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Date : 20241121


Dossier : A-321-21

Référence : 2024 CAF 192

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LA JUGE WOODS

LE JUGE LASKIN

LA JUGE MONAGHAN

 

 

ENTRE :

 

 

BANQUE DE NOUVELLE-ÉCOSSE

 

 

appelante

 

 

et

 

 

SA MAJESTÉ LE ROI

 

 

intimé

 

Audience tenue à Toronto (Ontario), le 30 octobre 2023.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 21 novembre 2024.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LA JUGE WOODS

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE LASKIN

LA JUGE MONAGHAN

 


Date : 20241121


Dossier : A-321-21

Référence : 2024 CAF 192

CORAM :

LA JUGE WOODS

LE JUGE LASKIN

LA JUGE MONAGHAN

 

 

ENTRE :

 

 

BANQUE DE NOUVELLE-ÉCOSSE

 

 

appelante

 

 

et

 

 

SA MAJESTÉ LE ROI

 

 

intimé

 

MOTIFS DU JUGEMENT

LA JUGE WOODS

Introduction

[1] La Banque de Nouvelle‑Écosse (la Banque) interjette appel devant notre Cour d'une décision de la Cour canadienne de l'impôt (la CCI) par laquelle celle‑ci a confirmé une nouvelle cotisation imposant des intérêts pour retard de paiement de l'impôt (la juge Wong, 2021 CCI 70). L'appel de la Banque porte sur le calcul des intérêts dans le cas où une nouvelle cotisation est établie en tenant compte d'un rajustement après vérification et du report rétrospectif d'une perte correspondante.

[2] En 2015, la Banque a reçu un avis de nouvelle cotisation pour son année d'imposition 2006, lequel entraînait une légère augmentation de l'impôt. Lorsqu'il a établi la nouvelle cotisation, le ministre du Revenu national (le ministre) a appliqué un rajustement après vérification d'environ 55 millions de dollars, augmentant ainsi le revenu de la Banque pour l'année 2006. Il a également pris en compte le report rétrospectif d'une perte de 54 millions de dollars correspondant à une perte autre qu'une perte en capital en 2008. Ainsi, la nouvelle cotisation a eu pour effet d'augmenter le revenu imposable de la Banque d'environ un million de dollars, ce qui a entraîné une augmentation de l'impôt à payer.

[3] Fait étonnant, le ministre a également imposé des intérêts de 7 931 087,49 $ à la suite de l'établissement de la nouvelle cotisation. Alors que les intérêts facturés pour un retard de paiement sont généralement calculés selon le montant de l'impôt à verser (soit, dans ce cas précis, l'impôt payable sur un million de dollars), une disposition spéciale s'applique si une perte a été reportée rétrospectivement ou si on a demandé une autre déduction précise : Loi de l'impôt sur le revenu, L.R.C. (1985), ch. 1 (5e suppl.) (la « LIR »), au para. 161(7). Cette disposition prévoit que, pendant une période donnée, on calcule les intérêts sans tenir compte du report rétrospectif de la perte ou de l'autre déduction précise. En l'espèce, cela signifie que plutôt que de calculer les intérêts selon l'impôt à payer en raison de l'augmentation du revenu d'un million de dollars, on les calcule pendant une période donnée selon l'impôt que la Banque aurait payé si on ne tenait pas compte du report rétrospectif et donc si le revenu de la Banque avait augmenté de 55 millions de dollars.

[4] Bien que les parties conviennent que le paragraphe 161(7) de la LIR s'applique en l'espèce, elles ne sont pas d'accord quant à la période à laquelle il s'applique. La CCI a conclu qu'on ne devrait pas tenir compte du report rétrospectif de la perte pendant environ huit ans. La Banque fait appel de cette décision, en soutenant qu'on ne devrait pas tenir compte du report que pendant une période de deux ans. Pour les motifs qui suivent, je rejetterais l'appel.

Contexte

[5] Le contexte est décrit dans l'énoncé conjoint des faits des parties, qui est rédigé en partie en ces termes :

[traduction]

A. Vérification du prix de transfert par l'ARC et entente de règlement

1. Le 27 avril 2007, l'appelante, la Banque de Nouvelle‑Écosse (la « Banque »), a produit sa déclaration annuelle pour l'année d'imposition terminée le 31 octobre 2006 (l'« année d'imposition 2006 »). La Banque y a déclaré un revenu net de 1 941 328 290 $ et un revenu imposable de 800 246 606 $. Elle a payé les impôts qu'elle a calculé devoir en temps utile.

2. Le 28 avril 2009, la Banque a produit sa déclaration annuelle pour l'année d'imposition terminée le 31 octobre 2008 (l'« année d'imposition 2008 »). La Banque y a déclaré une perte autre qu'en capital de 3 972 885 321 $; ce montant tenait compte des conséquences d'une désignation de 528 000 000 $ aux termes de l'article 110.5. De nouvelles cotisations subséquentes établies par le ministre du Revenu national (le « ministre ») jusqu'au 9 juin 2014 ont réduit cette perte autre qu'en capital de 667 754 539 $; elle est donc passée de 3 972 885 321 $ à 3 305 130 782 $.

3. En 2012, la Banque a appris que l'Agence du revenu du Canada (l'« ARC ») prévoyait effectuer la vérification des activités de l'une des filiales étrangères de la Banque à l'égard, notamment, des années d'imposition 2006, 2007, 2008, 2009 et 2010 de la Banque terminées le 31 octobre (la « vérification en matière de prix de transfert »).

[...]

6. Le 12 février 2015, l'ARC a envoyé une lettre de proposition concernant la vérification en matière de prix de transfert pour l'année d'imposition 2006 (la « lettre de proposition »).

7. Avant que l'ARC n'envoie des lettres de proposition pour les années d'imposition 2007, 2008, 2009 et 2010, la Banque a conclu le 13 mars 2015 une entente de règlement avec le ministre du Revenu national concernant la vérification en matière de prix de transfert (l'« entente de règlement »).

