Décisions de la Cour d'appel fédérale

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Date : 20240502


Dossier : A-121-24

Référence : 2024 CAF 84

[TRADUCTION FRANÇAISE]

En présence de monsieur le juge Locke

ENTRE :

LA COMPAGNIE DES CHEMINS DE FER NATIONAUX DU CANADA

appelante

et

LA MUNICIPALITÉ RÉGIONALE DE HALTON,

LA CORPORATION DE LA VILLE DE MILTON,

LA CORPORATION DE LA VILLE DE HALTON HILLS,

LA CORPORATION DE LA VILLE DE BURLINGTON,

LA CORPORATION DE LA VILLE D’OAKVILLE

et L’OFFICE DE PROTECTION DE LA NATURE DE LA RÉGION DE HALTON

et

CANADA (MINISTRE DE L’ENVIRONNEMENT)

et LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

intimés

Requête jugée sur dossier sans comparution des parties.

Ordonnance rendue à Ottawa (Ontario), le 2 mai 2024.

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :

LE JUGE LOCKE

 


Date : 20240502


Dossier : A-121-24

Référence : 2024 CAF 84

En présence de monsieur le juge Locke

ENTRE :

LA COMPAGNIE DES CHEMINS DE FER NATIONAUX DU CANADA

appelante

et

LA MUNICIPALITÉ RÉGIONALE DE HALTON,

LA CORPORATION DE LA VILLE DE MILTON,

LA CORPORATION DE LA VILLE DE HALTON HILLS,

LA CORPORATION DE LA VILLE DE BURLINGTON,

LA CORPORATION DE LA VILLE D’OAKVILLE

L’OFFICE DE PROTECTION DE LA NATURE DE LA RÉGION DE HALTON

et

CANADA (MINISTRE DE L’ENVIRONNEMENT)

et LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

intimés

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

LE JUGE LOCKE

I. Aperçu

[1] La présente décision porte sur une requête de l’appelante, la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada (le CN), visant à obtenir une ordonnance en sursis de la décision de la Cour fédérale qui fait l’objet du présent appel jusqu’à ce que notre Cour rende son jugement final relativement à ce dernier.

[2] Les intimés le Canada (ministre de l’Environnement) et le Procureur général du Canada consentent à la requête du CN.

[3] Les intimées la municipalité régionale de Halton, la corporation de la ville de Milton, la corporation de la ville de Halton Hills, la corporation de la ville de Burlington, la corporation de la ville d’Oakville et l’Office de protection de la nature de la région de Halton (les intimés de la région de Halton) s’opposent à la requête. Fait important à noter, le dossier de réponse à la requête qu’ils ont déposé contient un affidavit du DRakesh Singh qui traite des émissions provenant de véhicules à moteur qui résulteraient de l’octroi du sursis.

[4] Le CN a déjà déposé un dossier en réplique qui contient, outre ses observations écrites, un affidavit de Allan Prits qui répond à l’affidavit du Dr Singh. Ce dossier est accompagné d’une lettre dans laquelle le CN reconnaît ne pas avoir le droit de présenter de contre-preuve et sollicite l’autorisation de la Cour à cet égard. Les intimés de la région de Halton s’opposent à cette demande d’autorisation, qui suscite une question distincte dont je traiterai avant de me pencher sur le bien-fondé de la requête en sursis.

II. Contexte

[5] En 2021, à la fin d’un processus d’approbation qui a duré six ans, le CN a débuté la construction d’un vaste terminus sur un terrain qu’il possède à Milton, en Ontario, en vue de faciliter le transfert de conteneurs de taille normale (intermodale) entre ses wagons et des camions (le projet).

[6] Les intimés de la région de Halton ont présenté une demande de contrôle judiciaire à l’égard de trois décisions qui ont mené à l’approbation du projet. Le 1er mars 2024, la Cour fédérale (2024 CF 348, le juge Henry S. Brown) a accueilli la demande à l’égard de deux des trois décisions, les annulant et renvoyant l’affaire pour nouvelle décision. La décision de la Cour fédérale a eu pour effet de suspendre les travaux de construction du projet par le CN.

