Décisions de la Cour d'appel fédérale

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Date : 20240426


Dossier : A-313-23

Référence : 2024 CAF 82

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LE JUGE STRATAS

LA JUGE MONAGHAN

LA JUGE BIRINGER

 

ENTRE :

LORENCE HUD

appelant

et

SA MAJESTÉ LE ROI

intimé

Requête jugée sur dossier sans comparution des parties.

Ordonnance rendue à Ottawa (Ontario), le 26 avril 2024.

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :

LA JUGE MONAGHAN

 


Date : 20240426

Dossier : A-313-23

Référence : 2024 CAF 82

CORAM :

LE JUGE STRATAS

LA JUGE MONAGHAN

LA JUGE BIRINGER

 

ENTRE :

LORENCE HUD

appelant

et

SA MAJESTÉ LE ROI

intimé

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

LA JUGE MONAGHAN

[1] L’appelant, Lorence Hud, interjette appel d’un jugement rendu le 27 octobre 2023 par la Cour canadienne de l’impôt dans le dossier no 2023-745(IT)I, dont les motifs ont été prononcés oralement le 24 octobre 2023. La Cour de l’impôt a rejeté l’appel de l’appelant visant les cotisations établies par le ministre du Revenu national (le ministre) pour les années d’imposition 2017, 2018 et 2019.

[2] L’intimé a présenté une requête en rejet sommaire de l’appel au motif qu’il est voué à l’échec. Selon l’intimé, l’avis d’appel porte à croire que le véritable objectif de l’appel interjeté par l’appelante devant la Cour de l’impôt, puis devant notre Cour, n’est pas de contester le bien-fondé des cotisations, mais plutôt de rouvrir des questions déjà tranchées par d’autres acteurs des gouvernements fédéral et provinciaux, et de demander une réparation que ni la Cour de l’impôt ni notre Cour n’a compétence pour accorder.

[3] À titre subsidiaire, l’intimé demande une ordonnance enjoignant à l’appelant de déposer un avis d’appel modifié qui ne soulève que des questions relevant de la compétence de notre Cour, ainsi qu’une déclaration claire et concise exposant les motifs d’appel autorisés.

[4] Pour les motifs qui suivent, j’accueillerais la requête de l’intimé et je rejetterais l’appel.

I. Contexte

[5] L’appel dont était saisie la Cour de l’impôt concernait les cotisations de l’appelant pour les années d’imposition 2017, 2018 et 2019. (Aux paragraphes 42 à 46 ci-dessous, j’examine l’allégation de l’appelant selon laquelle il a interjeté appel de ses cotisations pour les années d’imposition 2012 à 2023.) Le ministre a établi ces cotisations en 2022, après que l’appelant a omis de produire des déclarations de revenus malgré des demandes écrites du ministre en ce sens. Le ministre a présumé que le revenu de l’appelant au cours de ces années consistait en une pension de la Sécurité de la vieillesse, une pension du Régime de pensions du Canada et des revenus d’intérêts. Le ministre a également imposé des pénalités pour défaut de production de déclarations de revenus.

[6] À la suite de son avis d’opposition, l’appelant a interjeté appel des cotisations sous le régime de la procédure informelle de la Cour de l’impôt prévue à l’article 18 de la Loi sur la Cour canadienne de l’impôt, L.R.C. (1985), ch. T‐2.

[7] La principale allégation formulée par l’appelant devant la Cour de l’impôt était qu’il n’avait pas pu produire ses déclarations de revenus pour les années 2017 à 2019 malgré la demande du ministre parce que sa résidence, où se trouvaient ses documents fiscaux, avait été saisie en 2017 dans le cadre d’affaires non liées. Il a également soutenu qu’il aurait dû avoir droit à des déductions, en particulier à un amortissement, ce qui aurait eu pour effet de diminuer son revenu imposable par rapport aux cotisations établies.

[8] La transcription de l’instance devant la Cour de l’impôt établit que l’appelant a reconnu avoir touché les types de revenu déterminés par le ministre, sans toutefois être certain des montants exacts. L’appelant a également admis qu’il n’avait pas produit de déclaration pour les années 2017, 2018 et 2019.

