Dossier : A-96-24
Référence : 2025 CAF 46
CORAM :
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LE JUGE LEBLANC
LA JUGE WALKER
LE JUGE PAMEL
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ENTRE :
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VILLE DE LAVAL
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appelante
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PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA
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intimé
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Audience tenue à Montréal (Québec), le 26 février 2025.
Jugement rendu à l’audience à Montréal (Québec), le 26 février 2025.
MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR :
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LE JUGE PAMEL
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Date : 20250226
Dossier : A-96-24
Référence : 2025 CAF 46
CORAM :
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LE JUGE LEBLANC
LA JUGE WALKER
LE JUGE PAMEL
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ENTRE :
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VILLE DE LAVAL
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appelante
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et
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PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA
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intimé
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MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR
(Prononcés à l’audience à Montréal (Québec), le 26 février 2025.)
LE JUGE PAMEL
[1] La Ville de Laval [la Ville] interjette appel de la décision de la Cour fédérale ayant rejeté sa demande de contrôle judiciaire de la décision de Services publics et approvisionnement Canada [Services publics], qui avait refusé de verser un paiement en remplacement d’impôts [PRI] en application de la Loi sur les paiements versés en remplacement d’impôts, LRC (1985), ch M-13 [la Loi].
[2] Le gouvernement fédéral est propriétaire de certains terrains situés dans la Ville. En 2017, il a envisagé la construction d’un centre de surveillance de l’immigration; dans le cadre de ce projet, il a présenté une demande de permis de construction. La Ville a demandé à Services publics de payer une « contribution aux fins de parc »
[CFP]. Conformément à la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme, RLRQ c A‑19.1 [la Loi sur l’aménagement], les municipalités québécoises peuvent adopter des règlements de zonage et de lotissement leur permettant d’exiger une telle contribution au moment de délivrer un permis de lotissement ou de construction. La CFP vise à pourvoir à certaines dépenses publiques telles que l’établissement, l’agrandissement ou l’entretien de parcs, de terrains de jeux ou d’espaces naturels.
[3] À la suite du refus de Services publics de payer la CFP, la Ville a fait une demande de PRI en application de la Loi. En date du 3 août 2022, Services publics a refusé de verser le PRI essentiellement parce que la CFP ne correspondait pas aux critères du régime de PRI. Dans sa décision, Services publics faisait savoir que le ministre des Travaux publics et des Services gouvernementaux n’a pas l’autorité d’accorder un PRI dans les circonstances : un PRI peut être versé à l’autorité taxatrice, en application de l’article 3 de la Loi, uniquement en remplacement de l’impôt foncier (en anglais, real property tax) ou de l’impôt sur la façade ou la superficie. Or, d’après l’article 117.16 de la Loi sur l’aménagement, celle-là même qui a établi la CFP, cette dernière n’est « ni une taxe, ni une compensation, ni un mode de tarification »
, ce qui est d’ailleurs appuyé par la jurisprudence, notamment la décision Québec (Ville de) c. Société immobilière du Québec, 2013 QCCA 305 [Société immobilière du Québec]. Services publics affirmait dans sa décision que la CFP serait plutôt une contribution unique, soit un frais afférent et préalable à l’obtention d’un permis de construction ou de lotissement, et que le régime de PRI ne vise pas les frais associés à ce type de permis.
[4] Dans le cadre de l’appel d’une décision rendue par la Cour fédérale dans un contexte de demande de contrôle judiciaire, notre Cour doit déterminer si le premier juge a utilisé la norme de contrôle appropriée et l’a appliquée correctement. Ce faisant, notre Cour doit se mettre dans les souliers de la cour de révision et se concentrer sur la décision administrative (Chelsea (Municipalité) c. Canada (Procureur général), 2024 CAF 89 au para 21).
[5] Devant nous, la Ville avance que la décision de Services publics ne fait que déclarer que la CFP n’est pas un impôt foncier sans appliquer à la CFP les critères de la définition d’« impôt foncier »
au sens de la Loi et que Services publics limite son analyse à la question de savoir si la CFP est une taxe. La Ville insiste et soutient que la question de savoir si la CFP est une taxe n’est pas pertinente et qu’il faudrait plutôt établir si la CFP correspond à la définition d’impôt foncier au sens de la Loi.