[7] Le CN a depuis interjeté appel à l’égard de la décision de la Cour fédérale et présenté la présente requête en sursis.

III. Le critère juridique applicable en matière de sursis en attendant l’issue de l’appel

[8] L’alinéa 50(1)b) de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7, accorde à notre Cour le pouvoir d’accorder une suspension des procédures lorsque « l’intérêt de la justice l’exige ». Par ailleurs, l’alinéa 398(1)b) des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 (les Règles) prévoit que « [s]ur requête d’une personne contre laquelle une ordonnance a été rendue […] b) dans le cas où un avis d’appel a été délivré, seul un juge de la Cour saisie de l’appel peut surseoir à l’ordonnance ».

[9] Les parties s’entendent sur le fait que le critère juridique qu’il convient d’appliquer à la requête en sursis du CN est celui qui a été élaboré dans l’arrêt RJR-MacDonald Inc. c. Canada (Procureur général), [1994] 1 R.C.S. 311, 111 D.L.R. (4th) 385 (arrêt RJR-MacDonald). La partie requérante doit établir (i) l’existence d’une question sérieuse à juger, (ii) qu’elle subira un préjudice irréparable en cas de refus du sursis, et (iii) que la prépondérance des inconvénients est favorable à l’octroi du sursis.

[10] Le seuil à atteindre pour établir l’existence d’une question sérieuse à juger est généralement peu exigeant. La Cour doit être convaincue que l’appel n’est pas futile ou vexatoire : arrêt RJR-MacDonald, à la p. 348.

[11] En ce qui concerne le préjudice irréparable, la partie requérante doit présenter des éléments de preuve clairs et non conjecturaux établissant, selon la prépondérance des probabilités, qu’elle subira « un préjudice qui ne peut être quantifié du point de vue monétaire ou un préjudice auquel il ne peut être remédié » : arrêt RJR-MacDonald, à la p. 341; Sheldon M. Chumir Foundation for Ethics in Leadership v. Canada (National Revenue), 2023 FCA 242, aux para. 6 à 8. Dans l’arrêt RJR-MacDonald, la Cour suprême du Canada a ajouté les commentaires suivants à la page 346 au sujet de l’atteinte à l’intérêt public :

Dans le cas d’un organisme public, le fardeau d’établir le préjudice irréparable à l’intérêt public est moins exigeant que pour un particulier en raison, en partie, de la nature même de l’organisme public et, en partie, de l’action qu’on veut faire interdire. On pourra presque toujours satisfaire au critère en établissant simplement que l’organisme a le devoir de favoriser ou de protéger l’intérêt public et en indiquant que c’est dans cette sphère de responsabilité que se situent le texte législatif, le règlement ou l’activité contestés. Si l’on a satisfait à ces exigences minimales, le tribunal devrait, dans la plupart des cas, supposer que l’interdiction de l’action causera un préjudice irréparable à l’intérêt public.

[12] Pour ce qui est du critère de la prépondérance des inconvénients, il s’agit de « déterminer laquelle des deux parties subira le plus grand préjudice selon que l’on accorde ou refuse une injonction interlocutoire en attendant une décision sur le fond » : arrêt RJR-MacDonald, à la p. 342.

IV. La contre-preuve par affidavit

[13] Comme j’y ai déjà fait allusion, je ne peux me pencher sur la réplique du CN avant d’avoir tranché la question litigieuse que suscite son contenu.