8. L'entente de règlement prévoyait que le ministre établirait une nouvelle cotisation à l'égard de la Banque pour inclure dans son revenu certaines sommes à titre de rajustements en matière de prix de transfert pour les années d'imposition 2006, 2007, 2008, 2009, 2010, 2011, 2012, 2013 et 2014. Ainsi, l'entente de règlement avait pour effet d'accroître de 54 916 616 $ le revenu de la Banque au titre de la partie I pour l'année d'imposition 2006 (le « rajustement en matière de prix de transfert »).

B. Le report rétrospectif de la perte de 2008

9. Le 12 mars 2015, la Banque a écrit au ministre (la « lettre du 12 mars ») afin de reporter une perte autre qu'en capital de 54 000 000 $ de son année d'imposition terminée le 31 octobre 2008 à son année d'imposition 2006 (le « report de la perte de 2008 ») afin de compenser le rajustement de 54 916 616 $ en matière de prix de transfert qui devait se produire. [...]

C. La nouvelle cotisation

10. Le 20 mars 2015, le ministre a établi un avis de nouvelle cotisation pour l'année d'imposition 2006 (la « nouvelle cotisation »). La nouvelle cotisation comportait les rajustements suivants :

a) ajout de 54 916 616 $ au revenu de la Banque au titre de la partie I pour l'année d'imposition en raison du rajustement en matière de prix de transfert conformément aux modalités de l'entente de règlement;

b) report rétrospectif de la perte de 2008 de 54 000 000 $ en réduction du revenu imposable de la Banque;

c) calcul des intérêts à partir du 12 mars 2015 conformément au sous‑alinéa 161(7)b)iv) de la Loi;

d) ajout d'intérêts sur arriérés de 7 931 087,49 $ [...] à partir du 12 mars 2015.

[…]

[6] Par souci de clarté, il convient de préciser que la « lettre du 12 mars » de la Banque dont il est question au paragraphe 9 de l'énoncé conjoint des faits indique notamment ce qui suit : [traduction] « En raison de la cotisation en instance de la Banque par l'Agence du revenu du Canada (l'ARC) afin d'augmenter son revenu [...], la Banque demande par la présente un report rétrospectif [...] ».

Loi applicable

[7] En général, on calcule les intérêts applicables au solde de l'impôt selon le montant impayé pour une année d'imposition donnée (LIR, par. 161(1)). La période de calcul commence à la « date d'exigibilité du solde » du contribuable, telle que définie, et se termine une fois que tout l'impôt est payé. La « date d'exigibilité du solde » est un jour précis qui suit généralement de peu la fin de l'année d'imposition visée (LIR, au para. 248(1)).

[8] La version actuellement en vigueur du paragraphe 161(1) est présentée ci‑dessous. Elle comprend quelques modifications récentes, mais celles‑ci ne sont pas pertinentes à l'espèce.

161 (1) Dans le cas où le total visé à l’alinéa a) excède le total visé à l’alinéa b) à un moment postérieur à la date d’exigibilité du solde qui est applicable à un contribuable pour une année d’imposition, le contribuable est tenu de verser au receveur général des intérêts sur l’excédent, calculés au taux prescrit pour la période au cours de laquelle cet excédent est impayé :

161 (1) Where at any time after a taxpayer’s balance-due day for a taxation year

a) le total des impôts payables par le contribuable pour l’année en vertu de la présente partie et des parties I.3, VI, VI.1 et VI.2 (calculé conformément au paragraphe 191.5(9));

(a) the total of the taxpayer’s taxes payable under this Part and Parts I.3, VI, VI.1 and VI.2 (determined in accordance with subsection 191.5(9)) for the year

 

exceeds

b) le total des montants représentant chacun un montant payé au plus tard à ce moment au titre de l’impôt payable par le contribuable et imputé par le ministre, à compter de ce moment, sur le montant dont le contribuable est redevable pour l’année en vertu de la présente partie ou des parties I.3, VI, VI.1 ou VI.2.

(b) the total of all amounts each of which is an amount paid at or before that time on account of the taxpayer’s tax payable and applied as at that time by the Minister against the taxpayer’s liability for an amount payable under this Part or Part I.3, VI, VI.1 or VI.2 for the year,

 

the taxpayer shall pay to the Receiver General interest at the prescribed rate on the excess, computed for the period during which that excess is outstanding.

[9] Le terme « impôt payable » est défini au paragraphe 248(2) de la LIR comme étant l'impôt que fixe une cotisation ou nouvelle cotisation, sous réserve de changement consécutif à une opposition ou à un appel :

 

248 (2) Dans la présente loi, l’impôt payable par un contribuable, conformément à toute partie de la présente loi prévoyant une imposition, désigne l’impôt payable par lui, tel que le fixe une cotisation ou nouvelle cotisation, sous réserve éventuellement de changement consécutif à une opposition ou à un appel, d’après les dispositions de cette partie.

248 (2) In this Act, the tax payable by a taxpayer under any Part of this Act by or under which provision is made for the assessment of tax means the tax payable by the taxpayer as fixed by assessment or reassessment subject to variation on objection or on appeal, if any, in accordance with the provisions of that Part.

[10] Le taux d'intérêt applicable est fixé par le Règlement et est généralement égal au taux des bons du Trésor de trois mois plus 4 %. Le taux est établi tous les trois mois et l'intérêt est composé quotidiennement. (Voir le Règlement de l'impôt sur le revenu, C.R.C., ch. 945, art. 4300 et 4301; LIR, au para. 248(11).)

[11] La règle générale est modifiée par le paragraphe 161(7) de la LIR, qui s'applique en cas de report rétrospectif d'une déduction ou d'une exclusion qu'on y précise. L'une de ces déductions est le report rétrospectif d'une perte déduite en application de l'article 111 de la LIR (sous‑al. 161(7)a)(iv)).

[12] Si la règle modifiée du paragraphe 161(7) s'applique, les intérêts sont calculés jusqu'à une date précise comme si la déduction ou l'exclusion n'avait pas eu lieu (al. 161(7)a)). Concrètement, on ne tient pas compte de la déduction ou de l'exclusion pendant cette période. À la fin de la période en question, les intérêts sont calculés selon la règle générale, c'est‑à‑dire en tenant compte de la déduction ou de l'exclusion.

