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Date : 20240729


Dossier : A-336-21

Référence : 2024 CAF 123

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LE JUGE STRATAS

LE JUGE LOCKE

LA JUGE ROUSSEL

 

 

ENTRE :

ABDALLAH ZOGHBI

appelant

et

AIR CANADA

intimée

et

COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

intervenante

Audience tenue à Toronto (Ontario), le 27 février 2023.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 29 juillet 2024.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE STRATAS

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE LOCKE

LA JUGE ROUSSEL

 


Date : 20240729


Dossier : A-336-21

Référence : 2024 CAF 123

CORAM :

LE JUGE STRATAS

LE JUGE LOCKE

LA JUGE ROUSSEL

 

 

ENTRE :

ABDALLAH ZOGHBI

appelant

et

AIR CANADA

intimée

et

COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

intervenante

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE STRATAS

A. Introduction

[1] L’appelant, M. Zoghbi, a déposé une plainte contre Air Canada en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. (1985), ch. H-6, et souhaitait obtenir une indemnisation financière, entre autres réparations.

[2] La Commission canadienne des droits de la personne a rejeté la plainte de l’appelant au motif que l’indemnisation financière n’est pas possible en raison d’une convention internationale intégrée dans le droit interne du Canada. Elle a jugé qu’il était évident et manifeste que la plainte était « frivole », pour reprendre le qualificatif employé à l’alinéa 41(1)d) de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

[3] L’appelant a demandé à la Cour fédérale d’annuler la décision de la Commission. La Cour fédérale (le juge Fothergill) a accueilli la demande en partie, ayant jugé que, même s’il n’était pas possible d’ordonner d’indemnisation financière, l’appelant aurait pu avoir droit à d’autres mesures de réparation : 2021 CF 1154.

[4] La Cour fédérale a renvoyé l’affaire à la Commission en lui demandant d’examiner si d’autres réparations étaient possibles et s’il existait d’autres motifs de rejeter la plainte. Il existait deux autres motifs possibles : l’appelant avait signé une décharge dans le cadre d’un règlement et la plainte de l’appelant pouvait être plutôt instruite par l’Office des transports du Canada.

[5] Déçu par le fait que la majeure partie de sa plainte avait été exclue, l’appelant interjette appel devant notre Cour. Son appel porte essentiellement sur la convention internationale et sur la question de savoir si cette dernière fait obstacle à sa demande d’indemnisation financière. Sur ce point, je juge que les arguments de l’appelant ne sont pas fondés : il était raisonnable de la part de la Commission de conclure que la convention internationale s’applique en vertu de la loi qui l’intègre dans le droit interne du Canada et qu’elle exclut les dommages‑intérêts.

[6] Toutefois, l’appelant alléguait que la loi intégrant la convention internationale dans le droit interne du Canada portait atteinte à ses droits à l’égalité garantis par l’article 15 de la Charte. La Commission n’a jamais examiné cette question. Ainsi, elle doit également examiner cette question lors du réexamen ordonné par la Cour fédérale, tout comme les deux autres motifs. Par conséquent, j’accueillerais l’appel en partie.

B. Les faits essentiels

1) L’incident ayant donné lieu à la plainte

[7] L’appelant est un citoyen canadien d’origine libanaise. Il affirme que des inconnus pouvaient identifier sa race, son origine ethnique et sa couleur en raison de son nom, de son apparence, de son accent et du fait qu’il parle l’arabe. Il avait réservé un vol d’Air Canada pour se rendre de Halifax à Londres.

[8] Après être monté à bord de l’avion, alors qu’il parlait au téléphone en arabe, l’appelant a déposé son veston sur le siège à côté du sien. Une agente de bord lui a dit de déplacer son veston. Contrarié par le ton de l’agente de bord, l’appelant a exprimé son mécontentement — il reconnaît qu’il a peut-être été un peu brusque — et a demandé à parler à un gestionnaire.

[9] Peu après, un agent d’Air Canada a demandé à l’appelant de sortir sur la passerelle menant à l’avion pour discuter. L’agent a ensuite informé l’appelant qu’il ne serait pas autorisé à prendre le vol. Selon un rapport préparé par Air Canada, l’appelant avait fait [traduction] « usage de violence verbale envers une agente de bord et le personnel d’embarquement ». À la suite du rapport, Air Canada a pris d’autres mesures : le transporteur a assujetti l’appelant à une interdiction de transport générale.

2) La plainte

[10] L’appelant a déposé auprès de la Commission une plainte dans laquelle il allègue qu’Air Canada a fait preuve de discrimination à son endroit sur le fondement de la race, de l’origine nationale ou ethnique, de la couleur et/ou de la religion, soit des motifs de distinction illicite prévus à la Loi canadienne sur les droits de la personne. L’appelant a sollicité notamment une indemnisation financière.

3) Le cadre juridique général concernant les voyages internationaux

[11] La Loi sur le transport aérien, L.R.C. (1985), ch. C‑26, intègre dans le droit interne du Canada la Convention pour l’unification de certaines règles relatives au transport aérien international, 2242 RTNU 309 (la Convention de Montréal) : voir le paragraphe 2(2.1).