[14] Les parties conviennent que l’arrêt Amgen Canada Inc. c. Apotex Inc., 2016 CAF 121, 266 A.C.W.S. (3d) 12, est pertinent en ce qui concerne la question de la contre-preuve qui peut être présentée relativement à une requête. Les Règles ne contiennent aucune disposition quant au dépôt d’une contre-preuve relativement à une requête. Cela dit, les cours fédérales ont le pouvoir discrétionnaire d’admettre une telle preuve en raison de ce qui suit :

  1. L’article 55 des Règles permet de modifier une règle dans des circonstances spéciales;

  2. L’article 3 dispose que les Règles sont interprétées et appliquées de façon à permettre une solution au litige qui soit juste et la plus expéditive et économique possible;

  3. L’article 4, appelé souvent la règle des lacunes, permet de déterminer la procédure applicable par analogie avec d’autres règles en cas de silence des Règles (l’article 312, qui permet de déposer des affidavits complémentaires dans le contexte d’une demande, peut être une source d’inspiration);

  4. Le pouvoir inhérent des cours fédérales de fixer leurs règles de procédure.

[15] Le CN reconnaît qu’il doit établir l’existence de circonstances inhabituelles afin de pouvoir présenter une contre-preuve. Les considérations pertinentes à cet égard sont l’équité procédurale et l’obligation de rendre une décision convenable.

[16] Le CN fait valoir que la Cour doit prendre en considération sa contre-preuve, l’affidavit de M. Prits, car en affirmant dans son affidavit que la poursuite des travaux de construction du projet susciterait des risques importants sur le plan de la sécurité, le Dr Singh se fonde sur une modélisation désuète et des fausses données quant à l’effet des émissions sur la santé humaine. Le CN avance également qu’il ne pouvait pas avoir raisonnablement anticipé que les intimés de la région de Halton présenteraient des éléments de preuve au sujet de telles préoccupations.

[17] Les intimés de la région de Halton affirment en réponse que le CN n’a pas établi l’existence de circonstances inhabituelles. Ils font valoir que le CN ne peut établir que l’affidavit du Dr Singh (qui traite des conséquences néfastes de la reprise des travaux de construction du projet) soulève de nouvelles questions, car l’objet de la requête du CN est la reprise des travaux de construction.

[18] Je suis d’accord avec les intimés de la région de Halton. Il est vrai que le CN n’était peut-être pas en mesure d’anticiper la nature exacte de la preuve que les intimés de la région de Halton présenteraient en réponse à sa requête en sursis, mais il aurait dû s’attendre à ce que ces derniers présentent une preuve quelconque au sujet de l’effet sur l’environnement de la reprise des travaux de construction du projet, notamment les émissions en découlant. Or, le CN a choisi de ne pas présenter de preuve principale à cet égard; il a plutôt décidé de se fonder sur l’argument selon lequel, pendant toute la durée de la procédure en contrôle judiciaire devant la Cour fédérale, les intimés de la région de Halton ont agi d’une manière qui laissait entendre qu’ils n’estimaient pas que les émissions découlant des travaux de construction soulevaient une question importante. En outre, en ce qui concerne l’argument du CN selon lequel le Dr Singh s’était fondé sur des renseignements périmés, ils peuvent faire valoir leur point de vue sur cette question à l’étape des plaidoiries; ils n’ont pas à renvoyer à de la contre-preuve.

[19] Je rendrai une ordonnance en vertu de laquelle le CN pourra présenter des observations écrites en réplique (conjointement avec le recueil de jurisprudence et de doctrine et la preuve de signification), mais j’exclurai l’affidavit de M. Prits. Heureusement, les observations écrites que le CN a présentées en réplique indiquent clairement la partie de celles-ci qui se rapporte à cet affidavit. Par conséquent, il n’est pas nécessaire de demander au CN de présenter en réplique des observations écrites modifiées. J’examinerai ces observations en faisant abstraction de leur paragraphe 36.

V. Analyse

A. Question sérieuse

[20] Étant donné que la présente instance se rapporte à l’appel d’une décision relative à une demande de contrôle judiciaire, la norme de contrôle que notre Cour doit appliquer est celle décrite dans l’arrêt Agraira c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, [2013] 2 R.C.S. 559, au para. 45. La Cour doit donc déterminer (i) si la Cour fédérale a choisi la ou les normes de contrôle qu’il convenait d’appliquer aux décisions contestées, et (ii) si la Cour fédérale a correctement appliqué la ou les normes en question. La Cour devra donc se mettre à la place de la Cour fédérale et axer son intervention sur les décisions administratives en cause.

