Date : 20250321
Dossier : A-354-23
Référence : 2025 CAF 67
[TRADUCTION FRANÇAISE]
CORAM :
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LE JUGE WEBB
LE JUGE RENNIE
LE JUGE LASKIN
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ENTRE :
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AIR CANADA
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appelante
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TIMOTHY ROSE
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intimé
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et
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COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE,
CONSEIL DES CANADIENS AVEC DÉFICIENCES et
ASSOCIATION DES SOURDS DU CANADA
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intervenants
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Audience tenue à Toronto (Ontario), le 26 novembre 2024.
Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 21 mars 2025.
MOTIFS DU JUGEMENT :
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LE JUGE WEBB
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Y ONT SOUSCRIT :
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LE JUGE RENNIE
LE JUGE LASKIN
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Date : 20250321
Dossier : A-354-23
Référence : 2025 FCA 67
CORAM :
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LE JUGE WEBB
LE JUGE RENNIE
LE JUGE LASKIN
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ENTRE :
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AIR CANADA
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appelante
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et
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TIMOTHY ROSE
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intimé
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et
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COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE,
CONSEIL DES CANADIENS AVEC DÉFICIENCES et
ASSOCIATION DES SOURDS DU CANADA
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intervenants
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MOTIFS DU JUGEMENT
LE JUGE WEBB
[1] La Cour est saisie de l’appel de la décision no 123-AT-A-2023, rendue par l’Office des transports du Canada (l’Office) le 11 août 2023 (la décision définitive). Dans la décision définitive, l’Office a ordonné à Air Canada de mettre en œuvre certaines mesures pour répondre aux besoins des personnes handicapées qui utilisent un fauteuil roulant électrique et de préciser certaines questions dans son plan sur l’accessibilité établi au titre de la Loi canadienne sur l’accessibilité, L.C. 2019, ch. 10 (la LCA).
[2] Pour les motifs qui suivent, je rejetterais l’appel.
I. Le contexte
[3] M. Rose est atteint de paralysie cérébrale et utilise un fauteuil roulant électrique. À l’été 2016, M. Rose voulait se rendre de Toronto à Cleveland par avion. L’aéronef qu’Air Canada avait affecté à cet itinéraire ne pouvait pas transporter son fauteuil roulant électrique, parce que la porte de soute était trop étroite. Air Canada a informé M. Rose qu’aucun autre aéronef ne pouvait être utilisé pour le transporter de Toronto à Cleveland.
[4] M. Rose a déposé une demande auprès de l’Office. L’échange des actes de procédure a commencé le 13 septembre 2018. Dans une décision du 1er mars 2019 (LET-AT-A-28-2019), l’Office a tiré les conclusions suivantes :
[traduction]
[22] […] l’Office conclut que M. Rose a rencontré un obstacle à ses possibilités de déplacement, parce qu’Air Canada utilise seulement, pour la liaison Toronto-Cleveland, des aéronefs qui ne peuvent pas transporter le fauteuil roulant de M. Rose, de sorte que celui-ci est privé de l’accès à ce pan du réseau de transport fédéral.
[…]
[24] L’Office conclut que la décision d’Air Canada d’offrir des itinéraires desservis exclusivement par des aéronefs ne pouvant pas transporter des aides à la mobilité d’une hauteur de plus de 31 ou 32 pouces une fois pliées crée un obstacle aux possibilités de déplacement de M. Rose et de toutes les autres personnes qui utilisent des aides à la mobilité qui ne peuvent pas être transportées à bord de ces aéronefs.
[5] Après que l’Office eut tiré ces conclusions, la prochaine étape consistait à tenir une audience pour déterminer si Air Canada pouvait éliminer les obstacles sans subir de contrainte excessive.
[6] Une audience a eu lieu les 2 et 3 décembre 2019. À l’audience, Air Canada a appelé divers témoins et a fourni certains engagements (dont l’engagement de fournir à l’Office le nombre d’aéronefs de remplacement dans sa flotte qui peuvent transporter des aides à la mobilité d’une hauteur de plus de 31 pouces une fois pliées). Air Canada a respecté ses engagements, et les parties ont présenté leurs exposés finaux.
[7] En raison de la pandémie, l’instance a été suspendue pendant une certaine période en 2020. Lorsque l’instance a repris, Air Canada a demandé l’autorisation de présenter de nouveaux éléments de preuve relatifs à la contrainte excessive, qui lui a été accordée. M. Rose s’est aussi vu accorder la possibilité de répondre aux nouveaux éléments de preuve d’Air Canada.
[8] À la suite du dépôt des nouveaux éléments de preuve et des observations additionnelles, l’Office a rendu une décision le 5 juillet 2022 (LET-AT-A-25-2022) (la décision emportant demande de justification), dans laquelle elle a examiné la preuve et les diverses options en matière d’adaptation proposées par les parties, et proposé certaines mesures correctives :
[184] En ce qui a trait à la conclusion selon laquelle Air Canada n’a pas démontré que le remplacement ponctuel d’un aéronef sur un itinéraire transfrontalier pour répondre aux besoins de M. Rose ou de toute autre personne qui utilise un fauteuil roulant électrique qui, une fois plié, ne peut pas entrer dans la porte de soute de l’aéronef prévu pour un vol se traduirait par une contrainte excessive, l’Office est d’avis préliminaire qu’à la suite de la réception d’un préavis d’au moins 10 jours ouvrables, Air Canada doit prendre les mesures correctives suivantes :
(a) transporter le passager à bord du vol prévu de son choix;
(b) si ce n’est pas possible, transporter le passager le jour où il souhaite prendre un vol, à une heure semblable à l’heure à laquelle il souhaite se déplacer;
(c) si ce n’est pas possible, transporter le passager le jour précédant ou le jour suivant celui où il souhaite prendre un vol.
[185] Air Canada peut déterminer les mesures qu’elle prendra pour répondre aux besoins du passager, mais ces mesures doivent au moins comprendre : tenter de trouver un ou des vols similaires sur un itinéraire différent, mais semblable; tenter de trouver un ou des vols similaires auprès d’un autre transporteur sur le même itinéraire ou sur un itinéraire différent, mais semblable; remplacer l’aéronef prévu pour l’itinéraire en question par un aéronef accessible lorsqu’Air Canada ne peut pas transporter le passager à l’aide d’une autre solution raisonnable. Si Air Canada décide de transporter le passager en le réacheminant sur un ou des vols d’un autre transporteur, elle doit payer la différence entre les prix.