[13] La règle modifiée cesse de s'appliquer 30 jours après la dernière des quatre dates limites indiquées aux sous-alinéas 161(7)b)(i) à (iv). Lorsque la déduction en cause est le report rétrospectif de pertes, les deux premières dates limites, soit celles aux sous‑alinéas (i) et (ii), suivent de peu la fin de l'année durant laquelle les pertes ont été subies. Les deux autres dates limites, soit celles aux sous‑alinéas iii) et iv), sont les dates auxquelles on demande le report rétrospectif des pertes.

[14] La version actuellement en vigueur du paragraphe 161(7), qui n'a pas de différence pertinente avec la version qui était en vigueur durant l'année d'imposition en cause, est la suivante :

161 (7) Pour le calcul des intérêts à verser en application des paragraphes (1) ou (2) sur l’impôt ou sur une partie d’un acompte provisionnel pour une année d’imposition et pour l’application de l’article 163.1:

161 (7) For the purpose of computing interest under subsection 161(1) or 161(2) on tax or a part of an instalment of tax for a taxation year, and for the purpose of section 163.1,

a) l’impôt payable par le contribuable pour l’année en vertu de la présente partie et des parties I.3, VI et VI.1 est réputé être égal à la somme qui serait payable à ce titre si les conséquences de la déduction, de la réduction ou de l’exclusion des montants ci-après n’étaient pas prises en compte :

(a) the tax payable under this Part and Parts I.3, VI and VI.1 by the taxpayer for the year is deemed to be the amount that it would be if the consequences of the deduction, reduction or exclusion of the following amounts were not taken into consideration:

[…]

(iv) un montant déduit, en application de l’article 118.1, à l’égard d’un don fait au cours d’une année d’imposition ultérieure ou, en application de l’article 111, à l’égard d’une perte subie pour une année d’imposition ultérieure,

(iv) any amount deducted under section 118.1 in respect of a gift made in a subsequent taxation year or under section 111 in respect of a loss for a subsequent taxation year,

[…]

 

and

b) la somme qui est appliquée en réduction de l’impôt payable par le contribuable pour l’année en vertu de la présente partie et des parties I.3, VI et VI.1 par suite de la déduction ou de l’exclusion de montants visés à l’alinéa a) est réputée avoir été versée au titre de son impôt payable pour l’année en vertu de la présente partie le trentième jour suivant le dernier en date des jours suivants :

(b) the amount by which the tax payable under this Part and Parts I.3, VI and VI.1 by the taxpayer for the year is reduced as a consequence of the deduction or exclusion of amounts described in paragraph (a) is deemed to have been paid on account of the taxpayer’s tax payable under this Part for the year on the day that is 30 days after the latest of

(i) le premier jour qui suit cette année d’imposition ultérieure,

(i) the first day immediately following that subsequent taxation year,

(ii) le jour où la déclaration de revenu du contribuable ou de son représentant légal pour cette année d’imposition ultérieure a été produite,

(ii) the day on which the taxpayer’s or the taxpayer’s legal representative’s return of income for that subsequent taxation year was filed,

(iii) le jour où une déclaration de revenu modifiée du contribuable pour l’année a été produite ou un formulaire prescrit modifiant sa déclaration de revenu pour l’année a été présenté conformément au paragraphe 49(4) ou 152(6) ou (6.1) ou à l’alinéa 164(6)e), dans le cas où il y a une telle production ou présentation,

(iii) if an amended return of the taxpayer’s income for the year or a prescribed form amending the taxpayer’s return of income for the year was filed under subsection 49(4) or 152(6) or (6.1) or paragraph 164(6)(e), the day on which the amended return or prescribed form was filed, and

(iv) le jour de la demande écrite à la suite de laquelle le ministre établit une nouvelle cotisation concernant l’impôt du contribuable pour l’année et qui tient compte de la déduction ou de l’exclusion, dans le cas où il y a une telle nouvelle cotisation.

(iv) where, as a consequence of a request in writing, the Minister reassessed the taxpayer’s tax for the year to take into account the deduction or exclusion, the day on which the request was made.


[15] Une règle applicable au report rétrospectif de pertes semblable au paragraphe 161(7) a été adoptée pour la première fois il y a environ 70 ans (Loi de l'impôt sur le revenu, S.R.C. 1952, ch. 148, au para. 54(8)). Selon les débats du Sénat de l'époque, l'objectif de cette disposition était de dissuader les contribuables de ne pas payer l'impôt déclaré dans le cas où ils prévoyaient subir ultérieurement une perte qu'ils pourraient reporter rétrospectivement, de manière à réduire le montant de leur revenu (Débats du Sénat, 22e légis., 1re sess., vol. 1 (10 juin 1954), à la p. 629 (l'hon. Salter Hayden)). En vertu de cette première disposition, le report rétrospectif de pertes n'était pris en compte dans le calcul des intérêts qu'à partir de la fin de l'année de la perte. Cette disposition était semblable au sous‑alinéa 161(7)b)(i) de la version actuelle de la LIR.

[16] Le présent appel porte sur une modification importante qui a été apportée au paragraphe 161(7) en 1985. Le législateur y a notamment ajouté la disposition dont il est question en l'espèce, à savoir le sous‑alinéa 161(7)b)(iv).

Décision de la CCI

[17] La CCI a examiné la question de savoir si le ministre avait eu raison d'appliquer le sous‑alinéa 161(7)b)(iv). Dans son calcul, le ministre n'a pas tenu compte du report rétrospectif de pertes jusqu'en 2015, date à laquelle la nouvelle cotisation en matière de prix de transfert proposée par le ministre a incité la Banque à demander le report de la perte autre qu'en capital subie en 2008. Si le ministre a conclu à tort que le sous‑alinéa 161(7)b)(iv) s'appliquait, alors le sous‑alinéa 161(7)b)(ii) s'applique et la restriction découlant du report rétrospectif de la perte a pris fin en 2009, lorsque la Banque a produit sa déclaration de revenus pour l'année de la perte.

