Décisions de la Cour d'appel fédérale

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Date : 20250213


Dossier : A-401-24

Référence : 2025 CAF 35

CORAM :

LA JUGE GLEASON

LA JUGE GOYETTE

LE JUGE HECKMAN

 

ENTRE :

 

 

CIVILISATION COHÉRENTE ET CONCERTÉE

 

 

appelante

 

 

et

 

 

SA MAJESTÉ LE ROI

 

 

intimé

 

Requête écrite décidée sans comparution des parties.

Ordonnance rendue à Ottawa (Ontario), le 13 février 2025.

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :

LE JUGE HECKMAN

Y ONT SOUSCRIT :

LA JUGE GLEASON

LA JUGE GOYETTE

 


Date : 20250213


Dossier : A-401-24

Référence : 2025 CAF 35

CORAM :

LA JUGE GLEASON

LA JUGE GOYETTE

LE JUGE HECKMAN

 

ENTRE :

 

 

CIVILISATION COHÉRENTE ET CONCERTÉE

 

 

appelante

 

 

et

 

 

SA MAJESTÉ LE ROI

 

 

intimé

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

LE JUGE HECKMAN

[1] L’intimé a présenté une requête en radiation de l’avis d’appel sans autorisation de le modifier dans le cadre de l’appel interjeté par l’appelante à l’encontre d’une décision (la Décision) rendue par la Cour fédérale (l’Honorable juge Duchesne) le 7 novembre 2024. L’intimé soutient que le recours de l’appelante est dépourvu de fondement juridique et voué à l’échec.

[2] L’appelante a déposé une requête en vertu de la Règle 120 pour obtenir l’autorisation de ne pas être représentée par un avocat. Cette requête est contestée par l’intimé. Afin d’être en mesure d’examiner les dossiers déposés par les parties pour la requête en radiation et de statuer sur cette requête, je suis disposé à accueillir la requête de l’appelante. Compte tenu de ma décision d’accueillir la requête en radiation de l’intimé, je ne vois aucun préjudice pour l’intimé à faire droit à la requête de l’appelante visant à être dispensée de l’obligation d’être représentée par un avocat.

[3] Dans la Décision, la Cour fédérale a accueilli une requête présentée par l’intimé visant la radiation de la déclaration de l’appelante en vertu des Règles 221(1)(a) et 221(1)(c) des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 (Règles), au motif qu’elle ne révélait aucune cause d’action véritable et était de nature frivole et vexatoire.

[4] Dans sa déclaration, l’appelante, une personne morale à but non lucratif, affirme poursuivre en justice le Canada afin de

… [m]ettre fin aux bêtises et aux souffrances inutiles et endémiques de l’humanité (c’est-à-dire : les guerres, les homicides, les viols, la criminalité, la pauvreté, l’intimidation, la menace des arsenaux nucléaires, etc.), par la cohérence et la concertation.

[5] Selon sa déclaration, l’appelante recherche :

  • 1)la reconnaissance que la « conscience de l’humanité » est responsable de l’existence des « bêtises et des souffrances inutiles et endémiques de l’humanité » ;

  • 2)la reconnaissance que la « conscience collective des magistrats et des dirigeants » a une grande influence sur la « conscience de l’humanité » ;

  • 3)que le Canada, vu sa « lourde part » dans « la conscience de l’humanité » et dans « la responsabilité de l’errance de la conscience de l’humanité dans de graves dénis de réalité, aux conséquences extrêmement graves » soit condamné

… à payer chaque année la somme de 250 millions de dollars pour financer un organisme humanitaire qui fera la promotion d’une conscience générale de tous les humains axés sur la vie et sa réalité, … pour la cohérence et la concertation de tous les humains, … bref, pour mettre fin aux bêtises et aux souffrances inutiles et endémiques de l’humanité.

[6] Se fondant sur le critère énoncé par la Cour suprême dans Hunt c. Carey, [1990] 2 R.C.S. 259, 74 D.L.R. (4th) 321 à la p. 980, la Cour fédérale a décidé que la demande ne contenait « pas de faits matériels pertinents à une cause d’action juridique et n’expos[ait] pas de cause d’action reconnue en droit qui peut faire l’objet d’une ordonnance de la Cour » et qu’il était clair à la face même de la déclaration qu’elle devait être radiée en vertu de la Règle 221(1)(a) puisqu’il n’y avait pas « de trace de cause d’action valable » : Décision au para. 11. La Cour fédérale a aussi décidé que la déclaration devait être radiée parce qu’elle était frivole et vexatoire au sens de la Règle 221(1)(c).