[186] M. Rose (ou toute autre personne qui utilise un fauteuil roulant électrique qui, une fois plié, ne peut pas entrer dans la porte de soute de l’aéronef prévu pour un vol) doit donner à Air Canada un préavis le plus tôt possible, au moins 10 jours ouvrables, de ses plans de voyage pour qu’elle puisse envisager les possibilités qui s’offrent à elle pour répondre à ses besoins. Si un passager doit prendre un vol de façon urgente et qu’il n’est pas en mesure de lui fournir le préavis minimum, Air Canada doit déployer tous les efforts nécessaires pour répondre à ses besoins.
[187] En plus d’avoir conclu qu’Air Canada n’a pas tenu compte de l’accessibilité dans la planification de son réseau, ce qui a créé un obstacle systémique pour les personnes handicapées qui utilisent une aide à la mobilité de grande dimension au sein de son réseau transfrontalier, l’Office est d’avis, à titre préliminaire, qu’Air Canada devrait prendre la mesure corrective suivante :
(a) Préciser, dans son plan sur l’accessibilité au titre de la Loi canadienne sur l’accessibilité (qui doit être publié au plus tard le 1er juin 2023), comment elle tient compte de l’accessibilité pour les personnes handicapées qui utilisent un fauteuil roulant électrique dans le cadre de :
(i) l’acquisition d’aéronefs pour son réseau transfrontalier, sous forme de location ou d’achat;
(ii) la sélection d’aéronefs pour ses itinéraires transfrontaliers;
(iii) la conception de ses services transfrontaliers, notamment la sélection de transporteurs régionaux et les négociations contractuelles avec ceux-ci.
[9] Au paragraphe 188 de la décision emportant demande de justification, l’Office a ordonné à Air Canada de justifier pourquoi elle en ne devrait pas être tenue de mettre en œuvre les mesures correctives proposées dans cette décision. Air Canada a déposé de nouveaux éléments de preuve et des observations additionnelles, que l’Office a examinés. Dans la décision définitive, l’Office a conclu qu’Air Canada n’avait pas démontré qu’elle subirait une contrainte excessive si elle devait mettre en œuvre les mesures correctives proposées dans la décision emportant demande de justification, sous réserve de certaines modifications à la période de préavis et à la date limite pour apporter les changements requis à son plan sur l’accessibilité établi au titre de la LCA.
[10] L’Office a donc ordonné ce qui suit :
[38] L’Office ordonne à Air Canada de mettre en œuvre les mesures suivantes et de confirmer auprès du directeur général, Déterminations et conformité, de l’Office, par l’entremise du Secrétariat de l’Office, que son personnel a achevé la formation portant sur ces mesures dès que possible et au plus tard le 20 décembre 2023 :
a) À la suite de la réception d’un préavis d’au moins 21 jours civils de la part de M. Rose ou de toute autre personne qui utilise un fauteuil roulant électrique qui, une fois plié, ne peut pas entrer dans la porte de soute de l’aéronef prévu pour son vol :
1. Air Canada doit transporter le passager et son fauteuil roulant électrique le jour où le passager souhaite prendre un vol, à une heure semblable à l’heure à laquelle il souhaite se déplacer;
2. si cela n’est pas raisonnablement possible, Air Canada doit transporter le passager et son fauteuil roulant électrique le jour précédant ou le jour suivant celui où le passager souhaite prendre un vol.
Air Canada peut choisir les mesures qu’elle mettra en œuvre afin de répondre aux besoins des passagers, mais ces mesures doivent au moins comprendre les suivantes :
● tenter de trouver un ou des vols similaires sur un itinéraire différent, mais semblable dans son réseau;
● tenter de trouver un ou des vols similaires auprès d’un autre transporteur sur le même itinéraire ou sur un itinéraire différent, mais semblable;
● remplacer l’aéronef prévu pour le vol en question par un aéronef accessible lorsqu’Air Canada ne peut pas répondre aux besoins du passager à l’aide d’une autre solution raisonnable.
Si Air Canada décide de réacheminer le passager sur un ou des vols d’un autre transporteur, elle doit payer la différence entre les prix.
Il arrive qu’une personne qui utilise un fauteuil roulant électrique qui, une fois plié, ne peut pas entrer dans la porte de soute de l’aéronef prévu pour le vol ne soit pas en mesure de fournir un préavis suffisant. Dans ce cas, Air Canada doit faire tous les efforts raisonnables pour répondre aux besoins de la personne conformément aux dispositions du Règlement sur les transports accessibles aux personnes handicapées concernant les situations dans lesquelles un préavis obligatoire n’est pas fourni;
1. l’acquisition d’aéronefs pour son réseau transfrontalier, sous forme de location ou d’achat,
2. la sélection d’aéronefs pour ses itinéraires transfrontaliers,
3. la conception de ses services transfrontaliers, notamment la sélection de transporteurs régionaux et les négociations contractuelles avec ceux-ci.
[11] Dans le présent appel, les seules mesures qu’Air Canada conteste sont la dernière mesure énoncée au point a), soit « remplacer l’aéronef prévu pour le vol en question par un aéronef accessible lorsqu’Air Canada ne peut pas répondre aux besoins du passager à l’aide d’une autre solution raisonnable »
, et la mesure énoncée au point b), soit l’obligation de préciser, dans la mise à jour de son plan sur l’accessibilité établi au titre de la LCA, comment elle tient compte de l’accessibilité dans le cadre de l’acquisition d’aéronefs, de la sélection d’aéronefs et de la conception de ses itinéraires, relativement à ses itinéraires transfrontaliers.
II. Les questions en litige et la norme de contrôle
[12] Le paragraphe 41(1) de la Loi sur les transports au Canada, L.C. 1996, ch. 10, prévoit qu’il faut obtenir l’autorisation de la Cour pour interjeter appel d’une décision de l’Office et que, si l’autorisation est accordée, l’appel se limite aux questions de droit ou de compétence. Notre Cour a accordé à Air Canada l’autorisation d’interjeter appel de la décision définitive.