[18] La Banque a fait valoir à la CCI que le législateur ne pouvait avoir voulu imposer des intérêts à un contribuable qui dispose d’un droit à un report rétrospectif de pertes, mais sans savoir s'il pourrait l’utiliser tant que la vérification n'était pas achevée. La Banque a noté que d'autres déductions discrétionnaires prévues par la LIR ne sont pas soumises à une telle restriction. La Banque a également fait valoir que le libellé du sous‑alinéa 161(7)b)(iv) ne justifie pas la nouvelle cotisation, étant donné qu'il exige que le ministre établisse une nouvelle cotisation à la suite d'une demande de report rétrospectif. La Banque affirme que le ministre n'a pas établi la nouvelle cotisation pour cette raison, mais plutôt pour traiter le rajustement après vérification.

[19] La CCI a rejeté ces arguments, principalement au motif que la thèse de la Banque n'était pas étayée par le libellé sans ambiguïté du sous‑alinéa 161(7)b)(iv), dans ses versions française et anglaise (voir la décision, au para. 31). La CCI s'est également appuyée sur le paragraphe 152(3) de la LIR, qui dispose que le fait qu'une cotisation soit inexacte ou incomplète ou qu'aucune cotisation n'ait été effectuée n'a pas d'effet sur l'obligation fiscale du contribuable (voir la décision, au para. 20).

Les thèses des parties

[20] À notre Cour, la Banque répète que le sous‑alinéa 161(7)b)(iv) ne s'applique pas parce que la nouvelle cotisation n'a pas été établie à la suite de la demande de report. La Banque soutient que cette interprétation est conforme au texte, au contexte et à l'objet du sous‑alinéa 161(7)b)(iv).

[21] La Couronne, pour sa part, soutient que la décision est conforme au libellé clair du sous‑alinéa 161(7)b)(iv), qui est sans ambiguïté. Cette conformité est étayée, selon la Couronne, par le fait que le ministre ne peut reporter rétrospectivement une perte que si le contribuable en fait la demande. La Couronne affirme que le sous‑alinéa 161(7)b)(iv) traduit cette réalité.

Analyse

Vue d'ensemble

[22] La Banque dit du présent appel qu'il vise à déterminer le moment où le calcul des intérêts s'arrête lorsque des impôts impayés sont compensés par le report rétrospectif de pertes. En l'espèce, la question à trancher est celle de savoir si les intérêts applicables aux arriérés d'impôts de 2006 de la Banque ont cessé de courir en 2009, lorsque la déclaration de revenus enregistrant la perte a été produite, ou s'ils ont cessé de courir en 2015, lorsque la Banque a demandé le report de la perte. La différence entre ces dates est importante. Si les intérêts ont cessé de courir au moment où le report a été demandé, des intérêts seront exigés pour six années supplémentaires, soit de 2009 à 2015.

[23] La disposition que la Cour de l'impôt jugeait pertinente en l'espèce, à savoir le sous‑alinéa 161(7)b)(iv), ne s'applique que si le ministre, à la suite de la demande de la Banque, établit une nouvelle cotisation pour tenir compte du report rétrospectif. La question dont la CCI et notre Cour sont saisies porte sur l'interprétation correcte de cette disposition.

Norme de contrôle, principes d'interprétation des lois et champ d'application

[24] La question à trancher est purement une question d'interprétation de la loi. La norme de contrôle applicable est celle de la décision correcte, et aucune déférence ne doit être accordée à la décision (Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235, au para. 8).

[25] Quant aux principes applicables en matière d'interprétation de la loi, ils ont été décrits de manière concise par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Hypothèques Trustco Canada c. Canada, 2005 CSC 54, [2005] 2 R.C.S. 601 (Hypothèques Trustco), au paragraphe 10 :

10 Il est depuis longtemps établi en matière d'interprétation des lois qu'« il faut lire les termes d'une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s'harmonise avec l'esprit de la loi, l'objet de la loi et l'intention du législateur » : voir 65302 British Columbia Ltd c. Canada, [1999] 3 R.C.S. 804, par. 50. L'interprétation d'une disposition législative doit être fondée sur une analyse textuelle, contextuelle et téléologique destinée à dégager un sens qui s'harmonise avec la Loi dans son ensemble. Lorsque le libellé d'une disposition est précis et non équivoque, le sens ordinaire des mots joue un rôle primordial dans le processus d'interprétation. Par contre, lorsque les mots utilisés peuvent avoir plus d'un sens raisonnable, leur sens ordinaire joue un rôle moins important. L'incidence relative du sens ordinaire, du contexte et de l'objet sur le processus d'interprétation peut varier, mais les tribunaux doivent, dans tous les cas, chercher à interpréter les dispositions d'une loi comme formant un tout harmonieux.

[Non souligné dans l'original.]

[26] Il est également précisé dans l'arrêt Hypothèques Trustco que « [m]ême lorsque le sens de certaines dispositions peut paraître non ambigu à première vue, le contexte et l'objet de la loi peuvent révéler ou dissiper des ambiguïtés latentes » (au para. 47). Par conséquent, une analyse textuelle, contextuelle et téléologique est généralement nécessaire.

[27] Enfin, je ferai une remarque sur la portée de l'analyse. Bien que la règle sur les reports rétrospectifs au paragraphe 161(7) s'applique à plusieurs types de déductions et d'exclusions, je n'examinerai que le report de pertes. Les parties n'ont pas présenté d'observations sur les autres types de déductions et d'exclusions dont il est question au paragraphe 161(7), et je suppose qu'elles n'auraient aucune incidence sur la présente analyse.

