Date : 20250512
Dossiers : A-357-23 (dossier principal)
A-356-23
Référence : 2025 CAF 94
CORAM : |
LE JUGE WEBB LE JUGE RENNIE LE JUGE LASKIN |
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ENTRE : |
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CHRIS WALBY et JOEL DE LAS ALAS |
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appelants |
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et |
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SA MAJESTÉ LE ROI |
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intimé |
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Audience tenue à Toronto (Ontario), le 28 novembre 2024.
Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 12 mai 2025.
MOTIFS DU JUGEMENT : |
LE JUGE WEBB |
Y ONT SOUSCRIT : |
LE JUGE RENNIE LE JUGE LASKIN |
Date : 20250512
Dossiers : A-357-23 (dossier principal)
A-356-23
Référence : 2025 CAF 94
CORAM : |
LE JUGE WEBB LE JUGE RENNIE LE JUGE LASKIN |
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ENTRE : |
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CHRIS WALBY et JOEL DE LAS ALAS |
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appelants |
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et |
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SA MAJESTÉ LE ROI |
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intimé |
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MOTIFS DU JUGEMENT
LE JUGE WEBB
[1] Chris Walby et Joel De Las Alas (les appelants) ont participé au programme Global Learning Gifting Initiative (le programme GLGI). Ils ont chacun obtenu deux reçus : l’un pour leurs contributions en espèces et l’autre pour les prétendus dons de licences visant les didacticiels (les licences). Ils ont demandé des crédits d’impôt pour dons de bienfaisance en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu, S.R.C. (1985), ch. 1 (5e suppl.) (la Loi) à l’égard de leurs contributions en espèces et du transfert des licences. Le ministre du Revenu national (le ministre) a établi de nouvelles cotisations à l’égard de M. Walby et de M. De Las Alas par lesquelles il a refusé les crédits d’impôt.
[2] M. Walby et M. De Las Alas reconnaissent que le ministre a refusé à juste titre les crédits d’impôt pour dons de bienfaisance relativement aux licences. La seule question que la Cour canadienne de l’impôt (la CCI) devait trancher était celle de savoir si M. Walby et M. De Las Alas devraient pouvoir demander des crédits d’impôt pour dons de bienfaisance à l’égard de leurs contributions en espèces.
[3] La CCI a conclu que les contributions en espèces de M. Walby et de M. De Las Alas ne constituaient pas des dons aux fins de l’application de la Loi (2023 CCI 164). Elle a rejeté leurs appels interjetés à l’encontre des nouvelles cotisations, et la Cour est saisie des appels de ces décisions.
[4] Pour les motifs qui suivent, je rejetterais les présents appels.
I. Contexte
[5] Les parties ont déposé un exposé conjoint partiel des faits auprès de la CCI. Ce document fait état des montants déclarés par M. Walby à titre de dons de bienfaisance pour les sept années au cours desquelles il a participé au programme GLGI :
[en blanc] |
2005 |
2006 |
2007 |
2008 |
2009 |
2020 |
2011 |
---|---|---|---|---|---|---|---|
Dons en espèces |
15 000 $ |
15 000 $ |
15 000 $ |
15 000 $ |
15 000 $ |
10 000 $ |
10 000 $ |
Dons en nature (les licences) |
75 010 $ |
60 077 $ |
75 006 $ |
75 043 $ |
60 010 $ |
50 021 $ |
50 000 $ |
Total : |
90 010 $ |
75 077 $ |
90 006 $ |
90 043 $ |
75 010 $ |
60 021 $ |
60 000 $ |
[6] M. De Las Alas a seulement participé au programme GLGI au cours de l’année 2006. Les montants qu’il a déclarés à titre de dons de bienfaisance pour l’année en question sont les suivants :
Dons en espèces |
13 600 $ |
---|---|
Dons en nature (les licences) |
54 447 $ |
Total : |
68 047 $ |
[7] Le fonctionnement du programme GLGI est expliqué dans l’exposé conjoint partiel des faits et est résumé dans les motifs de la CCI. Essentiellement, chaque participant au programme GLGI versait une contribution en espèces à un organisme de bienfaisance enregistré et, une fois approuvé à titre de bénéficiaire du capital de Global Learning Trust (2004), le participant recevait des licences dont il pouvait faire don à un organisme de bienfaisance enregistré. La juste valeur marchande des licences était d’environ quatre à cinq fois supérieure aux contributions en espèces du participant. M. Walby et M. De Las Alas reconnaissent qu’une grande partie du programme GLGI était un trompe-l’œil et que les licences n’avaient pas de valeur.
II. Décision de la CCI
[8] Le juge de la CCI a fait remarquer que M. Walby et M. De Las Alas avaient admis qu’ils s’attendaient à s’enrichir grâce à leur participation au programme GLGI :
[9] Le juge de la CCI a conclu ce qui suit :
• [l]a participation au programme GLGI constitue un seul arrangement interdépendant [par. 32];
• […] le don en espèces était un élément nécessaire de la contrepartie pour que le participant reçoive de la fiducie des licences visant les didacticiels dans le cadre d’une distribution, ce qui mènerait finalement, par application des documents transactionnels, à la délivrance d’un reçu pour don en nature faisant état d’un montant gonflé [par. 35];
• [e]n l’espèce, les contribuables avaient clairement l’intention de réaliser un profit lorsqu’ils ont fait leur don. Ils avaient l’intention de faire le don en espèces, de sorte que des licences visant les didacticiels apparemment de grande valeur leur seraient transférées. Ces licences feraient ensuite l’objet d’un don, pour lequel les contribuables obtiendraient des crédits d’impôt importants dont le montant excéderait celui du don en espèces initial [par. 43].