[12] La Convention de Montréal établit des règles exclusives concernant les circonstances dans lesquelles la responsabilité d’une compagnie aérienne est engagée en cas d’incidents qui surviennent au cours d’un transport aérien international et la portée de cette responsabilité. Elle interdit les dommages-intérêts pécuniaires en cas d’incidents qui surviennent au cours d’un transport aérien international, y compris lors de l’embarquement, comme c’est le cas en l’espèce. L’article 17 de la Convention de Montréal prévoit la possibilité de dommages-intérêts pécuniaires uniquement en cas « de mort ou de lésion corporelle subie par un passager » lorsque « l’accident [...] s’est produit à bord de l’aéronef ou au cours de toutes opérations d’embarquement ou de débarquement ». De plus, l’article 29 indique qu’« on ne pourra pas obtenir de dommages‑intérêts punitifs ou exemplaires ni de dommages à un titre autre que la réparation ».

[13] Tout au long de la présente instance, Air Canada a soutenu que la Loi sur le transport aérien fait obstacle à la demande d’indemnisation financière de l’appelant fondée sur une violation des droits de la personne.

4) L’instance devant la Commission

[14] Peu après le dépôt de la plainte, la Commission a informé l’appelant qu’elle préparait un rapport d’examen préalable fondé sur les articles 40 et 41 de la Loi canadienne sur les droits de la personne. En raison de l’application de la Loi sur le transport aérien, la Commission a mis en doute sa compétence pour accorder une indemnisation financière à l’appelant. Après avoir reçu des observations sur ce point, la Commission a conclu que le Tribunal n’avait pas compétence pour accorder des dommages-intérêts. Elle a rejeté la plainte dans son intégralité.

[15] Ayant rejeté la plainte dans son intégralité, la Commission n’était pas tenue d’examiner la question de la décharge ni celle de savoir si l’Office des transports du Canada était mieux placé pour instruire la plainte de l’appelant.

[16] L’enquêteuse de la Commission a pris acte de la revendication de l’appelant relative à ses droits à l’égalité garantis par la Charte, mais elle ne s’est pas penchée sur ce point. L’appelant a formulé la revendication relative à ses droits à l’égalité en ces termes :

[traduction]

À titre subsidiaire, si la Convention de Montréal s’appliquait et si elle limitait les droits que la Loi canadienne sur les droits de la personne garantit à [l’appelant], alors la Loi sur le transport aérien mettant en œuvre la Convention violerait l’article 15 de la Charte et devrait, par conséquent, être « interprétée d’une manière restrictive ».

[17] Lorsque la Commission a décidé de rejeter la plainte, elle ne s’est pas penchée sur la revendication de l’appelant selon laquelle la Loi sur le transport aérien intégrant la Convention de Montréal porte atteinte aux droits à l’égalité que lui garantit l’article 15 de la Charte.

5) L’instance devant la Cour fédérale

[18] La Cour fédérale a procédé au contrôle de la décision de la Commission selon la norme de la décision raisonnable. Ce faisant, elle a rejeté l’argument de l’appelant selon lequel la décision en cause était susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte.

[19] La Cour fédérale a jugé raisonnables l’analyse et les conclusions de la Commission concernant la Convention de Montréal et son intégration dans le droit interne du Canada par la Loi sur le transport aérien.

[20] Toutefois, comme je l’ai déjà mentionné, la Cour fédérale a conclu (aux paragraphes 46 et 52 de ses motifs) que l’appelant pouvait se prévaloir d’autres recours en matière de droits de la personne qui ne sont pas exclus par la Convention de Montréal et la Loi sur le transport aérien. Par exemple, un tribunal pourrait ordonner à Air Canada de prendre « des mesures de redressement à l’égard de l’acte discriminatoire reproché ou des mesures destinées à prévenir des actes semblables » (au paragraphe 52), notamment en formant son personnel à gérer des situations similaires d’une façon plus respectueuse des droits. La Cour fédérale a renvoyé l’affaire à la Commission pour qu’elle se prononce sur ces questions.

[21] Devant la Cour fédérale, l’appelant a fait valoir sa revendication relative à ses droits à l’égalité garantis par la Charte. La Cour fédérale a refusé de se prononcer à cet égard au motif que bien peu d’éléments de preuve ont été présentés quant aux aspects principaux de la revendication.

[22] La Cour fédérale a par ailleurs conclu qu’il n’était pas nécessaire de statuer sur la revendication de l’appelant relative à ses droits à l’égalité pour trancher la demande de contrôle judiciaire. Compte tenu de cette conclusion et du fait que la Commission n’a pas traité de la revendication de l’appelant relative à ses droits à l’égalité, aucun examen du bien‑fondé de la revendication n’a eu lieu. Cette revendication est tout simplement passée entre les mailles du filet.

6) L’instance devant notre Cour

[23] Devant notre Cour, l’appelant soulève toutes les questions qu’il a portées à l’attention de la Cour fédérale. Il a divisé ses arguments en plusieurs parties. Je préfère regrouper ses observations en six grandes questions. Par pur souci de simplicité du libellé des questions, je les formule ci‑après comme si la norme de la décision correcte s’appliquait, mais, comme nous le verrons, c’est la norme de la décision raisonnable qui s’applique en l’espèce.