[13] Au paragraphe 25 de son mémoire, Air Canada demande à la Cour de trancher trois questions en appel :
[traduction]
a) Est-ce que l’Office a commis une erreur de droit, dans la décision emportant demande de justification et dans la décision [définitive], en appliquant le mauvais critère pour déterminer ce qui constitue une contrainte excessive?
b) Est-ce que l’Office a manqué à l’équité procédurale et ainsi commis une erreur de compétence en ne tenant pas compte des conséquences, sur l’analyse de la contrainte excessive, de la modification de sa conclusion quant au degré d’incidence et en ne donnant pas à Air Canada l’occasion de présenter les éléments de preuve, d’apporter les précisions et de fournir le contexte que l’Office voulait?
c) Est-ce que l’Office a commis une erreur de droit et de compétence en ordonnant à Air Canada de préciser certaines questions dans son plan sur l’accessibilité établi au titre de la LCA?
[14] La norme de contrôle applicable aux questions de droit ou de compétence soulevées par Air Canada, le cas échéant, est la norme de la décision correcte (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov, 2019 CSC 65, par. 37).
III. Analyse
A. L’Office a-t-il appliqué le mauvais critère d’analyse?
[15] La première question soulevée par Air Canada est celle de savoir si l’Office a appliqué le mauvais critère pour déterminer ce qui constitue une contrainte excessive. Air Canada a renvoyé dans son mémoire à la décision emportant demande de justification et à la décision définitive.
[16] Air Canada avait initialement déposé un avis d’appel se rapportant aux deux décisions, soit la décision emportant demande de justification et la décision définitive. Dans une directive donnée le 30 avril 2024, la Cour a fait remarquer qu’Air Canada avait seulement demandé (et obtenu) l’autorisation d’interjeter appel de la décision définitive. Elle a invité Air Canada à présenter des observations sur la question de savoir si son avis d’appel devrait être retiré du dossier, avec l’autorisation de déposer un nouvel avis d’appel.
[17] Dans son ordonnance du 15 mai 2024, la Cour mentionne qu’Air Canada a reconnu que son appel se limitait à la décision définitive. Le premier avis d’appel a été retiré du dossier, et la Cour a autorisé Air Canada à déposer un nouvel avis d’appel se rapportant à la décision définitive.
[18] Dans son mémoire, Air Canada :
(a)renvoie au pouvoir qui habilite la Cour à [traduction]
« modifier la décision emportant demande de justification »
(paragraphe 29);(b)fait valoir [traduction]
« [qu’]il convient en l’espèce de modifier la décision emportant demande de justification »
(paragraphe 39);(c)demande à la Cour de rendre une ordonnance [traduction]
« modifiant la décision emportant demande de justification »
(paragraphe 71a)).
[19] Le mémoire d’Air Canada a été déposé avant que la Cour précise, dans sa directive, que l’autorisation d’interjeter appel était accordée seulement pour la décision définitive, pas pour la décision emportant demande de justification. Air Canada n’a pas modifié son mémoire après le dépôt de son nouvel avis d’appel, qui limitait l’appel à la décision définitive. Air Canada a toutefois confirmé à l’audience qu’elle ne contestait pas la décision emportant demande de justification.
[20] Puisque la décision emportant demande de justification n’est pas visée par l’appel, la Cour n’a pas le pouvoir de la modifier.
[21] Au paragraphe 5 de la décision emportant demande de justification, l’Office précise que cette décision « porte sur la question de savoir si Air Canada peut éliminer ces obstacles sans se voir imposer de contrainte excessive »
. Les obstacles en question sont ceux qui sont énoncés par l’Office dans sa décision du 1er mars 2019 et dont il est question au paragraphe 4 des présents motifs. L’Office a ensuite procédé à son analyse et, au paragraphe 182, elle a proposé certaines mesures correctives. Au paragraphe 188, l’Office a ordonné « à Air Canada de justifier, d’ici le 16 août 2022, pourquoi elle ne devrait pas être tenue de mettre en œuvre les mesures correctives proposées décrites ci-dessus »
.
[22] La décision définitive énonce l’analyse et les conclusions de l’Office, à la lumière des nouveaux éléments de preuve et des observations additionnelles présentés par Air Canada après la décision emportant demande de justification.
[23] L’argument d’Air Canada selon lequel le critère appliqué par l’Office pour déterminer si Air Canada subirait une contrainte excessive revient à faire valoir que l’Office n’a pas mis en balance les intérêts des personnes qui utilisent un fauteuil roulant électrique et les intérêts d’Air Canada.
[24] Air Canada a fait ressortir plusieurs renvois à la mise en balance des intérêts dans l’arrêt Conseil des Canadiens avec déficiences c. VIA Rail Canada Inc., [2007] 1 R.C.S. 650, 2007 CSC 15 (VIA Rail), rendu par la Cour suprême du Canada. En particulier, la Cour suprême s’est exprimée ainsi aux paragraphes 133, 136, 137 et 138 de cet arrêt :
[133] Répétons qu’« [i]l importe de se rappeler que l’obligation d’accommodement est limitée par les mots “raisonnable” et “sans imposer de contrainte excessive”. Il s’agit là non pas de critères indépendants, mais plutôt de différentes façons d’exprimer le même concept » : Chambly [Commission scolaire régionale de Chambly c. Bergevin, [1994] 2 R.C.S. 525], p. 546, citant l’arrêt Central Okanagan School District No. 23 [Central Okanagan School District No. 23 c. Renaud, [1992] 2 R.C.S. 970], p. 984. Les facteurs énoncés à l’art. 5 de la Loi sur les transports au Canada découlent de l’évaluation même qui est inhérente à l’analyse de l’« accommodement raisonnable ». Concilier l’accessibilité pour les personnes ayant une déficience avec le coût, la rentabilité, la sécurité et la qualité du service offert à tous les voyageurs (des facteurs énoncés à l’art. 5 de la Loi) reflète le fait que l’évaluation s’effectue dans un contexte de transport qui, faut-il le préciser, est exceptionnel.