[10] Aucune de ces conclusions factuelles n’est contestée dans les présents appels.
[11] La CCI a conclu que les appelants n’avaient aucune intention libérale lorsqu’ils ont versé leurs contributions en espèces. Ils les ont versées dans le cadre d’une série d’opérations à laquelle ils ont participé afin de s’enrichir. Ces contributions en espèces ne constituaient donc pas un don à un organisme de bienfaisance aux fins de l’application de l’article 118.1 de la Loi.
[12] Le juge de la CCI a également conclu que les dispositions des paragraphes 248(30) à (32) de la Loi ne s’appliquaient que s’il y avait intention libérale. Puisque M. Walby et M. De Las Alas n’avaient aucune intention libérale, ces dispositions ne s’appliquaient pas.
[13] Bien qu’il ait conclu que les paragraphes 248(30) à (32) ne s’appliquaient pas, le juge de la CCI s’est néanmoins exprimé sur le sens du terme « valeur »
figurant au paragraphe 248(30) de la Loi et a conclu que « [l]e montant de l’avantage lié aux didacticiels correspond à la valeur à laquelle les appelants s’attendaient (et non à leur juste valeur marchande réelle) »
(par. 74).
III. Questions en litige et norme de contrôle
[14] Au paragraphe 9 de leur mémoire, les appelants formulent ainsi les questions en litige :
[traduction]
1) Le juge de la CCI a-t-il commis une erreur en concluant que le don à l’organisme de bienfaisance enregistré ne constituait pas un don valide?
2) Le juge de la CCI a-t-il commis une erreur en concluant que les règles relatives aux dons fractionnés avaient pour effet de vicier un don valide?
[15] Compte tenu des arguments avancés par M. Walby et M. De Las Alas dans leur mémoire et à l’audience, les questions peuvent être reformulées ainsi :
-
a)Le juge de la CCI a-t-il commis une erreur en considérant les opérations comme une série d’opérations interdépendantes?
-
b)Un don est-il valide si le donateur ne reçoit effectivement aucun avantage de valeur, alors qu’il pouvait s’attendre à en recevoir un?
-
c)Le juge de la CCI a-t-il commis une erreur dans son interprétation du terme
« valeur »
aux fins de l’application du paragraphe 248(30) de la Loi?
[16] La norme de contrôle applicable aux questions de fait est celle de l’erreur manifeste et déterminante, et la norme de contrôle applicable aux questions de droit (y compris les questions de droit isolables) est celle de la décision correcte (Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33).
IV. Analyse
[17] Le programme GLGI a fait l’objet de plusieurs appels infructueux devant la CCI et la Cour. La CCI s’est penchée pour la première fois sur l’admissibilité aux crédits d’impôt demandés dans le cadre du programme GLGI dans la décision Mariano c. La Reine, 2015 CCI 244. Dans cette décision, la CCI a refusé les crédits d’impôt demandés pour les dons en espèces ainsi que pour les prétendus dons de licences. Dans une décision récente, la Cour a rejeté l’appel d’un contribuable qui s’était également vu refuser des crédits d’impôt pour dons de bienfaisance découlant de sa participation au programme GLGI (Aslam c. Canada, 2024 CAF 193).
[18] En l’espèce, les appelants soutiennent que leur cas est unique puisqu’ils ne demandent que les crédits d’impôt demandés pour les contributions en espèces versées à l’organisme de bienfaisance enregistré.
[19] Les faits ne sont pas contestés. Les appelants ont versé des contributions en espèces à un organisme de bienfaisance enregistré. Ils s’attendaient à recevoir les licences dont ils pourraient faire don à un organisme de bienfaisance enregistré. Ils ont produit des déclarations de revenus dans lesquelles ils ont demandé des crédits d’impôt pour dons de bienfaisance relativement à leurs contributions en espèces et en tenant pour acquis que la juste valeur marchande des licences était de quatre à cinq fois supérieure à leurs contributions en espèces. Les opérations relatives aux licences étaient un trompe-l’œil, et aucun bien d’une quelconque valeur n’a été transféré aux appelants.
A. Les opérations étaient-elles interdépendantes?
[20] Dans leur mémoire, les appelants font valoir que les deux reçus (l’un pour les dons en espèces et l’autre pour les licences) auraient dû être examinés séparément :
[traduction]
10. La Loi ne prévoit simplement aucun mécanisme exigeant que les reçus soient combinés et qu’une seule décision soit prise quant à la légitimité des reçus ainsi combinés.
11. Du début à la fin, la validité d’un don est déterminée en fonction du reçu. L’expression courante « reçu faisant état d’un montant gonflé » est donc utilisée dans les affaires en matière de dons. Tout d’abord, le reçu pour don de bienfaisance doit être délivré par l’organisme de bienfaisance enregistré, et le contribuable, afin de pouvoir demander un crédit d’impôt, doit ensuite démontrer la validité du don en prouvant que le montant indiqué sur le reçu a effectivement été versé à l’organisme de bienfaisance. Si le contribuable parvient à le prouver, le don est alors considéré comme valide. Dans de tels cas, la question de l’intention libérale ne se pose pas puisqu’elle va de soi. Dans les cas où une partie du montant indiqué sur le reçu fait l’objet d’un litige, la cour s’intéresse alors aux mécanismes par lesquels le montant déclaré a été gonflé et à la question de savoir si l’intention libérale était suffisante pour qu’il constitue un don aux fins de l’application de la Loi.
