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Date : 20250522


Dossier : A-150-23

Référence : 2025 CAF 100

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LA JUGE WOODS

LE JUGE LOCKE

LA JUGE GOYETTE

 

ENTRE :

GCT CANADA LIMITED PARTNERSHIP

demanderesse

et

INTERNATIONAL LONGSHORE AND WAREHOUSE UNION SHIP AND DOCK FOREMEN, SECTION LOCALE 514

défendeur

et

ASSOCIATION DES EMPLOYEURS MARITIMES

intervenante

Audience tenue à Vancouver (Colombie-Britannique), le 30 janvier 2024.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 22 mai 2025.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LA JUGE WOODS

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE LOCKE

LA JUGE GOYETTE


Date : 20250522


Dossier : A-150-23

Référence : 2025 CAF 100

CORAM :

LA JUGE WOODS

LE JUGE LOCKE

LA JUGE GOYETTE

 

ENTRE :

GCT CANADA LIMITED PARTNERSHIP

demanderesse

et

INTERNATIONAL LONGSHORE AND WAREHOUSE UNION SHIP AND DOCK FOREMEN, SECTION LOCALE 514

défendeur

et

ASSOCIATION DES EMPLOYEURS MARITIMES

intervenante

MOTIFS DU JUGEMENT

LA JUGE WOODS

I. Introduction

[1] La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire à l’encontre de la décision du Conseil canadien des relations industrielles répertoriée sous la référence 2023 CCRI 1068. La demanderesse, GCT Canada Limited Partnership (GCT), sollicite le contrôle judiciaire de la décision par laquelle le Conseil a conclu qu’elle avait contrevenu à ses obligations en matière de santé et de sécurité au travail prévues à la partie II du Code canadien du travail, L.R.C. (1985), ch. L-2 (le Code).

[2] Le défendeur est le syndicat International Longshore and Warehouse Union Ship and Dock Foremen, section locale 514 (le syndicat), dont l’un des membres a déposé la plainte à l’origine de la présente instance. De plus, l’Association des employeurs maritimes a obtenu le statut d’intervenante.

[3] GCT fournit des services de débardage dans deux terminaux à conteneurs en Colombie-Britannique et est assujettie aux obligations en matière de santé et de sécurité prévues à la partie II du Code. La question de fond soulevée dans la présente demande porte sur le caractère raisonnable de la conclusion tirée par le Conseil selon laquelle GCT a contrevenu à ses obligations en matière d’inspection prévues à l’alinéa 135(7)e) du Code en ne permettant pas au comité de santé et de sécurité de l’un de ses terminaux de participer à toutes les inspections de navires.

[4] Devant le Conseil, GCT a fait valoir que ce comité n’avait pas le droit de participer aux inspections de navires comme le prévoit l’alinéa 135(7)e) du Code parce que les navires ne sont pas placés sous l’entière autorité de GCT. Le Conseil n’a pas souscrit à cet argument et a conclu que GCT avait enfreint l’alinéa 135(7)e) du Code.

[5] Comme je l’explique ci-dessous, je rejetterais la demande de GCT.

II. Exposé des faits

[6] Les faits à l’origine du présent litige ne sont essentiellement pas contestés. GCT exploite deux terminaux à conteneurs en Colombie‑Britannique, soit le terminal Vanterm, situé à Vancouver (Vanterm), et le terminal Deltaport, situé à Delta (Deltaport). La présente affaire concerne seulement Vanterm.

[7] Vanterm dispose d’un seul poste d’amarrage et accueille environ deux navires par semaine. Les entreprises de transport maritime propriétaires des navires qui accostent dans cette installation retiennent les services de débardage de GCT, principalement pour le chargement et le déchargement de cargaisons.

[8] Dans le cadre de ses procédures de sécurité, GCT a mis en place un programme de prévention des risques, qui est décrit dans le manuel du navire de GCT. GCT a établi ce programme conformément à ses obligations prévues à la partie II du Code et au Règlement sur la santé et la sécurité au travail en milieu maritime, DORS/2010-120.