[9] La transcription établit également que l’amortissement auquel l’appelant dit avoir droit (c’est-à-dire la déduction pour amortissement à des fins fiscales) se rapporte à du matériel de musique qu’il a acheté plusieurs années auparavant. Il a expliqué qu’il avait un solde reporté à déduire jusqu’à au moins 2027.

[10] Mis à part son témoignage oral, l’appelant n’a présenté aucun élément de preuve pour réfuter les hypothèses du ministre selon lesquelles, pour chaque année de 2017 à 2019, il avait gagné des revenus du montant établi par le ministre dans ses cotisations. La Cour de l’impôt a conclu que, bien que l’appelant [traduction] « a[it] fait allusion à son droit à un amortissement, [il] n’a fourni à la Cour [de l’impôt] aucun élément de preuve convaincant attaquant les hypothèses du ministre ». La Cour de l’impôt a fait valoir que les renseignements sur les soldes de l’amortissement auraient dû figurer dans les déclarations qu’il avait produites avant 2017.

[11] S’appuyant sur les hypothèses du ministre et les admissions de l’appelant, la Cour de l’impôt a conclu que les cotisations étaient valides et rejeté les appels. Elle a refusé d’examiner les autres allégations formulées par l’appelant, affirmant qu’elle n’avait pas compétence pour le faire.

[12] L’appelante interjette appel de cette décision devant notre Cour.

II. Analyse

A. Notre Cour peut-elle rejeter sommairement un appel?

[13] La Cour peut rejeter sommairement un appel à la suite d’une requête d’un intimé ou de sa propre initiative, lorsque l’appel est « manifestement vou[é] à l’échec à cause d’un vice fondamental ou de l’absence de bien-fondé » : Bernard c. Canada (Institut professionnel de la fonction publique), 2019 CAF 236, par. 10.

[14] Le pouvoir de la Cour à cet égard émane de sa compétence plénière, qui lui confère les pouvoirs nécessaires à son bon fonctionnement et les pouvoirs nécessaires pour gérer ses propres instances : Dugré c. Canada (Procureur général), 2021 CAF 8 [Dugré], par. 20 à 22. Les appels qui sont manifestement voués à l’échec, mais qui demeurent néanmoins sur le rôle, « donnent lieu à un gaspillage de ressources judiciaires et entravent l’accès à la justice pour ceux qui exercent des recours méritoires » : Dugré, par. 22, renvoyant aux arrêts Hébert c. Wenham, 2020 CAF 186, par. 8, et Fabrikant c. Canada, 2018 CAF 224, par. 25.

B. L’appel est-il manifestement voué à l’échec?

[15] De façon générale, la décision de la Cour de l’impôt portée en appel a produit deux effets : le rejet de l’appel interjeté par l’appelant à l’encontre des cotisations et le refus d’accorder ou d’envisager toute autre réparation que l’appelant demandait à la Cour de l’impôt. J’examine tour à tour chacun de ces effets dans les paragraphes ci-dessous.

[16] Toutefois, il est important de garder à l’esprit ce que l’appelant doit établir pour avoir gain de cause dans le présent appel. Compte tenu de la norme de contrôle applicable – la norme de contrôle en appel –, l’appelant doit établir que la Cour de l’impôt a commis une erreur manifeste et dominante en tranchant une question de fait ou une question mixte de fait et de droit, ou que la Cour de l’impôt a commis une erreur de droit : Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33. Une erreur « manifeste » s’entend d’une erreur évidente, et une erreur « dominante » est une erreur qui touche directement à l’issue de l’affaire – en d’autres termes, qui influerait sur celle-ci : Benhaim c. St‐Germain, 2016 CSC 48, par. 38, citant Canada c. South Yukon Forest Corporation, 2012 CAF 165, par. 46.

[17] De plus, comme le fait valoir l’intimé, le paragraphe 27(1.3) de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7, restreint les motifs d’appel des jugements sous le régime de la procédure informelle de la Cour de l’impôt. Il faut qu’une conclusion de fait erronée ait été tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont la Cour de l’impôt disposait.