Analyse textuelle

[28] La règle applicable aux reports rétrospectifs au paragraphe 161(7) constitue une exception au calcul habituel des intérêts pour retard de paiement de l'impôt au paragraphe 161(1) de la LIR. Comme décrit ci-dessus, la règle habituelle est que les intérêts commencent à courir à partir de la date d'exigibilité du solde pour l'année d'imposition visée et cessent le jour où le solde est payé intégralement. Le solde à un moment donné correspond aux impôts payables pour l'année moins le montant payé. Les impôts payables pour une année désignent généralement les impôts fixés par une cotisation ou une nouvelle cotisation (LIR, au para. 248(2)).

[29] Le paragraphe 161(7) s'applique lorsqu'on a déduit rétrospectivement une perte. Les intérêts sont alors calculés selon la règle générale énoncée au paragraphe 161(1), sauf qu'on ne tient compte du report rétrospectif qu'à partir du jour déterminé selon l'alinéa 161(7)b). Le jour en question tombe 30 jours après la dernière des quatre dates décrites à l'alinéa 161(7)b).

[30] La Cour doit déterminer si le sous‑alinéa 161(7)b)iv) s'applique. S'il ne s'applique pas, la disposition applicable est le sous‑alinéa 161(7)b)ii). Le sous‑alinéa 161(7)b)iv) dispose :

(iv) le jour de la demande écrite à la suite de laquelle le ministre établit une nouvelle cotisation concernant l’impôt du contribuable pour l’année et qui tient compte de la déduction ou de l’exclusion, dans le cas où il y a une telle nouvelle cotisation.

(iv) where, as a consequence of a request in writing, the Minister reassessed the taxpayer’s tax for the year to take into account the deduction or exclusion, the day on which the request was made.

[31] Le présent appel porte sur l'interprétation correcte de cette disposition. Dans la version anglaise, l'accent est mis sur les mots « as a consequence of a request in writing, the Minister reassessed the taxpayer's tax for the year to take into account the deduction or exclusion » (« la demande écrite à la suite de laquelle le ministre établit une nouvelle cotisation concernant l'impôt du contribuable pour l'année et qui tient compte de la déduction ou de l'exclusion »). Deux questions se posent. Premièrement, la disposition exige‑t‑elle qu'il y ait un lien de causalité, ou simplement que la cotisation soit postérieure à la demande? Deuxièmement, si la disposition exige un lien de causalité, comment celui‑ci doit-il être appliqué? Pour répondre à ces questions, il faut tenir compte des deux versions officielles de la disposition.

[32] En ce qui concerne la première question, j'estime que les versions française et anglaise de la disposition comprennent un lien de causalité. En anglais, l'expression « as a consequence of » indique clairement un lien de causalité.

[33] De même, il y a un lien de causalité dans le libellé correspondant utilisé dans la version française, « à la suite de laquelle », qui peut signifier « en raison de » (Le Petit Robert de la langue française (Paris, Dictionnaires Le Robert, 2022)). Je note que la CCI a estimé que l'expression utilisée dans la version française équivalait à l'anglais « following which », ce qui ne comprend pas de lien de causalité clair (voir la décision, au para. 24). Bien que l'expression « following which » soit une traduction acceptée selon les dictionnaires français, l’expression « à la suite de laquelle » a aussi le sens plus large de « en raison de », comme indiqué ci‑dessus.

[34] La bonne approche consiste à établir, si c'est possible, un sens commun aux versions française et anglaise (R. c. S.A.C., 2008 CSC 47, [2008] 2 R.C.S. 675, aux para. 14 à 16). Dans le passage en cause, le sens commun comprend le lien de causalité et c'est ce sens qu'il convient d'adopter.

[35] Les parties conviennent que le sous‑alinéa 161(7)b)iv) comprend un lien de causalité. Cependant, elles ne sont pas d'accord quant à la deuxième question énoncée ci‑dessus, soit la manière d'appliquer le lien de causalité. La Banque affirme que le lien de causalité exclut les circonstances de l'espèce, étant donné que la nouvelle cotisation de 2015 n'a pas été établie à la suite de sa demande de report rétrospectif, mais bien pour traiter le rajustement après vérification.

[36] De son côté, la Couronne affirme qu'il est satisfait à l'exigence de causalité parce que le ministre n'a pas effectué le report rétrospectif de son propre chef, mais l'a pris en compte à la demande de la Banque. Le libellé est clair et le ministre n'est pas en mesure de traiter un report rétrospectif sans une demande expresse du contribuable. C'est donc la demande de la Banque, quel qu'en soit le motif, qui a conduit le ministre à appliquer le report rétrospectif, ce qui satisfait au sous‑alinéa 161(7)b)iv).

[37] À mon avis, le désaccord entre les parties provient en partie du fait que le libellé n'est pas aussi clair qu'il pourrait l'être. Le lien de causalité existe manifestement si la nouvelle cotisation ne porte que sur la demande de report rétrospectif. Dans de telles circonstances, il est évident que c'est uniquement la demande de report qui a conduit le ministre à établir une nouvelle cotisation pour traiter le report rétrospectif. Toutefois, il est moins facile de conclure que la condition est satisfaite si le ministre a établi une nouvelle cotisation dans le but de faire d'autres rajustements, comme c'est le cas en l'espèce. Je conclus que le libellé est ambigu; par conséquent, il faut tenir compte des facteurs contextuels et téléologiques.

Analyse contextuelle et téléologique

[38] La Banque avance que des facteurs contextuels et téléologiques appuient sa position. La thèse générale qu'elle défend dans ses observations est qu'il est peu plausible que le législateur ait souhaité une conséquence aussi sévère que l'imposition d'intérêts pendant une période où un contribuable pouvait reporter des pertes à un exercice antérieur, mais ne l'avait pas encore demandé parce qu'il ne connaissait pas encore les résultats de la vérification du ministre.

(a) Manque de précision

[39] Je ferai tout d'abord mention d'un facteur contextuel qui est très défavorable à la position de la Banque. Il est bien établi que le législateur cherche à maintenir la certitude, la prévisibilité et l'équité en droit fiscal (Hypothèques Trustco, au para. 61). Si le législateur n'avait pas l'intention d'imposer des intérêts lorsqu'on demande le report rétrospectif de pertes à la suite d'un rajustement après vérification, il est probable qu'il l'aurait indiqué en utilisant un libellé explicite. Cependant, le libellé n'est pas explicite et ne comporte aucune référence aux rajustements après vérification. La position de la Banque présente des problèmes pour cette raison.