[9] Le manuel du navire exige notamment que chaque navire accosté à Vanterm soit inspecté chaque semestre. Selon la procédure d’inspection énoncée dans le manuel, les inspections doivent être menées par des représentants du comité de santé et de sécurité et de la direction.

[10] GCT a constitué un comité de santé et de sécurité particulier pour Vanterm, qui comprend des représentants de l’employeur et des employés.

[11] Le comité participe parfois aux inspections de navires, mais pas toujours. Si une inspection est effectuée le vendredi, le comité y participe, car les membres sont habituellement présents ce jour-là. Toutefois, selon GCT, il n’est pas pratique de faire venir les membres du comité lorsque l’inspection a lieu un autre jour.

III. La plainte

[12] Le ou vers le 18 janvier 2019, un contremaître employé par GCT, membre du syndicat défendeur, a déposé une plainte auprès du Programme du travail, une institution qui fait partie d’Emploi et Développement social Canada. Il a allégué dans sa plainte que GCT procède parfois à des inspections de navires à Vanterm sans la participation des employés membres du comité. Il a également déclaré que plusieurs demandes présentées par des employés membres du comité en vue de participer aux inspections avaient été refusées.

[13] Le plaignant a fait référence dans sa plainte au comité de Vanterm, mais il n’a pas renvoyé au paragraphe 135(7) du Code, qui précise certaines attributions des comités locaux. La plainte fait plutôt référence au paragraphe 136(5) du Code. Cette disposition concerne les fonctions du représentant en matière de santé et de sécurité pour le lieu de travail, et non du comité, et s’applique seulement aux lieux de travail occupant moins de vingt employés ou pour lequel l’employeur n’est pas tenu de constituer un comité local. Comme je l’explique plus loin dans les présents motifs, il s’agit d’une erreur dans la plainte.

IV. Les instructions du délégué du ministre

[14] Le 27 novembre 2019, après avoir enquêté sur la plainte, le délégué du ministre a donné des instructions dans lesquelles il a conclu que GCT avait enfreint l’alinéa 136(5)g) du Code, qui exige notamment qu’un représentant en matière de santé et de sécurité participe à toutes les inspections en matière de santé et de sécurité.

[15] Le délégué a donné à GCT l’instruction [traduction] « de mettre fin immédiatement à la contravention et d’assurer la participation [du] représentant des employés […] aux inspections ».

V. La décision du Conseil

[16] GCT a interjeté appel des instructions auprès du Conseil. Le Conseil a tenu une audience de novo au cours de laquelle les deux parties ont présenté des témoins. Le Conseil a également accordé le statut d’intervenant à l’Association des employeurs maritimes et à la Halifax Employers Association.

[17] Le Conseil a conclu que les instructions comportaient des lacunes, car elles renvoyaient à la mauvaise disposition du Code. Le délégué du ministre aurait dû faire référence à l’alinéa 135(7)e) plutôt qu’à l’alinéa 136(5)g).

[18] Le Conseil a estimé qu’il avait le pouvoir de modifier les instructions afin de corriger l’erreur. Les instructions modifiées indiquent que GCT a enfreint l’alinéa 135(7)e), car le comité a le droit de participer à toutes les inspections de navires accostant à Vanterm.

[19] Dans ses motifs, le Conseil a conclu que le comité avait le droit de participer aux inspections de navires même si ceux-ci ne sont pas placés sous l’entière autorité du GCT. À titre subsidiaire, le Conseil a également conclu que si les fonctions du comité se limitent aux lieux de travail placés sous l’entière autorité de l’employeur, les navires accostés à Vanterm sont placés sous l’entière autorité de GCT, de sorte que le comité a le droit de participer à toutes les inspections de santé et de sécurité menées sur ces navires.

[20] Par conséquent, GCT a reçu l’instruction de mettre fin à toute contravention à l’alinéa 135(7)e) et d’élaborer une procédure avec le comité pour l’inspection des navires.

VI. Analyse

[21] Comme je le mentionne ci-dessus, la question de fond soulevée dans la présente demande est celle de savoir si le Conseil a commis une erreur lorsqu’il a conclu que GCT avait enfreint l’alinéa 135(7)e) en ne permettant pas au comité de participer à toutes les inspections de navires.