[…]
[136] L’article 5 de la Loi sur les transports au Canada, combiné au par. 172(1), constitue une directive législative enjoignant à l’Office de déterminer s’il existe un « obstacle abusif » aux possibilités de déplacement des personnes ayant une déficience. Le sous-alinéa 5g)(ii) de la Loi précise qu’il est essentiel que « les liaisons assurées en provenance ou à destination d’un point du Canada par chaque transporteur ou mode de transport s’effectuent, dans la mesure du possible, à des prix et selon des modalités qui ne constituent pas [. . .] un obstacle abusif à la circulation des personnes, y compris les personnes ayant une déficience ». Le pouvoir de l’Office de relever les « obstacles abusifs » aux possibilités de déplacement des personnes ayant une déficience et d’y remédier l’oblige à appliquer le principe voulant que les personnes ayant une déficience aient droit à l’élimination des obstacles « abusifs » ou « déraisonnables », à savoir les obstacles injustifiables au regard des principes en matière de droits de la personne.
[137] Les termes « dans la mesure du possible » expriment la reconnaissance légale du critère de la « contrainte excessive » dans le contexte du transport. Le fait que ce critère soit libellé différemment ne le rend ni plus ni moins rigoureux que celui établi dans l’arrêt Meiorin : Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c. Montréal (Ville), [2000] 1 R.C.S. 665, 2000 CSC 27, par. 46. La même évaluation est nécessaire pour déterminer de quelle façon l’obligation d’accommodement sera remplie.
[138] Voilà précisément pourquoi le législateur a confié à l’Office, et non à la Commission canadienne des droits de la personne, la responsabilité publique d’évaluer les obstacles. Seul l’Office possède l’expertise nécessaire pour soupeser les exigences des personnes ayant une déficience et les réalités concrètes — financières, structurales et logistiques — d’un système de transport fédéral.
[Souligné dans l’original.]
[25] La Cour suprême a également affirmé, au paragraphe 139, que « [c]e qui est “possible” au sens du sous-al. 5g)(ii) de la
Loi sur les transports au Canada
est fonction de la preuve concernant la question de savoir si l’accommodement relatif à la déficience a pour effet d’imposer un fardeau déraisonnable à la partie responsable de l’obstacle »
. La question de savoir si une mesure d’adaptation précise aurait pour effet d’imposer un fardeau déraisonnable est donc une question de fait.
[26] Au paragraphe 34 de son mémoire, Air Canada fait valoir ce qui suit :
[traduction]
[…] dans son analyse de la contrainte excessive, l’Office ne tient pas compte de facteurs comme les effets du remplacement ponctuel d’aéronefs sur la sécurité et sur la qualité globales des services offerts à l’ensemble des autres passagers du réseau d’Air Canada, malgré que des éléments de preuve et des observations lui ont été présentés à cet égard.
[27] Il est loin d’être clair de quels [traduction] « effets […] sur la sécurité […] global[e] […] des autres passagers du réseau d’Air Canada »
l’Office aurait dû tenir compte. Dans le présent appel, Air Canada n’a fait référence, ni dans son mémoire ni dans ses observations orales, à aucun élément de preuve à l’appui de la conclusion portant que le remplacement ponctuel d’aéronefs aurait des effets sur la sécurité globale des autres passagers d’Air Canada.
[28] Au paragraphe 35 de son mémoire, Air Canada a fait référence à divers facteurs dont l’Office avait tenu compte :
[traduction]
a) la complexité des difficultés structurales et logistiques que causerait, pour le réseau d’Air Canada, le remplacement ponctuel d’aéronefs (y compris l’absence, dans la station américaine (aéroport), d’équipement au sol et de personnel compétent pour assurer l’entretien de l’aéronef de remplacement);
b) l’écart par rapport aux opérations optimales dans une station pure (un aéroport satellite où un type d’aéronef précis est utilisé pour tous les vols en provenance et à destination de cet aéroport, pour simplifier les opérations, contrôler les coûts, assurer une certaine souplesse opérationnelle et contribuer à recouvrer les coûts liés aux irrégularités d’exploitation);
c) les coûts pour Air Canada, ainsi que les inconvénients et les dépenses que devraient supporter les autres passagers;
d) le faible degré d’incidence des obstacles liés aux itinéraires transfrontaliers d’Air Canada (le cas de M. Rose étant le seul où Air Canada n’a pas pu répondre aux besoins d’un passager utilisant une aide à la mobilité au sein de son réseau transfrontalier).
[29] Bien qu’Air Canada ait affirmé, au paragraphe 34 de son mémoire, que l’Office n’avait pas tenu compte des [traduction] « effets du remplacement ponctuel d’aéronefs sur […] la qualité global[e] des services offerts à l’ensemble des autres passagers du réseau d’Air Canada »
, au paragraphe 35c) elle a reconnu que l’Office avait tenu compte « [d]es inconvénients et [d]es dépenses que devraient supporter les autres passagers »
d’Air Canada. Ces facteurs se rapportent à la « qualité […] des services offerts à l’ensemble des autres passagers du réseau d’Air Canada »
.
[30] Ayant reconnu que l’Office avait tenu compte des facteurs mentionnés au paragraphe 35 de son mémoire, Air Canada a fait valoir que l’Office avait commis une erreur en les examinant individuellement et non collectivement (paragraphes 36 et 38 de son mémoire).
[31] Aux paragraphes 158 à 166 de la décision emportant demande de justification, l’Office a examiné la preuve se rapportant au remplacement d’aéronefs et aux difficultés que cette mesure pourrait engendrer. Les paragraphes 158 à 166 montrent que l’Office a, de fait, examiné les arguments présentés par Air Canada à l’appui de sa prétention selon laquelle le remplacement d’aéronefs lui imposerait une contrainte excessive. Cependant, sur le fondement de la preuve présentée par Air Canada, y compris son admission portant qu’elle procède régulièrement au remplacement d’aéronefs à court préavis, voire sans préavis, l’Office a conclu qu’Air Canada n’avait pas réussi à établir qu’elle subirait une contrainte excessive si M. Rose (ou toute autre personne utilisant un fauteuil roulant électrique qui est trop grand pour passer par la porte de soute de l’aéronef prévu pour un vol) lui donnait un préavis de ses plans de voyage et que le remplacement de l’aéronef était la seule façon de répondre à ses besoins.
