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Date : 20240806


Dossier : A-186-22

Référence : 2024 CAF 125

CORAM :

LE JUGE STRATAS

LA JUGE GLEASON

LA JUGE MONAGHAN

 

ENTRE :

 

 

ROVI GUIDES, INC.

 

 

appelante

 

et

 

 

VIDÉOTRON LTÉE

 

 

intimée

 

 

Audience tenue à Toronto (Ontario), le 28 novembre 2023.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 6 août 2024.

MOTIFS PUBLICS DU JUGEMENT :

LA JUGE GLEASON

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE STRATAS

LA JUGE MONAGHAN

 


Date : 20240806


Dossier : A-186-22

Référence : 2024 CAF 125

CORAM :

LE JUGE STRATAS

LA JUGE GLEASON

LA JUGE MONAGHAN

 

ENTRE :

 

 

ROVI GUIDES, INC.

 

 

appelante

 

 

et

 

 

VIDÉOTRON LTÉE

 

 

intimée

 

MOTIFS PUBLICS DU JUGEMENT

Il s’agit de la version publique des motifs confidentiels du jugement remis aux parties. Les deux versions sont identiques, car aucun renseignement confidentiel n’a été divulgué dans les motifs confidentiels.

LA JUGE GLEASON

[1] L’appelante, Rovi Guides Inc. (Rovi), interjette appel de la décision Rovi Guides, Inc. c. Vidéotron Ltée, 2022 CF 874 (le juge Lafrenière), par laquelle la Cour fédérale a rejeté son action en contrefaçon de brevet contre l’intimée, Vidéotron Ltée (Vidéotron), et accueilli la demande reconventionnelle de Vidéotron visant l’obtention d’un jugement déclarant que plusieurs revendications des brevets canadiens de Rovi, soit les brevets no 2 337 061, 2 339 629, 2 336 870 (le brevet 870) et 2 730 344 (le brevet 344), sont invalides et qu’il n’y a pas eu contrefaçon de ces revendications.

[2] Les quatre brevets portent sur la technologie de « guide de programmes de télévision interactif » (GPI), résumée de la façon suivante par la Cour fédérale au paragraphe 3 de ses motifs :

[…] un GPI est un logiciel qui affiche des listes de programmes télévisés et un contenu enregistré sous forme électronique que l’utilisateur peut consulter par des moyens électroniques. Dans un GPI, l’information sur les émissions télédiffusées est téléchargée ou transmise à l’équipement de télévision d’un utilisateur, le plus souvent un boîtier décodeur, qui la stocke en mémoire. (En anglais, on appelle cet appareil un « set-top box », ou STB, parce qu’on le plaçait originellement sur le téléviseur. On l’appelle aussi en français un décodeur de câblodistribution, ou tout bonnement un décodeur.)

[3] La Cour fédérale a jugé que toutes les revendications invoquées sont invalides parce qu’elles sont antériorisées ou évidentes, voire les deux, au regard de l’art antérieur et des connaissances générales courantes de la personne versée dans l’art à qui s’adressent les brevets (la personne versée dans l’art). Ces conclusions suffisaient pour qu’elle rejette l’action de Rovi et accueille la demande reconventionnelle de Vidéotron, mais, par souci d’exhaustivité, la Cour fédérale s’est également prononcée sur la réparation qu’elle aurait dû accorder si les revendications en cause avaient été valides. Elle a conclu que, dans une telle situation, Rovi n’aurait pas eu droit à une restitution des profits mais plutôt à une redevance raisonnable.

[4] Rovi interjette appel des conclusions de la Cour fédérale à l’égard des brevets 870 et 344, mais pas des conclusions relatives aux deux autres brevets qui étaient en cause devant la Cour fédérale. Rovi fait valoir que la Cour fédérale a commis des erreurs susceptibles de révision dans son analyse de l’évidence en ce qui concerne les deux brevets et a erronément conclu que Vidéotron n’avait pas contrefait le brevet 344. Elle affirme aussi que la Cour fédérale a commis des erreurs susceptibles de révision dans son analyse de la réparation.

[5] Pour les motifs qui suivent, je conclus que la Cour fédérale n’a pas commis d’erreur susceptible de révision dans son analyse de l’évidence concernant les brevets 870 et 344. Par conséquent, notre Cour n’a pas besoin d’examiner les conclusions d’absence de contrefaçon tirées par la Cour fédérale, mais elle doit quand même corriger certaines observations formulées par cette dernière. Ces corrections n’ont pas d’incidence sur l’issue du présent appel, et je rejetterais donc l’appel avec dépens.

I. Les motifs de la Cour fédérale

[6] Mon examen des motifs de la Cour fédérale est uniquement axé sur les parties qui sont pertinentes quant aux questions que Rovi soulève en appel. Pour commencer, penchons-nous sur les brevets 870 et 344.

A. Le brevet 870 et le brevet 344

[7] Le brevet 870, déposé le 13 juillet 1999, a expiré le 13 juillet 2019. La Cour fédérale a déterminé que la date de priorité pour ce brevet est le 11 juin 1999 (après avoir examiné deux autres dates de priorité mentionnées dans le brevet) (Décision de la Cour fédérale, par. 351). Pour reprendre les mots utilisés par la Cour fédérale dans ses motifs, « [d]e manière générale, le brevet 870 concerne les systèmes GPI, et plus particulièrement ceux qui permettent aux utilisateurs d’enregistrer des émissions et des données des guides de programmes sur un serveur multimédia » (Décision de la Cour fédérale, par. 339).

[8] Au procès, Rovi a soutenu que Vidéotron avait contrefait la revendication 456 (qui dépend de la revendication 454), la revendication 459 (qui dépend de la revendication 457) et les revendications 720 et 721 du brevet 870, libellées de la façon suivante :

[traduction]

Revendication 454

Méthode de lecture d’émissions stockées sur l’appareil utilisateur d’un autre utilisateur, ce qui comprend :

la génération d’une commande de lecture d’une émission avec le premier appareil utilisateur, où l’émission a été enregistrée sur le deuxième appareil utilisateur en réponse à une commande d’enregistrement générée sur ce deuxième appareil;

en réponse à la commande de lecture, la réception par le premier appareil utilisateur de l’émission du deuxième appareil utilisateur;

et l’affichage de l’émission reçue.

Revendication 456

Méthode de la revendication 454, dans laquelle l’émission est une radiodiffusion.

Revendication 457

Le premier appareil utilisateur, servant à lire des émissions stockées sur un deuxième appareil utilisateur; ce premier appareil comprenant :

un moyen de générer la commande de lecture d’une émission par le premier appareil utilisateur, quand elle a été enregistrée sur le deuxième appareil utilisateur en réponse à une commande d’enregistrement générée sur ce deuxième appareil;

un moyen de recevoir sur le premier appareil utilisateur l’émission du deuxième appareil utilisateur en réponse à la commande de lecture;

un moyen d’afficher l’émission reçue.

Revendication 459

Le premier appareil utilisateur de la revendication 457, où l’émission est une radiodiffusion.

Revendication 720

Méthode de lecture d’émissions, qui comprend :

la réception d’une commande d’enregistrement d’une émission sur le premier appareil utilisateur pour l’enregistrer sur cet appareil, dans lequel cet appareil est connecté à un premier écran configuré pour générer un affichage vidéo;

en réponse à la réception de la commande d’enregistrement sur le premier appareil utilisateur, l’enregistrement de l’émission sur ce premier appareil;

la transmission, du deuxième appareil utilisateur au premier appareil utilisateur, d’une commande de lecture de l’émission, où ce deuxième appareil est connecté à un deuxième écran configuré pour générer un affichage vidéo;

la réception par le premier appareil utilisateur à partir du deuxième appareil utilisateur, de la commande de lecture de l’émission;

en réponse à la réception par le premier appareil utilisateur à partir du deuxième appareil utilisateur, de la commande de lecture de l’émission, la transmission de cette émission à ce deuxième appareil;

la réception, par le deuxième appareil utilisateur, de l’émission transmise par le premier appareil utilisateur; et

l’affichage, sur l’écran du deuxième appareil utilisateur, de l’émission reçue par ce deuxième appareil.

Revendication 721

Méthode de la revendication 720, dans laquelle l’émission est une radiodiffusion.

[9] Le brevet 344, déposé le 16 juillet 1999, a expiré le 16 juillet 2019. La date de priorité revendiquée est le 17 juillet 1998, que la Cour fédérale a acceptée (Décision de la Cour fédérale, par. 415). Comme l’indique la Cour fédérale, « [l]e brevet 344 porte sur des [TRADUCTION] “guides de médias interactifs” qui présentent les fonctions d’un GPI sur plusieurs appareils d’un même domicile » (Décision de la Cour fédérale, par. 416).

[10] Voici les revendications du brevet 344 que Rovi estimait être contrefaites par Vidéotron :

[traduction]

Revendication 113

Méthode de coordination entre deux guides interactifs, qui comprend :

la réception par un premier guide de médias interactif, de la première indication d’une première activité réalisée sur un premier appareil utilisateur mettant en œuvre le premier guide de médias interactifs, dans lequel la première activité est associée à une première émission;

la réception par le deuxième guide de médias interactif, d’une deuxième indication d’une deuxième activité réalisée sur un deuxième appareil utilisateur mettant en œuvre le deuxième guide de médias interactif, dans lequel la deuxième activité est associée à une deuxième émission;

la génération du contenu pour sa présentation sur le premier guide de médias interactif, en fonction de la première indication faite sur le premier guide de médias interactif et de la deuxième indication faite sur le deuxième guide de médias interactif.

Revendication 116

La méthode de la revendication 113 comprend en outre la génération de contenu pour sa présentation sur le deuxième guide de médias interactif, selon la première indication faite sur le premier guide de médias interactif, et la deuxième indication faite sur le deuxième guide de médias interactif.

Revendication 119

La méthode de la revendication 113, dans laquelle la première activité et la deuxième activité comprennent une ou plusieurs opérations de réglage des canaux préférés, de modification des réglages de contrôle parental, de programmation d’un enregistrement, de réglage des paramètres d’enregistrement, de réglage des paramètres de paiement à la carte, de réglage des paramètres de message, de réglage des rappels et de modification des profils des utilisateurs.

Revendication 120

La méthode de la revendication 113, dans laquelle le premier appareil utilisateur et le deuxième appareil utilisateur sont situés dans un foyer.

Revendication 123

La méthode de la revendication 113 comprend en outre :

la génération, selon la première indication sur le premier guide de médias interactif et la deuxième indication sur le deuxième guide de médias interactif, d’une liste combinée des enregistrements programmés.

B. Les conclusions sur l’évidence tirées par la Cour fédérale

[11] La Cour fédérale a conclu que les revendications mentionnées ci‑dessus des brevets 870 et 344 sont évidentes, et donc invalides, compte tenu des connaissances générales courantes de la personne versée dans l’art et des renseignements contenus dans un document publié par le Digital Audio-Visual Council (le Conseil) en 1998, intitulé « DAVIC 1.3.1 Specification Part 1 » (le document DAVIC).

[12] Le Conseil est un organisme sans but lucratif siégeant en Suisse. Pour reprendre les mots employés dans le document DAVIC, l’objectif du Conseil est de [traduction] « promouvoir le succès des applications et des services audiovisuels numériques interactifs grâce à la spécification d’interfaces et de protocoles ouverts ». Le document DAVIC est le fruit d’un processus de consultation de plusieurs années mené auprès de fabricants d’équipement, de fournisseurs de services, d’organismes gouvernementaux et d’intervenants ne relevant pas du Conseil. Il est expliqué dans l’introduction que ce document qu’il décrit [traduction] « en détail les outils et le comportement dynamique minimal requis des systèmes audiovisuels numériques pour une interopérabilité de bout en bout entre pays, applications et services ».

[13] La Cour fédérale a conclu que la personne versée dans l’art comprendrait qu’il faut lire globalement le document DAVIC. Selon elle, ce document est également le reflet des connaissances technologiques et des renseignements que posséderait déjà cette personne aux dates pertinentes pour l’évaluation de l’évidence.

[14] Au début de son analyse de l’évidence, au paragraphe 296 des motifs, la Cour fédérale énonce correctement le critère applicable, exposé dans l’arrêt Apotex Inc. c. Sanofi-Synthelabo Canada Inc., 2008 CSC 61, [2008] 3 R.C.S. 265 [Sanofi], au paragraphe 67 : le tribunal doit suivre la démarche suivante :

  • premièrement, identifier la « personne versée dans l’art »;

  • deuxièmement, déterminer les connaissances générales courantes pertinentes de cette personne;

  • troisièmement, définir l’idée originale des revendications en cause, au besoin par voie d’interprétation;

  • quatrièmement, recenser les différences, s’il en est, entre ce qui ferait partie de « l’état de la technique » et l’idée originale qui sous-tend les revendications ou leur interprétation;

  • enfin, décider, en faisant abstraction de toute connaissance de l’invention revendiquée, si ces différences constituent des étapes évidentes pour la personne versée dans l’art ou si elles dénotent quelque inventivité.

[15] Dans le présent appel, Rovi ne conteste pas les conclusions de la Cour fédérale concernant les attributs de la personne versée dans l’art. Nul besoin, donc, de s’attarder sur la première étape de l’analyse de l’évidence.

[16] En ce qui concerne la deuxième étape, la Cour fédérale a conclu, au paragraphe 140 de ses motifs, que les connaissances générales courantes de la personne versée dans l’art aux dates de priorité pertinentes engloberaient les concepts liés à de nombreuses technologies, à savoir :

  • technologies de télédiffusion analogique et numérique vers des décodeurs domestiques;

  • technologies informatiques comme les ordinateurs personnels, Windows 95 et Internet;

  • technologie des décodeurs, y compris logiciels et applications exécutées sur ceux‑ci : guides interactifs et d’autres fonctions interactives, y compris télévision à la carte et vidéo sur demande;

  • conception et création de logiciels pour décodeurs, directement ou par impartition à des entrepreneurs ou des fabricants;

  • technologies liées au réseautage d’ordinateurs et d’autres appareils électroniques, qui se répandaient aux dates pertinentes pour l’évaluation de l’évidence.