[21] Par cet argument, les appelants mettent l’accent sur les reçus et font essentiellement valoir que, comme ils ont tous deux obtenu des reçus pour leurs contributions en espèces, distincts des reçus relatifs aux licences, ils devraient avoir droit aux crédits d’impôt pour leurs contributions en espèces. Ainsi, il suffit à la Cour d’examiner les reçus et, une fois que le contribuable a établi que le montant indiqué sur le reçu a été versé, il a le droit de demander le crédit d’impôt pour don de bienfaisance.
[22] Toutefois, bien que le reçu soit obligatoire pour obtenir un crédit d’impôt (par. 118.1(2) de la Loi), il ne peut en lui seul établir le don. Il ne s’agit que d’une preuve du don :
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[23] Le droit à un crédit d’impôt figure au paragraphe 118.1(3) de la Loi, qui prévoit que le crédit d’impôt est fonction du total des dons d’un particulier pour une année. Le terme « total des dons »
est défini au paragraphe 118.1(1) de la Loi et comprend le total des dons de bienfaisance d’un particulier. Dans la définition du terme « total des dons de bienfaisance »
, la partie qui revêt de l’importance dans le cadre des présents appels est la suivante : « le total des sommes représentant chacune le montant admissible […] d’un don […] fait à un »
organisme de bienfaisance enregistré.
[24] Pour déterminer si les contributions en espèces de M. Walby et de M. De Las Alas constituaient un don, il ne faut pas uniquement se limiter aux opérations directement liées à ces contributions. La Cour, au paragraphe 12 de l’arrêt Maréchaux c. Canada, 2010 CAF 287 (Maréchaux), a confirmé la conclusion suivante tirée par la CCI dans cette affaire :
[25] Dans les appels dont nous sommes saisis, le juge de la CCI énonce, au paragraphe 32 de ses motifs, les faits à l’appui de sa déclaration selon laquelle il n’existait qu’un seul arrangement interdépendant. Aucune de ces conclusions n’est contestée dans les présents appels. De plus, en l’espèce, les appelants ont eux-mêmes considéré que les opérations étaient interdépendantes. Comme l’a fait remarquer le juge de la CCI, les appelants « s’attendaient à s’enrichir grâce à leur participation »
au programme GLGI. Ils ne pouvaient s’enrichir que si les opérations étaient interdépendantes.
[26] L’argument des appelants selon lequel il suffit de confirmer le versement du montant indiqué sur un reçu donné pour déterminer si un contribuable a fait un don est sans fondement. Afin de déterminer si un don a été fait, il faut tenir compte de toutes les circonstances pertinentes et, en particulier, de toutes les composantes d’une seule opération interdépendante.
[27] Le juge de la CCI n’a pas commis d’erreur en considérant le programme GLGI comme une opération interdépendante.
B. Sens du terme « don »
[28] Les appelants font valoir que les contributions en espèces constituaient des dons valides puisqu’ils n’ont pas effectivement obtenu d’avantage de valeur par suite de ces contributions. Cet argument soulève la question de savoir quel sens revêt le terme « don »
.
[29] Le terme « don »
n’est pas défini dans la Loi. Les appelants s’appuient sur la décision Morrison c. La Reine, 2018 CCI 220 (Morrison) rendue par la CCI. Malgré le fait que la décision Morrison ait été portée en appel devant la Cour, cette dernière, dans cet appel, n’a pas eu à trancher la question de savoir si M. Morrison avait droit à un crédit d’impôt pour son don en espèces.
[30] Dans l’affaire Morrison, le contribuable avait participé à un programme de dons appelé le Canadian Humanitarian Trust (le programme CHT). Bien que ce contribuable avait également participé à un autre programme, seule sa participation au programme CHT a un rapport avec l’argument invoqué par les appelants dans les présents appels.
[31] Les diverses opérations comprises dans le programme CHT sont décrites au paragraphe 27 des motifs du juge de la CCI :
[27] Selon le matériel promotionnel du programme de CHT, le programme comportait les éléments suivants :
• Le client fait un don en argent à une fondation de bienfaisance enregistrée (la fondation A)
• Le client présente une demande à WHI afin d’être considéré comme un bénéficiaire potentiel de catégorie A de CHT
• CHT convertit le titre en Essential Medicine Units [traduction] (unités de médicaments essentiels) de l’Organisation mondiale de la Santé (« l’OMS ») pour le bénéfice du candidat retenu (le client)
• Le client choisit de faire don d’unités de médicaments essentiels de l’OMS (« unités de ME de l’OMS ») à une fondation de bienfaisance enregistrée (la fondation B)
• La fondation A émet un reçu d’impôt pour le don en espèces; la fondation B émet un reçu d’impôt pour la valeur nette des unités de ME de l’OMS
• Les unités de ME de l’OMS sont distribuées aux nécessiteux des pays en développement
[32] M. Morrison avait participé au programme CHT en 2004 et en 2005. Dans la nouvelle cotisation établie à l’égard de M. Morrison pour l’année d’imposition 2005, le ministre lui avait accordé un crédit d’impôt pour le paiement en espèces qu’il avait fait cette année-là. Pour l’année d’imposition 2004, le crédit d’impôt pour le paiement en espèces avait été refusé. Par conséquent, dans la décision Morrison, le juge de la CCI ne s’est penché que sur la question de savoir si M. Morrison devrait avoir droit à un crédit d’impôt pour don de bienfaisance relativement au paiement en espèces de 2004.