[18] Si je reconnais que, dans son avis d’appel, l’appelant dit se fonder sur les motifs autorisés par le paragraphe 27(1.3), je suis convaincue que l’appel n’a aucune chance d’être accueilli. La Cour de l’impôt n’a pas compétence pour accorder la majeure partie de la réparation demandée par l’appelant; il en va de même pour notre Cour. Ni dans son avis d’appel ni dans son dossier de requête l’appelant n’invoque de motif d’appel qui satisfait aux exigences du paragraphe 27(1.3), de sorte que l’appel aurait une chance d’être accueilli.

(1) La demande de l’appelant visant à obtenir une certaine réparation outrepassait la compétence de la Cour de l’impôt

[19] La plupart des erreurs que la Cour de l’impôt aurait commises selon l’appelant n’ont rien à voir avec le bien-fondé des cotisations ou la décision de la Cour de l’impôt de rejeter l’appel à l’encontre de ces cotisations. En fait, à quelques exceptions près (dont il sera question ci-dessous), les motifs d’appel invoqués par l’appelant se rapportent plutôt à des différends avec d’autres acteurs gouvernementaux ou autorités publiques ou parapubliques – une municipalité, un service de police, la Société d’évaluation foncière des municipalités et le contrôleur des armes à feu de l’Ontario –, ou à son opposition à des décisions d’autres tribunaux ou organismes de réglementation – la Cour de justice de l’Ontario, la Cour supérieure de justice de l’Ontario, la Cour divisionnaire de l’Ontario et le Barreau de l’Ontario.

[20] Comme il l’a fait devant la Cour de l’impôt, l’appelant demande une ordonnance exigeant que lui soit restituée la résidence saisie, des déclarations selon lesquelles les mesures prises par la municipalité sont nulles, et des déclarations selon lesquelles les dispositions de certaines lois ontariennes et fédérales sont incompatibles avec la Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.‐U.). Il affirme que la Cour de l’impôt a commis une erreur en ne prononçant pas cette ordonnance et ces déclarations lorsqu’il y a comparu pour son appel.

[21] La Cour de l’impôt et notre Cour n’ont pas compétence pour accorder cette réparation. La compétence de la Cour de l’impôt est définie dans la loi, en particulier à l’article 12 de la Loi sur la Cour canadienne de l’impôt, et elle est circonscrite : Bonnybrook Park Industrial Development Co. Ltd. c. Canada (Revenu national), 2018 CAF 136, par. 19.

[22] La Cour de l’impôt a compétence exclusive pour entendre les appels portés devant elle sur les questions découlant de l’application de lois dont la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. 1985, ch. 1 (5e suppl.), dans la mesure où la loi en cause le prévoit : Loi sur la Cour canadienne de l’impôt, par. 12(1).

[23] Lorsqu’elle tranche un appel à l’encontre d’une cotisation, la Cour de l’impôt ne peut qu’annuler la cotisation, la modifier ou la déférer au ministre pour nouvel examen et nouvelle cotisation : Loi de l’impôt sur le revenu, par. 171(1). Ni la Loi sur la Cour canadienne de l’impôt ni la Loi de l’impôt sur le revenu n’autorise la Cour de l’impôt à accorder la réparation que l’appelant reproche à la Cour de ne pas lui avoir accordée.

[24] Dans les appels de décisions de la Cour de l’impôt, les pouvoirs de notre Cour se limitent à rejeter l’appel, à renvoyer l’affaire à la Cour de l’impôt ou à rendre la décision que la Cour de l’impôt aurait dû rendre : Loi sur les Cours fédérales, al. 52c). Étant donné que la Cour de l’impôt ne pouvait pas accorder la réparation demandée par l’appelant lorsqu’elle a été saisie de la question, elle ne pourra pas plus le faire si notre Cour lui renvoyait l’affaire. Notre Cour ne peut pas non plus l’accorder en appel.

(2) Les allégations de l’appelant concernant la décision de la Cour de l’impôt sur l’appel à l’encontre des cotisations sont manifestement vouées à l’échec

[25] Je passe maintenant aux parties de l’avis d’appel de l’appelant qui allèguent que la Cour de l’impôt a commis des erreurs susceptibles de se rapporter aux cotisations dont elle était saisie. Ces allégations figurent aux paragraphes 7, 8, 9 et 10 de l’avis d’appel de l’appelant, mais elles sont également répétées et développées dans d’autres parties de l’avis.