[21] La Cour fédérale a choisi la norme de contrôle de la décision raisonnable et conclu que les deux décisions en cause dans le présent appel étaient déraisonnables. À moins que l’une des parties s’oppose à l’application de la norme de la décision raisonnable, il incombera à la Cour de déterminer si ces décisions étaient en effet déraisonnables.

[22] Vu le fardeau peu exigeant à remplir pour établir l’existence d’une question sérieuse et compte tenu des questions soulevées dans l’avis d’appel et du fait que la Cour doit faire preuve de retenue en appliquant la norme de la décision raisonnable, je suis convaincu que le CN a satisfait à cette partie du critère applicable en matière de sursis.

B. Préjudice irréparable

[23] Le CN soutient qu’il subira un préjudice irréparable si sa demande de sursis n’est pas accueillie. Il fait également valoir que l’intérêt public subira également un préjudice irréparable.

[24] Le CN fait valoir qu’il devra verser des sommes qu’il ne pourra pas récupérer pour faire ce qui suit : (i) préparer la fermeture du chantier, (ii) surveiller le chantier durant sa fermeture, (iii) protéger le chantier sur le plan environnemental durant ce temps, et (iv) dans le cas où l’appel est accueilli, préparer la reprise des travaux. Le CN avance également qu’il subira des pertes irrécupérables en raison du retard dans les travaux.

[25] S’agissant de l’intérêt public, la CN mentionne le préjudice irréparable que causera le retard dans les travaux de finalisation du projet tel qu’approuvé par les autorités publiques dans les décisions contestées.

[26] Les intimés de la région de Halton contestent la qualité des éléments de preuve présentés par le CN au sujet du préjudice irréparable sur le plan financier qu’il subira si sa demande de sursis ne lui est pas accordée. Peu importe la qualité de ces éléments de preuve, je peux difficilement imaginer que le CN ne subira pas un quelconque préjudice irréparable. Bien qu’il soit raisonnable de prendre soigneusement en considération les sommes en jeu alléguées par le CN, il me semble clair que ce dernier devra verser des sommes au titre de chaque catégorie mentionnée au paragraphe 24 et qu’il ne pourra pas récupérer celles-ci.

[27] Les intimés de la région de Halton font valoir que le CN a poursuivi ses travaux jusqu’à présent malgré le dépôt de la demande de contrôle judiciaire et qu’en conséquence, il était responsable des sommes qu’il avait versées à ce titre. Les intimés de la région de Halton soutiennent que le CN aurait pu éviter de verser ces sommes et que celles-ci n’étaient donc pas irrécupérables.

[28] J’hésiter à critiquer le CN pour avoir lancé les travaux de construction du projet malgré les procédures judiciaires en cours, car il avait obtenu les approbations gouvernementales nécessaires au terme de six années d’efforts à cet égard. Il a certes pris le risque que la demande en contrôle judiciaire soit accueillie, mais cela n’empêche pas le fait qu’il subisse un préjudice irréparable si sa demande de sursis n’est pas accueillie, même s’il a gain de cause en appel.

C. Prépondérance des inconvénients

[29] Les intimés de la région de Halton soutiennent que la prépondérance des inconvénients est défavorable à l’octroi d’un sursis. Ils avancent notamment ce qui suit :

  1. Le CN n’a pas traité des émissions qui résulteraient de la poursuite des travaux de construction du projet dans les documents qu’il a déposés relativement à la requête, et de telles émissions seraient considérables;

  2. La demande à laquelle les installations intermodales supplémentaires que le projet offrirait sont appelées à répondre est plus faible que ce que prétend le CN;

  3. Le CN est une grande société qui agit dans son propre intérêt et le maintien de la suspension des travaux en attendant l’issue de son appel aurait un effet négligeable et strictement financier sur ses affaires;

  4. L’argument du CN selon lequel il est dans l’intérêt public d’accueillir sa demande de sursis est conjectural et non étayé.