[6] Nous ne sommes pas d’accord avec la Ville. Les propriétés de la Couronne fédérale jouissent d’une immunité constitutionnelle et sont exemptées de toute « taxation »
provinciale et municipale en vertu de l’article 125 de la Loi constitutionnelle de 1867, (R-U), 30 & 31 Vict, c 3, reproduite dans LRC 1985, annexe II, no 5. L’objectif de la Loi est de résoudre les problèmes d’équité découlant de cette immunité fiscale. Or, le régime de PRI vise, à la base, à combler le manque à gagner pour les impôts fonciers non perçus; ce terme est utilisé de façon interchangeable, dans la langue usuelle et comme dans la jurisprudence, avec les termes « taxes foncières »
et « taxes municipales »
.
[7] Compte tenu de la raison pour laquelle la Loi a été adoptée, il n’y a rien de déraisonnable dans le fait d’avoir cherché à savoir si la CFP était une taxe pour en arriver à la conclusion qu’elle n’était pas un impôt foncier. Si la contribution qui fait l’objet de la demande de PRI n’est pas une taxe, conformément au régime fiscal local en vigueur dans la juridiction où se trouvent les propriétés fédérales, les conditions du régime de PRI prévues par la Loi ne sont pas respectées. Si la CFP est une taxe, le raisonnement de Services publics, qui utilise indifféremment les mots « impôt foncier »
et « taxe »
, est clair.
[8] Nous ne sommes pas non plus d’accord avec la Ville lorsqu’elle affirme que Services publics limite son analyse à la question de savoir si la CFP est une taxe. Services publics affirme aussi que la CFP serait plutôt une contribution unique, soit un frais afférent et préalable à l’obtention d’un permis de construction. Compte tenu des contraintes factuelles et juridiques applicables, il était certainement loisible à Services publics d’arriver à cette conclusion.
[9] La Ville estime également que la décision de Services publics n’aurait pas dû s’appuyer sur la Loi sur l’aménagement pour qualifier la CFP. Nous ne sommes pas d’accord. Dans l’arrêt Halifax (Regional Municipality) c. Canada (Travaux publics et Services gouvernementaux), 2012 CSC 29, au paragraphe 38, la Cour suprême du Canada précise que, bien que le ministre exerce ses pouvoirs aux termes de la Loi de façon indépendante, il doit utiliser comme facteur de référence « le régime local d’impôts fonciers qui serait applicable si la propriété en cause était une propriété imposable »
(voir aussi, Montréal (Ville) c Administration portuaire de Montréal, 2010 CSC 14 au paragraphe 40). Nous ne trouvons rien de déraisonnable dans le fait que Services publics s’appuie sur le texte du législateur québécois. La Cour d’appel du Québec, dans la décision Société immobilière du Québec, a d’ailleurs examiné précisément la question de savoir si l’immunité de la Couronne s’applique aux CFP et a répondu à cette question par la négative, car la CFP « ne constitue pas une taxe »
(Société immobilière du Québec aux para 29–31). Les tentatives de la Ville pour distinguer la décision de la Cour d’appel du Québec de celle dont nous sommes saisis sont peu convaincantes. La teneur du régime québécois étant une considération pertinente, la qualification faite par Services publics en application de la Loi sur l’aménagement n’est pas déraisonnable.
[10] Pour les fins du présent appel, il n’appartenait pas à notre Cour de trancher la question de savoir si la CFP est ou non une taxe ou un impôt foncier; cette décision incombait à Services publics. Comme nous l’avons mentionné plus haut, la Cour doit se mettre à la place de la Cour fédérale; ce faisant, nous sommes d’avis que la décision de Services publics n’était pas déraisonnable et qu’elle était justifiée, transparente et intelligible.
[11] Malgré les habiles représentations du procureur de la Ville, l’appel de la décision de la Cour fédérale sera rejeté avec dépens fixés d’un commun accord par les parties à un montant de 9000 $.
« Peter Pamel »
j.c.a.
COUR D’APPEL FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
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A-96-24
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INTITULÉ :
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VILLE DE LAVAL c. PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA
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LIEU DE L’AUDIENCE :
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Montréal (Québec)
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DATE DE L’AUDIENCE :
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LE 26 février 2025
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MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR :
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LE JUGE LEBLANC
LA JUGE WALKER
LE JUGE PAMEL
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PRONONCÉS À L’AUDIENCE :
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LE JUGE PAMEL
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COMPARUTIONS :
Hugues Doré-Bergeron
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Pour l'appelante
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Pavol Janura
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POUR L’INTIMÉ
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Hugues Doré-Bergeron
Laval, Québec
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Pour l'appelante
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Shalene Curtis-Micallef
Sous-procureure générale du Canada
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POUR L’INTIMÉ
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