[26] La première allégation veut que la Cour de l’impôt ait commis une erreur de droit en présumant que le revenu et le revenu imposable de l’appelant étaient identiques. La deuxième allégation veut que la Cour de l’impôt ait agi de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont elle disposait en affirmant que l’appelant était en mesure de produire une déclaration de revenus. Enfin, l’appelant soutient que la Cour de l’impôt a commis une erreur de droit en lui ordonnant de produire des déclarations de revenus sans ses documents fiscaux.

[27] Avant d’examiner ces erreurs alléguées, il pourrait être utile d’expliquer le rôle des hypothèses du ministre.

[28] Pour établir la cotisation du contribuable, le ministre pose certaines hypothèses. Les hypothèses sur lesquelles le ministre s’est fondé en établissant sa cotisation doivent être indiquées dans la réponse à l’avis d’appel de l’appelant devant la Cour de l’impôt : Règles de la Cour canadienne de l’impôt (procédure informelle), DORS/90-688b, al. 6(1)d). Pour avoir gain de cause devant la Cour de l’impôt, il incombe au contribuable de démolir ces hypothèses (Lacroix c. Canada, 2008 CAF 241, par. 18; Hickman Motors Ltd. c. Canada, [1997] 2 R.C.S. 336, par. 92 et 93), ou d’établir que, même si elles sont vraies, elles n’étayent pas la cotisation faisant l’objet de l’appel.

[29] Pour démolir les hypothèses, le contribuable doit convaincre la Cour de l’impôt, selon la prépondérance des probabilités, que les hypothèses sont erronées, habituellement en présentant des éléments de preuve utiles et crédibles à cet effet. Si la Cour de l’impôt n’est pas convaincue que les hypothèses de fait du ministre sont erronées, elle doit les considérer comme vraies : Pollock c. Canada (ministre du Revenu national), [1993] A.C.F. no 1055, par. 21.

[30] En l’espèce, en l’absence de déclarations de l’appelant, le ministre a posé des hypothèses concernant le montant des revenus que l’appelant avait gagnés sur la base de renseignements obtenus d’autres sources. Le ministre a également posé l’hypothèse que l’appelant n’avait pas produit de déclarations pour les années 2017, 2018 et 2019. Le ministre a établi les cotisations en se fondant sur ces revenus et imposé des pénalités pour production tardive.

[31] Dans ce contexte, je reviens aux trois erreurs qui, selon l’appelant, auraient été commises.

[32] Je ne peux pas convenir que la Cour de l’impôt a présumé que le revenu imposable et le revenu de l’appelant étaient identiques. (En l’espèce, je comprends des propos de l’appelant qu’il parle du « revenu net » et du « revenu brut », respectivement, parce que la seule déduction qu’il a mentionnée devant la Cour de l’impôt était l’amortissement – la déduction pour amortissement à des fins fiscales –, qui est une déduction dans le calcul du revenu, et non du revenu imposable.) L’hypothèse du ministre était plutôt que le revenu et le revenu net de l’appelant étaient identiques. En d’autres termes, le ministre a posé l’hypothèse que l’appelant touchait des revenus provenant de trois sources, pour les montants précisés. Le ministre a calculé l’impôt à payer de l’appelant en se fondant sur le fait que ces montants constituaient ses seuls revenus et qu’il n’avait aucune déduction pour amortissement.

[33] Devant la Cour de l’impôt, l’appelant a admis avoir touché les types de revenu déterminés par le ministre. Bien qu’il ne soit pas certain des montants, il n’a déposé aucun élément de preuve pour les contester. Même s’il a affirmé avoir droit à un amortissement, la Cour de l’impôt a qualifié de peu [traduction] « convaincants » les éléments de preuve à ce sujet. En d’autres termes, compte tenu de l’ensemble des éléments de preuve, la Cour de l’impôt n’a pas été convaincue, selon la prépondérance des probabilités, que les hypothèses du ministre concernant ses revenus ou les cotisations établies en se fondant sur ses revenus étaient erronées.