(b) Note technique

[40] En second lieu, la Banque affirme que sa position est étayée par la note technique du ministre des Finances lors de l'adoption de la disposition légale en cause. Dans cette note, on explique que le sous‑alinéa 161(7)b)iv) s'applique si « le ministre du Revenu national accède à la demande écrite du contribuable d'établir une nouvelle cotisation pour l'année antérieure » : Canada, Ministre des Finances, Notes techniques sur l'Avis de motion des voies et moyens concernant l'impôt sur le revenu (Ottawa, ministère des Finances, 9 septembre 1985), à la p. 97.

[41] Selon la Banque, l'utilisation du terme « accède » dans la note technique renforce l'interprétation selon laquelle le sous‑alinéa 161(7)b)iv) ne s'applique pas si le ministre établit une nouvelle cotisation pour des raisons qui lui sont propres (par ex. un rajustement après vérification). L'argument mis de l'avant est que le ministre ne peut refuser une demande de report dans ces circonstances, étant donné qu'un contribuable a le droit de demander le report rétrospectif d'une perte en vertu de l'alinéa 111(1)a). Toutefois, dans le cas où le ministre n'établit pas une nouvelle cotisation pour des raisons qui lui sont propres, la Banque estime que le terme « accède » est approprié, car un contribuable n'a généralement pas le droit d'exiger du ministre qu'il établisse une nouvelle cotisation après une première cotisation à la suite de la production de la déclaration de revenus du contribuable. Dans ces circonstances, le ministre a le pouvoir discrétionnaire de ne pas accéder à une demande de report si cela nécessite qu'il établisse une nouvelle cotisation. La Banque affirme donc que l'utilisation du terme « accède » dans la note technique étaye sa position.

[42] Je ne suis pas d'accord avec cet argument. Le ministre a le droit de rejeter une demande de report rétrospectif de perte présentée par un contribuable. Cette question a été traitée dans l'affaire Greene c. Ministre du Revenu national, [1995] A.C.F. no 1507 (C.A.F.), où il a été établi que le ministre n'a pour obligation que celle d'examiner une demande, et non d'établir une nouvelle cotisation pour accéder à la demande.

[43] En fait, si on la lit de concert avec la loi, il devient clair que le propos essentiel de la note technique est que le sous‑alinéa 161(7)b)iv) s'applique si le ministre établit une nouvelle cotisation dans le but d'accéder à une demande de report rétrospectif du contribuable. Cela favorise la position de la Couronne.

(c) Résultats irréguliers

[44] Il convient également de noter que la position de la Banque semble conduire à des résultats qui pourraient être irréguliers. La Couronne a présenté à la CCI l'exemple d'une situation dans laquelle le ministre appliquerait un rajustement après vérification et un report rétrospectif de pertes dans deux nouvelles cotisations distinctes, plutôt que dans une seule (comme cela s'est produit en l'espèce). Cet exemple semble conduire à un calcul des intérêts différent si l'on accepte l'interprétation suggérée par la Banque : s'il n'y a qu'une seule nouvelle cotisation, la période de calcul des intérêts s'arrêterait au moment de la production de la déclaration de revenus pour l'année de la perte, alors que s'il y a deux nouvelles cotisations, la période se poursuivrait jusqu'à la demande de report rétrospectif, peut‑être bien des années plus tard. Il n'y a aucun principe justifiant que l'établissement d'une nouvelle cotisation ou de deux nouvelles cotisations aboutisse à des résultats différents et je suis d'accord avec la Couronne pour dire que le législateur n'a probablement pas souhaité ce résultat.

[45] La Banque répond à cet argument de plusieurs manières. Premièrement, elle affirme qu'on calcule les intérêts de la même manière, qu'il y ait une seule cotisation ou deux, en raison du fait que toutes les nouvelles cotisations découlent du rajustement après vérification. En fait, la Banque affirme que le législateur a envisagé qu'on établirait la véritable cause d'une nouvelle cotisation. À mon avis, cette interprétation est très peu vraisemblable, car elle renforce l'incertitude entourant l'application du sous‑alinéa 161(7)b)iv). Cet argument illustre plutôt la faiblesse de la position soutenue par la Banque.

[46] Deuxièmement, la Banque a brièvement fait valoir durant sa plaidoirie que l'exemple hypothétique peut être improbable parce que l'établissement d'une nouvelle cotisation distincte pourrait être prescrit. On n'a pas présenté cette observation en détail et elle était trop sommaire pour justifier une réponse motivée. Quoi qu'il en soit, même si elle est peu probable, la possibilité qu'il y ait des résultats irréguliers est un facteur défavorable à l'interprétation de la Banque.

[47] En somme, l'exemple hypothétique montre que l'interprétation proposée par la Banque pourrait bien donner lieu à des résultats irréguliers. À mon avis, il s'agit là d'un autre facteur important appuyant la position de la Couronne.

(d) Aspect punitif

[48] La Banque soutient que la position de la Couronne ne reflète pas l'intention du législateur, car elle va à l'encontre du principe général de l'intérêt, qui est de compenser l'utilisation des fonds. Le résultat est sévère, selon la Banque, parce qu'elle n'a pas eu la possibilité d'utiliser les fonds une fois la perte subie. En d'autres termes, la Banque prétend que la position de la Couronne mène à l'imposition d'une pénalité, ce qui n'est pas l'objet des dispositions relatives à l'intérêt. La Banque affirme également que le législateur reconnaît que la LIR est complexe et qu'il peut y avoir des divergences d'opinions traduisant des points de vue sincères.

