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Date : 20250325


Dossier : A-90-24

Référence : 2025 CAF 69

CORAM :

LE JUGE EN CHEF DE MONTIGNY

LA JUGE GOYETTE

LE JUGE HECKMAN

 

ENTRE :

 

 

RENÉ ROCK

 

 

appelant

 

 

et

 

 

Me CYNTHIA LABRIE, GÉRALD HERVIEUX, JEAN-NOËL RIVERIN,

MARIELLE VACHON et ANDY CANAPÉ

 

 

intimés

 

Audience tenue à Québec (Québec), le 25 mars 2025.

Jugement rendu à l’audience à Québec (Québec), le 25 mars 2025.

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR :

LE JUGE HECKMAN

 


Date : 20250325


Dossier : A-90-24

Référence : 2025 CAF 69

CORAM :

LE JUGE EN CHEF DE MONTIGNY

LA JUGE GOYETTE

LE JUGE HECKMAN

 

ENTRE :

 

 

RENÉ ROCK

 

 

appelant

 

 

et

 

 

Me CYNTHIA LABRIE, GÉRALD HERVIEUX, JEAN-NOËL RIVERIN,

MARIELLE VACHON et ANDY CANAPÉ

 

 

intimés

 

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR

(Prononcés à l’audience à Québec (Québec), le 25 mars 2025.)

LE JUGE HECKMAN

[1] La Cour est saisie d’un appel d’un jugement de la Cour fédérale (le juge Grammond) rendu le 29 novembre 2023 (2023 CF 1597). Dans cette décision, la Cour fédérale rejette la demande de contrôle judiciaire logée par l’appelant à l’encontre d’une décision du Comité d’appel (Comité) établi en vertu du Code électoral (Code) du Conseil de la Nation innue de Pessamit (Conseil).

[2] Dans sa décision, le Comité a rejeté la contestation formulée par l’appelant à l’égard de l’élection du Conseil tenue le 17 août 2022. L’appelant maintient que les intimés, qui s’étaient portés candidats à l’élection, étaient inéligibles en vertu de l’article 3.9 du Code qui prévoit que :

3.9 Le poste de chef ou de l’un des conseillers devient vacant lorsque le titulaire, selon le cas :

a) est déclaré coupable d’un acte criminel et que son délai d’appel est terminé;

[…]

e) s’est rendu coupable de… malhonnêteté… ou n’a pas respecté la politique locale de la collectivité, en particulier en ce qui concerne le conflit d’intérêts;

[3] Selon l’appelant, les intimés étaient visés par le paragraphe 3.9 e) du Code puisqu’ils avaient auparavant été déclarés coupables d’outrage au tribunal pour une conduite qui, aux yeux de l’appelant, constituerait de la malhonnêteté, un conflit d’intérêt ou un non-respect de la politique locale. D’après l’appelant, l’un des intimés était inéligible selon le paragraphe 3.9 a) puisqu’il avait auparavant été déclaré coupable d’un acte criminel.

[4] L’appelant a aussi invoqué devant le Comité une crainte raisonnable de partialité à l’égard de la présidente des élections. Il lui a reproché, d’une part, d’avoir auparavant agi comme avocate pour certains des intimés et, d’autre part, d’avoir déclaré dans un document d’information que le paragraphe 3.9 ne s’appliquait qu’en cours de mandat et d’avoir rejeté la contestation de l’éligibilité des intimés. Enfin, il a invoqué une crainte raisonnable de partialité à l’égard de deux membres du Comité, soit la Directrice générale du Conseil et le Chef de police de Pessamit, puisque leurs fonctions relevaient directement du Conseil.

[5] Le Comité a rejeté la contestation de l’appelant. Il a estimé qu’à la lumière du libellé du paragraphe 3.9 a), qui « prévoit qu’un poste devient vacant lorsque son titulaire est déclaré coupable d’un acte criminel… » [italique dans l’original], cette disposition n’est pas déclenchée par une déclaration de culpabilité antérieure à l’élection. Le Comité a conclu que les situations énumérées à l’article 3.9 n’étaient donc pas des conditions d’éligibilité à se porter candidat à une élection et a refusé de définir de « nouvelles conditions d’éligibilité » [italique dans l’original] dans le cadre d’une contestation.

[6] Le Comité a conclu que l’appelant n’avait pas fait la preuve de faits concrets et spécifiques établissant qu’il avait envers le Comité une crainte raisonnable de partialité. Il a noté qu’en vertu de l’article 8.1 du Code, qui définit les limites des pouvoirs du Comité, il ne pouvait intervenir que si la preuve qui lui était soumise démontrait une manœuvre corruptrice, une violation au Code qui puisse porter atteinte au résultat d’une élection à un poste ou l’inéligibilité d’un candidat. Il a conclu qu’il n’avait donc pas le pouvoir de se prononcer sur les allégations de partialité à l’endroit de la présidente des élections et que, dans tous les cas, l’appelant n’en avait pas fait la preuve.

[7] La Cour fédérale a conclu que la décision du Comité, dont le fondement principal était que « les motifs énumérés à l’article 3.9 constituent des motifs de destitution d’un élu et non des conditions d’éligibilité des candidats » (Motifs au para. 20) était raisonnable, puisqu’elle était étayée par le libellé de l’article 3.9. Selon la Cour fédérale, il était évident à la lecture des motifs du Comité qu’il avait conclu que ces conditions d’éligibilité (être un électeur, être âgé d’au moins dix-huit ans et avoir résidé depuis au moins douze mois dans la communauté) étaient énoncées à l’article 3.5 du Code. Puisque l’article 3.9 ne s’appliquait pas, l’omission du Comité de mentionner explicitement le paragraphe 3.9 e) dans son analyse n’était pas déterminante.