[24] Voici les questions :

  • 1)Quelle est la norme de contrôle applicable?

  • 2)La Commission avait-elle compétence ou a-t-elle conclu de manière raisonnable qu’elle avait compétence pour interpréter la Convention de Montréal et la Loi sur le transport aérien?

  • 3)Sur le plan de l’interprétation, la Convention de Montréal et la Loi sur le transport aérien font-elles obstacle à la plainte pour atteinte aux droits de la personne de l’appelant?

  • 4)La Commission aurait-elle dû tenir compte de l’article 6 de la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale, R.T . Can 1970 no 28?

  • 5)La Loi canadienne sur les droits de la personne l’emporte-t-elle sur la Loi sur le transport aérien?

  • 6)La Loi sur le transport aérien porte-t-elle atteinte aux droits à l’égalité garantis par l’article 15 de la Charte?

[25] Les questions 4) et 5) n’ont pas été soulevées devant la Commission alors qu’il aurait été raisonnable qu’elles le soient, d’autant plus que le plaignant était représenté par M. Gábor Lukács, qui a souvent plaidé devant les Cours fédérales et qui est bien au fait des questions juridiques. En fait, M. Lukács est intervenu à de nombreuses reprises devant la Commission concernant des questions juridiques, mais il a choisi de ne pas soulever les questions 4) et 5) devant elle.

[26] L’appelant soulève maintenant les questions 4) et 5) pour la première fois en contrôle judiciaire. La cour de révision ne devrait pas examiner les questions qui sont soulevées devant elle pour la première fois : Alberta (Information and Privacy Commissioner) c. Alberta Teachers’ Association, 2011 CSC 61, [2011] 3 R.C.S. 654, par. 22 et 23.

[27] Ce principe a pour fondement — qui est judicieux —que la législation régissant un régime administratif confère au décideur administratif, et non à la cour de révision, le pouvoir de trancher toutes les questions relatives au fond de l’affaire. Bien que récemment la Cour suprême ait parfois tranché de nouvelles questions relatives au fond d’une affaire (voir, p. ex., Mason c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2023 CSC 21), il convient de considérer les arrêts concernés comme des cas d’exception, où la Cour suprême a jugé, à tort ou à raison, que la question dont elle était saisie était claire, et non comme exprimant un départ par rapport à la position de longue date, incontestablement solide, exposée dans les arrêts Alberta Teachers : Klos c. Canada (Procureur général), 2023 CAF 205, par. 8; Terra Reproductions Inc. c. Canada (Procureur général), 2023 CAF 214, par. 6; voir également P. Daly, « The Signal and the Noise in Administrative Law », Revue de droit de l’Université du Nouveau-Brunswick, vol. 68 (2017), 68 à 86.

[28] Néanmoins, en fin de compte, pour que l’appelant obtienne réponse pleine et entière à ses moyens d’appel, j’examinerai les questions 4) et 5) et je démontrerai que sa position est de toute façon sans fondement.

[29] La question 6) a été soulevée devant la Commission, mais, comme je l’ai déjà dit, elle n’a jamais été traitée. La Cour fédérale a examiné cette question sur le fond. Suivant l’arrêt Alberta Teachers, elle n’aurait pas dû le faire : voir les paragraphes 26 et 27 des présents motifs.

[30] Le fait que la question 6) soit de nature constitutionnelle ne change rien à la situation. Lorsqu’il s’agit d’une question de droit constitutionnel qui relève de la compétence du décideur administratif, ce dernier, en tant que juge du fond, est le mieux placé pour l’entendre. Dans ces circonstances, la partie qui présente la demande de contrôle judiciaire ne peut pas passer outre la compétence du tribunal pour s’adresser directement à la cour de révision : Okwuobi c. Commission scolaire Lester B. Pearson; Casimir c. Québec (Procureur général); Zorrilla c. Québec (Procureur général), 2005 CSC 16, [2005] 1 R.C.S. 257, par. 28 à 55.

[31] Lorsque, comme en l’espèce, le décideur administratif ne s’est pas penché sur une question constitutionnelle dont il était saisi et que le demandeur soutient que ce décideur avait compétence pour la trancher, le demandeur devrait attaquer cette omission et demander que la question constitutionnelle soit renvoyée pour nouvelle décision. La Commission, qui n’est pas une cour de révision, a le pouvoir d’examiner si elle a compétence pour juger la question constitutionnelle et, dans l’affirmative, si la question constitutionnelle ainsi que toute autre question doivent être envoyées au Tribunal pour examen. Comme nous le verrons, la réponse à la question de savoir si la Commission a compétence pour juger la question constitutionnelle dépend du critère énoncé dans l’arrêt Nouvelle-Écosse (Workers’ Compensation Board) c. Martin; Nouvelle-Écosse (Workers’ Compensation Board) c. Laseur, 2003 CSC 54, [2003] 2 R.C.S. 504 [Martin], examiné plus loin.

[32] Compte tenu de ce qui précède et du fait que la Commission — l’organisme compétent en la matière — se penchera sur la question 6 lors du nouvel examen, je refuse de me prononcer davantage à ce sujet.

C. Analyse

1) Quelle est la norme de contrôle applicable?