[33] Dans sa déclaration de revenus pour l’année d’imposition 2004, M. Morrison avait déclaré deux dons de bienfaisance : un don en espèces de 15 350 $ et un don de 41 108,82 $ calculé en fonction de la valeur présumée de certains produits pharmaceutiques. Le juge de la CCI a accueilli la demande de crédit d’impôt pour don de bienfaisance de M. Morrison relativement au paiement en espèces qu’il avait versé à l’organisme de bienfaisance enregistré au motif que ce paiement en espèces constituait un don :
[158] Je retiens la thèse portant que M. Morrison a émis un chèque de 15 530 $ de bonne foi à D&H LLP en fiducie au profit d’ADRA à titre de don à cet organisme de bienfaisance. Le don en espèces a été versé par M. Morrison à même ses propres fonds. Bien que M. Morrison ait pu s’attendre à recevoir, en contrepartie du paiement, des produits pharmaceutiques de CHT pour effectuer un don en nature à des fins caritatives, la réalité juridique et économique nous indique que, contrairement aux prétentions figurant dans le matériel de marketing mis au point par CDL pour le compte de WHI, il n’a reçu aucun produit pharmaceutique de CHT et n’a effectué que des dons nominaux à MCF en 2004. Par conséquent, le don en espèces n’a pas procuré d’avantages complémentaires à M. Morrison.
[159] Dans l’arrêt La Reine c. Friedberg, 92 D.T.C. 6031 (C.A.F.), la Cour d’appel fédérale a reconnu que, pour vicier un don, un avantage ou une contrepartie doit effectivement être versé au donateur :
[Caractères gras dans l’original.]
[34] Le juge de la CCI n’a renvoyé qu’à la définition du terme « don »
telle qu’elle est énoncée dans l’arrêt Friedberg c. Canada (C.A.F.), [1991] A.C.F. no 1255 (Friedberg), et a déclaré, au paragraphe 159 de ses motifs, que la Cour dans l’arrêt Friedberg « a reconnu que, pour vicier un don, un avantage ou une contrepartie doit effectivement être versé au donateur »
. Compte tenu de cette conclusion, le juge de la CCI s’est penché sur la question de savoir si M. Morrison avait effectivement reçu des produits pharmaceutiques.
[35] Par conséquent, le juge de la CCI n’a tiré aucune conclusion sur la question de savoir si M. Morrison s’attendait à recevoir un avantage, à savoir des produits pharmaceutiques dont il pourrait faire don à un organisme de bienfaisance enregistré. Au paragraphe 158, la déclaration selon laquelle « [b]ien que M.
Morrison
ait pu s’attendre à recevoir, en contrepartie du paiement, des produits pharmaceutiques de CHT pour effectuer un don en nature à des fins caritatives »
indique que M. Morrison avait peut-être une telle attente.
[36] Au paragraphe 162 de la décision Morrison, le juge de la CCI a conclu qu’il n’y avait pas de lien entre le paiement en espèces et le droit de recevoir des produits pharmaceutiques :
[162] Je rejette la thèse de l’intimée selon laquelle le don en espèces était un droit payable pour participer au programme de CHT. Bien que les participants au programme de CHT puissent avoir été incités à effectuer des dons en espèces, il ne ressort pas des documents qu’il existait une obligation en ce sens; de même, il ressort de la preuve non controversée des appelants qu’aucun d’entre eux n’a été informé qu’ils étaient tenus d’effectuer des dons en espèces. WHI a créé une structure qui pourrait avoir amené M. Morrison à croire qu’il était davantage susceptible d’être désigné en tant que bénéficiaire de catégorie A s’il effectuait un don en espèces; il n’existe toutefois aucune preuve dont il ressort qu’il était tenu d’effectuer un don en espèces, que le don en espèces était une condition préalable à sa désignation à titre de bénéficiaire de catégorie A ni que le don en espèces constituait un droit dont l’acquittement lui permettait d’être désigné en tant que bénéficiaire de catégorie A. M. Miller a déclaré que des personnes avaient été désignées bénéficiaires de catégorie A même si leurs chèques étaient sans provisions. L’avocat de l’intimée a laissé entendre que c’était dû à la commodité administrative, mais M. Miller a déclaré qu’il ne se souvenait pas que tel avait été le cas.
[37] En tirant cette conclusion de fait quant à l’absence de lien entre le paiement en espèces et le droit de recevoir des produits pharmaceutiques, le juge de la CCI ne conclut pas directement que M. Morrison ne s’attendait pas à recevoir un avantage. Comme il l’a déclaré au paragraphe 162 de ses motifs, « WHI a créé une structure qui pourrait avoir amené M.
Morrison
à croire qu’il était davantage susceptible d’être désigné en tant que bénéficiaire de catégorie A s’il effectuait un don en espèces »
. Ainsi, le juge de la CCI n’a pas clairement tiré une conclusion selon laquelle M. Morrison ne s’attendait pas à recevoir un avantage.