(1) Émissions résultant des travaux

[30] Comme je l’ai déjà indiqué, en ce qui concerne les émissions résultant de la poursuite des travaux de construction du projet, les intimés de la région de Halton se sont fondés sur le témoignage du DSingh, qui a analysé les effets de telles émissions en se fondant sur l’étude d’impact environnemental de 2015 que le CN a soumis à la commission d’examen d’évaluation environnementale (la commission), dont le mandat était d’examiner le bien-fondé du projet.

[31] Dans les observations écrites qu’il a présentées en réplique, le CN fait remarquer que les données mentionnées dans l’étude d’impact environnemental de 2015 étaient périmées et que la commission s’est plutôt fondée sur des données et une modélisation à jour. La commission et l’énoncé de décision qui a suivi imposaient également des mesures d’atténuation en matière de qualité de l’air qui n’étaient pas mentionnées dans l’étude de 2015. Par ailleurs, le CN ajoute que les intimés de la région de Halton savent que les données mentionnées dans l’étude de 2015 sont périmées. En outre, le CN conteste le fait que le Dr Singh a mis l’accent sur l’ensemble des émissions sans fournir de renseignements sur la façon dont elles se disperseraient dans l’atmosphère. Or, de tels renseignements seraient utiles afin d’apprécier le niveau d’exposition des humains aux émissions.

[32] Les intimés de la région de Halton soutiennent que l’omission du CN de traiter des émissions qui résultent des travaux de construction du projet est [TRADUCTION] « hautement incongrue ». Pour ma part, je ne trouve pas que cette omission est incongrue. Comme je l’ai mentionné au paragraphe 18, le CN explique pourquoi il n’a pas traité de cette catégorie d’émissions, faisant valoir que le comportement des intimés de la région de Halton après le début de la procédure en contrôle judiciaire laissait entendre qu’ils se préoccupaient relativement peu des émissions résultant des travaux. En fait, le CN demande à notre Cour de déduire ce manque de préoccupation du fait de l’omission des intimés de la région de Halton de chercher à obtenir la suspension des travaux de construction du projet au cours de la période de trois ans qui s’est écoulée entre le moment où la demande en contrôle judiciaire a été présentée devant la Cour fédérale et celui où cette dernière a rendu sa décision à cet égard.

[33] Je suis d’accord avec le CN que le témoignage du Dr Singh est principalement fondé sur les données mentionnées dans l’étude d’impact environnemental de 2015 et que ces données semblent périmées. Je reconnais que la reprise des travaux de construction du projet entraînera une augmentation des émissions si la demande de sursis est accueillie, mais je ne dispose pas d’éléments de preuve fiables quant à l’importance des effets dommageables de telles émissions. Je suis disposé à conclure que les émissions résultant des travaux n’étaient pas la priorité des intimés de la région de Halton lors du déroulement de la procédure en contrôle judiciaire devant la Cour fédérale. En effet, ils n’ont pas cherché à suspendre les travaux en attendant l’issue de la demande de contrôle judiciaire et ils n’ont pas non plus cherché à accélérer la procédure.

(2) Demande à laquelle les installations intermodales doivent répondre

[34] Je traiterai maintenant de l’argument des intimés de la région de Halton selon lequel la demande à laquelle un tel projet doit répondre est plus faible que ce que prétend le CN. À cet égard, les intimés de la région de Halton se fondent sur l’affidavit de John Vickerman, qui a remis en question les données fournies par le témoin du CN Darren Reynolds au sujet de la capacité des installations intermodales existantes de répondre à la demande future. Les intimés de la région de Halton soutiennent que les volumes de transport intermodal de marchandises sont en fait à la baisse et que les prévisions du CN à cet égard sont fondées sur des données périmées. Ils soutiennent que le volume du fret transporté par les chemins de fer au Canada a subi une baisse de 8,5 % de janvier 2023 à janvier 2024.