[33] La Cour fédérale a indiqué aux paragraphes 25 à 29 de ses motifs que la norme de contrôle applicable était celle de la décision raisonnable. Elle a fait observer que les décisions par lesquelles la Commission rejette des plaintes au titre de l’article 41 de la Loi canadienne sur les droits de la personne « peuvent normalement faire l’objet d’un contrôle par la Cour selon la norme de la décision raisonnable » (par. 25). Elle a ajouté qu’aucune des exceptions au contrôle selon la norme de la décision raisonnable ne s’appliquait.

[34] Je souscris aux motifs de la Cour fédérale, que je fais miens.

[35] L’appelant soutient que la décision de la Commission devrait être examinée selon la norme de la décision correcte compte tenu de la question fondamentale de savoir si la Commission a compétence pour se prononcer sur des questions de droit. Mais il n’est pas reconnu que la question de savoir si un décideur administratif a compétence constitue un motif d’appliquer la norme de la décision correcte. En réalité, la compétence — à savoir si un décideur administratif est habilité par une loi à faire quelque chose — est plutôt une question d’interprétation de la loi, laquelle est assujettie à la norme de la décision raisonnable : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov, 2019 CSC 65, [2019] 4 R.C.S. 653, par. 115.

[36] L’appelant fait en outre valoir que l’interprétation et l’application de la Loi sur le transport aérien sont des questions de droit générales qui revêtent une importance capitale pour le système juridique. De telles questions commandent l’application de la norme de la décision correcte. Mais la question en l’espèce ne relève pas de cette catégorie.

[37] L’interprétation et l’application d’une loi, en l’occurrence la Loi sur le transport aérien, sont importantes pour les passagers de vols vers l’étranger qui souhaitent éventuellement demander de dommages-intérêts, mais sans ramifications plus vastes. Contrairement aux questions quasi constitutionnelles qui se posent dans des contextes multiples ou qui ont des ramifications constitutionnelles, la question en l’espèce n’exige pas une seule réponse correcte au motif de la primauté du droit : Mouvement laïque québécois c. Saguenay (Ville), 2015 CSC 16, [2015] 2 R.C.S. 3 (l’obligation de neutralité religieuse de l’État); Alberta (Information and Privacy Commissioner) c. University of Calgary, 2016 CSC 53, [2016] 2 R.C.S. 555 (les limites du secret professionnel de l’avocat, un droit garanti par l’article 8 de la Charte); Chagnon c. Syndicat de la fonction publique et parapublique du Québec, 2018 CSC 39 [2018] 2 R.C.S. 687 (la portée du privilège parlementaire, un principe constitutionnel).

[38] L’appelant soutient que derrière l’interprétation de la Loi sur le transport aérien se cache la Convention de Montréal, dont l’interprétation est une question de portée générale. Il fait valoir que les traités, qui s’appliquent à de nombreux contextes différents, devraient faire l’objet d’une interprétation uniforme et unique. Comme nous le verrons, l’interprétation de la Convention de Montréal dans le contexte qui nous occupe est parfaitement claire. Quelle que soit la norme de contrôle applicable, la Convention de Montréal fait obstacle à la demande de dommages-intérêts de l’appelant contre Air Canada en l’espèce.

[39] Il ne fait aucun doute que la violation présumée des droits de la personne par une entité privée dans ces circonstances revêt une grande importance pour l’appelant. Il ne fait également aucun doute que les droits de la personne sont importants, qu’ils sont parfois controversés et qu’ils sont d’intérêt public général. Cependant, l’importance pour les parties devant la Cour et les questions importantes en soi n’entraînent pas l’application de l’exception donnant lieu à un contrôle reposant sur la norme de la décision correcte : voir Vavilov, par. 58 à 62. Je conviens avec l’intimée que la question dont la Cour est saisie ne dépasse pas le régime administratif de la Loi canadienne sur les droits de la personne quant à la protection des droits de la personne et ne concerne que la question des réparations disponibles, qui plus est uniquement dans le contexte des passagers voyageant par vols internationaux.

[40] Par conséquent, la Cour fédérale a choisi la norme de contrôle appropriée, soit celle de la décision raisonnable.

2) La Commission avait-elle compétence ou a-t-elle conclu de manière raisonnable qu’elle avait compétence pour interpréter la Convention de Montréal et la Loi sur le transport aérien?

[41] L’appelant fait valoir que la Commission ne peut pas trancher de questions de droit au‑delà de sa loi habilitante et que le rôle de la Commission consiste plutôt à vérifier s’il existe une preuve suffisante. Il invoque l’arrêt Cooper c. Canada (Commission des droits de la personne), [1996] 3 R.C.S. 854, par. 53.

[42] Sur cette question, la Cour fédérale a conclu (aux paragraphes 30 à 39 de ses motifs) que les attributions de la Commission ne sont pas limitées de la sorte. Je suis d’accord avec la Cour fédérale, pour les motifs qu’elle a exposés. À cet égard, je souscris également en grande partie aux observations de la Commission, qui est intervenue sur cette question.

