, dans l’exécution des mandats qui leurs sont confiés par la Loi, interpréter les dispositions d’autres règlements intervenus entre d’autres parties qui sont assimilés à une ordonnance de la Cour fédérale parce que j’estime inutile de le faire en l’espèce.

[144] J’exercerais donc mon pouvoir discrétionnaire de réparation de manière à ne pas annuler la décision de la Commission et lui renvoyer l’affaire pour nouvel examen : Maple Lodge Farms Ltd. c. Canada (Agence d’inspection des aliments), 2017 CAF 45, 411 D.L.R. (4e) 175 aux para. 83–84.

V. Règlement proposé

[145] À la lumière de ce qui précède, je conclurais que la décision de la Commission est déraisonnable, mais qu’il n’y a pas lieu de l’annuler afin de renvoyer l’affaire puisque la seule décision raisonnable à laquelle la Commission pourrait parvenir en cas de nouvelle décision est que la Plainte de l’appelante doit être rejetée. Je suis donc d’avis que l’appel devrait être rejeté.

[146] Les parties ayant chacune gain de cause en partie, je n’adjugerais pas de dépens, tant devant notre Cour que devant la Cour fédérale.

« Gerald Heckman »

j.c.a.


LE JUGE EN CHEF DE MONTIGNY ET LA JUGE GOYETTE (motifs concordants)

[147] Nous sommes d’accord avec l’analyse de notre collègue concernant le droit applicable. De même, nous sommes d’accord avec lui qu’il n’y a pas de déni d’équité procédurale et que la décision de la Commission est raisonnable dans son traitement de la preuve devant elle. Par contre, nous arrivons à une conclusion différente de la sienne en ce qui a trait à la décision de la Commission de ne pas traiter de l’allégation de non-respect du protocole. Pour les raisons qui suivent, nous considérons que ce refus ne rend pas la décision déraisonnable.

I. Faits pertinents

[148] Une décision raisonnable doit être justifiée au regard du droit, mais aussi de l’ensemble des faits pertinents : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov, 2019 CSC 65 au para. 105 [Vavilov]. Les faits pertinents à la question de l’allégation de non-respect du protocole se résument comme suit.

[149] Dans sa plainte, l’appelante allègue le non-respect du protocole. Elle allègue aussi des actes discriminatoires qu’elle distingue du non-respect du protocole. Cette phrase de l’appelante illustre cette distinction : « Par ailleurs, et mis à part la contravention du protocole et l’échec de la médiation, des événements, tels la dévalorisation de mes compétences et le refus systématique de promotion, se sont succédés entre 2009 et 2012, le plus récent étant la suppression de mon poste le 11 avril 2012 » : Formulaire de plainte en date du 28 mai 2012, Dossier d’appel, p. 83.

[150] La première enquêtrice a pour tâche de faire une recommandation sur la recevabilité de la plainte. Dans son rapport, elle écrit que la question qui se pose à elle est celle de savoir si la Commission devrait refuser de statuer sur la plainte « parce que les allégations de discrimination ont été examinées par le biais d’une autre procédure », soit la procédure qui a donné lieu au Jugement sur l’outrage de la Cour fédérale (Rameau c. Canada (Procureur général), 2012 CF 1286). La première enquêtrice répond à cette question par la négative. Après avoir fait une analyse de la jurisprudence en la matière, elle recommande à la Commission de statuer sur la plainte parce que « les questions de droit de la personne soulevées dans la plainte n’étaient pas devant la Cour [fédérale] et il y a des allégations dans la plainte qui n’étaient pas devant la Cour non plus ». À titre d’exemple, la première enquêtrice mentionne l’allégation de suppression du poste de l’appelante.

[151] Sur la base du rapport de la première enquêtrice et des représentations des parties à l’égard de ce rapport, la Commission décide de statuer sur la plainte. Dans sa décision du 19 juin 2013, elle offre pour seul motif au soutien de sa décision : « Cette plainte contient des allégations qui n’ont pas été traitées par la Cour fédérale ».

[152] Dans son rapport d’enquête, la deuxième enquêtrice écrit que les allégations de non-respect du protocole ont été traitées par un autre processus—celui de la Cour fédérale—et que la Commission n’en traitera pas. Elle ajoute : « Cependant, quant aux allégations de représailles et de discrimination en matière d’emploi, la Commission a décidé, le 19 juin 2013, de statuer sur la plainte (…) parce que la plainte contient des allégations qui n’ont pas été traitées par la Cour fédérale ». Le reste du rapport d’enquête examine les allégations contenues dans la plainte autres que celle du non-respect du protocole. Ce faisant, le rapport explique de façon détaillée les fondements de la recommandation de la deuxième enquêtrice selon laquelle ces autres allégations ne justifient pas un examen par le Tribunal.

II. Analyse

[153] Il ressort des paragraphes précédents que la deuxième enquêtrice interprète le rôle qui lui est confié comme consistant à évaluer les allégations contenues dans la plainte autres que celle de non-respect du protocole. Cette interprétation s’appuie non seulement sur le Jugement sur l’outrage, mais également sur la décision de la Commission du 19 juin 2013, laquelle décision s’appuie à son tour sur le rapport de la première enquêtrice. Or, il nous semble tout à fait raisonnable de lire le rapport de la première enquêtrice comme signifiant que les allégations de discrimination qui doivent être considérées par la Commission et dont la Cour fédérale n’a pas traité sont les allégations contenues dans la plainte autres que celle de non-respect du protocole, telle l’allégation de suppression du poste de l’appelante. Ainsi, nous ne voyons pas de contradiction entre les conclusions de la première enquêtrice et celles de la deuxième.

