Date : 20250428
Dossier : A-165-24
Référence : 2025 CAF 85
CORAM : |
LA JUGE GLEASON LE JUGE LEBLANC LE JUGE HECKMAN |
ENTRE : |
PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA |
demandeur |
et |
CHANTAL FORTIER |
défenderesse |
Audience tenue à Ottawa (Ontario), le 28 avril 2025.
Jugement rendu à l’audience à Ottawa (Ontario), le 28 avril 2025.
MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR : |
LE JUGE LEBLANC |
Date : 20250428
Dossier : A-165-24
Référence : 2025 CAF 85
CORAM : |
LA JUGE GLEASON LE JUGE LEBLANC LE JUGE HECKMAN |
ENTRE : |
PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA |
demandeur |
et |
CHANTAL FORTIER |
défenderesse |
MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR
(Prononcés à l’audience à Ottawa (Ontario), le 28 avril 2025.)
LE JUGE LEBLANC
[1] Le Procureur général du Canada (Procureur général) se pourvoit en contrôle judiciaire d’une décision de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la Commission) rendue le 5 avril 2024 (2024 CRTESPF 51). Aux termes de sa décision, la Commission a accueilli une plainte de pratiques déloyales logée par la défenderesse à l’encontre de son employeur, le Service correctionnel du Canada, ici représenté par le Conseil du Trésor du Canada (l’Employeur), et de la directrice (la Directrice) de l’Établissement carcéral de Donnacona (l’Établissement), où la défenderesse travaillait au moment des événements à l’origine de la plainte. La défenderesse y œuvrait comme chef d’administration et de gestion du matériel. Elle était aussi, à ce moment, la présidente d’une section locale du Syndicat des employés de la Sécurité et de la Justice (le Syndicat).
[2] La plainte de la défenderesse a été logée aux termes de l’article 186 de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral, L.C. 2003, ch. 22, a. 2 (la Loi). Cette disposition interdit, entre autres, à l’employeur et à ceux et celles qui occupent, pour son compte, des postes de direction : (i) d’intervenir dans la représentation de fonctionnaires; (ii) de faire, à l’égard d’une personne donnée, des distinctions illicites en matière d’emploi, de l’intimider, de la menacer ou de prendre des mesures disciplinaires à son égard au motif, notamment, qu’elle est dirigeante ou représentante syndicale; ou (iii) de chercher, par intimidation, la menace de congédiement ou l’imposition de sanctions pécuniaires ou autres, à obliger cette personne à s’abstenir ou à cesser d’occuper un poste de dirigeant ou de représentant syndical.
[3] La Commission a conclu ici que l’Employeur et la Directrice s’étaient livrés à de telles pratiques :
-
a)en lançant contre la défenderesse, sans véritable vérification préalable, une enquête, avec menace de mesures disciplinaires, pour collusion et influence de témoins dans le contexte d’une enquête disciplinaire pour intimidation entreprise contre la Directrice adjointe aux interventions de l’Établissement suite à une plainte logée par une employée qui avait requis l’assistance de la défenderesse, en tant que dirigeante syndicale, aux fins de cette enquête; et
-
b)en exigeant de la défenderesse, dans une entente de rendement contemporaine à ces événements, qu’elle gère de façon plus efficace ses rôles d’employée et de dirigeante syndicale, un reproche jugé gratuit par la Commission.
[4] Il n’est pas contesté que la norme de révision applicable à l’examen de la décision de la Commission est celle de la décision raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov, 2019 CSC 65, [2019] 4 R.C.S. 653 (Vavilov); Babb c. Canada (Procureur général), 2022 CAF 55 au para. 31; Desjarlais c. Canada (Procureur général), 2014 CAF 14, au para. 5). Une décision sera raisonnable si elle est fondée sur un raisonnement intrinsèquement cohérent et si elle est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles pertinentes (Vavilov aux paras. 84‑85).
[5] Le Procureur général prétend, pour l’essentiel, que la décision de la Commission est déraisonnable pour deux raisons. D’une part, rappelle-t-il, l’immunité dont bénéficient les représentants syndicaux n’est pas absolue. Cela fait en sorte qu’il était parfaitement loisible à l’Employeur et à la Directrice de lancer une enquête visant à faire la lumière sur les allégations de collusion et influence de témoins dont la défenderesse faisait l’objet. Selon le Procureur général, la Directrice ne pouvait ignorer ces allégations puisque, si elles devaient s’avérer fondées, elles auraient constitué un manquement au Code de discipline de l’Employeur.
[6] D’autre part, plaide-t-il, la conclusion de la Commission concernant l’entente de rendement repose sur une erreur de fait fondamentale puisque, contrairement à ce qu’elle en a conclu, la preuve révèle que l’Employeur a offert des précisions sur ce que devait corriger la défenderesse dans la gestion de la dualité de ses fonctions au sein de l’Établissement.