[43] Comme l’a noté la Cour fédérale, la Cour suprême a réexaminé l’arrêt Cooper dans l’affaire Martin, précitée, et s’en est écartée en grande partie. L’arrêt Martin étaye l’argument selon lequel le décideur administratif qui a compétence, expresse ou implicite, pour trancher les questions de droit découlant de l’application d’une disposition législative est présumé avoir le pouvoir d’examiner les questions juridiques qui lui sont soumises. Comme il ressort de l’arrêt Martin, cela comprend les questions de droit constitutionnel.

[44] Dans l’arrêt Martin, la Cour suprême a affirmé que la conclusion précise qu’elle avait tirée dans l’affaire Cooper — portant que la Commission n’avait aucun pouvoir exprès ou implicite de trancher les questions de droit découlant de l’application de l’alinéa 15c) de la Loi canadienne sur les droits de la personne — demeurait valable. Mais elle a ensuite ajouté que, « [d]ans la mesure où [Cooper] est incompatible avec [Martin], [...] le raisonnement des juges majoritaires dans l’arrêt Cooper n’est plus valable » (par. 47).

[45] Dans l’arrêt Cooper, la Cour suprême a accordé de l’importance à la distinction entre les questions de droit générales et les questions de droit limitées, ainsi qu’à la question de savoir si le décideur administratif exerce un pouvoir décisionnel, plutôt que de simples fonctions d’examen préalable. À la suite de l’arrêt Martin, le droit a changé. Au paragraphe 47 de l’arrêt Martin, la Cour suprême a précisément statué que la nature juridictionnelle de l’organisme administratif compte pour très peu. La conséquence claire est que les organismes d’examen préalable, tels que la Commission, ont le pouvoir d’examiner des questions de droit dans la mesure nécessaire à l’exercice de leurs fonctions.

[46] La notion de compétence implicite ou de compétence pour l’interprétation des lois dans l’arrêt Martin mérite un examen plus attentif. Au paragraphe 41 de ses motifs, la Cour suprême fait remarquer qu’il faut tenir compte, entre autres facteurs, de « la mission que la loi confie au tribunal administratif » et des questions de savoir « s’il est nécessaire de trancher des questions de droit pour l’accomplir efficacement » et si le fait de « priver le tribunal du pouvoir de trancher des questions de droit nuirait à sa capacité d’accomplir la mission qui lui a été confiée ». Ce n’est pas sans rappeler l’exercice consistant à déterminer les pouvoirs implicites des tribunaux dont la Cour suprême a fait une analyse utile dans l’arrêt Chrysler Canada Ltd. c. Canada (Tribunal de la concurrence), [1992] 2 R.C.S. 394.

[47] En l’espèce, le rôle de la Commission sous le régime de la Loi canadienne sur les droits de la personne consiste à exercer des fonctions d’examen préalable afin de rejeter les plaintes qui ne sauraient être accueillies sur le fondement des faits ou du droit. Une plainte qui ne saurait être accueillie sur le fondement des faits ou du droit ne devrait pas être adressée au Tribunal pour qu’il tienne une audience, laquelle demande beaucoup de temps et de ressources. L’objectif est d’assurer l’utilisation judicieuse des ressources et le traitement efficace des plaintes. Toute conclusion empêchant la Commission d’examiner si une loi a pour effet de vouer une plainte à l’échec serait contraire au but de la loi.

[48] Pour faire bonne mesure, notre Cour a statué à trois reprises que la Commission jouit dans ses fonctions d’examen préalable d’une grande latitude et qu’elle a notamment la capacité de juger une plainte en fonction du droit applicable pour établir si elle a une chance d’être accueillie : Canada (Procureur général) c. Ennis, 2021 CAF 95, [2021] 4 R.C.F. 154, par. 61; Gregg c. Association des pilotes d’Air Canada, 2019 CAF 218 (motifs dissidents, mais auxquels la majorité n’est pas opposée sur ce point); Bell Canada c. Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier, [1999] 1 C.F. 113, [1998] A.C.F. no 1609 (C.A.), par. 38; voir aussi Northcott c. Canada (Procureur général), 2021 CF 289. Dans d’autres cas, la Cour a dû décider si d’autres organismes administratifs auraient dû entendre la plainte, ce qui l’a amenée à examiner et à interpréter les lois régissant ces décideurs : Canada (Chambre des communes) c. Vaid, 2005 CSC 30, [2005] 1 R.C.S. 667, par. 99; Eadie c. MTS Inc., 2015 CAF 173, [2016] 1 R.C.F. 173, par. 96 à 105; MacFarlane c. Day & Ross Inc., 2010 CF 556, [2011] 4 R.C.F. 117, par. 73 et 74.

[49] En l’espèce, la Commission a examiné si l’appelant disposait d’autres voies de droit pour obtenir réparation contre la violation alléguée de droits de la personne commise à son endroit, à la lumière de la Convention de Montréal et de la Loi sur le transport aérien. Elle n’a pas statué sur le fond de la plainte de l’appelant; elle a plutôt jugé si la plainte devait être entendue en se fondant sur des points de référence objectifs, dont les lois et la jurisprudence pertinentes. Elle a conclu que cette tâche relevait des attributions que lui confère l’article 41 de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

[50] La Cour fédérale a jugé que la conclusion de la Commission était raisonnable. Je suis d’accord pour les motifs qui précèdent et pour les motifs exposés par la Cour fédérale.

