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Date : 20240410


Dossier : A-271-22

Référence : 2024 CAF 65

CORAM :

LE JUGE BOIVIN

LE JUGE LEBLANC

LA JUGE GOYETTE

 

 

ENTRE :

 

 

YASSINE ESSAÏ

 

 

demandeur

 

 

et

 

 

LA BANQUE TORONTO DOMINION

 

 

défenderesse

 

Audience tenue à Ottawa (Ontario), le 10 avril 2024.

Jugement rendu à l’audience à Ottawa (Ontario), le 10 avril 2024.

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR :

LE JUGE LEBLANC

 


Date : 20240410


Dossier : A-271-22

Référence : 2024 CAF 65

CORAM :

LE JUGE BOIVIN

LE JUGE LEBLANC

LA JUGE GOYETTE

 

 

ENTRE :

 

 

YASSINE ESSAÏ

 

 

demandeur

 

 

et

 

 

LA BANQUE TORONTO DOMINION

 

 

défenderesse

 

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR

(Prononcés à l’audience à Ottawa (Ontario), le 10 avril 2024.)

LE JUGE LEBLANC

[1] Le demandeur se dit victime d’un congédiement injuste de la part de la défenderesse pour laquelle il a travaillé comme agent au service à la clientèle de septembre 2012 à juin 2020. Il a porté sa cause devant le Conseil canadien des relations industrielles (le Conseil) en vertu du paragraphe 241(3) du Code canadien du travail, L.R.C. 1985, c. L-2 (le Code).

[2] La présente affaire découle principalement d’un incident survenu en septembre 2019 (l’Incident) lorsque le demandeur, dans l’exercice de ses fonctions, a pris l’appel d’une cliente de la défenderesse qui aurait tenu à son égard des propos racistes. S’en est suivi, selon le demandeur, une série d’évènements (suspension sans solde de trois jours, harcèlement de la superviseure immédiate, déductions inexpliquées sur sa paye et promesse non-tenue), qui aurait mené à sa démission, non-volontaire selon lui, en juin 2022. Le demandeur s’est plaint devant le Conseil que la défenderesse aurait fait défaut de mettre en place les mesures nécessaires pour assurer un milieu de travail sain, exempt de harcèlement, de discrimination ou de violence, violant ainsi une condition essentielle du contrat de travail, et aurait, dans la foulée de l’Incident, adopté un comportement permettant de conclure qu’elle n’avait plus l’intention d’être liée par ce contrat.

[3] Le 2 décembre 2022, dans une décision répertoriée à 2022 CCRI 1052, le Conseil a rejeté la plainte du demandeur, estimant qu’il n’y avait pas eu de congédiement injuste et que le demandeur avait plutôt volontairement démissionné de son poste.

[4] Devant nous, le demandeur se pourvoit en contrôle judiciaire de la décision du Conseil. Il reproche au Conseil des manquements aux règles de l’équité procédurale, une erreur de droit et des erreurs de fait et de droit.

[5] En matière d’équité procédurale, la Cour doit elle-même déterminer, à la lumière du dossier qui est devant elle, s’il y a eu manquement (Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c. Canada (Procureur général), 2018 CAF 69 au para. 54). Ici, le demandeur soutient que le Conseil aurait mis trop de temps à entendre la plainte, lui aurait refusé d’enregistrer les audiences, l’aurait privé d’un élément de preuve important en jugeant non-pertinent, dans une décision interlocutoire, l’enregistrement de l’Incident, alors qu’à l’audience elle a permis, à la demande de la défenderesse, le dépôt d’une version partielle de cet enregistrement, et aurait accepté la demande de la défenderesse de disjoindre la question des dommages sans véritablement expliqué sa décision.

[6] Nous sommes tous d’avis que ces arguments ne peuvent réussir. D’une part, quant au délai à traiter sa plainte, déposée en janvier 2020, le demandeur a reconnu à l’audience devant nous que la pandémie de la COVID-19 pouvait expliquer le délai. La Cour note aussi qu’à partir de l’automne 2021, et jusqu’au début des audiences, en juin 2022, le Conseil a eu à traiter de multiples questions préliminaires en lien avec la plainte du demandeur. Bref, cet argument est sans fondement, sans compter que le demandeur n’a pas fait la preuve d’un quelconque préjudice en lien avec ce délai. Quant à la décision du Conseil de ne pas permettre l’enregistrement des audiences, celui-ci est maître de sa procédure et n’a pas pour pratique de le permettre. En outre, le demandeur n’a pas démontré que ce qui lui a été refusé en l’instance est généralement accordé aux plaignants qui comparaissent devant le Conseil. Cela vaut aussi pour la décision du Conseil de disjoindre la question des dommages, ce qui se fait relativement couramment. Finalement, l’argument fondé sur le dépôt, à l’audience, d’une version partielle de l’enregistrement de l’Incident n’a aucun mérite puisque rien n’en retourne, le Conseil ayant tenu pour avéré, aux fins de son analyse, que le demandeur avait fait l’objet de propos inacceptables lors de l’Incident.