[49] La thèse de la Banque selon laquelle la position de la Couronne confère un aspect punitif au sous-alinéa 161(7)b)iv) semble être renforcé par les observations écrites de la Couronne dans le présent appel, où celle-ci met en évidence l'aspect de la disposition visant à décourager l'évitement fiscal : [traduction] « Le pouvoir de vérification du ministre est un outil essentiel qui s'ajoute à l'autodéclaration pour lutter contre l'évitement fiscal des contribuables. [...] Le fait que les revenus [de la Banque] aient été déterminés lors d'une vérification plutôt que d'être déclarés n'est pas une raison justifiant de la soustraire à l'application du sous‑alinéa 161(7)b)(iv). »

[50] Toutefois, contrairement à ce que prétend la Banque, le législateur devait savoir qu'on pourrait demander le report rétrospectif d'une perte à la suite d'un rajustement après vérification. Je suis d'accord avec la Couronne pour dire que cette situation n'est pas inconcevable. Ainsi, il est probable que le législateur savait que le sous-alinéa 161(7)b)iv) pourrait être appliqué d'une manière semblable à une pénalité. Il est également probable que le législateur savait que des intérêts substantiels pourraient découler du sous‑alinéa 161(7)b)iv) si une demande de report résultait d'une vérification. Malgré les arguments vigoureux de la Banque, j'estime qu'il n'y a aucune raison de croire que le législateur n'avait pas l'intention de parvenir à ce résultat. Si le législateur avait voulu éviter ce résultat, il se serait exprimé plus clairement.

(e) Manque d'harmonie

[51] La Banque affirme que la décision de la CCI entraîne un traitement différent de contribuables qui se trouvent dans une situation semblable. Elle explique que [traduction] « dans le cas où des contribuables ont la possibilité de bénéficier de déductions discrétionnaires autres que les reports rétrospectifs de pertes et qu'ils se prévalent de ces déductions discrétionnaires pour compenser les rajustements après vérification, la loi n'impose pas d'intérêts. [...] Il est difficile d'imaginer que le législateur traiterait de façon si différente des contribuables se trouvant dans une situation semblable. » La Banque cite à l'appui une lettre d'interprétation technique de l'Agence du revenu du Canada du 11 mai 2023 (no 2022‑093670), ainsi qu'un article de Ian Crosbie intitulé « Amended Returns, Refunds, and Interest » (2012), Tax Dispute Resolution, Compliance, and Administration Conference Report (Fondation canadienne de fiscalité, 27:1 à 27:22).

[52] Je ne suis pas convaincue que ces documents appuient le principe général énoncé par la Banque. Pour ce qui est des reports prospectifs en particulier, les documents susmentionnés mentionnent en général des positions administratives alors que les faits sont sensiblement différents de ceux de l'espèce. Souvent, un contribuable déclare un gain en capital et applique une déduction compensatoire. Après une vérification, le gain en capital est plutôt considéré comme un revenu et le contribuable remplace alors la déduction compensatoire préalable par le report prospectif de pertes autre qu'en capital. La position de l'Agence du revenu du Canada est que le contribuable n'a pas à payer d'intérêt dans ces circonstances. Les faits de l'espèce sont tout à fait différents, puisque la Banque n'a rien déclaré à l'origine.

[53] Bien que la Banque ait peut-être exagéré la position de l'ARC, je reconnais que la position de la Couronne peut entraîner un traitement différent entre les reports rétrospectifs de pertes et certaines autres déductions comme les reports prospectifs de pertes. Je reconnais également que la Cour doit supposer que le législateur a souhaité que la LIR soit un système harmonieux. Cependant, les dispositions de la LIR vont à l'encontre de cette supposition et laissent penser que le législateur n'avait pas l'intention d'établir un régime harmonieux pour le calcul des intérêts dans ces circonstances. Par exemple, le législateur a adopté une disposition précise concernant les reports rétrospectifs de pertes et a choisi de ne pas adopter de disposition analogue pour les reports prospectifs de pertes. Il pourrait y avoir de nombreuses raisons à cela, et il est inutile de faire des suppositions pour tenter de savoir ce qu'il en est. Le législateur pouvait certainement traiter d'autres types de déductions plus favorablement.

(f) Débats du Sénat de 1954

[54] La Banque fait également valoir que l'interprétation qu'elle propose répond à l'objet du paragraphe 161(7). Faisant référence aux débats du Sénat de 1954 mentionnés ci-dessus, la Banque affirme que le paragraphe 161(7) a été adopté dans le but de décourager les contribuables de ne pas tenir compte de leur obligation de payer l'impôt sur le revenu parce qu'ils prévoient subir plus tard une perte qui pourrait être reportée rétrospectivement. La Banque affirme que son interprétation correspond à cet objet, étant donné qu'elle exige que la Banque paie des intérêts pour la période de deux ans précédant la perte.

[55] À mon avis, ce commentaire général tiré des débats du Sénat de 1954 et qui porte sur une disposition légale différente ne peut guère nous éclairer sur l'intention du législateur au moment de l'adoption du sous‑alinéa 161(7)b)iv) 30 ans plus tard.

[56] Par conséquent, pour toutes les raisons présentées ci-dessus, les facteurs contextuels et téléologiques appuient fortement la position de la Couronne.

Jurisprudence

[57] Dans la présente section, je me penche sur deux décisions judiciaires invoquées par les parties : Connaught Laboratories Ltd. c. La Reine, [1994] A.C.F. no 1681 (C.F. 1re inst.) (Connaught), et Alberta (Provincial Treasurer) v. Methanex Corporation, 2004 ABCA 304 (Methanex). La CCI a conclu que les faits de l'espèce étaient « plus semblable[s] » à ceux de la décision Connaught qu'à ceux de l'arrêt Methanex (voir la décision, au para. 26).

[58] La Couronne s'appuie sur la décision Connaught. Dans cette décision, la Cour fédérale, Section de première instance, s'est prononcée sur la question de savoir si les intérêts étaient calculés selon la règle relative au report rétrospectif qui existait avant l'adoption de l'alinéa 161(7)b)(iv) en 1985. La Cour a établi que la règle relative au report rétrospectif s'appliquait. Les faits de l'espèce sont semblables à l'affaire Connaught. En 1985, le ministre a établi une nouvelle cotisation pour Connaught Laboratories afin d'inclure un gain en capital non déclaré au revenu de l'année d'imposition 1981. La même nouvelle cotisation tenait compte du report sur l'année 1981 d'une perte en capital subie en 1982.