3) Sur le plan de l’interprétation, la Convention de Montréal et la Loi sur le transport aérien font-elles obstacle à la plainte pour atteinte aux droits de la personne de l’appelant?

[51] La Commission a répondu à cette question par l’affirmative. Ce faisant, elle a agi raisonnablement.

[52] Dans ses motifs, la Commission a fait siens les paragraphes 60 à 68 du rapport d’enquête. Le rapport commence par un examen de la Convention de Montréal et de la Loi sur le transport aérien (au paragraphe 60), et il y est noté, comme je l’ai mentionné plus haut, que l’article 17 de la Convention de Montréal prévoit la possibilité de dommages-intérêts pécuniaires uniquement en cas « de mort ou de lésion corporelle subie par un passager » lorsque « l’accident [...] s’est produit à bord de l’aéronef ou au cours de toutes opérations d’embarquement ou de débarquement ».

[53] Toutefois, le rapport n’a pas conclu à l’irrecevabilité de la demande de l’appelant. On y pose, au paragraphe 62, la question de savoir si la Convention de Montréal permet les demandes fondées sur des [traduction] « droits fondamentaux quasi constitutionnels ».

[54] En l’espèce, comme on l’indique au paragraphe 62 du rapport, la Cour suprême avait déjà tranché cette question : Thibodeau c. Air Canada, 2014 CSC 67, [2014] 3 R.C.S. 340. La Cour suprême a conclu que les recours en dommages-intérêts pour violation des droits linguistiques — droits fondamentaux quasi constitutionnels — à bord d’un aéronef sont exclus en raison de la Convention de Varsovie, l’instrument qui a précédé la Convention de Montréal.

[55] Aux paragraphes 64 et 65 du rapport, on approfondit cet aspect en se penchant sur le raisonnement de la Cour suprême à l’appui de cette conclusion. Cette dernière avait examiné une affaire dans laquelle un couple avait allégué s’être fait refuser l’embarquement à bord d’un vol en raison de sa race : King v. American Airlines, Inc., 284 F.3d 352 (2d Cir. 2002). Dans cette affaire, comme en l’espèce, le couple bénéficiait de la protection des lois qui prévoient des mesures contre la discrimination raciale. La juge Sotomayor (maintenant juge à la Cour suprême des États-Unis) a conclu que la demande relevait du champ d’application de la Convention de Varsovie qui, à l’instar de la Convention de Montréal, s’applique de façon exhaustive aux recours pour préjudice subi « au cours de [l’une des] opérations d’embarquement » : Thibodeau, par. 68. La Cour suprême a souscrit à l’analyse faite dans l’arrêt King : Thibodeau, par. 67 à 73.

[56] Compte tenu des arrêts Thibodeau et King (qu’a suivis la Cour suprême), ainsi que du libellé précis de la Convention de Montréal et de la Loi sur le transport aérien, on a conclu dans le rapport que la demande de dommages-intérêts pour atteinte aux droits de la personne présentée par l’appelant était irrecevable.

[57] La décision de la Commission de souscrire à cette partie du rapport et au raisonnement qui y était présenté est raisonnable. Le résultat est tout à fait conforme à une décision faisant autorité de la Cour suprême, ainsi qu’au sens de la Convention de Montréal et de la Loi sur le transport aérien. En outre, il existe un raisonnement clair et suffisamment précis menant des faits de l’affaire au résultat.

4) La Commission aurait-elle dû tenir compte de l’article 6 de la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale?

[58] L’appelant soutient que la Commission aurait dû tenir compte de l’article 6 de la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale.

[59] Cette observation est sans fondement. Il était raisonnable de la part de la Commission de ne pas tenir compte de cette convention.

[60] L’appelant se méprend quant à l’utilisation du droit international lorsque des organismes administratifs et des tribunaux tranchent des questions au Canada. Dans l’un de ses arrêts qui lie les décideurs administratifs et les tribunaux, la Cour suprême a bien énoncé le droit à cet égard : Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique c. Entertainment Software Association, 2022 CSC 30, par. 43 à 48.

[61] En l’espèce, le droit interne du Canada a intégré à la législation canadienne une convention internationale, soit la Convention de Montréal, avec toutes les limites de responsabilité quant aux dommages-intérêts qui y sont prévues à l’article 29. Dans une affaire comme celle en l’espèce, nous devons interpréter et mettre en œuvre l’article 29 : Bureau de l’avocat des enfants c. Balev, 2018 CSC 16, [2018] 1 R.C.S. 398.

[62] La Convention de Montréal, qui fait maintenant partie du droit interne du Canada, avec les limites de responsabilité en matière de dommages-intérêts qui sont énoncées à l’article 29, est claire et non équivoque. Elle ne prévoit pas d’exceptions pour une éventuelle responsabilité, que ce soit au titre de normes et de principes du droit international, de revendications en matière de droits de la personne ou d’une autre responsabilité découlant d’autres instruments internationaux, par exemple la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale. Et la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale, lorsqu’elle est bien lue et interprétée, ne révèle pas de quelconque ambiguïté dans l’article 29 de la Convention de Montréal. La Convention de Montréal n’est ni vague ni ambiguë. Il n’existe en outre aucun élément extrinsèque qui joue en faveur de l’appelant. La Convention de Montréal ferme toutes les issues. Elle ne laisse pas la moindre ouverture.

