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Date : 20240503


Dossier : A-109-24

Référence : 2024 CAF 88

[TRADUCTION FRANÇAISE]

En présence de monsieur le juge Locke

ENTRE :

SALT RIVER FIRST NATION #195

appelante

(intimée dans l’appel incident)

et

CECILIA (TONI) JOSEPHINE HERON

intimée

(appelante dans l’appel incident)

Requête jugée sur dossier sans comparution des parties.

Ordonnance rendue à Ottawa (Ontario), le 3 mai 2024.

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :

LE JUGE LOCKE

 


Date : 20240503


Dossier : A-109-24

Référence : 2024 CAF 88

En présence de monsieur le juge Locke

ENTRE :

SALT RIVER FIRST NATION #195

appelante

(intimée dans l’appel incident)

et

CECILIA (TONI) JOSEPHINE HERON

intimée

(appelante dans l’appel incident)

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

LE JUGE LOCKE

[1] L’appelante, la Salt River First Nation #195 (la SRFN), demande une ordonnance en suspension de la décision de la Cour fédérale qui fait l’objet de l’appel interjeté dans la présente affaire. Elle demande également une injonction interlocutoire interdisant certaines déclarations publiques en ce qui concerne les questions en litige dans la présente affaire.

[2] Le présent appel est l’un des deux appels qui ont été interjetés à l’égard d’une décision de la Cour fédérale (2024 CF 413, le juge Paul Favel) qui a tranché deux demandes de contrôle judiciaire.

[3] L’une de ces demandes a été présentée par la SRFN (dossier no T-2191-22 de la Cour fédérale) à l’égard d’une décision, datée du 18 octobre 2022, dans laquelle l’intimée, Cecilia (Toni) Josephine Heron, qui agissait en sa qualité de cheffe de la SRFN, a convoqué une assemblée extraordinaire afin de démettre de leurs fonctions deux conseillers de la SRFN. Au terme de cette assemblée extraordinaire, qui a eu lieu le 23 octobre 2022, les deux conseillers en question ont été démis de leurs fonctions. La Cour fédérale a rejeté la demande de la SRFN et celle-ci a déposé le présent appel (dossier no A-109-24 de notre Cour) à l’égard de cette décision.

[4] L’autre demande (dossier no T-2206-22 de la Cour fédérale) tranchée dans la décision de la Cour fédérale visait à obtenir que deux demandes présentées par Mme Heron soient examinées ensemble (l’autre demande étant le dossier no T-97-23 de la Cour fédérale). Dans ces demandes, Mme Heron contestait une série de décisions dans lesquelles la SRFN la suspendait à répétition en sa qualité de cheffe, (à partir du 13 octobre 2022 jusqu’au 12 décembre 2022 et même après cette date), et ce, sans solde. La Cour fédérale a accueilli cette demande et ordonné que soit versé à Mme Heron le salaire qu’elle n’avait pas reçu en raison des suspensions. Cet aspect de la décision de la Cour fédérale fait l’objet du dossier no A-107-24 de notre Cour.

[5] Les parties ont convenu que (i) l’alinéa 50(1)b) de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7, accorde à notre Cour le pouvoir de suspendre les procédures dans toute affaire « lorsque […] l’intérêt de la justice l’exige », et que (ii) l’alinéa 398(1)b) des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, prévoit que « [s]ur requête d’une personne contre laquelle une ordonnance a été rendue, […] b) dans le cas où un avis d’appel a été délivré, seul un juge de la Cour saisie de l’appel peut surseoir à l’ordonnance ».

[6] Les parties conviennent également que le critère juridique qu’il convient d’appliquer à la requête de la SRFN (tant en ce qui concerne le sursis que l’injonction sollicités) est celui qui a été établi dans l’arrêt RJR-MacDonald Inc. c. Canada (Procureur général), [1994] 1 R.C.S. 311, 111 D.L.R. (4th) 385 (arrêt RJR-MacDonald). La partie requérante doit établir (i) l’existence d’une question sérieuse à juger, (ii) qu’elle subira un préjudice irréparable en cas de refus du sursis (ou de l’injonction), et (iii) que la prépondérance des inconvénients favorise l’octroi du sursis.