[32] Au paragraphe 166 de la décision emportant demande de justification, l’Office s’est exprimée ainsi :
[…] pour démontrer que les coûts supplémentaires pour répondre aux besoins de M. Rose se traduiraient par une contrainte excessive, Air Canada doit fournir des éléments de preuve objectifs, réels et quantifiables qui démontrent que les nouveaux coûts supportés pour le remplacement ponctuel d’un aéronef seraient si importants qu’ils représenteraient une contrainte excessive. Air Canada n’a pas fourni ce genre d’élément de preuve.
[33] Puisque dans la décision emportant demande de justification l’Office a ordonné à Air Canada de justifier pourquoi elle ne devrait pas être tenue de mettre en œuvre les mesures correctives proposées, Air Canada a présenté des éléments de preuve additionnels, y compris une annexe montrant les coûts liés au remplacement de l’aéronef en question par un aéronef pouvant transporter le fauteuil roulant de M. Rose. Les renseignements relatifs aux coûts qui ont été présentés sont confidentiels.
[34] Aux paragraphes 12 à 17 de la décision définitive, l’Office a énoncé les arguments présentés par Air Canada à l’appui de sa prétention selon laquelle le remplacement d’un aéronef lui imposerait une contrainte excessive. Au paragraphe 24 de la décision définitive, il a affirmé ce qui suit :
Air Canada présente plusieurs facteurs, considérations et obstacles qui, selon elle, rendraient impossible le remplacement ponctuel d’un aéronef aux fins d’accommodement d’une personne handicapée. Cependant, elle n’explique pas comment ou pourquoi les facteurs présentés comme des obstacles à un tel remplacement ne l’empêchent pas de faire appel à un aéronef de remplacement en cas de situation inhabituelle, ce qu’elle fait quotidiennement. De même, puisqu’Air Canada remplace régulièrement des aéronefs en cas de situation inhabituelle, il est peu probable qu’un remplacement visant à répondre aux besoins d’une personne handicapée ait une incidence grave sur les autres passagers ou sur la capacité d’Air Canada à fournir un service à la clientèle. Air Canada n’a pas démontré que ce serait le cas.
[35] L’Office a examiné la preuve présentée par Air Canada et a conclu, sur le fondement de cette preuve, qu’Air Canada n’avait pas établi qu’elle subirait une contrainte excessive si elle devait utiliser un aéronef de remplacement. L’argument d’Air Canada selon lequel l’Office a examiné les facteurs individuellement et non collectivement n’est pas fondé. Air Canada fait essentiellement valoir que, compte tenu de la preuve qui a été présentée, l’Office n’aurait pas dû ordonner, comme mesure corrective subsidiaire, le remplacement de « l’aéronef prévu pour le vol en question par un aéronef accessible lorsqu’Air Canada ne peut pas répondre aux besoins du passager à l’aide d’une autre solution raisonnable »
. Or, la question de savoir si cette mesure corrective imposerait une contrainte excessive à Air Canada est une question de fait ou une question mixte de fait et de droit qui n’est pas susceptible d’appel devant la Cour. Rien ne permet de conclure que l’Office a commis une erreur de droit en appliquant le mauvais critère.
[36] Dans ses observations en réponse, Air Canada a fait valoir que, en raison des nouveaux éléments de preuve présentés par Air Canada, l’Office aurait dû procéder à une nouvelle analyse de la contrainte excessive dans la décision définitive. Air Canada n’a pas fait valoir que l’Office avait commis une erreur de droit en ne procédant pas à une nouvelle analyse. Elle a simplement fait référence à la quantité importante de nouveaux éléments de preuve qu’elle avait déposés.
[37] Dans la décision emportant demande de justification, l’Office a ordonné à Air Canada de justifier pourquoi les mesures correctives proposées ne devraient pas être mises en œuvre. En l’absence d’une erreur de droit (Air Canada n’a soulevé aucune erreur de ce type), la question de savoir si les éléments de preuve additionnels étaient suffisamment différents de ceux présentés à l’origine pour qu’il soit justifié de procéder à une nouvelle analyse de la contrainte excessive est une question de fait (ou une question mixte de fait et de droit) et n’est donc pas susceptible d’appel.
B. L’équité procédurale
[38] Air Canada allègue que l’Office a manqué à son obligation d’équité procédurale :
(a)en adoptant des points de vue différents sur le nombre de personnes handicapées qui utilisent un fauteuil roulant électrique et qui rencontrent des obstacles (le degré d’incidence);
(b)en ne réexaminant pas, dans la décision définitive, l’article 44 du Règlement sur les transports accessibles aux personnes handicapées, DORS/2019-244 (le RTAPH);
(c)en [traduction]
« changeant les règles du jeu »
en ce qui a trait aux renseignements financiers qu’Air Canada devait fournir pour établir la contrainte excessive.
(1) Le degré d’incidence
[39] Le premier manquement allégué se rapporte aux conclusions suivantes, tirées par l’Office dans la décision emportant demande de justification :
[173] Dans le cas présent, Air Canada affirme que l’incidence est si faible (seul M. Rose a été touché) qu’elle ne devrait pas être contrainte de répondre à ses besoins. Elle sous-entend que si la demande pour ce genre de transport était plus importante, elle pourrait en tenir compte dans le cadre de sa planification, mais qu’il serait disproportionné de l’obliger à répondre aux seuls besoins de M. Rose et qu’une telle obligation représenterait une contrainte excessive.
[174] En réponse à ces présentations, l’Office conclut :
(a) que l’incidence n’est pas un facteur fiable lorsqu’un service est inaccessible étant donné qu’une fois informées de son inaccessibilité, les personnes handicapées pourraient tout simplement ne plus faire la demande de mesures d’accommodement et donner la fausse perception qu’il n’y a aucun besoin et aucune demande pour cette mesure d’accommodement. Plus particulièrement, aucun système de suivi des refus de transport ne tiendrait compte des personnes qui décident, d’après la dimension des portes de soute publiée sur son site Web, de ne pas prendre un vol avec Air Canada;
(b) qu’Air Canada fait valoir que M. Rose est la seule personne qui ne peut pas être transportée sur ses itinéraires transfrontaliers inaccessibles en raison de la hauteur de la porte de soute de ses aéronefs. Cependant, le rapport final du GTI indique que la plupart des aides à la mobilité électriques pour adultes ont des dossiers d’une hauteur de plus de 31 pouces, la plus petite hauteur de dégagement des zones d’arrimage des aéronefs d’Air Canada. Par conséquent, l’Office conclut qu’il y a probablement d’autres personnes handicapées qui ne peuvent pas suivre ces itinéraires en raison de la dimension de leur fauteuil roulant électrique;
(c) que le fait que peu de personnes font la demande d’une certaine mesure d’accommodement ne réduit pas le fardeau du transporteur au titre des droits de la personne de répondre aux besoins de ces personnes jusqu’à la contrainte excessive;
(d) que l’incidence peut être pertinente, mais ne détermine pas le caractère abusif d’un obstacle. Il n’est pas nécessaire de démontrer un seuil d’incidence pour établir que M. Rose a droit à des mesures d’accommodement.