[17] En ce qui concerne le brevet 870 plus particulièrement, la Cour fédérale a conclu, au paragraphe 392 de ses motifs, qu’à la date de priorité, la personne versée dans l’art :

  • serait familière avec les réseaux à domicile;

  • comprendrait qu’une fois le contenu audiovisuel disponible sur un réseau, à partir d’un serveur, par exemple, tout autre périphérique du réseau pourrait le récupérer;

  • serait familière avec les enregistreurs vidéos personnels (EVP) multipièce;

  • comprendrait que de tels enregistreurs vidéos personnels pouvaient être connectés ensemble;

  • serait au courant de l’existence de systèmes comme ceux de TiVo et de Replay TV, qui permettaient d’enregistrer des émissions sur des appareils de stockage numérique.

[18] Selon l’interprétation faite par la Cour fédérale du mot [traduction] « utilisateurs » figurant dans les revendications en cause du brevet 870, ce terme ne désigne pas exclusivement les personnes visant dans un même domicile. Elle a aussi interprété l’élément [traduction] « réception ou transmission d’une émission depuis ou vers le deuxième appareil utilisateur », et conclu qu’il englobe la diffusion en continu et le transfert de fichiers.

[19] En ce qui concerne la troisième partie du critère défini dans l’arrêt Sanofi, la Cour fédérale a conclu que l’idée originale des revendications en cause du brevet 870 comprend les caractéristiques suivantes : (1) générer la commande de lecture d’une émission enregistrée sur le deuxième appareil utilisateur à partir du premier appareil utilisateur; (2) réception par le premier appareil utilisateur de l’émission du deuxième appareil utilisateur. La Cour a souscrit à l’opinion de l’expert de Vidéotron, M. Sandoval, selon laquelle l’« essence » même de la fonction des enregistreurs vidéo numériques (EVN) multipièce décrite dans le brevet 870 est le réseautage à la maison, dont l’un des avantages est que « deux décodeurs pourraient transférer un contenu de l’un à l’autre » (Décision de la Cour fédérale, par. 409).

[20] Comme je le mentionne plus haut, la Cour fédérale a conclu que l’idée originale des revendications en cause est évidente compte tenu des connaissances générales courantes de la personne versée dans l’art et des divulgations contenues dans le document DAVIC. Vidéotron s’est fondée en particulier sur les points 4.06 et 4.07 du tableau des fonctions figurant à la section 7.3 du document DAVIC :

[traduction]

4.06 L’application doit pouvoir transférer une session vers un autre décodeur au même endroit (par exemple pour transférer une émission vers une unité dans une autre pièce du même domicile).

4.07 L’application doit pouvoir transférer une session vers un autre décodeur à un autre endroit (par exemple pour transférer une émission vers une unité dans un autre domicile).

[21] La Cour fédérale a jugé que la personne versée dans l’art comprendrait que le terme « set top units » (STU) (« décodeur » dans la traduction ci‑dessus) utilisé dans la version anglaise des extraits du document DAVIC reproduits ci‑dessus est synonyme du terme « Set-Top-Box » (STB) (« décodeur ») (Décision de la Cour fédérale, par. 394).

[22] En ce qui concerne le premier élément de l’idée originale des revendications en cause du brevet 780, [traduction] « générer la commande de lecture d’une émission enregistrée sur le deuxième appareil utilisateur à partir du premier appareil utilisateur », la Cour fédérale a conclu que le document DAVIC illustre un réseau domestique comportant de nombreux périphériques (Décision de la Cour fédérale, par. 396). Elle s’est appuyée sur l’explication donnée par M. Sandoval, à savoir que la personne versée dans l’art aurait su que, une fois le réseau domestique établi, chaque appareil connecté pourrait « parler » à tout autre appareil connecté (Décision de la Cour fédérale, par. 396).

[23] La Cour fédérale a conclu que cette fonctionnalité est aussi expressément décrite à la section 7.2 du document DAVIC, dont voici le texte :

[traduction]

Vu la pénétration prévue des services numériques grand public, un réseau numérique domestique, qui permettra de choisir les services accessibles à partir de plusieurs appareils domestiques, deviendra nécessaire. L’introduction dans les domiciles d’appareils numériques de stockage rendra ce besoin plus pressant. Les réseaux domestiques DAVIC doivent ainsi prendre en charge les fonctions requises pour relier les appareils numériques grand public afin d’échanger des données entre ces appareils de manière simple et directe.

Davic - Home Network

FR

EN

UPI

UPI

Figure 7.2 : Réseau domestique

Figure 7.2: Home Network

[24] La Cour a ajouté ce qui suit au paragraphe 396 de ses motifs :

[…] Dans le document DAVIC, [à la section 7.2,] la mention claire « choisir l’accès », ajoutée à la mention de cet accès pour les « périphériques de stockage numérique domestiques » à l’aide de « réseaux domestiques pour DAVIC », appuie fortement l’opinion de M. Sandoval que la personne versée dans l’art saurait qu’on pouvait utiliser un décodeur pour accéder au choix à un service particulier, c’est-à-dire commander la lecture d’une émission stockée sur un autre décodeur.

[25] En ce qui concerne le deuxième élément de l’idée originale des revendications en cause du brevet 870 portant sur la réception, les parties ne s’entendaient pas sur l’interprétation à donner au terme [traduction] « session » utilisé aux points 4.06 et 4.07 du tableau des fonctions figurant à la section 7.3 du document DAVIC. La Cour fédérale a privilégié le témoignage de M. Sandoval et conclu qu’une « session » est un terme technique – deux points d’extrémité lancent une session et y mettent fin – et que le transfert d’une session serait interprété « comme désignant la diffusion d’un contenu d’un décodeur vers un autre » (Décision de la Cour fédérale, par. 398).

[26] La Cour fédérale a aussi retenu le témoignage de M. Sandoval selon lequel la personne versée dans l’art comprendrait que le document DAVIC décrit la diffusion d’un décodeur vers un autre. M. Sandoval a déclaré, et la Cour fédérale a souscrit à cette affirmation, que la personne versée dans l’art saurait qu’on pouvait transférer une émission d’un décodeur à un autre et que les particularités de mise en œuvre seraient inhérentes aux fonctions décrites dans le document DAVIC. La Cour fédérale a par conséquent conclu que « si les éléments propres aux revendications tels qu’une [TRADUCTION] “commande de lecture d’une émission” ou qu’une [TRADUCTION] “commande d’enregistrement” ne sont pas expressément énoncés dans le document DAVIC, un tel écart entre l’art antérieur et les revendications 870C serait évident pour la personne versée dans l’art » (Décision de la Cour fédérale, par. 405).

[27] Passons au brevet 344. Comme je le mentionne plus haut, la Cour fédérale a conclu qu’il est lui aussi évident compte tenu des connaissances générales courantes de la personne versée dans l’art. Selon la Cour fédérale, cette personne :

  • saurait comment créer un réseau d’appareils, autant un réseau local qu’un réseau étendu;

  • serait familière avec les systèmes numériques, y compris les ordinateurs personnels et les réseaux domestiques;

  • saurait qu’une fois connectés à un réseau, les périphériques peuvent tous « communiquer entre eux »; et

  • saurait que les paramètres d’un abonné peuvent être partagés entre les appareils et son domicile.

[Décision de la Cour fédérale, par. 452]

[28] En ce qui concerne l’idée originale des revendications en cause du brevet 344, la Cour fédérale a jugé que les éléments essentiels de toutes les revendications sont :

1) la coordination des réglages d’un GPI sur un deuxième GPI; 2) la réception des première et deuxième indications associées à une première et une deuxième émissions; 3) l’affichage d’une interface présentant un contenu lié aux réglages coordonnés.

[Décision de la Cour fédérale, par. 454]

[29] Rovi a fait valoir qu’il existait un écart entre ces éléments et l’art antérieur, en ce sens que deux éléments contenus dans son brevet sont absents de l’art antérieur, à savoir l’utilisation d’un GPI pour mettre en place la coordination et une voie de communication de retour. Selon Rovi, cet écart ne pouvait être comblé sans inventivité.

[30] La Cour fédérale n’a pas souscrit à cet avis. Elle a conclu que les éléments inventifs des revendications en cause sont évidents à la lumière du document DAVIC, notamment de la fonction énoncée au point 8.14, libellé de la façon suivante :

[traduction]

8.14 Une application exécutée sur un décodeur doit pouvoir communiquer avec une application associée exécutée sur un autre décodeur et se synchroniser avec celle‑ci.

[31] En ce qui concerne le premier élément de l’idée originale des revendications en cause du brevet 344 portant sur la coordination des réglages entre un premier GPI et un deuxième GPI, la Cour fédérale s’est encore une fois fondée sur la preuve présentée par M. Sandoval et a conclu que la notion de coordination des réglages entre plusieurs décodeurs est présente dans le document DAVIC, qui décrit la capacité d’échanger des informations entre appareils d’un réseau domestique. Le mot [traduction] « coordination » qui figure dans les revendications en cause ne se trouve pas au point 8.14 du document DAVIC, mais la Cour fédérale a conclu que, dans la pratique, une synchronisation correspond à une coordination (Décision de la Cour fédérale, par. 459). Elle a aussi souscrit à l’opinion de M. Sandoval selon laquelle la personne versée dans l’art aurait compris que l’une des applications décrites comme étant synchronisées, au point 8.14 du document DAVIC, était un GPI exécuté sur un décodeur et que la synchronisation des applications signifierait la synchronisation de leur fonctionnement. Comme M. Sandoval, la Cour fédérale était aussi d’avis que la personne versée dans l’art aurait été familière avec les réglages des abonnés. Elle a souligné qu’un réglage pouvant être synchronisé entre plusieurs GPI est un réglage d’abonné connu, comme les réglages de télévision à la carte (Décision de la Cour fédérale, par. 460).

[32] Sur l’élément de la réception des première et deuxième indications associées à une première et une deuxième émissions, soit la deuxième idée originale des revendications en cause du brevet 344, la Cour fédérale a conclu ce qui suit :

Compte tenu de la divulgation dans le document DAVIC – à savoir que la synchronisation doit être établie entre les décodeurs d’un réseau – et des [connaissances générales courantes] relatives aux appareils numériques d’un réseau, la personne versée dans l’art serait en mesure de mettre en place un réseau domestique comprenant plusieurs décodeurs, où chacun peut synchroniser le fonctionnement de son application avec une application exécutée sur un autre décodeur.

Je suis d’accord avec M. Sandoval pour dire qu’une fois synchronisés, ces réglages seraient disponibles sur les deux décodeurs. Il faut donc obligatoirement que les décodeurs échangent une « indication » que des paramètres d’utilisateur ont été modifiés pour que la synchronisation décrite puisse se produire.

[Décision de la Cour fédérale, par. 461 et 462].

[33] Enfin, sur le troisième élément de l’idée originale des revendications en cause du brevet 344, la Cour fédérale a jugé que la génération d’une présentation des réglages synchronisés serait évidente, car la personne versée dans l’art connaîtrait les concepts généraux d’un GPI et des interfaces utilisateur. Ainsi, « [i]l ne serait pas inventif pour la personne versée dans l’art d’inclure un affichage des applications synchronisées décrites par le document DAVIC » (Décision de la Cour fédérale, par. 463).

[34] La Cour fédérale a conclu que, « en consultant le document DAVIC et en s’appuyant sur ses [connaissances générales courantes], la personne versée dans l’art aurait facilement comblé les écarts relevés par [le témoin expert de Rovi] » (Décision de la Cour fédérale, par. 464). Elle a par conséquent statué que les revendications en cause des brevets 870 et 344 sont évidentes et donc invalides.

[35] Comme il ressort de ce résumé du raisonnement de la Cour fédérale sur l’évidence, cette dernière s’est grandement fondée sur la preuve présentée par l’expert de Vidéotron, M. Sandoval. La Cour fédérale a en revanche conclu que le témoignage de l’expert de Rovi, M. Balakrishnan, « notamment en ce qui concerne sa conception de l’art antérieur, était moins convaincant, cohérent, objectif et équilibré que ce à quoi il est raisonnable de s’attendre de la part d’un expert indépendant » (Décision de la Cour fédérale, par. 66). Elle a privilégié le témoignage de M. Sandoval, déclarant que « bien que certains éléments de son témoignage [l]’aient donné à réfléchir, [la Cour] estim[ait] que, dans l’ensemble, M. Sandoval [avait] été un témoin franc, crédible et fiable » (Décision de la Cour fédérale, par. 83).

C. Les conclusions de la Cour fédérale sur la réparation

[36] Passons au résumé des conclusions de la Cour fédérale sur la réparation.

[37] Comme on l’a vu, même si elle a rejeté l’action de Rovi et accueilli la demande reconventionnelle de Vidéotron, la Cour fédérale a poursuivi l’analyse et tiré des conclusions sur la réparation par souci d’exhaustivité. Elle a conclu que, si les brevets avaient été valides et contrefaits, Rovi n’aurait pas eu droit à une restitution des profits, mais seulement à une redevance raisonnable à l’égard des revendications que Vidéotron aurait contrefaites.

[38] À l’appui de sa position contre une restitution des profits, la Cour fédérale a cité le paragraphe 8 de l’arrêt de notre Cour Philip Morris Products S.A. c. Marlboro Canada Limitée, 2016 CAF 55, [2016] A.C.F. no 175 [Marlboro CAF], pour affirmer que bien que l’octroi d’une restitution des bénéfices soit une réparation discrétionnaire, le tribunal ne devrait pas refuser d’accorder cette réparation en l’absence d’un motif convaincant. La Cour fédérale a conclu que les facteurs pertinents pour décider si une restitution des profits doit être accordée sont les suivant : (i) la question de savoir s’il y a eu retard dans l’introduction ou la poursuite de l’action; (ii) la conduite du breveté; (iii) la conduite du contrefacteur; (iv) la question de savoir si le breveté a mis en pratique l’invention revendiquée dans le brevet au Canada; et (v) la complexité du calcul des profits à restituer (Décision de la Cour fédérale, par. 581).

[39] La Cour fédérale a examiné en premier l’allégation de Vidéotron au sujet du retard, et a signalé que « [l]orsque le breveté tarde à introduire son action contre le contrefacteur, si bien qu’il laisse délibérément ce dernier accumuler des bénéfices colossaux, la restitution des profits peut être refusée » (Décision de la Cour fédérale, par. 582). Elle a jugé que Rovi n’avait pas tardé à introduire l’action et que le premier facteur était donc neutre.