[7] Il est bien établi que cette Cour peut, dans l’exercice de sa compétence plénière de gérer les litiges dont elle est saisie, rejeter un recours s’il est manifestement voué à l’échec à cause d’un vice fondamental ou de l’absence de bien-fondé (Lessard-Gauvin c. Canada (Procureur général), 2013 CAF 147, 453 N.R. 380 au para. 8; Tétrault c. Boisbriand (Ville), 2023 CAF 159, [2023] A.C.F. no 969 (QL) au para. 8). Ce pouvoir permet à cette Cour d’assurer l’efficacité et l’équité des procédures judiciaires et de favoriser l’accès à la justice, puisque les appels qui sont voués à l’échec, mais qui demeurent sur le rôle, donnent lieu à un gaspillage de ressources judiciaires et entravent l’accès à la justice pour ceux qui exercent des recours méritoires (Dugré c. Canada (Procureur général), 2021 CAF 8, [2021] A.C.F. no. 50 (QL) au para. 22; Tétrault au para. 8).

[8] L’ordonnance rendue par la Cour fédérale sur requête en radiation présentée au titre de la Règle 221 est de nature discrétionnaire; notre Cour n’interviendra que si elle est convaincue que la Cour fédérale a commis une erreur sur une question de droit ou une erreur manifeste et dominante sur une question de fait ou une question mixte de fait et de droit (Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235; Asghar c. Canada, 2023 CAF 132 au para. 4). La norme de l’erreur manifeste et dominante appelle un degré élevé de retenue : notre Cour modifiera l’ordonnance contestée uniquement si l’erreur alléguée est évidente et touche directement à l’issue de l’affaire (Benhaim c. St-Germain, 2016 CSC 48, [2016] 2 R.C.S. 352 au para. 38, citant South Yukon Forest Corp. c. R., 2014 CAF 165 au para. 46; Asghar au para. 4).

[9] Après avoir soigneusement étudié le dossier de requête en radiation de l’avis d’appel produit par l’intimé ainsi que le dossier de réponse de l’appelante, y compris leurs prétentions écrites, je suis d’avis que la requête en radiation de l’avis d’appel sans autorisation de le modifier doit être accueillie.

[10] Tant dans son avis d’appel que dans ses prétentions écrites, l’appelante ne soulève aucune erreur susceptible de révision de la part de la Cour fédérale. Accusant le procureur de l’intimé d’être « dans le déni et l’arrogance », elle se contente plutôt de reprendre certains des arguments qu’elle a placés devant la Cour fédérale et d’affirmer, sans autres explications, que « l’erreur de la Cour fédérale est très évidente » pour quelqu’un qui ne fait pas de « déni de réalité ». Je suis donc d’avis que le présent appel est voué à l’échec et que l’avis d’appel doit être radié sans autorisation de le modifier.

[11] L’appelante prétend qu’en ne dénonçant pas la « terrible errance de la conscience de l’humanité », les « magistrats » font preuve d’une « grave lâcheté intellectuelle ». Dans le cadre constitutionnel de notre forme démocratique de gouvernement, le rôle des tribunaux est d’interpréter et d’appliquer le droit et de rendre des jugements impartiaux dans des causes touchant au droit public ou privé. Un tribunal ordonne des réparations à l’encontre de l’État à la suite d’une procédure judiciaire lors de laquelle un demandeur établi les faits précis sur lesquels sa demande est fondée et convainc le tribunal par la prépondérance de la preuve qu’il y a eu violation par l’État d’une obligation juridique ou d’un droit. Il n’ordonne pas de réparations parce qu’il souscrit à des projets politiques, si formidables soient-ils, telle la « promotion d’une humanité cohérente ». En agissant ainsi, le tribunal ne fait que respecter les fonctions constitutionnelles et les attributions institutionnelles du législatif, de l’exécutif et du judiciaire.

[12] Tout au long de ses prétentions écrites, l’appelante a mis en cause l’impartialité du juge Duchesne et l’intégrité du procureur de l’intimé sans la moindre preuve à l’appui. Un tel comportement est tout à fait déplacé. Si l’intimé en avait fait la demande, j’aurais été enclin à ordonner des dépens contre l’appelante pour ce motif. Toutefois, comme aucuns dépens n’ont été demandés, il n’y a pas lieu d’en ordonner.

[13] J’accueillerais donc la requête de l’appelante pour obtenir l’autorisation de ne pas être représentée par un avocat ainsi que la requête de l’intimé en radiation de l’avis d’appel sans autorisation de le modifier. Enfin, je rejetterais l’appel, le tout sans dépens.

« Gerald Heckman »

j.c.a.

« Je suis d’accord.

Mary J.L. Gleason j.c.a. »

« Je suis d’accord.

Nathalie Goyette j.c.a. »


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

A-401-24

INTITULÉ :

CIVILISATION COHÉRENTE ET CONCERTÉE c. SA MAJESTÉ

LE ROI

REQUÊTE ÉCRITE DÉCIDÉE SANS COMPARUTION DES PARTIES

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :

LE JUGE HECKMAN

Y ONT SOUSCRIT :

LA JUGE GLEASON

LA JUGE GOYETTE

DATE DES MOTIFS :

LE 13 FÉVRIER 2025

OBSERVATIONS ÉCRITES :

Luc Messier

POUR l'appelantE

Olivier Beaubien

Pour l'intimé

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Shalene Curtis-Micallef

Sous-procureure générale du Canada

Pour l'intimé

 

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