[Non souligné dans l’original.]
[40] Air Canada a opposé ces conclusions à la conclusion suivante, tirée au paragraphe 28 de la décision définitive :
[…] Malgré le fait que l’Office a conclu, dans la décision [emportant] demande de justification, qu’il y a probablement d’autres personnes handicapées qui ne peuvent pas se déplacer à bord des aéronefs utilisés pour ces itinéraires en raison de la dimension de leur fauteuil roulant électrique, l’Office est convaincu, à la lumière de l’ensemble des éléments de preuve présentés par Air Canada, que les personnes dans la situation de M. Rose sont rares et que, dans la plupart des cas, Air Canada est en mesure de réacheminer les passagers sur d’autres itinéraires, comme le prévoient l’éventail de mesures établies par l’Office.
[41] Le fait d’affirmer, au paragraphe 28 de la décision définitive, que « les personnes dans la situation de M.
Rose
sont rares »
et, dans la décision emportant demande de justification, « qu’il y a probablement d’autres personnes handicapées qui ne peuvent pas suivre ces itinéraires en raison de la dimension de leur fauteuil roulant électrique »
et « que peu de personnes font la demande d’une certaine mesure d’accommodement »
, ne donne pas lieu à un manquement à l’équité procédurale. La seule preuve concernant le nombre de personnes touchées par la dimension des portes de soute de certains aéronefs a été fournie par Air Canada. Rien ne permet de conclure qu’Air Canada n’a pas eu la possibilité de présenter entièrement et équitablement ses arguments ou que la décision n’a pas été prise à la suite d’un processus équitable, impartial et ouvert, même si l’Office a laissé entendre que quelques personnes pourraient être touchées, avant de reconnaître que la situation de M. Rose était rare.
[42] De plus, dans la décision définitive, la conclusion quant à l’incidence a été tirée dans le contexte de la question de savoir si Air Canada avait établi que la dernière mesure corrective proposée (le remplacement d’aéronefs) lui imposerait une contrainte excessive. Puisque l’Office a réduit le degré d’incidence de « quelques personnes »
à « de rares personnes »
, il est moins probable que le remplacement d’aéronefs impose une contrainte excessive à Air Canada que si cette mesure devait être appliquée plus fréquemment. Puisque l’incidence est faible, les coûts liés au remplacement d’un aéronef (indiqués par Air Canada dans son annexe confidentielle) ne seraient que rarement engagés. Aucun manquement à l’équité procédurale ne découle du fait que l’Office a conclu, dans la décision définitive, que le degré d’incidence était moins élevé que ce qu’il avait indiqué dans la décision emportant demande de justification.
(2) L’article 44 du RTAPH
[43] Air Canada a également fait valoir, dans le contexte de ses arguments relatifs à l’équité procédurale, que l’Office aurait dû réexaminer l’article 44 du RTAPH dans la décision définitive.
[44] L’article 44 du RTAPH est ainsi libellé :
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[45] L’article 2 du RTAPH précise que le règlement n’a pas pour effet de restreindre quelque obligation d’adaptation :
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[46] Dans une décision du 18 octobre 2019 (LET-AT-A-75-2019), l’Office s’est penché sur la demande d’Air Canada visant le rejet ou la suspension des procédures engagées par M. Rose. Au paragraphe 7 de sa décision, l’Office a énoncé l’argument avancé par Air Canada :
[traduction]
Air Canada fonde sa demande sur le caractère théorique. Elle fait valoir que, lorsque le Règlement sur les transports accessibles aux personnes handicapées, D.O.R.S./2019-244 (le Règlement), entrera en vigueur, le transporteur ne sera plus tenu d’établir la contrainte excessive pour refuser de transporter l’aide à la mobilité du demandeur, si celle-ci ne passe pas par la porte de la soute à bagages de l’aéronef.
[47] L’Office a fait référence à l’article 44 du RTAPH au paragraphe 17 de la décision du 18 octobre 2019 :
[traduction]
[17] L’Office prend note du fait que l’article 44 du Règlement, qui entrera en vigueur le 25 juin 2020, confère un moyen de défense aux transporteurs visés par une plainte concernant un refus de transport déposée par un particulier. Or, la présente instance porte sur les obstacles systémiques qui découlent des pratiques adoptées par Air Canada relativement à l’affectation de ses aéronefs. La conclusion relative aux obstacles tirée par l’Office dans sa décision renvoie au défaut systémique d’Air Canada de répondre aux besoins de nombreuses personnes handicapées qui utilisent des aides à la mobilité de grande dimension, à l’égard de multiples itinéraires transfrontaliers.
[Souligné dans l’original.]
[48] Ces remarques concernant l’article 44 du RTAPH ont été formulées dans le contexte de la demande présentée par Air Canada en vue de faire rejeter ou suspendre les procédures. À la fin du paragraphe 17, l’Office a tiré la conclusion suivante :
[traduction]
L’Office conclut par conséquent qu’il demeure pertinent d’examiner les questions énoncées dans le cadre de référence établi pour déterminer si Air Canada peut éliminer les obstacles sans subir de contrainte excessive, de sorte que le premier volet du critère établi dans l’arrêt Borowski est rempli.
[49] Au paragraphe 4 de sa réponse au mémoire déposé par la Commission canadienne des droits de la personne, Air Canada a reconnu que l’Office n’avait pas les mains liées en raison de l’article 44. Air Canada a plutôt fait valoir que l’Office aurait dû réexaminer l’article 44 à la lumière de la conclusion tirée dans la décision définitive selon laquelle l’incidence était rare.