[7] En général, le critère applicable pour établir l’existence d’une question sérieuse à juger n’est pas exigeant. La Cour doit être convaincue que l’appel n’est pas futile ou vexatoire : arrêt RJR‑MacDonald, à la p. 348.

[8] En ce qui concerne la question du préjudice irréparable, la partie requérante doit produire des éléments de preuve clairs, convaincants et non conjecturaux établissant, selon la prépondérance des probabilités, qu’elle subira « un préjudice qui ne peut être quantifié du point de vue monétaire ou un préjudice auquel il ne peut être remédié » : arrêt RJR-MacDonald, à la p. 341; Sheldon M. Chumir Foundation for Ethics in Leadership v. Canada (National Revenue), 2023 FCA 242, aux para. 6 à 8.

[9] La question de la prépondérance des probabilités consiste « à déterminer laquelle des deux parties subira le plus grand préjudice selon que l’on accorde ou refuse une injonction interlocutoire en attendant une décision sur le fond » : arrêt RJR-MacDonald, à la p. 342.

[10] Ayant pris en considération les observations de la SRFN, les observations que Mme Heron a présentées en réponse et celles que la SRFN a présentées en réplique, j’ai conclu qu’il convient de rejeter la requête de la SRFN.

[11] Je n’ai pas à trancher les questions de (i) savoir si la SRFN a établi l’existence d’une question sérieuse à juger dans le présent appel ou de (ii) savoir si la prépondérance des inconvénients joue en faveur de cette dernière, car j’ai déjà conclu qu’elle n’avait pas établi qu’elle subirait un préjudice irréparable si le sursis (ou l’injonction) ne lui étaient pas accordés.

[12] Les arguments que la SRFN fait valoir concernant le préjudice irréparable se rapportent à ce qui suit :

  1. Sa réputation;

  2. Le financement dont elle a absolument besoin;

  3. Ses membres;

  4. Le manque de ressources financières de Mme Heron.

[13] J’examinerai successivement de chacun de ces arguments.

[14] En ce qui concerne sa réputation, la SRFN fait référence aux [TRADUCTION] « bouleversements politiques qui ont été source de tensions et de confusion au sein de la SRFN en 2009-2011, au cours desquels la SRFN a subi un préjudice irréparable sur les plans de sa réputation et de sa capacité de mener ses affaires quotidiennes ». La SRFN fait valoir que [TRADUCTION] « les membres du personnel étaient incapables de faire leur travail ou avaient abandonné leur travail en raison des tensions et de l’incertitude sur le plan politique, et que la même chose est en train de se produire à nouveau à la SRFN ». Elle avance également qu’il lui a fallu des années pour refaire sa réputation.

[15] Tout d’abord, ayant à l’esprit que les éléments de preuve établissant le préjudice irréparable doivent être clairs, convaincants et non conjecturaux, je ne suis pas convaincu que de quelconques éléments de preuve admissibles (c.-à-d. autres que du ouï-dire) et convaincants étayent l’argument selon lequel les effets préjudiciables de bouleversements politiques se produisent à nouveau au sein de la SRFN. Bien que les éléments menant à de tels effets soient peut-être en place et que de tels effets soient susceptibles de se produire, j’estime qu’il s’agit d’un argument conjectural qui n’est pas convaincant. Je fais également remarquer que la SRFN elle-même reconnaît qu’elle a pu refaire sa réputation avec le temps. Par conséquent, il n’est pas clair, selon moi, que de quelconques dommages de la nature de ceux que la SRFN invoque soient irréparables.

[16] En outre, je ne suis pas convaincu que le sursis ou l’injonction interlocutoire que la SRFN demande auraient pour effet d’éviter les dommages à sa réputation que la SRFN invoque. À mon avis, les bouleversements politiques susceptibles de ternir la réputation de la SRFN subsisteraient même si la requête était accueillie.