[40] Concernant le deuxième facteur, à savoir la conduite de Rovi, la Cour fédérale a conclu qu’il militait fortement contre une restitution des profits. Plus précisément, elle a conclu que le modèle d’affaires de Rovi reposant sur la conclusion de contrats de licences d’exploitation et la façon dont elle s’y prenait, le temps que Rovi avait pris pour demander et obtenir ses brevets auprès du Bureau des brevets et la façon dont Rovi avait traité avec Vidéotron militaient tous contre une restitution des profits.

[41] En ce qui a trait au modèle d’affaires de Rovi, la Cour fédérale a écrit ceci au paragraphe 586 de ses motifs :

[…] Rovi a la réputation d’utiliser des tactiques juridiques impitoyables pour faire pression sur des tiers afin qu’ils demandent des licences d’exploitation de son portefeuille de brevets. Rovi était connue pour son modèle d’affaires consistant à regrouper des portefeuilles de brevets, à rechercher des licences, à s’appuyer sur ses licences antérieures et à recourir de manière énergique aux tribunaux pour amener les sociétés qui évitent les risques à conclure des contrats conformes à son barème de redevances. Elle dépense des dizaines de millions de dollars par an dans des litiges en matière de brevets.

[Décision de la Cour fédérale, par. 586]

[42] La Cour fédérale a de plus conclu que Rovi menait apparemment une stratégie consistant à retarder le traitement de ses demandes de brevet parce que les brevets en cause ont été délivrés entre 13 et 17 ans après leurs dates de priorité. Elle a également ajouté que l’un des témoins experts de Rovi avait confirmé que « le fait de retarder le traitement de demandes de brevet posait problème parce qu’une fois qu’un contrefacteur potentiel a lancé un produit, la marge de manœuvre est moins grande, et le détenteur de brevet opportuniste peut alors essayer d’obtenir des redevances de licence plus importantes, voire déraisonnables » (Décision de la Cour fédérale, par. 590). Toutefois, aucune preuve n’a été présentée à la Cour fédérale sur la cause du temps de traitement des demandes de brevets de Rovi ni sur la façon dont le Bureau des brevets traite habituellement les demandes au Canada.

[43] La Cour fédérale a ensuite fait observer que Rovi n’avait pas fourni à Vidéotron tous les détails sur les revendications de brevets qui avaient, à son avis, été contrefaites, et a conclu que ce comportement de la part de Rovi était attribuable au fait qu’elle voulait empêcher Vidéotron de contourner les revendications en cause. La Cour a écrit qu’il était :

[…] plutôt évident que la raison pour laquelle Rovi a refusé de fournir à Vidéotron la liste complète des revendications de brevets précises qu’elle jugeait contrefaites était d’empêcher Vidéotron de les contourner. Rovi a estimé que, même après l’expiration des quatre brevets en cause, Vidéotron ne serait pas libre de poursuivre ses activités, car il y aurait toujours d’autres brevets que Rovi pourrait faire valoir à l’encontre de Vidéotron.

[Décision de la Cour fédérale, par. 592]

[44] La Cour fédérale s’est aussi fondée sur le fait que Rovi n’avait pas fourni à Vidéotron des renseignements précis sur la valeur des brevets lorsque cette dernière a voulu renouveler le contrat de licence. Elle a aussi souligné que Rovi n’avait pas envoyé une mise en demeure à Vidéotron avant d’introduire l’action. La Cour fédérale a admis que l’envoi d’une telle lettre n’est pas requis pour l’obtention d’une restitution des profits, mais a néanmoins conclu « qu’introduire une procédure judiciaire contre une partie qui refuse de conclure un contrat de licence sans lui donner au préalable la possibilité d’examiner la demande et de tenter de résoudre le litige s’apparente à des représailles » (Décision de la Cour fédérale, par. 593).

[45] La Cour fédérale a conclu son évaluation de la conduite de Rovi en déclarant que « [l]es pratiques commerciales douteuses de Rovi teintent nécessairement [l’] avis [de la Cour] sur la valeur des fonctions qu’elle revendique dans les brevets en cause. Ce facteur milite fortement contre Rovi » (Décision de la Cour fédérale, par. 594).

[46] En ce qui concerne le troisième facteur, soit la conduite de Vidéotron, la Cour fédérale a conclu que Vidéotron s’était comportée de manière appropriée même si elle n’avait pas fourni de réponse technique à la prétention de Rovi selon laquelle le système de Vidéotron contrefaisait ses brevets. La Cour a jugé que ce facteur était neutre.

[47] Quant au quatrième facteur, à savoir si le breveté avait mis en pratique l’invention revendiquée dans le brevet au Canada, la Cour fédérale a conclu qu’il était neutre parce que certains éléments de preuve indiquaient qu’en plus d’accorder des licences à l’égard de ses brevets, Rovi fournissait des produits aux fournisseurs de télévision payante au Canada.

[48] Au sujet du dernier facteur, lié au calcul des profits à restituer, la Cour fédérale a conclu que la complexité, en soi, n’empêcherait pas la réparation. Toutefois, à la lumière de la preuve présentée par les parties, elle a conclu qu’une restitution des profits n’était pas appropriée parce qu’elle n’était pas convaincue que les méthodes proposées par Rovi pour calculer les profits réalisés par Vidéotron lui permettraient d’arriver à un montant fiable et approprié (Décision de la Cour fédérale, par. 607).

[49] La Cour fédérale a par conséquent conclu que, si les brevets avaient été valides, il n’aurait pas été approprié d’accorder une restitution des profits. Selon elle, la réparation devrait plutôt être, dans une telle situation, une redevance raisonnable, fondée sur le taux de redevance raisonnable que Rovi aurait pu négocier avec Vidéotron. Pour l’évaluation du taux qui aurait pu être obtenu par les parties, la Cour fédérale a accepté l’affirmation de Vidéotron selon laquelle « la mesure de réparation appropriée serait le versement unique d’une redevance raisonnable n’excédant pas ce qu’il en coûterait à Vidéotron pour retirer l’objet de la revendication de brevet en question ou pour concevoir une variante permettant d’éviter la contrefaçon » (Décision de la Cour fédérale, par. 611). La Cour a ensuite conclu, dans le même paragraphe, que « le coût approximatif d’un tel changement de conception serait de 150 000 dollars par fonction ». Elle n’est toutefois pas arrivée à cette conclusion sans se prononcer sur le coût des changements de conception, admettant que Vidéotron aurait pu faire les changements requis comme cette dernière l’affirmait.

II. Analyse

[50] Passons maintenant à l’examen des divers arguments avancés par Rovi devant notre Cour.

A. La Cour fédérale a-t-elle commis une erreur dans son analyse de l’évidence?

[51] Dans sa plaidoirie, où elle a peaufiné son argumentation, Rovi allègue que la Cour fédérale a commis trois erreurs de droit dans son analyse de l’évidence. Premièrement, Rovi fait valoir que la Cour fédérale a commis une erreur en se fondant sur la preuve présentée par M. Sandoval, car ce dernier n’était pas bien informé des attributs que doit posséder la personne versée dans l’art et qu’il n’a, par conséquent, pas abordé correctement la question de l’évidence. Deuxièmement, Rovi soutient que la Cour fédérale a commis une erreur en s’appuyant sur un examen empreint de sagesse rétrospective. Troisièmement, Rovi affirme que la Cour fédérale avait un point de vue sur elle et ses brevets faussé par des éléments étrangers non pertinents, comme en fait foi le paragraphe 594 des motifs, ce qui a teinté son analyse de l’évidence.

[52] Aucun de ces arguments ne me convainc que la Cour fédérale a commis une erreur justifiant notre intervention.

[53] Avant de me pencher sur chacun des arguments de Rovi, j’estime important de rappeler que les conclusions de la cour de première instance sur l’évidence sont des conclusions mixtes de fait et de droit. Par conséquent, en l’absence d’une erreur de droit isolable, elles ne peuvent être infirmées que s’il y a une erreur manifeste et déterminante (Packers Plus Energy Services Inc. c. Essential Energy Services Ltd., 2019 CAF 96, autorisation de pourvoi à la C.S.C. refusée, 38694 (19 décembre 2019), par. 29 [Packers], citant Teva Canada Limitée c. Pfizer Canada Inc., 2019 CAF 15, par. 23 [Pfizer]; Teva Canada Limitée c. Novartis Pharmaceuticals Canada Inc., 2013 CAF 244, [2013] A.C.F. no 1108, par. 10 à 12; Alcon Canada Inc. c. Actavis Pharma Company, 2015 CAF 191, [2015] A.C.F. no 1083, par. 11).

[54] Les conclusions tirées sur l’état de la technique ainsi que sur la nature et la portée des connaissances générales courantes de la personne versée dans l’art sont également des conclusions mixtes de fait et de droit qui ne peuvent être infirmées que s’il y a erreur manifeste et déterminante (Packers, par. 30, citant Apotex Inc. c. Allergan Inc., 2015 CAF 137, [2015] A.C.F. no 953, par. 7 [Allergan]; AFD Petroleum Ltd. c. Frac Shack Inc., 2018 CAF 140, par. 38 [Frac Shack]).

[55] Notre Cour et la Cour suprême du Canada ont souligné à de nombreuses reprises que la norme de l’erreur manifeste et déterminante commande un degré élevé de retenue judiciaire. Par « manifeste », on entend une erreur évidente, et par « déterminante », une erreur qui détermine sur l’issue de l’affaire. Pour reprendre les termes utilisés par la Cour suprême dans l’arrêt Salomon c. Matte‑Thompson, 2019 CSC 14, [2019] 1 R.C.S. 729 [Salomon], « [l]orsque la norme déférentielle de l’erreur manifeste et déterminante s’applique, les tribunaux d’appel ne peuvent intervenir que dans les cas où la décision de première instance est entachée d’une erreur évidente qui a déterminé l’issue de l’affaire » (par. 33, citant Canada c. South Yukon Forest Corporation, 2012 CAF 165, [2012] A.C.F. no 669, autorisation de pourvoi à la C.S.C. refusée, 34946 (6 décembre 2012); voir aussi Benhaim c. St-Germain, 2016 CSC 48, [2016] 2 R.C.S. 352, par. 38.

[56] Ainsi, dans une affaire comme celle qui nous occupe, le rôle de notre Cour en appel n’est pas d’examiner, et d’évaluer à nouveau, les éléments de preuve sur lesquels la Cour fédérale s’est fondée pour parvenir à ses conclusions d’évidence ni de décider à nouveau quel est l’expert dont on devrait privilégier le témoignage (voir Pfizer, par. 31; Eli Lilly and Company c. Apotex Inc., 2010 CAF 240, [2010] A.C.F. no 1199, par. 8; E. Mishan & Sons, Inc. c. Supertek Canada Inc., 2015 CAF 163, par. 25. Comme la Cour suprême l’a souligné dans l’arrêt Salomon, « [l]e fait qu’une conclusion de fait différente aurait pu être tirée sur la base du poids attribué à différents éléments de preuve ne signifie pas qu’une erreur manifeste et déterminante a été commise » (par. 33, citant Nelson (City) c. Mowatt, 2017 CSC 8, [2017] 1 R.C.S. 138, par. 38.

(1) La Cour fédérale a-t-elle commis une erreur en se fondant sur la preuve présentée par M. Sandoval?

[57] Gardons ces mises en garde à l’esprit et passons au premier argument de Rovi.

[58] Comme je l’ai mentionné plus haut, Rovi soutient que la Cour fédérale a commis une erreur en se fondant sur la preuve présentée par M. Sandoval parce que ce dernier n’était pas bien informé des attributs que doit posséder la personne versée dans l’art et qu’il n’a par conséquent pas abordé correctement la question de l’évidence. Plus précisément, elle affirme que M. Sandoval a défini la personne versée dans l’art comme étant une personne inventive, ce qui est l’opposé des enseignements de la jurisprudence.

[59] Rovi a raison de dire que, selon les principes juridiques applicables, la personne versée dans l’art ne peut être définie comme étant inventive. En effet, les tribunaux recourent à la notion de personne versée dans l’art pour pouvoir écarter ce qui relève de l’inventivité dans l’analyse de l’évidence. La pierre de touche classique « de l’évidence de l’invention est le technicien versé dans son art mais qui ne possède aucune étincelle d’esprit inventif ou d’imagination; un parangon de déduction et de dextérité complètement dépourvu d’intuition; un triomphe de l’hémisphère gauche sur le droit » (Corporation de soins de la santé Hospira c. Kennedy Trust for Rheumatology Research, 2020 CAF 30, [2020] A.C.F. no 179, par. 79 [Hospira], citant Beloit Canada Ltée. c. Valmet Oy, [1986] A.C.F. no 87 (C.A.F.), par. 18 [Beloit CAF 1986]). Voici ce qu’a déclaré notre Cour au paragraphe 18 de l’arrêt Beloit CAF 1986 :

Pour établir si une invention est évidente, il ne s’agit pas de se demander ce que des inventeurs compétents ont ou auraient fait pour solutionner le problème. Un inventeur est par définition inventif. La pierre de touche classique de l’évidence de l’invention est le technicien versé dans son art mais qui ne possède aucune étincelle d’esprit inventif ou d’imagination; un parangon de déduction et de dextérité complètement dépourvu d’intuition; un triomphe de l’hémisphère gauche sur le droit. Il s’agit de se demander si, compte tenu de l’état de la technique et des connaissances générales courantes qui existaient au moment où l’invention aurait été faite, cette créature mythique (monsieur tout-le-monde du domaine des brevets) serait directement et facilement arrivée à la solution que préconise le brevet. C’est un critère auquel il est très difficile de satisfaire.

[60] Autrement dit, la personne versée dans l’art, du point de vue de laquelle le brevet doit être lu, est différente de l’inventeur qui fait un travail créatif et réalise une invention (Amgen Canada Inc. c. Apotex Inc., 2015 CF 1261, [2015] A.C.F. no 1382, par. 86, conf. par 2016 CAF 196, [2016] A.C.F. no 765, autorisation de pourvoi à la C.S.C. refusée, 37124 (27 octobre 2016)).