[50] Puisque la seule question qui a été tranchée dans la décision définitive était celle de savoir si Air Canada avait établi que les mesures correctives proposées (telles qu’elles sont énoncées dans la décision emportant demande de justification) imposeraient à Air Canada une contrainte excessive, à mon avis, l’Office n’a pas commis d’erreur de droit en ne réexaminant pas une disposition (l’article 44 du RTAPH) qui ne doit pas être interprétée comme une restriction à l’obligation d’adaptation. Aucun manquement à l’équité procédurale ne découle du défaut de réexaminer l’article 44 du RTAPH, contrairement aux allégations d’Air Canada.
(3) L’Office a-t-il « changé les règles du jeu »
?
[51] Air Canada fait valoir que l’Office a [traduction] « changé les règles du jeu »
en ce qui a trait aux renseignements financiers permettant à Air Canada d’établir la contrainte excessive, ce qui constitue un manquement à l’équité procédurale.
[52] Air Canada fait remarquer que, dans sa lettre du 20 juin 2019 (LET-AT-A-46-2019), l’Office a établi le cadre de référence de l’audience visant à déterminer si Air Canada pouvait supprimer les obstacles aux possibilités de déplacement de M. Rose, tels que l’Office les avait définis dans sa décision du 1er mars 2019 (LET-AT-A-28-2019) (mentionnée au paragraphe 4 des présents motifs). Le cadre de référence ne mentionne pas expressément les coûts.
[53] Comme je le mentionne ci-dessus, au paragraphe 166 de la décision emportant demande de justification, l’Office a formulé des commentaires sur le défaut d’Air Canada de présenter des renseignements financiers :
[…] pour démontrer que les coûts supplémentaires pour répondre aux besoins de M. Rose se traduiraient par une contrainte excessive, Air Canada doit fournir des éléments de preuve objectifs, réels et quantifiables qui démontrent que les nouveaux coûts supportés pour le remplacement ponctuel d’un aéronef seraient si importants qu’ils représenteraient une contrainte excessive. Air Canada n’a pas fourni ce genre d’élément de preuve.
[54] Air Canada a eu l’occasion de présenter des renseignements financiers après la publication de la décision emportant demande de justification, ce qu’elle a fait. Elle a soumis une annexe confidentielle indiquant les coûts additionnels qu’elle aurait à supporter si elle devait remplacer les aéronefs affectés à l’itinéraire Toronto-Cleveland-Toronto (qui comprend le vol que M. Rose voulait prendre en 2016).
[55] Toutefois, dans la décision définitive, l’Office a conclu que cette analyse des coûts supplémentaires ne permettait pas d’établir la contrainte excessive :
[27] Dans l’Affidavit, Air Canada fournit des éléments de preuve confidentiels concernant le coût du remplacement du CRJ-200 par un aéronef accessible pour l’itinéraire Toronto-Cleveland. Des coûts supplémentaires peuvent permettre de démontrer que des mesures d’accommodement ne peuvent pas être mises en œuvre si la preuve indique que ces nouveaux coûts sont si importants qu’ils créeraient une contrainte excessive. Dans le cas présent, Air Canada n’a pas fourni suffisamment de contexte pour permettre à l’Office d’évaluer si les coûts documentés représentent un coût supplémentaire important ou prohibitif par rapport au coût du remplacement ponctuel d’un aéronef en cas de situation inhabituelle, au budget de fonctionnement d’Air Canada ou à sa situation financière générale. Sans élément de preuve convaincant en ce qui a trait aux obstacles économiques qui pourraient avoir une incidence grave sur la viabilité d’Air Canada ou sur sa capacité à absorber les coûts supplémentaires l’Office conclut qu’il n’a pas de motif raisonnable pour déterminer que le remplacement ponctuel d’un aéronef par un aéronef accessible lui causerait une contrainte excessive.
[56] En ce qui concerne la preuve financière requise, dans l’arrêt VIA Rail, la Cour suprême a confirmé que l’importance des dépenses et la taille de l’entreprise étaient des facteurs pertinents dont il fallait tenir compte :
[131] Étant donné que le gouverneur en conseil n’a pas déterminé les critères d’évaluation d’une contrainte excessive, ainsi que l’y autorise le par. 15(3) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, il faut s’en remettre aux faits de chaque cas et aux principes directeurs qui se dégagent de la jurisprudence pour répondre à la question de savoir si le coût estimatif de la mesure permettant de remédier à l’obstacle physique discriminatoire constituera une contrainte excessive. Le refus d’un fournisseur de services d’utiliser un faible pourcentage de la totalité des fonds dont il dispose pour remédier à un obstacle à l’accès tendra à miner un argument fondé sur la contrainte excessive (Eldridge [Eldridge c. Colombie‑Britannique (Procureur général), [1997] 3 R.C.S. 624], par. 87). La taille de l’entreprise d’un fournisseur de services et les conditions économiques auxquelles elle est confrontée sont pertinentes (Chambly, p. 546). L’ingérence majeure dans l’exploitation de l’entreprise d’un fournisseur de services peut constituer une contrainte excessive, mais une certaine ingérence est un prix acceptable à payer pour le respect des droits de la personne (Central Okanagan School District No. 23, p. 984).
[Non souligné dans l’original.]
[57] L’Office n’a pas [traduction] « changé les règles du jeu »
. Les « règles »
ont été établies par la Cour suprême.
[58] Dans la décision emportant demande de justification, l’Office a indiqué qu’Air Canada n’avait pas fourni « des éléments de preuve objectifs, réels et quantifiables qui démontrent que les nouveaux coûts supportés pour le remplacement ponctuel d’un aéronef seraient si importants qu’ils représenteraient une contrainte excessive »
. Il appartenait à Air Canada de déterminer quels renseignements elle devait fournir, et de fournir les renseignements requis. L’Office suivait l’arrêt VIA Rail lorsqu’il a précisé que la taille de l’entreprise d’Air Canada et l’incidence sur elle des coûts supplémentaires liés au remplacement ponctuel d’un aéronef sont des facteurs pertinents. L’Office n’a pas [traduction] « changé les règles du jeu »
en ce qui a trait aux renseignements financiers requis. Air Canada n’a pas établi que l’Office a manqué à son obligation d’équité procédurale à cet égard.