[35] En réplique, le CN fait remarquer que ses données sont plus fiables, car elles se rapportent précisément aux affaires du CN et sont davantage compatibles avec les conclusions de la commission. À la page 288 de son rapport daté du 27 janvier 2020, la commission a fait la remarque suivante :

[TRADUCTION]

La commission estime que le CN, les autorités portuaires, les compagnies de transport et d’autres intervenants dans la gestion de la chaîne d’approvisionnement ont démontré de façon convaincante que tant et aussi longtemps que les taux de croissance actuels se maintiendront, il faudra augmenter la capacité intermodale des terminus dans la région du Grand Toronto et d’Hamilton.

[36] Je suis d’accord avec le CN que je devrais accorder davantage de poids à sa preuve, qui est compatible avec les conclusions de la commission, qu’à celle des intimés de la région de Halton, qui laisse entendre que, non seulement la demande à laquelle les installations intermodales sont appelées à répondre ne croît pas au taux prévu par le CN, mais qu’en fait elle est à la baisse. Je doute que la demande à laquelle le projet est appelé à répondre soit à la baisse à moyen ou à long terme. À mon avis, le CN et la commission sont mieux placés que les intimés de la région de Halton pour apprécier la demande à laquelle les installations intermodales doivent répondre.

(3) Conséquences du rejet de la demande de sursis du CN

[37] Les intimés de la région de Halton soutiennent que la suspension des travaux de construction du projet en attendant l’issue de l’appel n’aura aucun effet sur la viabilité à long terme du CN, la part de marché de celui-ci et sa réputation sur le plan des affaires. Ils avancent que, même si le CN subissait un préjudice irréparable en cas de rejet de sa demande de sursis, cela ne constituerait pas un risque existentiel. Enfin, les intimés de la région de Halton font également valoir que la Cour ne devrait pas considérer que le CN agit de façon autre que dans son propre intérêt.

[38] J’accepte les arguments des intimés de la région de Halton. Cependant, ils ne changent rien au fait que les organismes gouvernementaux chargés d’évaluer le projet du point de vue de l’intérêt public ont accordé au CN l’autorisation de réaliser le projet. Compte tenu de cela, j’estime qu’il semble être dans l’intérêt public d’accueillir la demande de sursis afin que les travaux de construction du projet puissent se poursuivre.

(4) La question de savoir si les observations du CN au sujet de l’intérêt public sont conjecturales et non étayées

[39] Les intimés de la région de Halton contestent les arguments du CN selon lesquels tout retard supplémentaire dans la construction du projet ira à l’encontre de l’intérêt public. Ils contestent la preuve du CN à cet égard.

[40] Comme je l’ai déjà mentionné, les organismes gouvernementaux chargés d’évaluer le projet ont conclu que ce dernier était dans l’intérêt public après avoir soupesé les éléments de preuve favorables et les éléments de preuve défavorables au projet. Malgré la décision de la Cour fédérale d’accueillir la demande de contrôle judiciaire, des éléments de preuve convaincants démontrent que le projet est dans l’intérêt public. En outre, il va de soi, selon moi, que tout retard dans les travaux de construction d’un projet qui est dans l’intérêt public va à l’encontre de celui-ci.

(5) Conclusion quant à la prépondérance des inconvénients

[41] La reprise des travaux de construction du projet produira certainement des effets négatifs si la demande de sursis est accueillie, dans le cas où le présent appel est éventuellement rejeté. Le principal effet négatif est l’augmentation des émissions qui résultera des travaux. Une telle augmentation aura clairement un effet sur la population qui se trouve près du projet, bien que l’ampleur de cet effet ne soit pas très claire.

