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Date : 20240425


Dossier : A-27-20

Référence : 2024 CAF 78

CORAM :

LE JUGE LEBLANC

LA JUGE ROUSSEL

LA JUGE GOYETTE

 

 

ENTRE :

 

 

LOUBNA LACHEBI

 

 

demanderesse

 

 

et

 

 

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

défendeur

 

Audience tenue à Montréal (Québec), le 24 avril 2024.

Jugement rendu à Montréal (Québec), le 25 avril 2024.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE LEBLANC

Y ONT SOUSCRIT :

LA JUGE ROUSSEL

LA JUGE GOYETTE

 


Date : 20240425


Dossier : A-27-20

Référence : 2024 CAF 78

CORAM :

LE JUGE LEBLANC

LA JUGE ROUSSEL

LA JUGE GOYETTE

 

 

ENTRE :

 

 

LOUBNA LACHEBI

 

 

demanderesse

 

 

et

 

 

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE LEBLANC

[1] La demanderesse, Mme Loubna Lachebi, a été à l’emploi des Caisses Desjardins (l’employeur), soit directement, soit par l’entremise d’une agence, de 2007 au 2 octobre 2018, date à laquelle elle a été congédiée pour manquement au code de déontologie de l’employeur et pour abus de confiance. Plus précisément, l’employeur lui reprochait d’avoir négligé de suivre la formation obligatoire et de s’être autorisée une procuration à son nom pour le compte d’un ami, client de Desjardins, sans en faire part à l’employeur.

[2] Suite à ce congédiement, Mme Lachebi a soumis une demande de prestations d’assurance-emploi aux termes de la Loi sur l’assurance-emploi, L.C. 1996, ch. 23 (la Loi). La Commission de l’assurance-emploi (la Commission) a refusé la demande de Mme Lachebi au motif qu’elle avait perdu son emploi en raison de sa propre inconduite au sens des articles 29 et 30 de la Loi. Insatisfaite de cette décision, Mme Lachebi s’est pourvue devant la Division générale du Tribunal de la sécurité sociale (la Division générale), laquelle a confirmé la décision de la Commission. Mme Lachebi en a appelé de cette décision e la Division d’appel du Tribunal de la sécurité sociale (la Division d’appel). Le 23 décembre 2019, la Division d’appel a rejeté l’appel de Mme Lachebi, estimant qu’il n’y avait pas matière à intervenir.

[3] C’est de cette décision dont se pourvoit Mme Lachebi en l’instance aux termes de l’alinéa 28(1)(g.1) de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, c. F-7. Elle soutient, pour l’essentiel, dans son mémoire, que la Division d’appel aurait dû intervenir puisqu’elle aurait fait la preuve devant la Division générale qu’elle n’avait jamais eu l’intention de contrevenir au code de déontologie de l’employeur, ne sachant pas, en fait, que les gestes qu’on lui reprochait pouvaient constituer une inconduite et encore moins que cela pouvait mener à son congédiement. Dit autrement, il n’y avait rien de délibéré dans sa conduite, un fait que tant la Division générale que la Division d’appel auraient ignoré ou auquel elles n’auraient pas donné suffisamment de poids.

[4] À l’audience, Mme Lachebi, qui se représente maintenant seule, est revenue sur les circonstances de son congédiement, mettant l’emphase sur le fait que l’employeur l’aurait faussement accusée de vol. Toutefois, comme je lui ai mentionné à l’audience, rien au dossier ne relie l’inconduite qui lui est reprochée aux fins des articles 29 et 30 de la Loi à ces allégations de vol si bien qu’elles n’ont aucune pertinence en l’espèce.

[5] Bien qu’on puisse éprouver de la sympathie pour Mme Lachebi eu égard aux conséquences qu’a eues pour elle ce congédiement, dont la justification n’est, du reste, pas en cause ici, sa demande de contrôle judiciaire ne peut réussir. Il est bien établi que la norme de contrôle applicable aux décisions de la Division d’appel est celle de la décision raisonnable (Balkanyi c. Canada (Procureur général), 2021 CAF 164 au para. 13; voir également Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov, 2019 CSC 65 (Vavilov)). Le rôle de cette Cour, en application de cette norme de contrôle, consiste à s’assurer que la décision de la Division d’appel repose sur un raisonnement rationnel et logique et qu’elle se situe, au niveau du résultat, à l’intérieur de la fourchette des issues possibles et acceptables au regard des faits de l’affaire et du droit applicable (Vavilov aux para. 84-86; Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 au para. 47). Il n’est pas, et c’est important de le rappeler, de reconsidérer la décision de la Division d’appel, réévaluer la preuve au dossier et substituer ses propres conclusions à celles de la Division d’appel (Vavilov au para. 83). En d’autres termes, la Cour n’est pas là pour juger l’affaire de nouveau.