C. Le plan sur l’accessibilité d’Air Canada établi au titre de la LCA
[59] Air Canada a fait valoir que l’Office avait outrepassé sa compétence en ordonnant à Air Canada :
[…] de traiter précisément, dans la mise à jour de son plan sur l’accessibilité au titre de la LCA qui doit être publiée au plus tard le 1er juin 2026, comment elle tient compte de l’accessibilité pour les personnes handicapées qui utilisent un fauteuil roulant électrique dans le cadre de :
1. l’acquisition d’aéronefs pour son réseau transfrontalier, sous forme de location ou d’achat,
2. la sélection d’aéronefs pour ses itinéraires transfrontaliers,
3. la conception de ses services transfrontaliers, notamment la sélection de transporteurs régionaux et les négociations contractuelles avec ceux-ci.
[60] L’Office n’a pas ordonné à Air Canada d’adopter un plan particulier ou une stratégie particulière en ce qui a trait à l’acquisition d’aéronefs, à la sélection d’aéronefs pour ses itinéraires transfrontaliers ou à la conception de ses services transfrontaliers. Il a plutôt laissé les détails à Air Canada.
[61] L’alinéa 172(2)a) de la Loi sur les transports au Canada confère des pouvoirs de réparation généraux à l’Office :
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[62] Dans la présente affaire, l’Office a conclu qu’il existe un obstacle abusif aux possibilités de déplacement des personnes qui utilisent un fauteuil roulant électrique et qui veulent prendre certains vols transfrontaliers. Puisque l’Office pouvait exiger la prise de mesures correctives indiquées (sous réserve de la possibilité pour Air Canada d’établir que ces mesures correctives lui imposaient une contrainte excessive), rien ne permet de conclure que l’Office ne pouvait pas exiger qu’Air Canada précise les mesures correctives qu’elle mettra en œuvre.
[63] L’Office demande simplement à Air Canada de préciser, dans son plan sur l’accessibilité, comment elle tiendra compte, dans le cadre de l’acquisition et de la sélection d’aéronefs pour son réseau transfrontalier et de la conception de ses services transfrontaliers, de l’accessibilité pour les personnes handicapées qui utilisent un fauteuil roulant électrique. Ce faisant, Air Canada indiquera vraisemblablement les mesures ou les décisions qu’elle prendra de façon à ne pas subir de contrainte excessive.
[64] L’Office n’a pas outrepassé sa compétence en ordonnant à Air Canada de préciser comment elle tient compte, dans le cadre de l’acquisition d’aéronefs, de la sélection d’aéronefs pour ses itinéraires transfrontaliers et de la conception de ses services transfrontaliers, de l’accessibilité pour les personnes handicapées qui utilisent un fauteuil roulant électrique. Il revient à Air Canada de déterminer comment elle en tiendra compte exactement.
IV. Conclusion
[65] En conséquence, je rejetterais l’appel avec dépens en faveur de M. Rose. Comme il est indiqué dans les diverses ordonnances relatives aux requêtes en intervention, les intervenants n’ont pas droit aux dépens. De plus, comme il est indiqué dans l’ordonnance portant sur l’exercice par l’Office du droit que lui confère la loi de se faire entendre, l’Office n’a pas non plus droit aux dépens.
« Wyman W. Webb »
j.c.a.
« Je suis d’accord.
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Donald J. Rennie j.c.a. »
|
« Je suis d’accord.
|
J.B. Laskin j.c.a. »
|
Traduction certifiée conforme
Julie Blain McIntosh, jurilinguiste principale
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COUR D’APPEL FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
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A-354-23
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INTITULÉ :
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AIR CANADA c.
TIMOTHY ROSE et al.
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LIEU DE L’AUDIENCE :
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Toronto (Ontario)
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DATE DE L’AUDIENCE :
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LE 26 NOVEMBRE 2024
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MOTIFS DU JUGEMENT :
|
LE JUGE WEBB
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Y ONT SOUSCRIT :
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LE JUGE RENNIE
LE JUGE LASKIN
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DATE DES MOTIFS :
|
LE 21 MARS 2025
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COMPARUTIONS :
Clay S. Hunter
Jiwan Son
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POUR L’APPELANTE
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Lesli Bisgould
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POUR L’INTIMÉ
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Gabriel Reznick
Ilinca Stefan
|
POUR L’INTIMÉ
|
Luke Reid
|
POUR L’INTERVENANTE
LA COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE
|
Chris Klassen
|
POUR LES INTERVENANTS CONJOINTS
LE CONSEIL DES CANADIENS AVEC DÉFICIENCES et
L’ASSOCIATION DES SOURDS DU CANADA
|
Morgan Rowe
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POUR LES INTERVENANTS CONJOINTS
LE CONSEIL DES CANADIENS AVEC DÉFICIENCES et
L’ASSOCIATION DES SOURDS DU CANADA
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Karine Matte
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POUR L’OFFICE DES TRANSPORTS DU CANADA
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Patterson MacDougall LLP
Toronto (Ontario)
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POUR L’APPELANTE
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Aide juridique Ontario
Toronto (Ontario)
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POUR L’INTIMÉ
|
Arch Disability Law Centre
Toronto (Ontario)
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POUR L’INTIMÉ
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Direction générale des services juridiques
Commission canadienne des droits de la personne
Ottawa (Ontario)
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POUR L’INTERVENANTE
LA COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE
|
Centre juridique d’intérêt public d’Aide juridique Manitoba
Winnipeg (Manitoba)
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POUR LES INTERVENANTS CONJOINTS
LE CONSEIL DES CANADIENS AVEC DÉFICIENCES et
L’ASSOCIATION DES SOURDS DU CANADA
|
RavenLaw LLP
Ottawa (Ontario)
|
POUR LES INTERVENANTS CONJOINTS
LE CONSEIL DES CANADIENS AVEC DÉFICIENCES et
L’ASSOCIATION DES SOURDS DU CANADA
|
Direction des services juridiques
Office des transports du Canada
Gatineau (Québec)
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POUR L’OFFICE DES TRANSPORTS DU CANADA
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