[61] Les connaissances générales courantes d’un tel être fictif dépourvu d’inventivité découlent d’une « conception rationnelle de ce qui serait en fait connu par une personne adéquatement versée dans l’art, qui existerait réellement et qui ferait bien son travail » (Eli Lilly Canada Inc. c. Apotex Inc., 2018 CF 736, [2018] A.C.F. no 814, par. 46, citant Eli Lilly & Co. c. Apotex Inc., 2009 CF 991, [2009] A.C.F. no 1229, par. 97, conf. par 2010 CAF 240, [2010] A.C.F. no 1199 [Eli Lilly]). Ainsi, « [o]n s’attend de la personne versée dans l’art qu’elle fasse preuve de diligence raisonnable pour se tenir au courant des progrès dans le domaine auquel le brevet est lié » (Johnson & Johnson Inc. c. Boston Scientific Ltd., 2008 CF 552, [2008] A.C.F. no 728, par. 373, citant Whirlpool Corp. c. Camco Inc., 2000 CSC 67, [2000] 2 R.C.S. 1067, par. 74 [Whirlpool]).

[62] Gardant ces principes à l’esprit, j’estime qu’il est utile de reproduire les conclusions de la Cour fédérale relatives à la première question soulevée par Rovi :

Lorsque Vidéotron a engagé M. Sandoval comme expert, elle l’a informé que la personne versée dans l’art n’était pas de nature inventive. En définissant la personne versée dans l’art dans son rapport d’expert sur la validité des brevets en cause, M. Sandoval a indiqué que la personne qui aurait lu ces brevets [traduction] « se serait concentrée sur les nouvelles technologies pour l’industrie de la câblodistribution plutôt que sur le simple maintien de l’infrastructure existante ». Au cours de son contre-interrogatoire, il a peiné à expliquer ce qu’il avait voulu dire en parlant d’une personne versée dans l’art [traduction] « qui se serait concentrée sur les nouvelles technologies », et a ajouté à un moment donné [traduction] « [qu’]une personne peut innover sans être inventive ».

Rovi soutient que M. Sandoval a en fait défini une personne inventive versée dans l’art, ce qui serait contraire à la description de la personne versée dans l’art faite par le juge Rothstein au paragraphe 52 de l’arrêt Sanofi, soit un « technicien versé dans son art mais qui ne possède aucune étincelle d’esprit inventif ou d’imagination ». Je ne suis pas d’accord.

J’ai estimé que M. Sandoval s’efforçait plutôt de résoudre, comme j’ai dû le faire, la question qui doit être posée en ce qui concerne l’évidence. Cela suppose une comparaison entre, d’une part, l’état de la technique et les [connaissances générales courantes] de la personne versée dans l’art, et, d’autre part, l’idée originale des revendications du brevet (Sanofi, au para 67). S’il n’y a pas de différence entre les deux éléments de la comparaison, les revendications sont évidentes. S’il y a une différence, mais que la personne versée dans l’art peut combler l’écart sans qu’aucune étape inventive soit nécessaire, les revendications sont également évidentes. Autrement dit, une étape pourrait être considérée comme constituant une différence sans nécessairement être inventive.

Bien que, quant à sa personnalité fictive, l’hypothétique personne versée dans l’art ne soit pas réputée inventive, elle est tenue pour raisonnablement diligente lorsqu’il s’agit de suivre les progrès réalisés dans le domaine dont relève le brevet. Comme l’a affirmé le juge Binnie au paragraphe 74 de l’arrêt Whirlpool, les [connaissances générales courantes] de la personne versée dans l’art « évoluent et augmentent constamment ». Au cours de son contre-interrogatoire, M. Sandoval a précisé qu’il était conscient qu’il s’agissait d’un sujet nuancé. À mon avis, il n’était aucunement inapproprié que M. Sandoval affirme que la personne versée dans l’art se tient au courant des nouvelles technologies.

[Décision de la Cour fédérale, par. 104 à 107]

[63] Comme on l’a vu, il s’agit de conclusions mixtes de fait et de droit qui ne peuvent être infirmées que s’il y a erreur manifeste et déterminante (Packers, par. 30, citant Allergan, par. 7; Frac Shack, par. 38).

[64] Nous devons aussi examiner la preuve présentée par M. Sandoval qui a mené la Cour fédérale à tirer ces conclusions. Je vais d’abord me pencher sur le rapport de M. Sandoval. Il est expressément déclaré dans les paragraphes reproduits ci‑dessous qu’ils se rapportent au brevet 870, mais le rapport confirme que la personne versée dans l’art pour les autres brevets en cause avait les mêmes caractéristiques que la personne versée dans l’art pour le brevet 870. M. Sandoval a écrit ce qui suit :

[traduction]

24. À mon avis, la personne versée dans l’art pour le brevet 870 serait une personne « fictive » ayant de l’expérience dans la câblodistribution et une compréhension des caractéristiques technologiques et des fonctions offertes aux abonnés de cette industrie dans les années 1990. Cette personne connaîtrait bien les systèmes de câblodistribution analogique, qui étaient couramment utilisés à l’époque. Elle aurait aussi des connaissances sur les systèmes de diffusion par ondes hertziennes en direct, les systèmes de télévision par satellite et la transition aux systèmes numériques tant des systèmes de diffusion par ondes hertziennes que de câblodistribution. Cette personne aurait une compréhension générale des composantes principales d’un système de câblodistribution, y compris la tête de ligne, le système qui fournissait les connexions aux résidences des abonnés, les décodeurs utilisés aux domiciles des abonnés et les fonctions offertes aux abonnés. Pour ce qui est des décodeurs, la personne versée dans l’art aurait des connaissances et une expérience en ce qui a trait aux différentes versions et types de décodeurs, et aurait participé à des discussions sur les fonctions offertes aux abonnés selon les décodeurs.

25. Je remarque qu’à de nombreux endroits dans la description du brevet 870 (ainsi que des brevets 061, 344 et 629), il est indiqué que toute technologie « appropriée » peut être utilisée. À mon avis, cela donne à entendre que la personne versée dans l’art a des connaissances et une expérience suffisantes pour déterminer quelle technologie pourrait être utilisée dans le contexte décrit et comprendre ainsi ce qui est décrit et comment utiliser l’invention.

26. La personne fictive versée dans l’art serait familière avec la fonction d’enregistrement personnel d’émissions sur un magnétoscope, le concept d’architecture client-serveur et le concept de diffusion de contenu par session telle que prise en charge par les systèmes de vidéo sur demande (VSD) qu’on commençait à mettre en marché.

27. Pour ce qui est de la transition aux systèmes numériques, la personne versée dans l’art aurait pu rencontrer des ingénieurs en logiciels et des développeurs de logiciels, soit au sein de la même société, soit par l’intermédiaire de fournisseurs externes, et travailler avec eux. Il s’agirait notamment d’ingénieurs en logiciels qui pouvaient mettre en œuvre des logiciels exécutés des décodeurs. Les connaissances de la personne versée dans l’art comprendraient par conséquent les connaissances et l’expérience de tels ingénieurs et développeurs. Ces connaissances englobent l’expérience et les renseignements sur les systèmes numériques, les processeurs, les ordinateurs, les systèmes de stockage, les réseaux informatiques et Internet.

28. De plus, le destinataire du brevet aurait une bonne compréhension de la façon dont les guides de programmes étaient fournis aux abonnés des systèmes de câblodistribution. La personne versée dans l’art aurait de l’expérience et des connaissances en ce qui concerne la conception et la mise en œuvre de guides de programmes pour les abonnés d’un système de câblodistribution dans les années 1990. Cette expérience comprendrait certaines connaissances au sujet de l’ingénierie des facteurs humains et la conception d’interfaces utilisateur graphiques.

29. La personne versée dans l’art qui aurait lu les brevets se serait concentrée sur les nouvelles technologies pour l’industrie de la câblodistribution plutôt que sur le simple maintien de l’infrastructure existante.

30. À mon avis, pour avoir l’ensemble des compétences et des connaissances décrites, la personne versée dans l’art aurait probablement au moins trois ans d’expérience dans le domaine. Il ne serait pas nécessaire qu’elle détienne un diplôme universitaire de premier cycle, mais, compte tenu du niveau de compétence et d’expérience décrit ci‑dessus, on s’attendrait à ce qu’elle possède un diplôme de premier cycle en informatique, en communications ou en génie.

[Non souligné dans l’original.]

[65] Rovi remet en question particulièrement le paragraphe 29 du rapport, où M. Sandoval affirme que la personne versée dans l’art se serait concentrée [traduction] « sur les nouvelles technologies pour l’industrie de la câblodistribution plutôt que sur le simple maintien de l’infrastructure existante » (non souligné dans l’original), ce qui, selon elle, indique que la personne versée dans l’art définie par M. Sandoval est inventive.

[66] Rovi soutient que la Cour fédérale a commis une erreur, au paragraphe 107, en déclarant que la personne versée dans l’art se tenait simplement « au courant des nouvelles technologies » parce que la personne versée dans l’art définie par M. Sandoval faisait plus que se tenir « au courant des nouvelles technologies », en ce sens qu’elle participait à leur développement. En plus de l’extrait du rapport reproduit ci‑dessus, Rovi se fonde aussi sur les extraits suivants du contre‑interrogatoire de M. Sandoval :

[traduction]

Q. Et donc quand vous dites que la personne versée dans l’art se serait concentrée sur les nouvelles technologies pour l’industrie de la câblodistribution, vous voulez dire que cette personne développerait de nouvelles technologies, c’est bien cela?

R. De façon générale, oui, c’est bien cela.

Q. Cela voudrait dire que votre personne versée l’art trouverait des choses qui n’existaient pas encore?

R. Oui. C’est que, vous savez, c’est là que réside la différence intéressante entre le fait pour une personne de pousser plus loin ce qui existe par des moyens évidents et, a contrario, le fait pour une personne d’avoir besoin d’inventer. Alors pour être honnête, vous savez, je devais faire très – et c’est pourquoi j’ai mentionné juste avant que j’essayais de garder ce concept à l’esprit, parce que la frontière entre la situation où une chose mène en quelque sorte à une conclusion inévitable dont peut-être personne ne vous a parlé, mais à laquelle vous arriveriez, versus la situation où vous seriez en train de créer quelque chose. Peut-être que quelqu’un d’autre a créé la même chose, mais vous n’en avez jamais entendu parler. Alors la différence entre, disons, une innovation et une invention tient peut-être à une ligne fine, et donc j’ai essayé de faire très attention pour ne pas l’oublier. Et donc chaque ingénieur – les ingénieurs font des choses. Cela signifie que les ingénieurs sont toujours en train de résoudre des problèmes. C’est la nature de leur travail, ils font des choses nouvelles. Donc c’est le propre de la profession. Vous faites toujours des choses nouvelles. Maintenant, savoir si c’est particulièrement inventif ou non, vous savez, c’est une question sur laquelle on peut se pencher, est‑ce que telle chose a été inventée. J’étais donc très conscient de ce facteur, et je l’ai intégré à mes opinions.

Q. Alors votre personne versée dans l’art est quelqu’un qui essaie de faire quelque chose de nouveau?

R. Sans être particulièrement inventive, oui.

Q. Donc elle est innovante?

R. Comme je l’ai dit, la question est nuancée. On peut peut-être s’entendre pour dire qu’on peut innover sans être inventif.

Q. Mais c’est votre position, on peut innover sans être inventif?

R. Bien, selon moi, nous utilisons ces termes pour essayer de rendre ce genre de distinction subtile. Vous savez, ce qui est inventif par opposition à ce qui est juste ce que vous faites, dans ce que vous faites.

Q. Encore une fois, ce dont vous parlez – vous vous fondez sur votre opinion sur ce que les ingénieurs sont dans la vraie vie, exact?

R. Pas seulement les ingénieurs, mais de façon plus générale les gens qui œuvrent dans la sphère technologique. N’est-ce pas? Donc ça pourrait être une personne en marketing qui a certaines aptitudes techniques. N’est-ce pas? Son travail est de deviner les prochaines étapes, eh, regardez ce qui s’en vient. Quel que soit le terme que vous utilisez, peut-être que « innovation » est le terme le plus approprié, mais il s’agit d’absorber des idées autour de soi et de voir comment on peut les appliquer. Ces applications peuvent ne pas nécessiter beaucoup d’inventivité, mais c’est le propre de la personne versée dans l’art, elle travaille sur des choses nouvelles.

Q. Quand vous dites le propre de la personne versée dans l’art, on parle du prisme de la personne versée dans l’art dont vous vous êtes servi pour votre analyse, exact?

R. C’est exact.

Q. Donc vous dites que c’est son travail, elle doit absorber des idées et elle doit arriver avec de nouveaux produits, c’est ce que les personnes font dans l’industrie de la tech?

R. Je pense qu’on peut dire ça, oui.

Q. Vous dites donc que c’est le type de personne sur lequel repose votre analyse?

R. En général, c’est l’un des aspects de la personnalité ou une compétence ou un rôle de la personne versée dans l’art. C’est ce que je voulais souligner ici à la section, 29, c’est qu’il y a des personnes qui ont peut-être ces connaissances générales courantes, mais on ne s’attend pas vraiment, de par leur rôle, à ce qu’elles appliquent ces connaissances générales pour résoudre un problème particulier. Où, vous savez, elles peuvent très bien être des personnes versées dans l’art en théorie; toutefois, leur rôle est juste de faire voler l’avion, pour ainsi dire. C’est logique?

Q. Bien, je ne suis pas certain. Alors votre – Je crois que ce que vous essayez de me dire c’est que -- au [paragraphe] 29 [de votre rapport] vous dites : « La personne versée dans l’art qui aurait lu les brevets se serait concentrée sur les nouvelles technologies pour l’industrie de la câblodistribution plutôt que sur le simple maintien de l’infrastructure existante ». Êtes-vous en train de me dire que la personne qui se concentre uniquement sur le maintien de l’infrastructure existante est une personne versée dans l’art conformément à votre définition ou qu’elle n’est pas une personne versée dans l’art?