[59] Connaught Laboratories a fait valoir que la règle du report rétrospectif ne s'appliquait pas parce que le contribuable pouvait demander d'autres déductions à la place du report rétrospectif. Toutefois, en renvoyant au principe bien établi selon lequel l'impôt est calculé selon ce qu'un contribuable fait, et non selon ce qu'il aurait pu faire, la Cour a rejeté cet argument et a confirmé la nouvelle cotisation. Par conséquent, les intérêts ont été calculés conformément au paragraphe 161(7) tel qu'il était libellé à l'époque.

[60] Dans la décision Connaught, la Cour a noté que le paragraphe 161(7) n'était pas ambigu et que l'interprétation du ministre n'allait pas à l'encontre des buts ou des objectifs de la LIR. La Couronne estime que ces observations sont utiles en l'espèce. Je ne suis pas d'accord, car la disposition dont il est question en l'espèce ne ressemble en rien à la disposition dont il était question dans la décision Connaught. Cette décision n'est tout simplement pas pertinente.

[61] De son côté, la Banque s'appuie sur l'arrêt Methanex. La CCI a conclu que les faits de l'affaire Methanex différaient de ceux de l'espèce ou que cet arrêt était erroné (voir la décision, au para. 29).

[62] L'arrêt Methanex portait sur une disposition d'une loi fiscale provinciale équivalente au sous‑alinéa 161(7)b)(iv) de la LIR : Alberta Corporate Income Tax Act (Loi de l'impôt sur le revenu des sociétés de l'Alberta), R.S.A. 1980, c. A-17, al. 39(3)b)(iv).

[63] En 1994, le gouvernement fédéral a procédé à une vérification de la société Methanex pour son année d'imposition 1988 et a requalifié un montant déclaré en tant que gain en capital comme étant un revenu. Methanex Corporation a réduit l'impôt qui en découlait en reportant rétrospectivement des pertes. De nouvelles cotisations provinciales ont été établies en conséquence. La question était de savoir si l'équivalent albertain du sous‑alinéa 161(7)b)(iv) de la LIR s'appliquait au calcul des intérêts dus par Methanex Corporation sur l'impôt qu'elle devait payer à la province de l'Alberta.

[64] Dans sa décision rendue à l'audience, la Cour d'appel de l'Alberta a conclu que le juge de première instance n'avait pas commis d'erreur en concluant que l'équivalent provincial du sous‑alinéa 161(7)b)(iv) ne s'appliquait pas. Le fondement de la décision de la Cour d'appel de l'Alberta est exposé au paragraphe 16 de ses motifs :

[traduction]

[16] Le juge de première instance a conclu qu'on avait demandé oralement la troisième nouvelle cotisation (l'article avait alors été modifié et l'obligation de présenter une demande écrite avait été abolie). Il a conclu que la nouvelle cotisation avait été établie en partie en raison de cette demande, mais aussi parce que l'avis d'opposition déposé par Methanex était toujours en suspens et que le trésorier provincial était tenu, en vertu de l'alinéa 48(4)b) de la Loi, d'examiner à nouveau le montant contesté : voir les par. 28 et 29. Le juge de première instance a conclu que « la caractéristique fondamentale » permettant de déterminer si le sous-alinéa 39(3)b)(iv) s'appliquait était « ce qui, en définitive, a conduit à l'établissement d'une nouvelle cotisation » : ibid. Ainsi, la Cour conclut qu'il n'était pas convaincu de l'existence d'un véritable lien de causalité entre la demande de Methanex et la nouvelle cotisation. Compte tenu de l'obligation légale du trésorier provincial d'examiner à nouveau la question en vertu de l'alinéa 48(4)b), nous sommes d'accord.

[Non souligné dans l'original.]

[65] Dans l'arrêt Methanex, la Cour d'appel de l'Alberta devait trancher la question de savoir ce qui avait causé l'application du report rétrospectif de pertes. Elle a estimé que les faits n'étaient pas suffisants pour conclure qu'il s'agissait de la demande de la contribuable. Par conséquent, la décision découlait des faits précis et des observations, et on peut donc établir une distinction avec l'espèce.

[66] À mon avis, ni la décision Connaught ni l'arrêt Methanex ne sont pertinents.

Conclusion et dispositif

[67] À la lumière des facteurs examinés ci-dessus, je conclus que la position de la Couronne doit être privilégiée. Bien que le libellé de la LIR comprenne à la fois un élément temporel et un élément de causalité, l'application de ce dernier reste par ailleurs ambiguë. Cependant, le contexte et l'objet appuient fortement la thèse de la Couronne. À mon avis, la CCI n'a pas commis d'erreur en rejetant l'appel de la Banque.

[68] Je rejetterais donc le présent appel avec dépens.

« Judith Woods »

j.c.a.

« Je suis d’accord.

J. B. Laskin j.c.a. »

 

« Je suis d’accord.

K.A. Siobhan Monaghan j.c.a. »

 


COUR D'APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

A-321-21

 

INTITULÉ :

BANQUE DE NOUVELLE-ÉCOSSE c. SA MAJESTÉ LE ROI

 

LIEU DE L'AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

 

DATE DE L'AUDIENCE :

LE 30 octobre 2023

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

LA JUGE WOODS

 

 

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE LASKIN

LA JUGE MONAGHAN

 

 

DATE DES MOTIFS :

LE 21 NOVEMBRE 2024

 

 

COMPARUTIONS :

Al Meghji

Gerald Grenon

Amanda Heale

 

Pour L'APPELANTE

Carla Lamash

Alexander Millman

 

Pour l'intimé

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Osler, Hoskin & Harcourt S.E.N.C.R.L./s.r.l.

Toronto (Ontario)

 

POUR L'APPELANTE

Shalene Curtis-Micallef

Sous-procureure générale du Canada

Pour l'intimé

 

 

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