[7] Or, le Procureur général ne nous a pas convaincus qu’il y a matière à intervenir en l’espèce. Dans un premier temps, il était, selon nous, tout à fait raisonnable, pour la Commission, de conclure comme elle l’a fait sur les implications, en matière de pratiques déloyales, de l’enquête lancée par la Directrice sur les allégations de collusion et influence de témoins.
[8] Cette conclusion repose sur les constats suivants, liés aux circonstances particulières de la présente affaire :
-
a)Bien que cette protection ne soit pas absolue, les représentants syndicaux doivent pouvoir exercer leurs activités légales sans crainte de réprimande, d’ingérence ou d’intimidation de la part de l’employeur;
-
b)En l’espèce, au moment de l’enquête lancée contre elle, la Directrice adjointe aux interventions ne voulait pas que la défenderesse représente les employés, un sentiment antisyndical dont la Directrice était au courant et qu’elle n’a rien fait pour endiguer;
-
c)La participation de la défenderesse à une chaine de courriels prétendument incriminante de l’allégation de collusion et influence de témoins l’était clairement à titre de dirigeante syndicale, et non à titre d’employée, tel que le prétendait l’Employeur;
-
d)Dans cette chaine de courriels, la défenderesse y indiquait expressément la nécessité, pour ses interlocutrices, appelées à témoigner dans le cadre de l’enquête visant la Directrice adjointe aux interventions, d’être honnêtes dans leur version des faits;
-
e)La simple vérification d’une version complète de cette chaine de courriels, que les règles élémentaires de diligence raisonnable commandaient, aurait permis de tuer dans l’œuf les allégations de collusion et influence de témoins dirigées contre la défenderesse; et
-
f)La Directrice n’a jamais pu expliquer comment une lecture de la version complète de cette chaine de courriels pouvait porter à penser que la défenderesse se serait possiblement rendue coupable de collusion et influence de témoins et qu’une enquête disciplinaire était dès lors nécessaire.
[9] À notre avis, ces constats sont amplement supportés par la preuve au dossier et le droit applicable, et permettaient à la Commission, lorsque sa décision est examinée sous l’angle déférentiel de la norme de la raisonnabilité, de conclure, sur ce point, que l’Employeur et la Directrice s’étaient livrés, auprès de la défenderesse, aux pratiques déloyales qui leur étaient reprochées. En d’autres termes, nous sommes satisfaits que cette conclusion est fondée sur un raisonnement intrinsèquement cohérent et qu’elle est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles applicables en l’espèce.
[10] Quant aux conclusions de pratiques déloyales en lien avec l’entente de rendement, elles nous apparaissent également raisonnables. Il est vrai que les motifs de la Commission sur ce point sont plutôt succincts, mais ils ne font pas seulement référence aux exemples que l’Employeur aurait négligé de donner pour justifier l’exigence d’une meilleure séparation des rôles d’employée et de dirigeante syndicale de la défenderesse. On peut aussi y lire que le superviseur de la défenderesse – et auteur de l’entente de rendement problématique – était, selon la Commission, visiblement dérangé par la dualité de rôle de la défenderesse, laquelle exigeait que cette dernière fasse souvent des heures supplémentaires pour effectuer son travail. Lorsque la décision est lue dans son ensemble, on constate également que la défenderesse, selon la Commission, n’a jamais compris ce qui lui était reproché à cet égard et qu’elle s’est retrouvée devant un fait accompli sans qu’on lui ait donné la chance de discuter de ce qu’on attendait d’elle.
[11] La Commission y a vu une forme de représailles et nous ne pouvons conclure, comme nous invite à le faire le Procureur général, qu’elle a tiré, dans le contexte de toute l’affaire, une conclusion déraisonnable.
[12] Pour toutes ces raisons, la présente demande de contrôle judiciaire sera rejetée, avec dépens contre le Procureur général fixés, suite à une entente entre les parties, à un montant de 1000$, tout compris.
« René LeBlanc »
j.c.a.
COUR D’APPEL FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : |
A-165-24 |
|
|
INTITULÉ : |
PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA c. CHANTAL FORTIER |
|
|
LIEU DE L’AUDIENCE : |
Ottawa (Ontario) |
||
DATE DE L’AUDIENCE : |
LE 28 avril 2025 |
||
MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR : |
LA JUGE GLEASON LE JUGE LEBLANC LE JUGE HECKMAN |
||
PRONONCÉS À L’AUDIENCE : |
LE JUGE LEBLANC |
||
COMPARUTIONS :
Marc Séguin |
Pour le demandeur |
Kim Patenaude |
POUR LA DÉFENDERESSE |
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Shalene Curtis-Micallef Sous-procureure générale du Canada |
Pour le demandeur |
Ravenlaw LLP Ottawa, Ontario |
POUR LA DÉFENDERESSE |