[154] Pour la même raison, nous sommes d’opinion que la deuxième enquêtrice présente une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle au soutien de sa décision de ne pas traiter du non-respect du protocole. Tout simplement, elle fait état de sa compréhension—avec références à l’appui—selon laquelle la question du non-respect du protocole a été traitée par un autre processus et la Commission a décidé d’examiner les autres allégations de discrimination de la plainte.

[155] On peut argumenter que la tâche de la Cour fédérale dans le cadre de la requête en outrage au tribunal se limitait à déterminer si le non-respect du protocole constitue un outrage au tribunal et qu’en conséquence, la Cour fédérale n’a pas procédé à une analyse exhaustive de l’allégation de non-respect du protocole. Il n’en demeure pas moins qu’il n’était pas déraisonnable pour la deuxième enquêtrice et pour la Commission de considérer qu’elles n’avaient pas à traiter de la question de non-respect du protocole.

[156] À cet égard, il importe de souligner qu’en juillet 2014, lorsqu’elle rend sa décision selon laquelle l’examen de la plainte par le Tribunal des droits de la personne (Tribunal) n’est pas justifié, la Commission agit après avoir reçu de l’appelante une copie du protocole. Le paragraphe 15 du protocole assimile l’entente des parties à une ordonnance de la Cour fédérale. De plus, le paragraphe 16 prévoit que toute modification au protocole négociée par les parties afin de régler un désaccord concernant sa mise en œuvre aura aussi force exécutoire en Cour fédérale. Devant un tel langage, la Commission n’avait d’autre choix que de considérer le non-respect du protocole comme ne relevant plus du Tribunal (ni de la Commission) et par conséquent, de ne pas traiter de cette question. Bien qu’il lui aurait été loisible d’expliciter davantage son raisonnement sur cette question, comme l’ont fait subséquemment le Tribunal et la Cour fédérale (Mache-Rameau c. Agence canadienne de développement international, 2014 TCDP 26 aux para. 5558; Rameau c. Canada (Procureur général), 2015 CF 1180 aux para. 3234, 38, 40), cette omission n’est clairement pas suffisante pour entacher la raisonnabilité de la conclusion à laquelle en sont arrivées la seconde enquêtrice et la Commission.

[157] D’une part, les décisions du Tribunal et de la Cour fédérale confirment si besoin était l’absence de toute ambiguïté quant à la portée des paragraphes 15 et 16 du Protocole et l’absence de juridiction du Tribunal. D’autre part, l’on ne saurait s’attendre à ce qu’un organisme administratif comme la Commission, dont la fonction n’est pas de trancher des litiges mais plutôt de déterminer si une plainte mérite d’être traitée au fond, fournisse des motifs détaillés et approfondis comme ceux auxquels on est en droit de s’attendre d’un tribunal quasi-judiciaire ou d’une Cour. Tel que l’affirmait cette Cour dans l’arrêt Tazehkand c. Banque du Canada, 2023 CAF 208, aux para. 28–40, cité par notre collègue, il faut tenir compte des ressources limitées et du volume de travail élevé de la Commission. Au risque de paralyser complètement le travail et la mission d’un tel organisme, il faut rechercher un équilibre entre l’intérêt des plaignants d’avoir une enquête et des motifs les plus complets possibles et les exigences de l’efficacité administrative. Dans ce contexte bien particulier, nous estimons que la décision de la Commission était justifiée au regard des faits et du droit.

[158] Comme le dit notre collègue au paragraphe 101 de ses motifs, une cour de révision doit lire les motifs d’un décideur administratif de façon globale et contextuelle, eu égard au dossier et en tenant dûment compte du régime administratif dans lequel ils sont donnés: Alexion Pharmaceuticals Inc. c. Canada (Procureur général), 2021 CAF 157 au para. 15 [Alexion], citant Vavilov aux para. 97, 103. Elle doit aussi s’assurer que le décideur administratif donne suffisamment d’éléments pour assurer que les préoccupations sur un point central ont été prises en considération : Alexion, aux para. 13, 19–20. En l’espèce, l’allégation de non-respect du protocole était une des préoccupations centrales de la plainte. Nous sommes d’avis qu’un examen du dossier démontre que cette préoccupation a été considérée par la Commission. Plus précisément, l’examen démontre qu’à la lumière de la jurisprudence en la matière, du Jugement sur l’outrage et du texte du protocole, la Commission a considéré qu’il ne lui appartenait pas de se prononcer sur la question de non-respect du protocole. Les rapports des enquêtrices font état du fondement derrière cette décision. Ces rapports ont été communiqués à l’appelante.

III. Conclusion

[159] Pour les motifs qui précèdent, nous sommes donc d’avis que l’appel devrait être rejeté et que la décision de la Commission devrait être maintenue, le tout avec dépens en faveur de l’intimé.

« Yves de Montigny »

j.c.

« Nathalie Goyette »

j.c.a.


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

A-48-17

INTITULÉ :

MARIE MACHE RAMEAU c. PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 13 septembre 2023

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE HECKMAN

 

MOTIFS CONCORDANTS :

LE JUGE EN CHEF

DE MONTIGNY

LA JUGE GOYETTE

 

DATE DES MOTIFS :

LE 7 mars 2024

 

COMPARUTIONS :

Yavar Hameed

Pour l'appelante

Benoît de Champlain

Pour l'intimé

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Hameed Law

Ottawa (Ontario)

Pour l'appelante

Shalene Curtis-Micallef

Sous-procureure générale du Canada

Pour l'intimé

 

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