[38] La décision Morrison rendue par le juge de la CCI n’est d’aucune utilité pour M. Walby et M. De Las Alas. Afin de comprendre pourquoi, il est nécessaire d’examiner le contexte dans lequel la déclaration concernant les dons a été faite dans l’arrêt Friedberg ainsi que les arrêts subséquents de la Cour suprême du Canada et de la Cour qui confirment qu’un don est le transfert volontaire d’un bien sans attente d’un avantage.
[39] La déclaration dans l’arrêt Friedberg que le juge de la CCI a soulignée dans la décision Morrison est la suivante :
[…] un don est le transfert volontaire du bien d’un donateur à un donataire, en échange duquel le donateur ne reçoit pas d’avantage ni de contrepartie.
[40] Cette interprétation du terme « don »
dans l’arrêt Friedberg donne à penser que, si le donateur transfère volontairement un bien en s’attendant à recevoir un avantage, mais qu’il n’en reçoit effectivement aucun, le transfert sera tout de même considéré comme un don. Cette interprétation du terme « don »
a été faite dans le contexte des questions soulevées dans l’arrêt Friedberg.
[41] M. Friedberg souhaitait acheter deux collections de textiles pour le Musée royal de l’Ontario (le MRO). Pour l’une des collections (la collection Abemayor), M. Friedberg avait payé le prix d’achat au vendeur, mais les documents relatifs aux opérations indiquaient que le vendeur avait vendu la collection directement au MRO. La question était celle de savoir si M. Friedberg avait fait don de la collection Abemayor au MRO et, par conséquent, s’il avait droit à une déduction conformément à ce qui était à l’époque l’alinéa 110(1)b.1) de la Loi (le don de certains biens culturels).
[42] La Cour a conclu que, puisque les documents indiquaient que le vendeur avait vendu la collection Abemayor directement au MRO, M. Friedberg n’en avait pas fait don au MRO, mais qu’il avait plutôt fait don du montant en espèces qu’il avait payé pour cette collection.
[43] Quant à la deuxième collection que M. Friedberg avait achetée et par la suite donnée au MRO, il avait droit à la déduction prévue pour les dons de biens culturels admissibles.
[44] Aucune question n’a été soulevée quant à savoir si M. Friedberg aurait pu s’attendre à recevoir un avantage ou une contrepartie.
[45] À la suite de l’arrêt Friedberg, la Cour suprême du Canada a confirmé que la principale caractéristique d’un don est l’absence de toute attente de rémunération. La juge McLachlin (plus tard juge en chef), s’exprimant au nom des juges majoritaires de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Peter c. Beblow, [1993] 1 R.C.S. 980 (Beblow), a déclaré ce qui suit :
La principale caractéristique d’un don en droit, c’est-à-dire le fait de donner volontairement à autrui sans attente de rémunération, n’est tout simplement pas présente.
[46] L’exigence selon laquelle le donateur ne doit pas s’attendre à recevoir un avantage a également été énoncée par la Cour dans l’arrêt Woolner c. Canada (Procureur général), [1999] A.C.F. no 1615 (Woolner) :
[7] Notre Cour a posé qu’un don, au sens où l’entend la common law, est un transfert volontaire d’un ou de biens d’une personne à une autre, à titre gratuit et non en exécution d’une obligation contractuelle, sans attente ou espoir d’un avantage matériel en contrepartie. En l’espèce, il est manifeste que les contributions étaient volontaires. Reste à savoir si elles ont été faites dans l’attente ou l’espoir d’un avantage matériel.
[47] Cette même exigence a aussi été mentionnée par la CCI, puis confirmée par la Cour au paragraphe 12 de l’arrêt Maréchaux :
Dans ce cas‑ci, il n’y a qu’un seul arrangement interdépendant, et aucune partie de cet arrangement ne peut être considérée comme un don que l’appelant a effectué sans s’attendre à quoi que ce soit en échange.
[48] Ainsi, si un donateur transfère un bien en s’attendant à recevoir un avantage, le transfert ne sera pas considéré comme un don. Si un contribuable s’attend à recevoir un avantage, il n’aura pas l’intention libérale requise de faire un don. Le même juge de la CCI, qui a autorisé M. Morrison à déclarer un don pour son paiement en espèces, a confirmé dans la décision Cassan c. La Reine, 2017 CCI 174, qu’un contribuable doit avoir l’intention libérale requise de faire un don :
[269] L’intimée soutient judicieusement que, la qualification comme don d’un transfert de bien est assujettie à l’exigence de son intention libérale. […]
[270] Pour qualifier un don, le cédant doit objectivement faire un transfert à titre gratuit et avoir l’intention subjective de faire un transfert à titre gratuit.
[49] Au paragraphe 54 de l’arrêt Entreprises Ludco Ltée c. Canada, 2001 CSC 62, la Cour suprême du Canada a déclaré ce qui suit :
Dans l’interprétation de la Loi, tout comme dans d’autres domaines du droit, les tribunaux appelés à dégager l’objet d’une mesure ou l’intention de son auteur doivent déterminer objectivement la nature de la fin poursuivie en tenant compte à la fois des éléments subjectifs et objectifs pertinents […].
[50] Bien qu’en règle générale, la cour doive tenir compte des éléments subjectifs et objectifs pertinents, dans les présents appels, les appelants ont admis qu’ils avaient l’intention de s’enrichir :
[14] […] Ils ont également admis que, du fait de leur participation au programme GLGI, ils s’attendaient à recevoir en retour plus que leurs contributions en espèces. Les deux appelants s’attendaient à s’enrichir grâce à leur participation.