[34] Si l’appelant croyait que les montants des revenus étaient erronés, qu’il avait un solde lui donnant droit à une déduction pour amortissement ou que d’autres hypothèses de fait sur lesquelles les cotisations étaient fondées étaient erronées, il aurait dû présenter des éléments de preuve le démontrant devant la Cour de l’impôt. Un appel fondé sur cette première erreur alléguée n’a aucune chance d’être accueilli.

[35] Je me penche maintenant sur la deuxième erreur alléguée : la Cour de l’impôt aurait agi de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont elle disposait en concluant que l’appelant était en mesure de produire une déclaration de revenus. Je constate d’abord que l’appelant a admis ne pas avoir produit de déclarations de revenus pour les années 2017, 2018 et 2019, et que le ministre lui avait demandé de les produire.

[36] Comme il est indiqué ci-dessus, l’argument principal de l’appelant était qu’il n’avait pas accès à ses documents ou à ses renseignements parce que sa résidence avait été saisie illégalement par la municipalité, et qu’il ne pouvait donc pas remplir ses déclarations de revenus. Il a affirmé que ces actes l’ont privé de son droit de produire une déclaration de revenus.

[37] La Cour de l’impôt n’était pas d’accord.

[38] La transcription montre clairement que, lorsqu’on lui a demandé pourquoi il ne pouvait pas obtenir les renseignements nécessaires auprès d’autres sources (y compris son ou ses anciens comptables, les payeurs de ses revenus ou ses déclarations antérieures), l’appelant n’avait aucune réponse satisfaisante. Toutefois, même si la Cour de l’impôt avait prêté foi à toutes les allégations de l’appelant au sujet des autres acteurs, elle n’aurait pas pu accueillir l’appel et annuler les cotisations.

[39] Lorsqu’une cotisation d’impôt sur le revenu fait l’objet d’un appel devant la Cour de l’impôt, la seule question en litige devant la Cour de l’impôt est la validité de la cotisation en fonction des dispositions applicables de la Loi de l’impôt sur le revenu : Main Rehabilitation Co. c. Canada, 2004 CAF 403, par. 8; Ereiser c. Canada, 2013 CAF 20, par. 31. Il est « bien établi que la Cour canadienne de l’impôt n’a pas compétence pour annuler une cotisation établie sur la base d’une conduite fautive du ministre » (Robertson c. Canada, 2017 CAF 168, par. 59) ou tout autre représentant du gouvernement, et ce, même si cette conduite est avérée et qu’elle peut être considérée comme une « conduite fautive [...], tel un abus de pouvoir ou un manquement à l’équité » : Canada (Revenu national) c. JP Morgan Asset Management (Canada) Inc., 2013 CAF 250, par. 83, et la jurisprudence qui y est citée.

[40] Par conséquent, un appel fondé sur le défaut de la Cour de l’impôt de tenir compte des allégations de l’appelant concernant la saisie de sa résidence n’a aucune chance d’être accueilli.

[41] La troisième erreur alléguée est que la Cour de l’impôt aurait ordonné à l’appelant de produire des déclarations pour les années d’imposition 2020, 2021 et 2022. Bien que, dans ses motifs prononcés oralement, la Cour de l’impôt ait exhorté l’appelant à produire ces déclarations, elle ne lui a pas ordonné de le faire. L’intention de la Cour de l’impôt était de toute évidence d’avertir l’appelant que le défaut de produire ces déclarations pouvait entraîner l’imposition de pénalités pour défaut de produire une déclaration. Il est important de souligner que le jugement de la Cour de l’impôt n’ordonne pas à l’appelant de produire des déclarations de revenus; il ne fait que rejeter [traduction] « l’appel interjeté à l’encontre des cotisations établies en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu pour les années d’imposition 2017, 2018 et 2019 [...], sans dépens ». Un appel alléguant que la Cour de l’impôt a commis une erreur en rendant une ordonnance qu’elle n’a jamais rendue n’a aucune chance d’être accueilli.