R. Ce que je dis probablement ici, c’est que même si cette personne peut très bien avoir des aptitudes techniques, nous n’allons pas la considérer comme une personne versée dans l’art parce que je considère la personne versée dans l’art de mon point de vue particulier, c’est une personne qui est, de par la nature de son rôle, qui va être comme vous l’avez décrite, une personne qui absorbe ce qui se passe dans l’ensemble de l’industrie et dans l’ensemble du monde. Et qui va voir comment les choses peuvent se faire, ce qui a du sens peut être adopté dans son entreprise.

Q. […] Vous avez dit : « Alors c’était, vous savez, une période où on avait un pied dans le changement dans l’industrie de la câblodistribution, de sorte que tout le monde dans l’industrie était au courant des nouvelles fonctions qui n’étaient pas encore disponibles pour les décodeurs. C’était, vous savez, ces changements étaient certainement possibles dans un avenir proche. » Vous souvenez-vous avoir rendu ce témoignage plus tôt?

R. Oui.

Q. Alors encore une fois, dans votre explication des connaissances générales courantes de la personne versée dans l’art, vous avez défini cette personne comme étant orientée vers l’avenir, exact?

R. Oui, j’ai effectivement affirmé cela, oui.

[Non souligné dans l’original.]

[67] Après examen du témoignage reproduit ci‑dessus, je ne vois aucune erreur susceptible de révision dans la conclusion de la Cour fédérale selon laquelle, d’une manière générale, M. Sandoval décrivait une personne versée dans l’art qui se tenait au courant des avancées dans un domaine où la technologie évolue vite, mais qui n’était pas inventive. À mon avis, cette conclusion est conforme à l’affirmation du juge Binnie dans l’arrêt Whirlpool selon laquelle les connaissances générales courantes de la personne versée dans l’art « évoluent et augmentent constamment » (Whirlpool, par. 74).

[68] En somme, je partage l’avis de Rovi et de la Cour fédérale selon lequel M. Sandoval s’est exprimé d’une façon qui portait parfois à confusion, mais ce constat sur cette façon de s’exprimer ne signifie pas que la Cour fédérale a commis une erreur susceptible de révision en se fondant sur des parties du témoignage de M. Sandoval pour appuyer ses conclusions sur l’évidence. La Cour fédérale était consciente du fait que la description des attributs de la personne versée dans l’art faite par M. Sandoval n’était pas toujours claire, et M. Sandoval a convenablement nuancé ses déclarations en contre-interrogatoire, comme le démontre l’extrait reproduit ci‑dessus.

[69] En outre, la Cour fédérale ne s’est pas seulement fondée sur la preuve présentée par M. Sandoval dans son analyse de l’évidence. Ses conclusions reposent aussi sur son propre examen du document DAVIC, même si celui‑ci doit être interprété à travers le prisme des connaissances générales courantes de la personne versée dans l’art qu’elle a arrêtées.

[70] Au bout du compte, les évaluations de la solidité de la preuve et les conclusions quant au témoignage retenu au détriment d’un autre sont du ressort de la cour de première instance. Ces questions se situent au cœur même de la fonction juridictionnelle de la cour de première instance, qui remplit la fonction de juge des faits. En l’espèce, étant donné que le témoignage de M. Sandoval était beaucoup plus nuancé que ce que soutient Rovi, et vu l’usage qu’a fait la Cour fédérale de ce témoignage, je ne constate aucune erreur susceptible de révision qui justifierait l’intervention de notre Cour dans le fait que la Cour fédérale s’est fondée sur la preuve présentée par M. Sandoval. En bref, il n’appartient pas à notre Cour, cour d’appel tranchant l’affaire sur dossier seulement, de substituer son opinion à celle de la Cour fédérale et de rejeter le témoignage de M. Sandoval si la Cour fédérale n’a commis aucune erreur de droit en privilégiant cette preuve plutôt qu’une autre.

[71] Par conséquent, je conclus que le premier moyen avancé par Rovi est rejeté.

(2) La Cour fédérale a-t-elle commis une erreur en s’appuyant sur un examen empreint de sagesse rétrospective?

[72] Passons au deuxième argument de Rovi. Comme je l’ai mentionné plus haut, Rovi affirme que la Cour fédérale a commis une erreur en recourant à un examen empreint de sagesse rétrospective.

[73] Cet argument repose en partie sur le premier argument de Rovi selon lequel la Cour fédérale a commis une erreur en acceptant la preuve sur l’évidence de M. Sandoval, vu la définition de la personne versée dans l’art de ce dernier. Pour les motifs exposés ci‑dessus, cet argument est rejeté.

[74] De plus, Rovi soutient que l’examen rétrospectif découlait du manque d’expérience, selon elle, de M. Sandoval en ce qui a trait à la technologie dont il est question dans les brevets 870 et 344. Rovi ajoute que la Cour fédérale a mal interprété rétrospectivement le document DAVIC, concluant qu’il donnait [traduction] « une description complète » des systèmes audiovisuels numériques alors que les deux parties s’entendaient pour dire que ce n’était pas le cas.

[75] Je ne souscris pas à ces prétentions.

[76] La Cour fédérale était très consciente de l’allégation concernant le manque d’expérience de M. Sandoval et a consacré plusieurs paragraphes de ses motifs à cette question :

M. Sandoval ne pouvait pas s’appuyer sur les connaissances personnelles qu’il avait acquises à l’époque pour parler l’état des [connaissances générales courantes] aux dates pertinentes en ce qui a trait aux brevets en cause (en 1998 et 1999). Son point de vue sur les [connaissances générales courantes] et d’autres questions liées à la présente affaire devait s’appuyer sur d’autres renseignements. Il y a donc lieu d’avoir des réserves au sujet de la fiabilité de ce type de témoignage rétrospectif et de se préoccuper du risque de s’appuyer sur la sagesse rétrospective. Les experts, à l’instar de la Cour, doivent se méfier de la sagesse rétrospective dans tout litige en matière de brevets, car ils sont inévitablement appelés à se prononcer sur une technologie conçue dans le passé, et ce, souvent après une longue période intermédiaire au cours de laquelle le développement technologique s’est sensiblement accéléré.

Mes préoccupations au sujet de la sagesse rétrospective de M. Sandoval ont été quelque peu atténuées par le fait que M. Sandoval s’est penché sur des technologies résidentielles déployées commercialement qui n’ont pas beaucoup changé au cours des quelques dernières années. De plus, M. Sandoval n’est pas parti de rien pour devenir l’architecte logiciel en chef de CableLabs. Entre 1985 et 1999, il a travaillé dans plusieurs sociétés qui ont développé des logiciels pour des applications interactives, notamment une plate-forme multimédia interactive sur disques laser, et dans l’industrie des jeux, pour 3DO et Electronic Arts. À cette époque, 3DO collaborait avec d’autres entreprises pour créer des systèmes de décodeurs destinés à la diffusion vidéo sur demande. Même si M. Sandoval n’a peut-être pas fait partie de l’équipe qui travaillait sur ce projet, il connaissait le projet et s’y intéressait.

Je fais également remarquer que M. Sandoval a mené ses recherches pour se familiariser avec des questions qui étaient pertinentes et que devait connaître au moins une partie de l’équipe versée dans l’art en 2001. À son nouveau poste, il devait comprendre l’historique de la technologie. Il a également fondé ses avis sur des renseignements objectifs antérieurs aux dates de priorité des brevets en cause ainsi que sur des questions découlant directement de son expertise principale.

M. Sandoval est un expert dans le développement d’applications sur des appareils intégrés en général. De son point de vue, qu’il s’agisse de présenter le contenu d’un disque multimédia ou d’un syntonisateur de télévision, les défis, les principes de conception et les méthodes de développement des applications sur un appareil intégré sont les mêmes. Il était donc en bonne position, vu sa vaste expérience, pour fournir un témoignage pertinent sur ce que la personne versée dans l’art aurait connu et compris à l’époque pertinente.

[Décision de la Cour fédérale, par. 89 à 92].

[77] Je ne relève aucune erreur de fait ou de principe dans ces paragraphes. La Cour fédérale avait bien conscience de la possibilité que M. Sandoval recoure à de la sagesse rétrospective. De plus, elle a clairement écrit que, même s’il existait un certain risque qu’il fasse preuve de sagesse rétrospective, elle était en dernière analyse convaincue que, grâce à ses connaissances et à son expérience, il avait l’expertise voulue pour examiner le contenu d’un disque multimédia ou d’un syntonisateur de télévision, ainsi que pour donner son avis sur les défis et les principes de conceptions y afférents en cause. Il était loisible à la Cour fédérale de tirer cette conclusion. Cet argument est par conséquent rejeté.

[78] En ce qui concerne l’allégation selon laquelle la Cour fédérale a interprété erronément le document DAVIC de façon rétrospective en concluant qu’il donnait [traduction] « une description complète » des systèmes audiovisuels numériques, la Cour fédérale a effectivement utilisé les mots [traduction] « description complète » pour décrire le document DAVIC. Toutefois, elle a tout de suite après expliqué que le document DAVIC « décrit […] [TRADUCTION] “les outils et le comportement dynamique minimal requis par les systèmes audiovisuels numériques pour une interopérabilité de bout en bout entre pays, applications et services” » (Décision de la Cour fédérale, par. 69, citant l’introduction du document DAVIC).

[79] Je ne relève aucune erreur susceptible de révision dans le fait que la Cour fédérale utilise les mots [traduction] « description complète », même si ces mots ne décrivent pas de façon précise la façon dont les experts voyaient le document DAVIC. La clarification de la Cour fédérale à ce sujet était appropriée et conforme aux témoignages des experts sur la nature du document DAVIC. Cette clarification correspond à ce que ce document lui‑même indique. Sur ce point, Rovi semble s’être attardée à deux mots d’importance limitée dans des motifs comportant plus de 600 paragraphes pour tenter d’en faire une erreur susceptible de révision, mais cette erreur n’existe pas.

[80] En fait, les allégations de sagesse rétrospective avancées par Rovi ne sont rien de plus qu’une tentative de sa part de nous amener à refaire l’analyse de l’évidence de la Cour fédérale et à parvenir à une conclusion différente. Or, comme on l’a vu, ce n’est pas là le rôle de notre Cour, qui ne peut intervenir que si la Cour fédérale a commis une erreur de droit ou une erreur de fait manifeste et déterminante. Sur la question de la sagesse rétrospective, la Cour fédérale n’a pas commis aucune de ces erreurs.

(3) La Cour fédérale avait-elle une opinion faussée de Rovi qui a teinté son analyse de l’évidence?

[81] La troisième erreur de droit alléguée par Rovi est que la Cour fédérale a admis une opinion faussée de Rovi qui a indûment teinté son analyse de l’évidence. Rovi invoque en particulier le paragraphe 594 des motifs de la Cour fédérale, où cette dernière a écrit ceci : « Les pratiques commerciales douteuses de Rovi teintent nécessairement [l’]avis [de la Cour] sur la valeur des fonctions qu’elle revendique dans les brevets en cause. Ce facteur milite fortement contre Rovi. »

[82] Je suis d’accord avec Rovi lorsqu’elle dit qu’il est erroné d’affirmer qu’il existe un lien entre les pratiques commerciales d’une entreprise et la validité ou la valeur de ses brevets. Une entreprise intraitable qui intente une action en recourant à une « tactique de la terre brulée » peut néanmoins posséder un brevet valide de grande valeur. Certaines pratiques d’une entreprise peuvent être pertinentes pour l’exercice du pouvoir discrétionnaire de la Cour qui doit déterminer le type de réparation à accorder – cette question est traitée plus en détail plus loin –, mais ces pratiques commerciales ne sont aucunement pertinentes quant à la validité ou la valeur du portefeuille de brevets de cette entreprise (à condition que cette dernière ne contrevienne pas à l’article 53 de la Loi sur les brevets, L.R.C. (1985), ch. P-4, qui énonce les situations – le breveté fait certaines sortes de fausses déclarations dans sa demande de brevet – qui entraînent la nullité d’un brevet).

[83] Cela dit, il convient de rappeler que la Cour fédérale ne s’est pas fondée sur son point de vue sur les pratiques commerciales de Rovi dans son analyse de la validité. Les observations que Rovi attaque ont été formulées au paragraphe 594 des motifs de la Cour fédérale, dans la partie où elle traite de la réparation. Il n’y a aucune indication dans la longue analyse des questions de validité faite par la Cour que cette dernière a été de quelque manière que ce soit influencée par son point de vue sur les pratiques commerciales de Rovi. Par conséquent, je conclus que les observations faites au paragraphe 594 concernant la réparation ne justifient pas l’annulation des conclusions de la Cour fédérale sur la validité.

[84] Je ne modifierais donc pas les conclusions de la Cour fédérale sur l’évidence.

B. La Cour fédérale a-t-elle commis une erreur dans son analyse de la réparation?

[85] Les motifs exposés ci‑dessus indiquent que l’appel doit être rejeté, mais je suis d’avis que notre Cour doit traiter des erreurs commises par la Cour fédérale dans son analyse des réparations qu’elle aurait accordées si elle avait conclu que les brevets étaient valides et avaient été contrefaits.

[86] Rovi allègue que la Cour fédérale a commis plusieurs erreurs de principe dans son analyse de la réparation. Premièrement, elle soutient que la Cour fédérale a incorrectement qualifié de neutres les facteurs suivants : (1) l’absence de retard de la part de Rovi dans l’introduction de l’action; (2) Rovi a mis en pratique les inventions revendiquées dans les brevets; (3) la conduite de Vidéotron, qui a mis en pratique ces inventions au lieu de conclure de nouveaux contrats de licence avec Rovi. Selon Rovi, ces facteurs auraient plutôt dû mener la Cour fédérale à accorder une restitution des profits.