[51] M. Walby et M. De Las Alas s’attendaient à recevoir des licences dont la juste valeur marchande était de quatre à cinq fois supérieure aux contributions en espèces qu’ils avaient versées à l’organisme de bienfaisance enregistré. Par conséquent, ils n’avaient pas l’intention libérale requise pour que leurs contributions en espèces soient considérées comme des dons. Le juge de la CCI n’a pas commis d’erreur en tirant cette conclusion.
C. Interprétation du terme « valeur »
figurant au paragraphe 248(30) de la Loi
[52] Les appelants n’abordent que brièvement les paragraphes 248(30) à (32) de la Loi aux paragraphes 19 à 22 de leur mémoire. Au paragraphe 19, ils indiquent ce qui suit :
[traduction]
Afin que les règles relatives aux dons fractionnés aient un sens, la « valeur » dont il est question aux paragraphes 248(30) à (32) doit être réelle.
[53] Les appelants ne contestent essentiellement que l’interprétation faite par le juge de la CCI du terme « valeur »
figurant au paragraphe 248(32) de la Loi.
[54] Les paragraphes 248(30) à (32) ont été ajoutés à la Loi afin de tenir compte des cas où un donateur pourrait, en échange d’un montant en espèces ou d’un bien transféré à un organisme de bienfaisance enregistré, recevoir un avantage de valeur. Le paragraphe 248(30) est ainsi libellé :
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[55] Le juge de la CCI a conclu que le paragraphe 248(30) de la Loi n’élimine pas l’exigence selon laquelle le donateur doit avoir une intention libérale, et je suis du même avis. Les appelants ne contestent pas cette conclusion. En l’espèce, étant donné qu’ils s’attendaient à s’enrichir grâce à leur participation au programme GLGI, M. Walby et M. De Las Alas n’avaient aucune intention libérale lorsqu’ils ont versé leurs contributions en espèces. Les paragraphes 248(30) à (32) ne leur sont donc d’aucune utilité.
[56] Les paragraphes 248(30) à (32) permettent au donateur de déclarer une partie du transfert d’un bien à titre de don, à condition qu’il ait l’intention de faire don de cette partie. Par exemple, si une personne verse 500 $ à un organisme de bienfaisance enregistré en vue de participer à un souper-bénéfice d’une valeur de 100 $, cette personne aurait l’intention libérale de faire un don de 400 $. En l’espèce, puisque les deux appelants avaient l’intention de tirer profit de leur participation au programme GLGI, ils n’avaient aucune intention libérale lorsqu’ils ont versé leurs contributions en espèces.
[57] Après avoir conclu que les paragraphes 248(30) à (32) de la Loi ne s’appliquaient pas, le juge de la CCI a formulé une remarque incidente au paragraphe 74 de ses motifs au sujet du « montant de l’avantage »
:
Le montant de l’avantage lié aux didacticiels correspond à la valeur à laquelle les appelants s’attendaient (et non à leur juste valeur marchande réelle).
[58] Le montant de l’avantage est défini ainsi au paragraphe 248(32) de la Loi :
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[59] Dans les présents appels, la Couronne a fait remarquer que le paragraphe 248(32) de la Loi fait référence à la « valeur »
, alors que le paragraphe 248(31) de la Loi renvoie à la « juste valeur marchande »
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[60] La Couronne a donc fait valoir que le terme « valeur »
figurant au paragraphe 248(32) de la Loi ne renvoie pas à la juste valeur marchande, mais bien au plus élevé des montants suivants : la juste valeur marchande ou la [traduction] « valeur perçue de l’avantage, du point de vue du donateur »
(par. 59 du mémoire de la Couronne). La Couronne n’a relevé aucune disposition de la Loi où le terme « valeur »
(sans être entouré des mots « juste »
et « marchande »
) est fondé sur une somme subjective ou désigne le plus élevé des montants suivants : la juste valeur marchande ou la valeur perçue.
[61] Le Black’s Law Dictionary (B. Garner éd., St-Paul : Thomson Reuters, 2024) définit ainsi le terme « valeur »
:
[traduction]
1. La signification, la désirabilité ou l’utilité d’une chose […]
2. Une qualité ou une norme importante qui guide le comportement et la prise de décision […]
3. La valeur pécuniaire ou le prix d’une chose; la quantité de biens, de services ou d’argent nécessaire à un échange […]
[62] Le New Shorter Oxford English Dictionary on Historical Principles (1993) [New York : Oxford University Press Inc.] (le Oxford Dictionary) propose une définition du terme « valeur »
qui est essentiellement la même que la troisième définition énoncée dans le Black’s Law Dictionary [traduction] : « La valeur matérielle ou pécuniaire d’une chose; la quantité d’argent, de biens, etc., contre laquelle une chose peut être échangée. »
[63] En ce qui concerne la Loi, qui prévoit les impôts à prélever, la troisième définition du terme « valeur »
, telle qu’elle est énoncée dans le Black’s Law Dictionary, ainsi que la définition équivalente dans le Oxford Dictionary seraient les définitions pertinentes puisqu’elles définissent la « valeur »
du point de vue pécuniaire. Ces définitions permettent de déterminer objectivement la valeur d’un bien ou d’un service.