[8] La Cour fédérale a décidé qu’on pouvait comprendre des motifs du Comité qu’il avait conclu qu’il n’avait pas compétence à se prononcer quant à l’impartialité de la présidente d’élections parce que l’appelant n’avait pas établi que les gestes de cette dernière, qui se fondaient sur une interprétation raisonnable de l’article 3.9 du Code, ont donné lieu à l’une des circonstances visées à l’article 8.1.

[9] Enfin, la Cour fédérale a rejeté la prétention de l’appelant qu’en présentant des observations à la Cour défendant le bien-fondé de sa décision (avec lesquelles le procureur de deux des intimés s’est déclaré d’accord), le Comité s’est ligué avec ces intimés, soulevant ainsi pour l’appelant une crainte raisonnable de partialité. Bien qu’elle ait conclu que l’appelant n’aurait pas dû désigner le Comité à titre de défendeur et que ce dernier avait outrepassé son rôle en défendant sa propre décision, la Cour fédérale a décidé que cette situation ne pouvait pas constituer un motif d’annulation de la décision du Comité faisant l’objet du contrôle judiciaire, puisqu’elle s’est produite après cette décision.

[10] Dans le cadre de cet appel, cette Cour doit déterminer si la Cour fédérale a choisi la norme de contrôle appropriée et si elle l’a appliquée correctement. Elle doit se mettre à la place de la Cour fédérale et se concentrer sur la décision du Comité : Agraira c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, [2013] 2 R.C.S. 559 aux para. 45-47. Cela dit, lorsque la Cour fédérale a déjà répondu aux arguments avancés par la partie appelante, cette dernière doit nous convaincre que le raisonnement de la Cour fédérale est erroné : Banque de Montréal c Canada (Procureur général), 2021 CAF 189 au para. 4.

[11] Nous sommes d’avis que la Cour fédérale a correctement appliqué la norme de la décision raisonnable à la décision du Comité interprétant et appliquant le Code. Le contrôle judiciaire selon cette norme exige une évaluation sensible et respectueuse, mais aussi rigoureuse des motifs énoncés par le décideur : Mason c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2023 CSC 21, 485 D.L.R. (4e) [Mason] au para. 8. Ces motifs ne doivent pas être jugés au regard d’une norme de perfection : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov, 2019 CSC 65, [2019] 4 R.C.S. 563 au para. 91. Est raisonnable une décision administrative fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti : Mason au para. 8.

[12] Ayant examiné la décision du Comité à la lumière des observations orales et écrites de l’appelant, nous sommes d’avis qu’elle est raisonnable et faisons nôtres les motifs de la Cour fédérale. Contrairement à ce que plaide l’appelant, plutôt que de substituer ses propres motifs à ceux du Comité au regard de l’application de l’article 3.9 du Code, la Cour fédérale n’a fait qu’interpréter les motifs du Comité de façon globale et contextuelle afin de comprendre le fondement sur lequel reposait sa décision : Société canadienne des postes c. Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes, 2019 CSC 67, [2019] 4 R.C.S. 900 au para. 31.

[13] Comme le remarque la Cour fédérale, le libellé de l’article 3.9 étaye le caractère raisonnable de la décision du Comité. Les mots introductifs de l’article 3.9 visent le « titulaire » d’un poste – quelqu’un qui occupe un poste – plutôt que quelqu’un qui se porte candidat pour un poste. De plus, les motifs de vacance d’un poste prévus à l’article 3.9, dont le décès ou l’absence aux réunions du Conseil, ne peuvent pas logiquement s’appliquer à un candidat. La conclusion du Comité selon laquelle l’article 3.9 n’énonce pas des critères d’éligibilité est raisonnable.

[14] Nous sommes d’accord, pour les motifs exposés par la Cour fédérale, que la décision du Comité à l’effet qu’il n’avait pas la compétence, en vertu du Code, de se prononcer quant à l’impartialité de la présidente des élections, est raisonnable. De plus, l’appelant ne nous a pas convaincus que la conclusion du Comité suivant laquelle l’appelant n’a pas fait la preuve de cette allégation de partialité est déraisonnable.

[15] Enfin, nous partageons la conclusion de la Cour fédérale que les événements reliés à la participation du Comité et des intimés dans la procédure de contrôle judiciaire n’appuient pas l’existence d’une crainte raisonnable de partialité à l’endroit du Comité lorsqu’il a rendu sa décision.

[16] L’appel est rejeté avec dépens.

« Gerald Heckman »

j.c.a.


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

A-90-24

 

INTITULÉ :

RENÉ ROCK c.

Me CYNTHIA LABRIE et al.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Québec (Québec)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 25 mars 2025

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR :

LE JUGE EN CHEF

DE MONTIGNY

LA JUGE GOYETTE

LE JUGE HECKMAN

PRONONCÉS À L’AUDIENCE :

LE JUGE HECKMAN

COMPARUTIONS :

François Boulianne

Pour l’appelant

Laurent Fournier

Pour les intimés,

GÉRALD HERVIEUX et MARIELLE VACHON

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

François Boulianne, LL.M, M.A.

Québec (Québec)

Pour l’appelant

Grondin Savarese Legal Inc.

Montréal (Québec)

POUR LES INTIMÉS,

GÉRALD HERVIEUX et MARIELLE VACHON

 

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