[6] Je suis d’avis ici que la Division d’appel n’a commis aucune erreur pouvant justifier l’intervention de la Cour. D’une part, elle a bien identifié le rôle qui était le sien en appel de la décision de la Division générale. D’autre part, elle a rappelé, à juste titre, que la notion d’inconduite au sens des articles 29 et 30 de la Loi n’exigeait pas la preuve d’une intention coupable. Selon la Division d’appel, pour qu’il y ait une telle inconduite, le comportement reproché doit avoir été volontaire ou, du moins, doit avoir résulté « d’une telle insouciance ou négligence que l’on pourrait dire que l’employé a volontairement décidé de ne pas tenir compte des répercussions que ses actes auraient sur son rendement » (Décision de la Division d’appel au para. 15).

[7] Appliquant ce test aux faits de l’affaire, la Division d’appel a, au paragraphe 18 de sa décision, conclu ce qui suit :

La preuve non contredite devant la division générale démontre que [Mme Lachebi] devait suivre une formation obligatoire depuis le mois de janvier 2018, ce qu’elle n’a pas fait avant le mois d’avril 2018. Suite à sa formation, [Mme Lachebi] a constaté qu’elle ne pouvait pas déposer une procuration personnelle dans un compte client. Elle a donc procédé à la retirer. Elle n’a jamais avisé son employeur du retrait de la procuration car elle craignait la réaction de l’employeur. [Mme Lachebi] avait l’habitude d’agir de façon transparente lorsqu’elle effectuait des transactions personnelles.

[8] Cette omission de Mme Lachebi de suivre ses formations obligatoires, en plus de constituer en soi une faute, selon la Division d’appel, en a entrainé une autre, soit celle de « s’octroy[er] une procuration dans le compte d’un ami client alors que cela est interdit par l’employeur » (Décision de la Division d’appel au para. 22).

[9] L’approche suivie par la Division d’appel me parait conforme aux enseignements de cette Cour suivant lesquels il y a inconduite au sens des articles 29 et 30 de la Loi « lorsque le prestataire savait ou aurait dû savoir que sa conduite était de nature à entraver l’exécution de ses obligations envers son employeur et que, de ce fait, il était réellement possible qu’il soit congédié » (Mishibinijima c. Canada (Procureur général), 2007 CAF 36 au para. 14) [Mon soulignement]. À la lumière de la preuve qu’elle avait devant elle, il lui était dès lors loisible, à mon sens, de conclure comme elle l’a fait.

[10] Mme Lachebi aurait bien évidemment souhaité un résultat différent, mais là n’est pas le test à satisfaire pour faire droit à sa demande de contrôle judiciaire. En d’autres termes, elle devait nous convaincre que la décision de la Division d’appel est déraisonnable, ce qu’elle n’a pas réussi à faire. Au contraire, ladite décision possède, selon moi, les attributs de la raisonnabilité dans la mesure où on peut en dire qu’elle est rationnelle, logique et supportée tant par le droit que par la preuve. Je réitère que notre rôle n’est pas de nous demander ce que nous aurions décidé si nous avions été à la place de la Division d’appel. Notre rôle se limite à nous pencher sur la raisonnabilité de la décision de cette dernière, un exercice qui suppose qu’il puisse y avoir plus qu’une issue possible et acceptable au regard des faits et du droit.

[11] Je propose donc de rejeter la présente demande de contrôle judiciaire. Comme le défendeur ne les réclame pas, je le ferais sans dépens.

[12] Enfin, pour la bonne forme, le Procureur général du Canada, tel que le souligne avec raison le défendeur, aurait dû être désigné comme défendeur en l’instance au lieu et place du Tribunal de la sécurité sociale. Je propose donc que ce changement soit fait et qu’il soit reflété dans l’intitulé des présents motifs et dans celui du jugement.

« René LeBlanc »

j.c.a.

« Je suis d’accord.

Sylvie E. Roussel j.c.a. »

« Je suis d’accord.

Nathalie Goyette j.c.a. »


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

A-27-20

 

INTITULÉ :

LOUBNA LACHEBI c. PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 24 avril 2024

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE LEBLANC

 

 

Y ONT SOUSCRIT :

LA JUGE ROUSSEL

LA JUGE GOYETTE

 

 

DATE DES MOTIFS :

LE 25 avril 2024

 

 

COMPARUTIONS :

Loubna Lachebi

 

Pour la demanderesse

(Se représentant elle-même)

 

Dani Grandmaître

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Shalene Curtis-Micallef

Sous-procureure générale du Canada

 

Pour le défendeur

 

 

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