[63] L’appelant soutient que l’article 6 de la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale exige que le Canada assure une voie de recours sous forme de dommages-intérêts pour toute discrimination raciale dans le secteur de l’aviation internationale, malgré la Convention de Montréal et son intégration dans le droit interne du Canada en vertu de la Loi sur le transport aérien. Cependant, même si l’on suppose que l’appelant a raison, notre Cour n’a pas le pouvoir de rendre une ordonnance de mandamus enjoignant au Canada de légiférer pour se conformer à cette exigence. Notre Cour ne peut pas non plus invoquer cette prétendue exigence — qui ne fait pas partie du droit interne — pour modifier, d’une manière ou d’une autre, le libellé clair de la Loi sur le transport aérien et de la Convention de Montréal.

5) La Loi canadienne sur les droits de la personne l’emporte-t-elle sur la Loi sur le transport aérien?

[64] Comme je l’ai déjà mentionné, il s’agit d’une nouvelle question, qui n’a pas été soulevée devant la Commission. Mais il est possible de la trancher rapidement. Sur le plan de l’interprétation des lois, la Loi sur le transport aérien et l’article 29 de la Convention de Montréal sont clairs et dépourvus d’ambiguïté. Ils interdisent tout recours en dommages‑intérêts, quelle qu’en soit la forme. L’appelant n’a présenté aucun élément se rapportant au texte, au contexte ou à l’objet qui donnerait à penser que la Loi sur le transport aérien et l’article 29 de la Convention de Montréal permettent, d’une quelconque manière et malgré leur libellé clair, des recours en dommages-intérêts fondés sur des lois du Canada en matière de droits de la personne. En outre, l’arrêt Thibodeau de la Cour suprême tranche la question. Tout comme les droits linguistiques dans cette affaire ne l’ont pas emporté sur la Convention de Montréal, il en va de même en l’espèce : voir les paragraphes 54 à 57 des présents motifs.

6) La Loi sur le transport aérien porte-t-elle atteinte aux droits à l’égalité garantis par l’article 15 de la Charte?

[65] Comme je l’ai mentionné plus haut (au paragraphe 16), cette question faisait partie de la plainte de l’appelant. La Commission n’y a jamais donné suite. Pour achever sa tâche dans la présente demande, la Commission doit examiner la question de savoir si, compte tenu des faits allégués et des observations présentées, elle a compétence pour examiner cette question et, dans l’affirmative, s’il est évident et manifeste que la plainte fondée sur l’article 15 de la Charte est « frivole » au sens de l’article 41 de la Loi — autrement dit, si la plainte a une quelconque chance d’être accueillie.

[66] Au paragraphe 64 de ses motifs, la Cour fédérale a demandé à la Commission d’offrir aux parties une autre possibilité de présenter des éléments de preuve et des arguments concernant la plainte. La Commission devrait aussi offrir cette possibilité relativement à la présente question.

D. La requête récente

[67] Récemment, l’appelant a sollicité une ordonnance exigeant la délivrance d’un subpoena à la Commission pour la contraindre à produire certains documents dans une autre instance concernant Air Canada et une ordonnance l’autorisant à verser ces documents au dossier en l’espèce. L’appelant fait valoir que cette autre instance est essentiellement identique à l’espèce, mais que la Commission avait décidé de ne pas rejeter la plainte. Toutefois, cette autre affaire a fait l’objet d’un règlement et ne sera pas entendue par le Tribunal canadien des droits de la personne.

[68] Air Canada note que la décision de la Commission ne fait aucune mention de la Convention de Montréal ou de la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale. Il y a lieu de souligner cette observation, étant donné qu’Air Canada avait déclaré à la Commission que le plaignant ne serait pas en mesure d’obtenir des dommages-intérêts au motif de l’application de la Convention de Montréal.

[69] Il semble plutôt que la Commission se soit prononcée en tenant compte uniquement de la crédibilité des témoins qui ont comparu devant elle. La Commission avait peut-être estimé, à l’instar de la Cour fédérale en l’espèce, que le Tribunal pouvait accorder des réparations autres que des dommages-intérêts pécuniaires. La Commission n’offre aucune précision à ce sujet.

[70] Par conséquent, les documents que l’appelant tente d’obtenir ne semblent présenter aucune valeur probante dans l’affaire qui nous occupe.

[71] De plus, selon l’interprétation la plus généreuse qui soit, même si la Commission avait dit quelque chose d’utile à l’appelant — et après avoir pris connaissance de la preuve déposée à l’appui de la requête, je ne suis pas convaincu que ce soit le cas —, il est bien établi que des décideurs saisis d’affaires dont les faits sont très semblables peuvent parvenir à des résultats différents, tous susceptibles d’être raisonnables : Wilson c. Énergie Atomique du Canada Ltée, 2016 CSC 29, [2016] 1 R.C.S. 770, par. 17.