[87] Deuxièmement, Rovi affirme que la Cour fédérale s’est fondée de façon inappropriée sur sa conduite pour la priver d’une restitution des profits, y compris sur ce que la Cour a appelé ses tactiques « impitoyables » dans le cadre du litige. Elle fait valoir que celles‑ci ne sont pas des considérations pertinentes pour la décision du tribunal quant à l’opportunité d’accorder une restitution des profits. Citant les arrêts A.I. Enterprises Ltd. c. Bram Enterprises Ltd., 2014 CSC 12, [2014] 1 R.C.S. 177, et Martel Building Ltd. c. La Reine, 2000 CSC 60, [2000] 2 R.C.S. 860 [Martel], Rovi soutient que les parties n’ont aucune obligation d’agir de bonne foi envers quiconque dans les négociations préalables à la conclusion d’un contrat et qu’elles ont le droit de ne se soucier que de leur propre intérêt dans de telles négociations. Elle affirme que c’est précisément ce qu’elle a fait, et qu’elle était en droit d’être intransigeante dans les négociations qu’elle menait avec Vidéotron. Rovi ajoute que la Cour fédérale ne disposait pas de preuve au sujet de la pratique normale au Canada pour une présentation d’une demande de brevet devant le Bureau des brevets, et ne pouvait donc d’aucune façon se fonder sur le temps qui s’était écoulé entre la date où ont été présentées les demandes concernant les brevets en cause et la date à laquelle ces brevets ont été délivrés. Rovi déclare aussi qu’il n’y avait rien d’irrégulier dans le fait qu’elle n’avait pas fourni à Vidéotron tous les détails sur chacune des revendications des brevets sur lesquelles elle se fondait lorsqu’elle cherchait à renégocier avec Vidéotron l’octroi de licences. Rovi soutient également qu’il n’existe pas de règle selon laquelle une partie doit envoyer une mise en demeure avant d’introduire une action.

[88] Rovi affirme aussi que la Cour fédérale a erronément invoqué la complexité du calcul des profits qu’elle aurait réalisés pour refuser d’accorder une restitution des profits.

[89] Enfin, Rovi fait valoir que la Cour fédérale a incorrectement évalué les dommages‑intérêts parce qu’on ne peut utiliser, pour déterminer le montant d’une redevance raisonnable, le coût nécessaire au développement des produits de substitution non déterminés et non contrefaisants qui auraient pu, selon Vidéotron, être mis au point. Elle ajoute que la Cour fédérale a omis, à tort, de tenir compte des montants que Vidéotron avait antérieurement payés à Rovi pour l’obtention d’une licence, montants qui, selon Rovi, auraient dû constituer le facteur clé pour l’évaluation des dommages-intérêts.

[90] Comme il apparaît clairement ci‑après, Rovi a raison à l’égard de plusieurs de ces affirmations. J’estime utile de formuler quelques observations générales au sujet des réparations dans les affaires en contrefaçon de brevet avant d’examiner chacune des affirmations de Rovi.

(1) Réparations en cas de contrefaçon de brevet

[91] Les réparations en cas de contrefaçon de brevet sont énoncées aux articles 55 et 57 de la Loi sur les brevets.

[92] Selon l’article 55, la Cour peut accorder des dommages‑intérêts en cas de contrefaçon de brevet et une indemnité raisonnable pour le dommage subi entre la date à laquelle le mémoire descriptif est devenu accessible au public conformément à la Loi sur les brevets et la date de l’octroi du brevet, lorsque le brevet ne peut pas encore être contrefait parce qu’il n’a pas encore été délivré. Voici le texte des paragraphes 55(1) et (2) de la Loi sur les brevets :

Contrefaçon et recours

Liability for patent infringement

55. (1) Quiconque contrefait un brevet est responsable envers le breveté et toute personne se réclamant de celui-ci du dommage que cette contrefaçon leur a fait subir après l’octroi du brevet.

55. (1) A person who infringes a patent is liable to the patentee and to all persons claiming under the patentee for all damage sustained by the patentee or by any such person, after the grant of the patent, by reason of the infringement.

Indemnité raisonnable

Liability damage before patent is granted

(2) Est responsable envers le breveté et toute personne se réclamant de celui-ci, à concurrence d’une indemnité raisonnable, quiconque accomplit un acte leur faisant subir un dommage après la date à laquelle le mémoire descriptif compris dans la demande de brevet est devenu accessible au public, en français ou en anglais, sous le régime de l’article 10 et avant la date de l’octroi du brevet, dans le cas où cet acte aurait constitué une contrefaçon si le brevet avait été octroyé à la date où ce mémoire descriptif est ainsi devenu accessible.

(2) A person is liable to pay reasonable compensation to a patentee and to all persons claiming under the patentee for any damage sustained by the patentee or by any of those persons by reason of any act on the part of that person, after the specification contained in the application for the patent became open to public inspection, in English or French, under section 10 and before the grant of the patent, that would have constituted an infringement of the patent if the patent had been granted on the day the specification became open to public inspection, in English or French, under that section.

[93] En ce qui concerne plus particulièrement les principes applicables à l’évaluation des dommages‑intérêts au titre du paragraphe 55(1) de la Loi sur les brevets, le tribunal doit axer son examen sur la perte subie par le demandeur — c.‑à‑d. le breveté ou la partie se réclamant de celui‑ci, comme le titulaire d’une licence — et les dommages‑intérêts accordés sont de nature indemnitaire. Plus précisément, les dommages‑intérêts accordés pour une contrefaçon de brevet au titre du paragraphe 55(1) de la Loi sur les brevets visent à indemniser le demandeur pour les pertes subies en raison de la contrefaçon. Ces dommages‑intérêts peuvent entre autres revêtir la forme d’une indemnisation pour les profits perdus en lien avec des ventes non réalisées ou une diminution des prix subie par le demandeur en raison de la contrefaçon ou d’une indemnisation pour les revenus perdus par le demandeur dans les cas où ce dernier a pour pratique de conclure des contrats de licence (Nova Chemicals Corp. c. Dow Chemical Co., 2022 CSC 43, par. 7 [Nova Chemicals]). Dans les cas où le demandeur a pour pratique d’octroyer des licences pour ses brevets, les droits de licence servent habituellement à établir le montant des dommages‑intérêts liés à la perte des revenus de licence (Nova Chemicals, par. 7).

[94] Il peut cependant exister des situations où le demandeur ne peut pas établir une perte de ventes et n’a pas une pratique d’octroi de licences pour l’invention, éléments sur lesquels s’appuie normalement le tribunal pour déterminer les dommages subis. Dans de telles situations, le tribunal peut accorder des dommages‑intérêts calculés en se fondant sur une « redevance raisonnable » hypothétique sur les ventes réalisées par le contrefacteur (Nova Chemicals, par. 7, citant AlliedSignal Inc. c. Du Pont Canada Inc., [1998] A.C.F. no 190 (QL) (C.F. 1re inst.), par. 199 [AlliedSignal]; Unilever PLC et al. c. Proctor & Gamble Inc., [1993] A.C.F. no 117 (QL) (C.F.), conf. par [1995] A.C.F. no 1005 (QL), 61 C.P.R. (3d) 499 (C.A.F.), p. 571 [Unilever]). Pour établir ainsi le taux de redevance hypothétique raisonnable, le tribunal doit déterminer les conditions auxquelles les parties auraient convenu si elles avaient négocié une redevance. Pour reprendre les mots utilisés par la Cour fédérale dans la décision AlliedSignal, il s’agit « de savoir quel taux découlerait des négociations entre un concédant consentant et un porteur de brevet consentant » (par. 199).

[95] La Loi sur les brevets prévoit que le tribunal peut accorder, outre des dommages-intérêts, des réparations en equity, notamment une remise ou restitution des profits et des injonctions. Le paragraphe 57(1) de la Loi sur les brevets dispose :

Interdiction

Injunction may issue

57. (1) Dans toute action en contrefaçon de brevet, le tribunal, ou l’un de ses juges, peut, sur requête du plaignant ou du défendeur, rendre l’ordonnance qu’il juge à propos de rendre :

57. (1) In any action for infringement of a patent, the court, or any judge thereof, may, on the application of the plaintiff or defendant, make such order as the court or judge sees fit,

a) pour interdire ou défendre à la partie adverse de continuer à exploiter, fabriquer ou vendre l’article qui fait l’objet du brevet, et pour prescrire la peine à subir dans le cas de désobéissance à cette ordonnance;

(a) restraining or enjoining the opposite party from further use, manufacture or sale of the subject-matter of the patent, and for his punishment in the event of disobedience of that order, or

b) pour les fins et à l’égard de l’inspection ou du règlement de comptes,

(b) for and respecting inspection or account,

et d’une façon générale, quant aux procédures de l’action.

and generally, respecting the proceedings in the action

[96] Les tribunaux peuvent accorder à la fois une restitution des profits interlocutoire (habituellement à la place d’une injonction interlocutoire) et une restitution des profits définitive. La restitution des profits définitive est souvent jumelée à une injonction permanente lorsque le brevet est toujours en vigueur (voir Apotex Inc. c. Bayer Inc., 2018 CAF 32, [2018] 4 R.C.F. 58, par. 66 [Bayer], citant Vidi v. Smith (1854), 118 E.R. 1404, 3 El. & Bl. 969 (U.K.Q.B.); Beloit Canada Ltée c. Valmet-Dominion Inc., [1997] 3 C.F. 497, [1997] A.C.F. no 486 (QL) (C.A.F.) [Beloit CAF 1997]).

[97] Contrairement à des dommages‑intérêts, une restitution des profits au titre de l’alinéa 57(1)b) de la Loi sur les brevets n’est pas de nature compensatoire. La restitution des profits est plutôt axée sur les profits indûment réalisés par le contrefacteur et non les pertes subies par le demandeur. Si cette réparation est accordée, le contrefacteur doit remettre au demandeur les profits qu’il a réalisés en raison de la contrefaçon. Comme l’a expliqué la Cour suprême au paragraphe 47 de l’arrêt Nova Chemicals, la restitution des profits est une mesure nécessaire pour décourager la contrefaçon, notamment de la part de ceux qui pourraient réaliser des profits qui excèdent les dommages subis par le titulaire d’un brevet. Si cette réparation n’existait pas, les contrefacteurs qui réalisent des profits importants pourraient être tentés de contrefaire délibérément un brevet – si leurs profits sont supérieurs aux dommages-intérêts auxquels ils pourraient être condamnés. La restitution des profits est par conséquent un outil important dans l’arsenal du tribunal pour décourager la contrefaçon et protéger les brevets et le marché inhérent à l’octroi de brevets. Elle peut être particulièrement appropriée dans les cas où de grandes entreprises contrefont des brevets détenus par des entreprises beaucoup plus petites ou des particuliers.

[98] Les dommages‑intérêts et la restitution des profits sont des réparations mutuellement substitutives; ainsi, le demandeur lésé ne peut recevoir les deux réparations pour la même période (Fox, §14:10, citant Betts v. Neilson (1871), L.R. 5 H.L. 1 (H.L.), p. 22 et 27; De Vitre v. Betts (1873), L.R. 6 H.L. 319 (H.L.), p. 321; United Horse Shoe and Nail Company Limited v. Stewart and Company (1888), 5 R.P.C. 260 (H.L.), p. 266; American Braided Wire Company v. Thomson (1890), 7 R.P.C. 152 (C.A.), p. 158).

[99] Il appartient au demandeur de solliciter une restitution des profits réalisés par le contrefacteur, car la réparation par défaut est l’octroi de dommages‑intérêts selon la Loi sur les brevets, et le tribunal ne peut accorder une restitution à moins que le demandeur ne choisisse de solliciter cette réparation (Bayer, par. 34).

[100] Cela dit, les demandeurs n’ont pas automatiquement droit à une restitution des profits après avoir choisi de solliciter cette réparation. Comme toute réparation en equity, le tribunal dispose du pouvoir discrétionnaire de refuser d’accorder une restitution des profits s’il estime qu’il serait inéquitable de sa part d’accorder une telle réparation (voir, concernant de façon générale le pouvoir discrétionnaire d’accorder des réparations en equity, Bande indienne Wewaykum c. Canada, 2002 CSC 79, [2002] 4 R.C.S. 245, par. 107 [Wewaykum], citant Frame c. Smith, [1987] 2 R.C.S. 99, p. 144; Canson Enterprises Ltd. c. Boughton & Co., [1991] 3 R.C.S. 534, p. 589; Performance Industries Ltd. c. Sylvan Lake Golf & Tennis Club Ltd., 2002 CSC 19, [2002] 1 R.C.S. 678, par. 66); concernant plus particulièrement le pouvoir discrétionnaire d’accorder une restitution des profits dans les cas de contrefaçon de brevet, voir Lubrizol Corp. c. Imperial Oil Ltd., [1992] A.C.F. no 1110 (QL) (C.A.F.), par. 69; Unilever, par. 183; Beloit CAF 1997, p. 545; Marlboro CAF, par. 8 à 10; Bayer Aktiengesellschaft and Miles Canada Inc. v. Apotex Inc., [2002] O.J. No. 193, 16 C.P.R. (4th) 417, par. 13 et 14 (C.A. Ont.)).

[101] Le pouvoir discrétionnaire des tribunaux à cet égard vise non seulement l’octroi de la réparation, mais aussi les modalités de celle‑ci, comme sa durée (McGuiness Abrams, Canadian Civil Procedure Law, 2e éd. (Lexis QuickLaw, 2010), §2.32).

[102] La nature discrétionnaire de la restitution des profits est reconnue dans le libellé même de l’alinéa 57(1)b) de la Loi sur les brevets, selon lequel le tribunal « peut » rendre « l’ordonnance qu’il juge à propos de rendre » pour les fins du règlement de comptes. Vu la large portée de cette formulation, notre Cour a statué, dans l’arrêt Beloit CAF 1997, que le tribunal n’est pas tenu de se fonder sur les maximes d’equity pour refuser au demandeur qui a gain de cause la restitution des bénéfices qu’il a choisie (p. 547).