[7] En ce qui a trait à l’erreur de droit et aux erreurs de fait et de droit imputées au Conseil, c’est suivant la norme de la décision raisonnable que nous devons les examiner (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov, 2019 CSC 65 (Vavilov)). Le demandeur soutient, pour l’essentiel, que le Conseil aurait erré en droit en omettant de considérer que la défenderesse avait fait défaut de lui communiquer les résultats de l’enquête menée en marge de l’Incident et de tenter de régler la situation à l’amiable. Cela constituerait, selon lui, une violation d’une condition essentielle du contrat de travail donnant ouverture à une conclusion de congédiement injuste. Quant aux erreurs de fait et de droit, elles seraient de deux ordres : d’une part, le Conseil n’aurait pas mesuré convenablement l’impact de la suspension sans solde de trois jours qui lui a été imposée par la défenderesse dans les semaines qui ont suivi l’Incident, laquelle démontrerait que la défenderesse n’avait plus l’intention d’être liée par le contrat de travail; d’autre part, il se serait mépris sur le caractère volontaire de sa lettre de démission de mai 2022.

[8] Encore ici, le demandeur ne nous a pas convaincus qu’il y a lieu d’intervenir. Comme nous le lui avons expliqué à l’audience, la norme de la décision raisonnable est une norme déférente, même lorsque le Conseil interprète le Code (Vavilov au para. 49; Payne c. Banque de Montréal, 2013 CAF 33 aux para. 33, 81). Comme c’est le cas du contrôle judiciaire des décisions de la plupart des tribunaux administratifs spécialisés en relations de travail au Canada, une déférence considérable s’impose ici étant donné que la décision du Conseil est fortement dominée par les faits et qu’elle est du type de celles que le Conseil rend régulièrement (Canada (Procureur général) c. Alexis, 2021 CAF 216; Rouet c. Canada (Justice), 2023 CAF 50).

[9] La norme de la décision raisonnable signifie que nous devons nous abstenir de reconsidérer la décision du Conseil, réévaluer la preuve, mettre en doute les conclusions tirées par le Conseil et y substituer les nôtres (Vavilov au para. 83). Notre rôle consiste plutôt à nous assurer, avec une « attention respectueuse », que la décision du Conseil repose sur un raisonnement rationnel et logique et qu’elle se situe, au niveau du résultat, à l’intérieur de la fourchette des issues possibles et acceptables en regard des faits de l’affaire et du droit applicable (Vavilov au para. 84; Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 au para. 47).

[10] En l’espèce, nous sommes d’avis que la décision du Conseil possède les attributs de la raisonnabilité : le Conseil a bien identifié le test juridique à deux volets applicable aux cas de congédiements injustes entrepris en vertu du Code, fait une revue minutieuse de la preuve administrée devant lui, considéré les arguments du demandeur, et tiré les conclusions qui, selon lui, s’imposaient en regard des faits mis en preuve et du droit qui leur était applicable. Ce faisant, il a apprécié la crédibilité des divers témoignages qu’il a entendus, une tâche qui est au cœur de son mandat et de son expertise. Sa décision est étoffée, rationnelle, logique et supportée par la preuve. Dans une affaire axée sur les faits, le demandeur devait en faire davantage, pour que nous intervenions, que d’exprimer de simples désaccords avec la décision du Conseil.

[11] Pour toutes ces raisons, la présente demande de contrôle judiciaire sera rejetée. Comme la défenderesse ne les réclame plus, elle le sera sans dépens.

« René LeBlanc »

j.c.a.

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

A-271-22

 

 

INTITULÉ :

YASSINE ESSAÏ c. LA BANQUE TORONTO DOMINION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 10 avril 2024

 

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR :

LE JUGE BOIVIN

LE JUGE LEBLANC

LA JUGE GOYETTE

 

PRONONCÉS À L’AUDIENCE :

LE JUGE LEBLANC

 

COMPARUTIONS :

Yassine Essaï

 

Pour le demandeur

(Se représentant lui-même)

 

Terry Kyle Lapierre

 

Pour la défenderesse

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Fasken Martineau Dumoulin S.E.N.C.R.L., S.R.L.

Québec (Québec)

 

Pour la défenderesse

 

 

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