[72] En outre, le fait qu’une deuxième décision fasse état d’un résultat différent de celui de la première ne prouve rien, même si les deux décisions se rapportent à des faits très semblables. Il n’est pas impossible que la deuxième décision soit déraisonnable. En l’espèce, nous devons déterminer si la décision de la Commission est raisonnable ou non. Je conclus qu’elle est raisonnable. Par conséquent, je ne suis pas convaincu que l’appelant a satisfait au critère relatif aux nouveaux éléments de preuve et, en particulier, à l’exigence selon laquelle les éléments de preuve doivent être susceptibles d’influer sur le résultat : Barendregt c. Grebliunas, 2022 CSC 22; Palmer c. la Reine, [1980] 1 R.C.S. 759.

[73] L’appelant déduit du fait que cette autre affaire a été renvoyée au Tribunal que la Commission a certainement conclu qu’elle n’avait pas le pouvoir de trancher des questions de droit au-delà de sa loi habilitante, en général. Il s’agit là de pures conjectures. Mais si c’était effectivement le cas, la décision de la Commission pourrait être jugée déraisonnable selon l’analyse dans les arrêts Cooper et Martin, ainsi que dans les affaires ultérieures, précitées.

[74] Enfin, j’examine si l’appelant a satisfait aux exigences relatives à la délivrance d’un subpoena dans un contrôle judiciaire, et encore moins dans un appel : Tsleil‑Waututh Nation c. Canada (Procureur général), 2017 CAF 128, par. 103.

[75] En tout état de cause, peu importe ce que la Commission aurait pu faire dans une autre affaire, l’analyse juridique exposée plus haut demeure inchangée. La décision de la Commission visée en l’espèce est raisonnable.

E. L’objection préliminaire d’Air Canada

[76] Air Canada fait valoir que l’appelant a eu gain de cause devant la Cour fédérale et qu’il porte simplement en appel les motifs de la Cour fédérale. Elle soutient, à juste titre, que l’on peut interjeter appel d’un jugement de la Cour fédérale, mais pas des motifs de ce jugement : Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7, par. 27(1); Ratiopharm Inc. c. Pfizer Canada Inc., 2007 CAF 261, [2007] A.C.F. no 1019, par. 6; Fournier c. Canada (Procureur général), 2019 CAF 265, par. 28.

[77] Air Canada avait demandé, à titre interlocutoire, l’annulation de l’appel, mais la Cour, sur le fondement du critère très rigoureux qui s’applique à l’annulation des appels, a rejeté la requête sans éteindre le droit d’Air Canada de soulever cette question de nouveau à l’audience en appel.

[78] À mon avis, l’objection d’Air Canada n’est pas fondée.

[79] La Cour fédérale a accueilli la demande de contrôle judiciaire de l’appelant, mais non sans apporter des précisions. Elle a renvoyé l’affaire à la Commission « pour qu’elle rende une nouvelle décision conformément aux présents motifs de jugement ». Il ressort de la décision de la Cour fédérale qu’une seule question précise de l’appelant sera soumise à un nouvel examen, soit celle exposée au paragraphe 4 des présents motifs. Toutes les autres mesures sollicitées par l’appelant, qui revêtent sans doute une bien plus grande importance à ses yeux, ont été refusées. L’appelant a tout à fait le droit d’interjeter appel devant notre Cour pour demander l’annulation de ce refus.

F. Dispositif proposé

[80] Pour les motifs qui précèdent, je rejetterais la requête avec dépens.

[81] J’accueillerais l’appel en partie. En plus des questions que la Cour fédérale a renvoyées à la Commission pour nouvelle décision, j’ordonnerais à la Commission d’examiner la plainte de l’appelant selon laquelle la mise en œuvre de la Convention de Montréal en vertu du paragraphe 2(2.1) de la Loi sur le transport aérien viole les droits à l’égalité qui lui sont garantis par l’article 15 de la Charte.

[82] Les deux parties ayant obtenu partiellement gain de cause dans le présent appel, je n’accorderais pas de dépens à l’égard de celui-ci.

« David Stratas »

j.c.a.

« Je suis d’accord.

George R. Locke, j.c.a. »

« Je suis d’accord.

Sylvie E. Roussel, j.c.a. »

Traduction certifiée conforme

Elisabeth Ross, jurilinguiste


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

Dossier :

A-336-21

 

INTITULÉ :

ABDALLAH ZOGHBI c. AIR CANADA ET COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 27 FÉVRIER 2023

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE STRATAS

 

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE LOCKE

LA JUGE ROUSSEL

 

DATE DES MOTIFS :

LE 29 JUILLET 2024

 

COMPARUTIONS :

David Baker

Sujit Choudhry

 

POUR L’APPELANT

 

Clay S. Hunter

Jiwan Son

 

POUR L’INTIMÉE

 

Anshumala Juyal

Brittany Tovee

 

POUR L’INTERVENANTE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Bakerlaw

TORONTO (ONTARIO)

Choudhry Law

TORONTO (ONTARIO)

 

POUR L’APPELANT

 

Paterson, MacDougall LLP

TORONTO (ONTARIO)

 

POUR L’INTIMÉE

 

Commission canadienne des droits de la personne

OTTAWA (ONTARIO)

 

POUR L’INTERVENANTE

 

 

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