[103] Cela ne veut toutefois pas dire que le juge du procès peut refuser arbitrairement d’accorder la réparation. Voici ce qu’a conclu le juge Pelletier de notre Cour dans l’arrêt Apotex Inc. c. Bristol-Myers Squibb Co., 2003 CAF 263, [2003] A.C.F. no 960 [Bristol‑Myers] au paragraphe 14 :

Le fait que les mesures de redressement en equity soient discrétionnaires signifie que l’intimée ne peut choisir de plein droit d’obtenir la restitution des bénéfices. Ceci dit, une mesure de redressement discrétionnaire n’est pas pour autant arbitraire. À défaut d’une preuve qu’il existe un obstacle à l’obtention d’une mesure de redressement d’equity, un demandeur peut s’attendre à ce que le redressement qu’il sollicite lui soit accordé en conformité avec les principes régissant sa disponibilité. Le fait que la question de l’exclusion d’une mesure de redressement se pose en equity ne signifie pas non plus qu’un demandeur doive réfuter tous les motifs pour lesquels il pourrait possiblement ne pas avoir droit à ce redressement. Une partie ne peut argumenter que son adversaire n’a pas suffisamment réfuté un motif d’empêchement donné. Somme toute, il n’existe aucune raison de ne pas trancher la question du droit de l’intimée de choisir d’obtenir la restitution des bénéfices dans la partie de l’instance portant sur la responsabilité. Puisque l’appelante a affirmé ne pas s’appuyer sur des faits particuliers pour soutenir que l’intimée n’avait pas droit à la restitution des bénéfices, le juge de première instance peut trancher la question du droit de l’intimée sur la base de la preuve présentée par cette dernière.

[Non souligné dans l’original.]

[104] Un peu dans le même esprit, selon un auteur, le pouvoir discrétionnaire de refuser ou d’accorder une réparation en equity comme la restitution des profits ne renvoie pas au pouvoir discrétionnaire personnel du juge et ne signifie pas un pouvoir discrétionnaire illimité dont jouirait le juge pour agir de la façon qu’il estime appropriée. Au contraire, comme le juriste Karl Llewellyn l’a un jour écrit, le pouvoir discrétionnaire judiciaire devrait être exercé avec une [traduction] « régularité rationnelle […] Dans l’exercice de leur pouvoir discrétionnaire judiciaire, par opposition à leur pouvoir discrétionnaire personnel, les tribunaux appliquent les principes d’equity établis aux faits particuliers de l’affaire dont ils sont saisis » (Karl Llewellyn, The Common Law Tradition: Deciding Appeals (Little, Brown & Co., 1960), p. 216).

[105] En d’autres mots, malgré la nature discrétionnaire des réparations en equity comme la restitution des profits, les tribunaux ne devraient pas refuser arbitrairement d’accorder de telles réparations. On s’attend à ce que les tribunaux fassent preuve d’une régularité rationnelle dans l’exercice de leur pouvoir discrétionnaire de décider d’accorder ou non la réparation.

[106] Le professeur Norman Siebrasse a noté que, pendant plusieurs décennies, la restitution des profits a été la réparation pécuniaire de prédilection pour la contrefaçon de brevet au Canada et dans le Commonwealth (voir Norman Siebrasse et autres, « Accounting of Profits in Intellectual Property Cases in Canada (2007) », (2008), 24 Canadian Intellectual Property Review 83, p. 85 (récemment cité avec approbation par la Cour suprême dans l’arrêt Nova Chemicals au par. 37)).

[107] Même si les demandeurs ne peuvent obtenir de plein droit une restitution des profits (voir Bristol-Myers, par. 14), notre Cour a statué qu’un motif convaincant doit être présenté pour que le tribunal puisse refuser d’accorder cette réparation. Dans l’arrêt Marlboro CAF, notre Cour a souscrit à la déclaration du juge en chef de Montigny, alors juge à la Cour fédérale, selon laquelle le tribunal doit « [TRADUCTION] “pondérer les facteurs pertinents à la lumière des objectifs d’equity de la réparation, en gardant à l’esprit que les [intimées] n’ont pas un droit à la restitution des bénéfices, mais qu’elles ne devraient pas se voir refuser cette possibilité en l’absence d’un motif convaincant” » (voir Marlboro CAF, par. 8 (non souligné dans l’original), citant Philip Morris Products S.A. c. Malboro Canada Limited, 2015 FC 364, [2015] F.C.J. No. 1564, par. 21 [Marlboro CF]. Dans l’arrêt Marlboro CAF, il était question de la violation d’une marque de commerce, mais la nécessité d’un motif convaincant pour que le tribunal puisse refuser d’accorder une restitution des profits vaut aussi pour les affaires de contrefaçon de brevet.

[108] Pour savoir quel motif convaincant pourrait exister dans une affaire de contrefaçon de brevet, on peut se reporter à la jurisprudence. On peut ainsi trouver certains exemples où le tribunal a refusé une restitution des profits au demandeur qui avait eu gain de cause :

  • après avoir eu connaissance de la contrefaçon, le demandeur a tardé à intenter l’action ou à poursuivre l’instance (Bayer Inc. c. Cobalt Pharmaceuticals Company, 2016 CF 1192, par. 10 [Bayer CF], conf. par 2018 CAF 32, [2018] 4 R.C.F. 58, par. 68; J.M. Voith GmbH c. Beloit Corp., [1993] 2 C.F. 515 (C.F. 1re inst.), p. 548 [Beloit CF 1993], conf. sur ce point dans Beloit CAF 1997, par. 111; Merck & Co., Inc. c. Apotex Inc., 2006 CAF 323, [2007] 3 R.C.F. 588, autorisation de pourvoi à la C.S.C. refusée, 31754 (10 mai 2007), par. 129 [Merck CAF]);

  • le demandeur n’a pas eu une conduite irréprochable quant à l’action en contrefaçon ou au déroulement de celle‑ci (Nova Chemicals, par. 7; Bayer CF, par. 10, citant Varco Canada Limited c. Pason Systems Corp., 2013 CF 750, par. 403 à 410; Marlboro CF, par. 22 à 45, conf. par Marlboro CAF, par. 3 et 23; Merck CAF, par. 129);

  • la contrefaçon reprochée s’est produite alors que le brevet en cause avait été déclaré invalide en première instance (mais le brevet a ensuite été jugé valide en appel) (Beloit CF 1993, conf. sur ce point dans Beloit CAF 1997);

  • le calcul des profits, par opposition à l’évaluation des dommages‑intérêts, était indûment complexe, particulièrement lorsque les éléments contrefaisants ne constituaient qu’une très petite partie du produit vendu par le défendeur, ce qui faisait en sorte qu’il était difficile pour le tribunal d’arriver à un montant fiable des profits réalisés grâce à la contrefaçon (Eurocopter c. Bell Helicopter Textron Canada Limitée, 2012 CF 113, par. 406 à 416, conf. par 2013 CAF 219; Marlboro CAF, par. 11 à 14);

  • le demandeur était titulaire d’une licence non exclusive (Domco Industries Ltd. c. Armstrong Cork Canada Ltd. et autres, [1980] 2 C.F. 801, 47 C.P.R. (2d) 1 (C.F. 1re inst.), p. 9 et 10, conf. par [1981] 2 C.F. 510 (C.A.F.), conf. par [1982] 1 R.C.F. 907 (ce point n’est pas en litige dans les appels)); et

  • le demandeur n’a pas réalisé l’invention au Canada (Nova Chemicals, par. 7; Frac Shack Inc. c. AFD Petroleum Ltd., 2017 CF 104, par. 283, inf. pour d’autre motifs dans 2018 CAF 140; Human Care Canada Inc. c. Evolution Technologies Inc., 2018 CF 1302, par. 437, inf. pour d’autre motifs dans 2019 CAF 209, autorisation de pourvoi à la C.S.C. refusée, 38846 (9 avril 2020)).

[109] Cependant, en ce qui concerne le dernier point, notre Cour a récemment jugé, dans l’arrêt Seedlings Life Science Ventures, LLC c. Pfizer Canada ULC, 2021 CAF 154 [Seedlings], que le simple fait que le breveté accorde des licences à l’égard de son brevet, ou a l’intention de le faire, ne devrait pas l’empêcher d’obtenir une restitution des profits. S’exprimant au nom de la Cour, le juge Locke a déclaré ceci aux paragraphes 77 à 79 :

En l’espèce, la Cour fédérale a conclu que, bien qu’il y ait eu contrefaçon, la remise des profits aurait été inappropriée. L’un des motifs exposés par la Cour fédérale à l’appui de cette conclusion était que Seedlings ne réalisait pas l’invention et qu’elle n’avait jamais eu l’intention de le faire. Elle prévoyait plutôt concéder à une autre entité une licence sur son invention. Au paragraphe 252 de ses motifs, la Cour fédérale a renvoyé à plusieurs décisions, rendues au fil de plusieurs décennies, étayant l’observation selon laquelle, « si le breveté a réalisé ses bénéfices en vendant des licences, il ne devrait pas avoir droit à une indemnité allant au-delà d’une redevance raisonnable ». En réponse à l’affirmation selon laquelle le fait de refuser à Seedlings le droit de choisir la remise des profits ne tiendrait pas compte de l’objectif de dissuasion de cette mesure, la Cour fédérale a noté l’absence de jurisprudence dans laquelle cette observation l’emportait sur le fait que le breveté ne réalisait pas l’invention.

En ce qui concerne les décisions mentionnées au paragraphe 252 des motifs de la Cour fédérale, j’observe que trois d’entre elles concernent des dommages-intérêts, et non la remise des profits, et qu’elles ne sont donc pas utiles dans le présent contexte : Colonial Fastener Co. Ltd. v. Lightning Fastener Co. Ltd., [1937] R.C.S. 36, à la page 45, [1937] 1 D.L.R. 21; Alliedsignal Inc. c. du Pont Canada Inc., [1998] A.C.F. no 190 (QL) (1re inst.), aux paragraphes 21 et 22, conf. par [1999] A.C.F. no 38 (QL) (C.A.); et JAY-LOR International Inc. c. Penta Farm Systems Ltd., 2007 CF 358, [2007] A.C.F. no 688 (QL), [2007] 4 R.C.F. F-1, au paragraphe 119. Les autres affaires portent sur le fait que le breveté ne réalisait pas l’invention, et pas nécessairement sur la question de savoir s’il réalisait des profits par la vente de licences. À mon avis, aucune des décisions mentionnées n’apportait de fondement ferme au principe général selon lequel le breveté qui réalise des profits (ou a l’intention de le faire) en vendant des licences sur son brevet ne devrait pas avoir le droit de choisir la remise des profits.

Particulièrement, j’ai des réserves quant à l’effet possible de ce principe défini largement sur les inventeurs qui reconnaissent que leur point fort réside dans l’invention et qu’il est préférable pour eux de confier la production et la commercialisation de leurs inventions à d’autres spécialistes. Ces inventeurs, pour des raisons d’efficacité commerciale, chercheront à accorder des licences à des tiers pour que ceux‑ci commercialisent leurs inventions. Le principe largement défini ainsi obligerait ces inventeurs à choisir entre l’efficacité commerciale et un recours potentiel en cas de violation de leurs droits découlant du brevet. La valeur d’un brevet diminuerait donc pour les inventeurs spécialistes. Je ne vois aucune raison de les obliger à faire ce choix. À mon avis, l’efficacité commerciale devrait être encouragée.

[110] Donc, pour déterminer s’il ordonne une restitution des profits, le tribunal ne doit accorder aucun poids au fait que le breveté accorde des licences à l’égard de ses brevets au Canada, ou a l’intention de le faire, au lieu de réaliser lui-même l’invention. Cette situation doit être mise en contraste avec celle où le demandeur n’a pas essayé de commercialiser l’invention, et n’a aucun plan en ce sens. Cette dernière situation pourrait bien militer contre l’octroi d’une restitution des profits.

[111] Il convient de noter que les situations décrites plus haut où la restitution des profits a été refusée ne constituent pas une liste exhaustive des circonstances pouvant justifier le refus d’une telle réparation. Il demeure loisible au tribunal de refuser une restitution des profits dans d’autres situations qui pourraient se présenter, advenant le cas où il serait inéquitable d’accorder cette réparation (Marlboro CAF, par. 8 et 18; Merck CAF, par. 133).

[112] Même si on ne devrait pas priver un demandeur d’une restitution des profits en l’absence d’un motif convaincant, notre Cour a fait remarquer que certaines circonstances militent en faveur d’une telle réparation. La jurisprudence confirme qu’il peut s’agir d’affaires où :

  • le défendeur a sciemment contrefait le brevet (Laboratoires Servier, Adir, Oril Industries, Servier Canada Inc. c. Apotex Inc., 2008 CF 825, par. 509, conf. par 2009 CAF 222, autorisation de pourvoi à la C.S.C. refusée, 33357 (25 mars 2010); Apotex Inc. c. ADIR, 2020 CAF 60, par. 120, autorisation de pourvoi à la C.S.C. refusée, 39172 (24 septembre 2020), citant Monsanto Canada Inc. c. Schmeiser, 2004 CSC 34, [2004] 1 R.C.S. 902, par. 95 [ADIR]; Rivett c. Monsanto Canada Inc., 2010 CAF 207, par. 32); et

  • le défendeur savait que le demandeur ferait probablement valoir ses droits de brevet (Eli Lilly, par. 655).

[113] Lorsqu’il allègue qu’il ne devrait pas être tenu de verser des dommages‑intérêts ou de restituer tout ou partie de ses profits parce qu’il aurait pu recourir à un produit de substitution non contrefaisant, le défendeur doit établir que ce produit représente un véritable produit de rechange et qu’il aurait pu y recourir (voir Nova Chemicals, par. 114, citant Merck & Co. Inc. c. Apotex Inc., 2015 CAF 171, [2016] 2 R.C.F. 202, par. 73 [Lovastatin]). De plus, comme notre Cour l’a déclaré dans l’arrêt Apotex Inc. c. Eli Lilly and Company, 2018 CAF 217 [Apotex 2018], il est particulièrement important de savoir dans les affaires qui ne portent pas sur des brevets pharmaceutiques si le produit de rechange non contrefaisant est un véritable substitut : cette « question très importante [...] consiste habituellement à décider si le consommateur estimerait que le produit en question constitue un véritable substitut » (par. 54; voir aussi ADIR, par. 96 à 100).

[114] Gardant ces principes généraux à l’esprit, je passe à l’examen des divers arguments de Rovi.

(2) Analyse des motifs de la Cour fédérale sur la réparation

[115] Penchons-nous pour commencer sur les diverses erreurs que la Cour fédérale aurait commises dans son traitement de la demande de restitution de profits.

(a) Facteurs considérés comme neutres pour une restitution des profits

[116] Rappelons que Rovi fait tout d’abord valoir que la Cour fédérale a commis une erreur en qualifiant de neutres les facteurs suivants : (1) l’absence de retard; (2) Rovi a mis en pratique les inventions revendiquées dans les brevets; (3) la conduite de Vidéotron, qui a mis en pratique ces inventions. Selon Rovi, ces trois facteurs devraient militer en faveur d’une restitution des profits.