C. Le jugement de la Cour de l’impôt portait-il sur les années d’imposition en cause?

[42] Je dois examiner un dernier point. L’avis d’appel de l’appelant déposé auprès de la Cour de l’impôt prétendait interjeter appel des cotisations de l’appelant pour les années d’imposition 2012 à 2023. Toutefois, le jugement de la Cour de l’impôt ne portait manifestement que sur les cotisations pour les années d’imposition 2017, 2018 et 2019. Bien que l’appelant allègue qu’il s’agissait d’une erreur, il ne peut interjeter appel de cotisations pour certaines années d’imposition devant la Cour de l’impôt simplement en les énumérant dans son avis d’appel.

[43] Une cotisation ne peut faire l’objet d’un appel devant la Cour de l’impôt qu’après qu’un avis d’opposition à cette cotisation a été signifié à l’Agence du revenu du Canada : Loi de l’impôt sur le revenu, par. 169(1). De plus, le délai pour présenter une opposition est limité : Loi de l’impôt sur le revenu, art. 165 et par. 166.1(1) et 166.2(1).

[44] J’ai lu attentivement la transcription de l’instance devant la Cour de l’impôt, l’avis d’appel déposé auprès de la Cour de l’impôt et la réponse du ministre à cet avis d’appel. Je suis convaincue que les seules cotisations dont était dûment saisie la Cour de l’impôt étaient les cotisations pour les années d’imposition 2017, 2018 et 2019. Évidemment, la Cour de l’impôt ne pouvait pas être saisie des cotisations de l’appelant pour les années 2022 et 2023, puisqu’il a déposé son avis d’appel le 6 avril 2023.

[45] Toutefois, même si la Cour de l’impôt avait été dûment saisie des cotisations pour les autres années d’imposition mentionnées dans son avis d’appel, le jugement de la Cour de l’impôt ne rejette que les appels à l’encontre des cotisations pour les années 2017, 2018 et 2019. Si la Cour de l’impôt avait été dûment saisie de ces cotisations, la décision faisant l’objet de l’appel ne suggère nullement que la Cour de l’impôt n’en est pas encore saisie.

[46] Par conséquent, un appel fondé sur le défaut de la Cour de l’impôt d’examiner les cotisations pour d’autres années d’imposition n’a aucune chance d’être accueilli.

III. Conclusion

[47] J’ai lu attentivement la transcription et l’avis d’appel déposé auprès de la Cour de l’impôt. Comme l’indique l’intimé, [traduction] « [u]ne interprétation holistique et pratique de l’avis d’appel révèle que l’appelant n’a pas contesté le bien-fondé de la cotisation en cause » : observations écrites de l’intimé, par. 10.

[48] La plainte de l’appelant devant la Cour de l’impôt mettait plutôt l’accent sur les actes d’autres personnes, à savoir sur son allégation selon laquelle il n’avait pas pu produire ses déclarations parce que sa résidence avait été saisie. Il demandait essentiellement à la Cour de l’impôt diverses ordonnances et déclarations que la Cour ne pouvait pas prononcer, et que notre Cour ne peut donc pas prononcer en appel.

[49] En conclusion, je suis convaincue que le présent appel n’a aucune chance d’être accueilli. Je suis également convaincue qu’aucune modification à l’avis d’appel ne mènerait à un résultat différent. Par conséquent, j’accueillerais la requête de l’intimé et je rejetterais l’appel, avec dépens.

« K.A. Siobhan Monaghan »

j.c.a.

« Je suis d’accord.

David Stratas, j.c.a. »

« Je suis d’accord.
Monica Biringer, j.c.a »

Traduction certifiée conforme

Sébastien D’Auteuil, jurilinguiste


 

COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :

A-313-23

 

INTITULÉ :

LORENCE HUD C. SA MAJESTÉ LE ROI

 

REQUÊTE JUGÉE SUR DOSSIER SANS COMPARUTION DES PARTIES

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :

LA JUGE MONAGHAN

 

DATE DES MOTIFS :

Le 26 avril 2024

 

OBSERVATIONS ÉCRITES :

Lorence Hud

Pour l’appelant

 

Jeremy Tiger

Michel Osvath-Langlais

Pour l’intimé

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Shalene Curtis-Micallef

Sous-procureure générale du Canada

Pour l’intimé

 

 

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