[42] Or, il convient de soupeser les effets négatifs que l’octroi du sursis entraînerait en prenant en considération les effets négatifs du refus d’accorder le sursis. Comme je l’ai déjà mentionné, ces effets comprennent les mesures qu’il faudra nécessairement prendre pour suspendre les travaux de construction et éventuellement les relancer plus tard dans le cas où l’appel est accueilli. En outre, il semble être dans l’intérêt public que le projet soit réalisé, et ce avec le moins de retard possible.

[43] À mon avis, la prépondérance des inconvénients favorise l’octroi du sursis. Les éléments de preuve présentés par les intimés de la région de Halton au sujet des émissions provenant des travaux de construction semblent périmés. La commission a pris en considération des renseignements plus récents lorsqu’elle a préparé son rapport, lequel a mené à l’autorisation de réaliser le projet. Les coûts que la suspension des travaux imposera au CN et surtout le fait qu’il est dans l’intérêt public que le projet soit réalisé semblent l’emporter sur les effets négatifs des émissions résultant des travaux de construction de ce dernier.

VI. Conclusion

[44] Je suis d’avis d’accueillir la requête du CN visant à obtenir une ordonnance en sursis de la décision de la Cour fédérale qui fait l’objet du présent appel jusqu’à ce que notre Cour rende son jugement final relativement à ce dernier. Les dépens relatifs à la présente requête suivront l’issue de la cause.

« George R. Locke »

j.c.a.


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

A-121-24

 

INTITULÉ :

LA COMPAGNIE DES CHEMINS DE FER NATIONAUX DU CANADA c. LA MUNICIPALITÉ RÉGIONALE DE HALTON, LA CORPORATION DE LA VILLE DE MILTON, LA CORPORATION DE LA VILLE DE HALTON HILLS, LA CORPORATION DE LA VILLE DE BURLINGTON, LA CORPORATION DE LA VILLE D’OAKVILLE et L’OFFICE DE PROTECTION DE LA NATURE DE LA RÉGION DE HALTON et CANADA (MINISTRE DE L’ENVIRONNEMENT) ET LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

REQUÊTE JUGÉE SUR DOSSIER SANS COMPARUTION DES PARTIES :

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :

LE JUGE LOCKE

 

DATE DES MOTIFS :

LE 2 MAI 2024

 

OBSERVATIONS ÉCRITES :

Andrew Bernstein

Yael Bienenstock

Jonathan Silver

 

POUR L’APPELANTE,

LA COMPAGNIE DES CHEMINS DE FER NATIONAUX DU CANADA

 

Richard G. Dearden

Jenny Thistle

Rodney Northey

 

POUR LES INTIMÉS

LA MUNICIPALITÉ RÉGIONALE DE HALTON, LA CORPORATION DE LA VILLE DE MILTON, LA CORPORATION DE LA VILLE DE HALTON HILLS, LA CORPORATION DE LA VILLE DE BURLINGTON, LA CORPORATION DE LA VILLE D’OAKVILLE et L’office de protection de la nature de la région de Halton

 

Joseph Cheng

Andrew Law

Margaret Cormack

 

POUR LES INTIMÉS

CANADA (MINISTRE DE L’ENVIRONNEMENT) et LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Torys LLP

Toronto (Ontario)

 

POUR L’APPELANTE,

LA COMPAGNIE DES CHEMINS DE FER NATIONAUX DU CANADA

 

Gowling WLG (Canada) LLP

Ottawa (Ontario)

 

POUR LES INTIMÉS

LA MUNICIPALITÉ RÉGIONALE DE HALTON, LA CORPORATION DE LA VILLE DE MILTON, LA CORPORATION DE LA VILLE DE HALTON HILLS, LA CORPORATION DE LA VILLE DE BURLINGTON, LA CORPORATION DE LA VILLE D’OAKVILLE et L’OFFICE DE PROTECTION DE LA NATURE DE LA RÉGION DE HALTON

 

Shalene Curtis-Micallef

Sous-procureure générale du Canada

 

POUR LES INTIMÉS

CANADA (MINISTRE DE L’ENVIRONNEMENT) et LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

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