[17] Pour ce qui est de l’argument de la SRFN selon lequel le financement dont elle a absolument besoin serait menacé dans le cas où la requête n’était pas accueillie, j’estime qu’il est conjectural et qu’en conséquence, il est insuffisant. La SRFN fait référence aux perturbations et à l’instabilité qui pourraient diminuer ses chances d’obtenir un financement important lui permettant de poursuivre un projet d’habitation. Elle soutient également qu’elle subira un préjudice irréparable si les négociations sont interrompues ou retardées. Compte tenu de telles éventualités, je ne suis pas convaincu, selon la prépondérance des probabilités, que la SRFN subira un préjudice irréparable.

[18] En ce qui concerne le troisième argument que la SRFN avance pour établir qu’elle subira un préjudice irréparable, soit celui qui se rapporte à ses membres, il ne s’agit pas d’un argument distinct. En effet, cet argument fait plutôt allusion aux effets irréparables des préjudices que subiraient les membres de la SRFN si le statu quo qui précédait la décision de la Cour fédérale n’était pas rétabli. Or, je ne suis pas convaincu que l’un ou l’autre des préjudices allégués se matérialisera en cas de rejet de la requête de la SRFN. De la même façon, je ne suis pas convaincu que cela causera un préjudice irréparable à ses membres.

[19] Concernant l’argument selon lequel Mme Heron manque de ressources financières, je fais remarquer que la preuve mentionnée par la SRFN n’est qu’une déclaration non étayée selon laquelle, si le salaire que Mme Heron demande lui était versé et que l’appel concernant ses suspensions était accueilli, la SRFN ne pourrait jamais recouvrer la somme en question. Or, aucun élément de preuve n’établit la situation financière de Mme Heron ou sa capacité de rembourser toute somme qui lui serait versée. Comme je l’ai déjà dit, c’est à la SRFN qu’il incombe de produire des éléments de preuve clairs, convaincants et non conjecturaux pour étayer les arguments qu’elle fait valoir. La SRFN ne s’est pas acquittée de ce fardeau en ce qui concerne ses arguments quant au manque de ressources de Mme Heron.

[20] La SRFN a également présenté des observations dans lesquelles elle dit se soucier de la sécurité des membres de son personnel administratif. Cependant, la preuve mentionnée par la SRFN à cet égard est exclusivement du ouï-dire et elle ne semble pas être visée par l’une ou l’autre des exceptions quant à l’inadmissibilité de la preuve par ouï-dire. Je n’accorde donc aucun poids à cette preuve.

[21] Il s’ensuit que, pour les motifs qui précèdent, je ne suis pas convaincu que la SRFN subira un préjudice irréparable si elle n’obtient pas le sursis et l’injonction interlocutoire qu’elle sollicite et que, par conséquent, il convient de rejeter la requête. Les dépens relatifs à la présente requête suivront l’issue de la cause.

« George R. Locke »

j.c.a.

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

A-109-24

 

INTITULÉ :

SALT RIVER FIRST NATION # 195 c. CECILIA (TONI) JOSEPHINE HERON

 

REQUÊTE JUGÉE SUR DOSSIER SANS COMPARUTION DES PARTIES

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :

LE JUGE LOCKE

 

DATE DES MOTIFS :

LE 3 MAI 2024

 

OBSERVATIONS ÉCRITES :

David C. Rolf, c.r.

K. Colleen Verville, c.r.

POUR L’APPELANTE

(L’INTIMÉE DANS L’APPEL INCIDENT)

 

Glenn K. Epp

Inez Agovic

 

POUR L’INTIMÉE

(L’APPELANTE DANS L’APPEL INCIDENT)

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

MLT Aikins LLP

Edmonton (Alberta)

 

POUR L’APPELANTE

(L’INTIMÉE DANS L’APPEL INCIDENT)

 

Thompson, Laboucan & Epp LLP

Edmonton (Alberta)

 

POUR L’INTIMÉE

(L’APPELANTE DANS L’APPEL INCIDENT)

 

 

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