[64] Dans l’arrêt Canada (Procureur général) c. Nash, 2005 CAF 386, la Cour a confirmé la définition du terme « juste valeur marchande »
telle qu’elle a été énoncée dans une décision antérieure de la Cour fédérale :
[8] La définition généralement admise de la juste valeur marchande se trouve dans la décision du juge Cattanach, dans l’affaire Succession Henderson et Bank of New York c. M.R.N., 73 D.T.C. 5471, à la page 5476 :
La Loi ne donne aucune définition de l’expression « juste valeur marchande »; celle-ci a été définie de diverses façons, généralement selon ce qu’avait à l’esprit la personne cherchant à formuler la définition. Je ne crois pas nécessaire d’essayer de donner une définition précise de cette expression telle qu’employée dans la Loi; il suffit, me semble-t-il, de dire qu’il y a lieu de donner à ces mots leur sens ordinaire. Dans son sens courant, me semble-t-il, cette expression désigne le prix le plus élevé que le propriétaire d’un bien peut raisonnablement s’attendre à en tirer s’il le vend de façon normale et dans le cours ordinaire des affaires, le marché n’étant pas soumis à des pressions inhabituelles et étant constitué d’acheteurs disposés à acheter et des vendeurs disposés à vendre, qui n’ont entre eux aucun lien de dépendance et qui ne sont en aucune façon obligés d’acheter ou de vendre. J’ajouterais que cet exposé succinct de mon point de vue sur le sens à donner à l’expression « juste valeur marchande » comprend ce que j’estime être l’élément essentiel, soit un marché libre de toutes restrictions, où le prix est établi par le jeu de la loi de l’offre et de la demande entre des acheteurs et des vendeurs avertis et désireux d’acheter et de vendre.
Bien que le juge Cattanach ait pris soin de signaler qu’il n’essayait pas de donner une définition « précise », le fait que la formule qu’il propose a été retenue telle quelle dans la jurisprudence depuis une trentaine d’années permet de penser que, même si elle n’est pas nécessairement exhaustive, sa définition est maintenant considérée comme la définition applicable.
[65] Dans de nombreux cas où le transfert d’un bien s’effectue entre des personnes qui n’ont aucun lien de dépendance entre elles, le résultat sera vraisemblablement le même, que l’on applique la définition pertinente de « valeur »
dont il est question plus haut ou la définition du terme « juste valeur marchande »
retenue dans l’arrêt Nash. La « valeur pécuniaire ou le prix d’une chose; la quantité de biens, de services ou d’argent nécessaire à un échange »
correspondrait généralement au « prix le plus élevé que le propriétaire d’un bien peut raisonnablement s’attendre à en tirer s’il le vend de façon normale et dans le cours ordinaire des affaires, le marché n’étant pas soumis à des pressions inhabituelles et étant constitué d’acheteurs disposés à acheter et des vendeurs disposés à vendre, qui n’ont entre eux aucun lien de dépendance et qui ne sont en aucune façon obligés d’acheter ou de vendre »
. Il se peut cependant que les conditions requises pour déterminer la « juste valeur marchande »
ne soient pas présentes. Par exemple, si un vendeur ou un acheteur vit un stress excessif, la valeur ou le prix d’un objet (sa valeur) pourrait être supérieur ou inférieur au montant qui aurait été déterminé sans ce stress excessif (sa juste valeur marchande).
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66
]
Les termes « juste valeur marchande »
et « valeur »
(sans être entouré des mots « juste »
et « marchande »
) figurent souvent dans la Loi. Par exemple, le paragraphe 15(1) de la Loi, qui traite de l’avantage conféré à l’actionnaire, renvoie à la « valeur »
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[67] Dans l’affaire Downey c. Canada, 2006 CAF 353 (Downey), M. Downey avait vendu un terrain à une société dont le tiers des actions lui appartenait. Le prix d’achat du terrain s’élevait à 420 000 $. Le ministre avait établi une nouvelle cotisation à l’égard de M. Downey au motif qu’il avait un lien de dépendance avec la société et que la juste valeur marchande du terrain ne s’élevait qu’à 150 000 $. Par conséquent, en application du paragraphe 15(1) de la Loi, le ministre avait inclus le montant de 270 000 $ dans le revenu de M. Downey à titre d’avantage, ce qui correspondait à la différence entre le montant payé par la société (420 000 $) et la juste valeur marchande du terrain (150 000 $).
[68] M. Downey a interjeté appel de cette nouvelle cotisation à la CCI. Cette dernière a conclu que la juste valeur marchande du terrain s’élevait à 259 000 $ et a réduit en conséquence le montant de l’avantage visé au paragraphe 15(1) de la Loi à 161 000 $ (2005 CCI 810).
[69] La Cour (dans l’appel interjeté à l’encontre de la décision de la CCI) a fait remarquer que la juge de la CCI n’avait formulé aucune conclusion sur la question de savoir si l’opération intervenue entre M. Downey et la société en était une avec lien de dépendance :
[6] À notre avis, le juge a commis une erreur de droit en ne tirant pas de conclusion sur cette question cruciale, qui est une question mixte de fait et de droit. La preuve relative à l’estimation de la juste valeur marchande n’était pertinente que s’il s’agissait d’une opération avec lien de dépendance. Dans le cas d’une opération sans lien de dépendance, le prix d’achat de 420 000 $ devait représenter la valeur du terrain.