[117] Comme Rovi, je suis d’avis que la Cour fédérale a commis une erreur dans son traitement des facteurs dont elle tenait compte pour décider si elle devait accorder une restitution des profits et je conclus que toute la démarche de la Cour fédérale reposait sur une prémisse erronée. La Cour fédérale a additionné les facteurs qui, selon elle, militaient en faveur d’une restitution des profits, par opposition aux facteurs qui, selon elle, militaient dans le sens inverse. Le point de départ implicite de la démarche de la Cour fédérale était qu’il n’existe pas, à première vue, un droit à une restitution des profits. Toutefois, avec ce point de départ, la Cour fédérale omet de reconnaître qu’il doit y avoir un motif convaincant pour refuser d’accorder une telle réparation. La Cour fédérale aurait plutôt dû partir de la prémisse que Rovi devrait avoir droit à la restitution des profits demandée à moins qu’il n’y ait un motif convaincant suffisant de refuser de lui accorder cette réparation. Si on suit la démarche correcte, on ne peut qualifier des facteurs de « neutres » et ensuite ne pas en tenir compte comme l’a fait la Cour fédérale. Le tribunal devait plutôt chercher à savoir s’il existait des facteurs qui militaient contre la réparation demandée de sorte qu’il aurait été inéquitable d’accorder cette réparation.

(b) La conduite de Rovi

[118] Je souscris aussi en partie au deuxième argument de Rovi et suis d’avis que la Cour fédérale a commis une erreur en concluant qu’elle était en droit de refuser la restitution des profits demandée en raison de nombreux aspects de la conduite de Rovi.

[119] À cet égard, Rovi affirme que les parties n’ont pas d’obligation d’agir de bonne foi dans des négociations précontractuelles, mais la jurisprudence n’est pas encore totalement établie. Certes, une telle obligation existe aux termes des articles 1375 et 2805 du Code civil du Québec, ch. CCQ-1991, mais la question n’a pas été définitivement tranchée en common law.

[120] La Cour suprême du Canada a, relativement récemment, confirmé qu’il existe en common law une obligation pour les parties d’agir de bonne foi en matière contractuelle (voir particulièrement Wastech Services Ltd. c. Greater Vancouver Sewerage and Drainage District, 2021 CSC 7, [2021] 1 R.C.S. 32; C.M. Callow Inc. c. Zollinger, 2020 CSC 45, [2020] 3 R.C.S. 908; Bhasin c. Hrynew, 2014 CSC 71, [2014] 3 R.C.S. 494). La Cour suprême n’a toutefois pas reconnu l’existence d’une obligation générale précontractuelle pour les parties de négocier de bonne foi. Elle a en effet expressément déclaré, au paragraphe 73 de l’arrêt Martel, que la question de l’existence d’une telle obligation n’était pas tranchée et le serait « une autre fois ».

[121] Je n’ai pas besoin de décider si Vidéotron et Rovi avaient une obligation précontractuelle d’agir de bonne foi dans le cadre de leurs négociations, étant donné que, même s’il existait une telle obligation, je ne vois pas quels aspects de la conduite de Rovi que réprouvait la Cour fédérale équivaudraient à un manquement à l’obligation d’agir de bonne foi ou justifieraient le tribunal de refuser une restitution des profits.

[122] La Cour fédérale reprochait à Rovi de ne pas avoir expressément mentionné quelles revendications des brevets en cause Vidéotron aurait contrefaites. Je ne vois pas ce qui justifierait l’existence d’une telle obligation de relever les revendications visées étant donné que les brevets étaient accessibles au public et que Vidéotron était dans une bonne position — voire dans une meilleure position que Robi — pour savoir si son propre système contrefaisait les brevets.

[123] La Cour fédérale a aussi reproché à Rovi ses pratiques d’octroi de licences et de défense ferme de ses brevets. Encore une fois, il n’y a rien d’inapproprié en soi dans le fait qu’une partie défende tenacement ce qu’elle perçoit comme étant ses droits découlant des brevets (ce qui est la norme dans presque tous les litiges en matière de brevet, particulièrement dans le domaine pharmaceutique), ni dans le fait qu’une entreprise adopte d’un modèle d’affaires fondé sur l’octroi de licences, comme notre Cour l’a indiqué dans l’arrêt Seedlings. Ce qui préoccupait la Cour fédérale était peut-être la position prise par Rovi devant le fait que les revendications en cause étaient invalides parce qu’elles étaient évidentes. Toutefois, la faiblesse des revendications ne pouvait pas être un facteur pertinent pour son analyse de la réparation, analyse qui était fondée sur la question de savoir quelle réparation aurait été appropriée si les revendications avaient été valides.

[124] De même, je ne vois pas en quoi le fait que le demandeur a omis d’envoyer une mise en demeure pourrait justifier le tribunal de refuser d’accorder une restitution des profits. Les mises en demeure sont parfois envoyées peu après l’introduction d’une action. Le défendeur est toujours en mesure de faire des admissions après la signification de la déclaration et il n’a pas besoin de recevoir une mise en demeure pour décider de la façon dont il veut mener l’affaire. De plus, en l’espèce, Vidéotron savait depuis de nombreuses années que Rovi voulait qu’elle renouvelle sa licence et ferait valoir ses droits sur les brevets. En fait, Vidéotron avait prolongé d’une année la licence qu’elle détenait alors pour être en mesure d’effectuer son propre examen en profondeur de la validité des brevets de Rovi. Je ne vois donc pas ce que l’envoi d’une mise en demeure aurait donné de plus à Vidéotron. Par conséquent, je conclus que la Cour fédérale a commis une erreur en mentionnant l’absence d’une mise en demeure pour justifier son refus d’accorder une restitution des profits.

[125] En ce que concerne le temps que cela a pris à Rovi pour faire ses démarches au Bureau des brevets, je n’exclurais pas complètement la possibilité que le tribunal puisse considérer cette sorte de lenteur à agir comme pertinente pour justifier son refus d’accorder une restitution des profits. Si le tribunal a des raisons de conclure que le demandeur a indûment cherché à allonger la durée des démarches pour pouvoir accumuler des profits qu’il pourrait ensuite recouvrer, une telle conduite pourrait bien être jugée inéquitable au point de le priver du droit à une restitution des profits. Le problème en l’espèce est cependant que la Cour fédérale ne disposait pas de preuve au sujet d’une pratique normale et de la durée typique des démarches devant le Bureau des brevets, ni sur ce qui avait motivé Rovi à agir comme elle l’avait fait pour l’obtention de ses brevets. Par conséquent, la Cour fédérale a commis une erreur manifeste et déterminante en se fondant, dans son analyse de la réparation, sur le temps que Rovi avait pris pour faire ses démarches au Bureau des brevets. Comme l’a fait observer le juge Hughes (qui a déjà travaillé comme avocat en droit des brevets et comme agent de brevets agréé) dans la décision Merck & Co. c. Apotex Inc., 2006 CF 524, [2006] A.C.F. no 671, conf. par Merck CAF, « [s]ans éléments de preuve sur la nature et le sens de la pratique de l’instruction des demandes de brevets dans les deux pays, la Cour ne peut inférer des conclusions pertinentes ni sur le retard, ni sur la volonté [du demandeur de brevet] » (par. 217).

(c) Complexité du calcul des profits à restituer

[126] Rovi allègue ensuite que la Cour fédérale a commis une erreur en concluant que la complexité des calculs requis pouvait fonder son refus d’accorder la restitution des profits demandée. Cet argument est dénué de fondement, car il constitue une interprétation erronée des conclusions de la Cour fédérale. Contrairement à ce qu’affirme Rovi, la Cour fédérale a conclu qu’une restitution des profits ne serait pas appropriée parce qu’elle n’était pas convaincue que le recours à l’une des méthodes proposées par Rovi pour calculer les profits de Vidéotron lui permettrait d’arriver à un montant fiable et approprié.

[127] Il était loisible à la Cour fédérale de tirer cette conclusion étant donné la nature des calculs proposés par l’expert de Rovi. Ces calculs reposaient sur une reconstitution du marché fondée sur l’ensemble du portefeuille de brevets de Rovi, et non uniquement les revendications en cause, et incluaient les profits réalisés par Vidéotron en lien avec ses abonnements pour du contenu télévisuel par câble ainsi qu’avec son secteur d’activités non lié à la télévision, qui ne faisaient pas intervenir des technologies semblables à celles revendiquées dans les brevets. La Cour fédérale disposait de motifs amplement suffisants pour conclure que les méthodes proposées par les experts de Rovi ne lui permettraient pas d’arriver à un montant fiable et approprié des profits réalisés en raison de la contrefaçon, si elle avait conclu que les revendications étaient valides. La Cour fédérale n’a donc commis aucune erreur à l’égard de cette question.

(3) Analyse des motifs de la Cour fédérale concernant les dommages‑intérêts

[128] Examinons les arguments de Rovi concernant l’analyse de la Cour fédérale concernant les dommages‑intérêts et le montant qu’elle aurait accordé si les revendications en cause avaient été valides.

[129] Je conviens que la Cour fédérale a commis une erreur en fondant son calcul provisoire des dommages‑intérêts sur le coût de conception pour Vidéotron de produits qui contourneraient les brevets, sans avoir auparavant conclu en quoi consistaient ces produits de substitution non contrefaisants ni déterminé si Vidéotron pouvait et aurait pu les adopter, et si les consommateurs les auraient acceptés. Dans l’arrêt Lovastatin, notre Cour a écrit ceci au paragraphe 73 :

Toute cour invitée à examiner les effets d’une concurrence légitime par un défendeur commercialisant un produit de substitution non contrefait est tenue de se poser au moins les questions de fait suivantes :

i) Le produit non contrefaisant proposé offre-t-il un véritable produit de substitution et donc un véritable choix?

ii) Le produit non contrefaisant proposé constitue-t-il un véritable choix, en ce sens qu’il est économiquement viable?

iii) Au moment de la contrefaçon, le contrefacteur avait-il une réserve suffisante du produit de substitution non contrefait pour remplacer les ventes de produits non contrefaits? Autrement dit, le contrefacteur aurait-il pu vendre le produit de substitution non contrefait?

iv) Le contrefacteur aurait-il effectivement vendu le produit de substitution non contrefait?

[Non souligné dans l’original.]

[130] Comme on l’a vu, notre Cour a déclaré dans l’arrêt Apotex 2018, au paragraphe 54, concernant la question de savoir si le produit proposé constitue un véritable substitut, qu’il s’agit, « [d]ans les affaires qui n’impliquent pas des brevets pharmaceutiques, […] d’une question très importante qui consiste habituellement à décider si le consommateur estimerait que le produit en question constitue un véritable substitut ».

[131] Dans la présente affaire, la Cour fédérale n’a pas procédé à cette analyse et n’a pas vérifié quels étaient les changements de conception que Vidéotron proposait. Elle n’a pas non plus cherché à savoir si de tels changements pourraient être ou auraient été adoptés par Vidéotron et si ses clients les auraient acceptés. La Cour fédérale a commis une erreur de droit en omettant d’examiner ces questions, qui sont des éléments essentiels pour pouvoir conclure que le produit de substitution non contrefaisant limiterait les dommages‑intérêts que le défendeur pourrait être condamné à verser.

[132] Pour ce qui est de l’allégation de Rovi selon laquelle la Cour fédérale a commis une erreur en ne tenant pas compte, comme mesure des dommages subis, des montants payés par Vidéotron dans le cadre du contrat de licence qu’elle avait déjà eu avec Rovi, je ne vois aucune erreur dans le fait que la Cour fédérale a procédé à une analyse de la redevance raisonnable, vu la façon dont l’affaire a été plaidée devant cette cour. Rovi sollicitait une redevance raisonnable, par opposition à des dommages‑intérêts pour la perte de revenus de redevances reposant sur la licence qu’avait déjà détenue Vidéotron. Il s’agit de deux bases de calcul des dommages-intérêts complètement différentes, comme je le mentionne plus haut.

[133] Cela dit, pour déterminer le taux de redevance raisonnable, la Cour fédérale a examiné le montant que Vidéotron aurait été disposée à payer et le montant que Rovi aurait accepté. Comme je l’ai fait observer plus haut, selon la décision AlliedSignal, le taux de redevance hypothétique raisonnable doit être établi en fonction du taux que le demandeur et le défendeur auraient convenu s’il s’était agi d’un concédant consentant et d’un porteur de brevet. La Cour fédérale a par conséquent tenu compte des positions des deux parties (comme s’il s’agissait de parties contractantes consentantes) pour établir le taux de redevance hypothétique raisonnable.

[134] Par conséquent, comme il ressort de ce qui précède, je souscris à de nombreux arguments avancés par Rovi au sujet de la réparation.

III. Dispositif proposé

[135] La Cour fédérale a commis des erreurs dans plusieurs aspects de son analyse de la réparation, mais ces erreurs n’ont pas d’incidence sur l’issue du présent appel. Comme je ne vois aucune raison de modifier les conclusions sur l’évidence tirées par la Cour fédérale, je suis d’avis de rejeter l’appel avec dépens.

« Mary J.L. Gleason »

j.c.a.

« Je suis d’accord.

David Stratas, j.c.a. »

« Je suis d’accord.

K.A. Siobhan Monaghan, j.c.a. »

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

DoSSIER :

A-186-22

INTITULÉ :

ROVI GUIDES, INC. c. VIDÉOTRON LTÉE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 28 NOVEMBRE 2023

MOTIFS PUBLICS DU JUGEMENT :

LA JUGE GLEASON

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE STRATAS

LA JUGE MONAGHAN

DATE DES MOTIFS :

LE 6 AOÛT 2024

COMPARUTIONS :

Andrew R. Brodkin

Daniel Cappe

POUR L’APPELANTE

Bruce Stratton

Alan Macek

Michal Kasprowicz

POUR L’intimée

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Goodmans LLP

Toronto (Ontario)

POUR L’APPELANTE

Lenczner Slaught LLP

Toronto (Ontario)

POUR L’APPELANTE

DLA Piper (Canada) LLP

Toronto (Ontario)

POUR L’intimée

 

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