[70] Ainsi, aux fins du calcul du montant de l’avantage visé au paragraphe 15(1) de la Loi, la valeur du terrain était le montant payé par la société (si M. Downey et la société n’avaient pas de lien de dépendance) ou la juste valeur marchande du terrain (si M. Downey et la société avaient un lien de dépendance). Au vu du dossier, la Cour a également conclu que M. Downey n’aurait pas pu établir qu’il n’avait aucun lien de dépendance avec la société et a rejeté l’appel.
[71] L’arrêt Downey appuie la proposition selon laquelle il convient de déterminer objectivement la valeur de l’avantage visé au paragraphe 15(1) de la Loi. Lorsqu’un actionnaire vend un bien à une société dont il détient des actions, soit la juste valeur marchande du bien (si l’actionnaire et la société ont un lien de dépendance), soit le montant payé (si l’actionnaire et la société n’ont pas de lien de dépendance) est pertinent. La Cour n’a pas tenu compte de « la valeur perçue de l’avantage »
obtenu par l’actionnaire ou de la « valeur perçue du terrain »
que M. Downey a vendu à la société.
[72] Au paragraphe 61 de l’arrêt Schwartz c. Canada, [1996] 1 R.C.S. 254, le juge La Forest, s’exprimant au nom des juges majoritaires de la Cour suprême du Canada dans le contexte d’un appel en matière d’impôt sur le revenu, a déclaré ce qui suit :
Selon un principe d’interprétation bien établi, les termes employés par le législateur sont réputés avoir le même sens dans chacune des dispositions d’une même loi; pour des applications récentes de ce principe par notre Cour, voir R. c. Zeolkowski, [1989] 1 R.C.S. 1378, et Thomson c. Canada (Sous‑ministre de l’Agriculture), [1992] 1 R.C.S. 385. Comme pour tout principe d’interprétation, il ne s’agit pas d’une règle, mais d’une présomption qui doit céder le pas lorsqu’il ressort des circonstances que telle n’était pas l’intention du législateur. Or, en l’espèce, je ne vois aucune raison de m’écarter de ce principe, étant donné que, tout au contraire, il confirme le sens ordinaire des mots « emploi » et « allocation de retraite » choisis par le législateur et est compatible avec lui.
[73] Ce principe a été réitéré au paragraphe 37 de l’arrêt Francis c. Baker, [1999] 3 R.C.S. 250, lorsque le juge Bastarache, s’exprimant au nom de la Cour suprême du Canada, a renvoyé au « principe établi voulant qu’un mot qui revient à maintes reprises dans une loi ait le même sens partout dans cette loi »
.
[74] J’estime que rien dans le contexte du paragraphe 248(32) de la Loi ne laisse entendre que le législateur a voulu donner au terme « valeur »
un sens différent de celui qui lui est attribué lorsqu’il apparaît ailleurs dans la Loi sans être entouré des mots « juste »
et « marchande »
(p. ex. au paragraphe 15(1) de la Loi). Le fait de donner un sens au terme « valeur »
figurant au paragraphe 248(32) de la Loi qui est fondé sur la « valeur prévue »
pourrait avoir des conséquences inattendues sur les autres dispositions de la Loi où le terme « valeur »
est employé sans être entouré des mots « juste »
et « marchande »
.
[75] Par conséquent, je ne suis pas d’avis que l’on devrait attribuer au terme « valeur »
figurant au paragraphe 248(32) de la Loi une définition différente de celle qu’aurait ce terme au paragraphe 15(1) de la Loi, où il est employé sans être entouré des mots « juste »
et « marchande »
. Le paragraphe 248(32) de la Loi vise à déterminer le montant de l’avantage en ce qui concerne un don ou une contribution monétaire. Le montant de l’avantage correspondrait à la valeur pécuniaire ou au prix de l’avantage, qui serait un montant objectif et non un montant subjectif fondé sur la « valeur prévue »
.
V. Conclusion
[76] Je rejetterais les appels. À la conclusion des observations orales, les parties ont confirmé qu’elles avaient convenu que des dépens de 8 000 $ seraient versés en faveur de la partie ayant gain de cause. J’adjugerais donc des dépens de 8 000 $ à la Couronne.
« Wyman W. Webb »
j.c.a.
« Je suis d’accord. |
Donald J. Rennie j.c.a. » |
« Je suis d’accord. |
J.B. Laskin j.c.a. » |
Traduction certifiée conforme Sophie Reid-Triantafyllos, jurilinguiste principale |
COUR D’APPEL FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIERS : |
A-357-23 (dossier principal) et A‑356-23 |
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INTITULÉ : |
CHRIS WALBY et JOEL DE LAS ALAS c. SA MAJESTÉ LE ROI |
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LIEU DE L’AUDIENCE : |
Toronto (Ontario) |
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DATE DE L’AUDIENCE : |
LE 28 NovembRE 2024 |
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MOTIFS DU JUGEMENT : |
LE JUGE WEBB |
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Y ONT SOUSCRIT : |
LE JUGE RENNIE LE JUGE LASKIN |
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DATE DES MOTIFS : |
LE 12 Mai 2025 |
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COMPARUTIONS :
Jeff Pniowsky Matthew Dalloo |
POUR LES APPELANTS |
David Silver Allanah Smith Erin Wolfe |
POUR L’INTIMÉ |
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Thompson Dorfman Sweatman LLP Winnipeg (Manitoba) |
POUR LES APPELANTS |
Shalene Curtis-Micallef Sous-procureure générale du Canada |
POUR L’INTIMÉ |