[22] GCT a soulevé une question préliminaire, à savoir si le Conseil a commis une erreur en modifiant les instructions pour qu’elles renvoient à l’alinéa 135(7)e) du Code. J’examine d’abord cette question préliminaire.

A. La question préliminaire : Le Conseil a-t-il commis une erreur en modifiant les instructions?

[23] Devant le Conseil, nul n’a contesté que les instructions initiales font référence à la mauvaise disposition législative. Elles indiquent que GCT a enfreint l’alinéa 136(5)g) du Code, qui s’applique aux lieux de travail occupant moins de vingt employés ou pour lesquels l’employeur n’est pas tenu de constituer un comité de santé et de sécurité. Les parties ont convenu qu’aucun de ces critères ne s’applique à GCT. La disposition équivalente qui s’applique à GCT est plutôt l’alinéa 135(7)e) du Code.

[24] La question préliminaire que soulève GCT est celle de savoir si le Conseil a commis une erreur en concluant qu’il avait le pouvoir de modifier les instructions pour qu’elles renvoient à l’alinéa 135(7)e) du Code. GCT soutient que le Conseil a outrepassé sa compétence.

[25] GCT affirme que cette question doit être examinée selon la norme de la décision correcte. Je ne suis pas de cet avis. La question de savoir si le Conseil a commis une erreur dans l’interprétation de sa loi habilitante et a ainsi outrepassé sa compétence est susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov, 2019 CSC 65 (Vavilov), par. 65 à 68). Rien ne justifie de recourir à la norme de la décision correcte. En particulier, la présente demande de contrôle judiciaire n’est pas un appel prévu par la loi et GCT n’a fourni aucun motif permettant de conclure que le Conseil a porté atteinte à son droit à l’équité procédurale. J’appliquerai donc la norme de la décision raisonnable.

[26] Les principes applicables à la norme de la décision raisonnable sont énoncés dans l’arrêt Vavilov et sont résumés au paragraphe 32 de l’arrêt Première Nation de Little Black Bear c Première Nation de Kawacatoose, 2024 CAF 119 :

[traduction]

(i) « Il incombe à la partie qui conteste la décision d’en démontrer le caractère déraisonnable. » « [L]a lacune ou la déficience qu’invoque la partie contestant la décision [doit être] suffisamment capitale ou importante pour rendre cette dernière déraisonnable » (Vavilov, par 100).

(ii) Une décision sera déraisonnable si le raisonnement du décideur n’est pas rationnel ni logique. En particulier, « une décision sera déraisonnable lorsque, lus dans leur ensemble, les motifs ne font pas état d’une analyse rationnelle ou montrent que la décision est fondée sur une analyse irrationnelle […] » (Vavilov, par. 103).

(iii) Une décision sera déraisonnable lorsqu’elle est « indéfendable sous certains rapports compte tenu des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur la décision » (Vavilov, par. 101).

(iv) Pour ce qui est des conclusions de fait, la Cour doit généralement « s’abstenir “d’apprécier à nouveau la preuve prise en compte par le décideur” ». Toutefois, « [l]e décideur doit prendre en considération la preuve versée au dossier et la trame factuelle générale qui a une incidence sur sa décision et celle-ci doit être raisonnable au regard de ces éléments […] Le caractère raisonnable d’une décision peut être compromis si le décideur s’est fondamentalement mépris sur la preuve qui lui a été soumise ou n’en a pas tenu compte » (Vavilov, par. 125 et 126).

[27] En vertu du paragraphe 146(1) du Code, un employeur qui se sent lésé par des instructions peut interjeter appel de celles-ci au Conseil :

146 (1) Tout employeur, employé ou syndicat qui se sent lésé par des instructions données par le chef sous le régime de la présente partie peut, dans les trente jours qui suivent la date où les instructions sont données ou confirmées par écrit, interjeter appel de celles-ci par écrit au Conseil.

146 (1) An employer, employee or trade union that feels aggrieved by a direction issued by the Head under this Part may appeal the direction to the Board, in writing, within 30 days after the day on which the direction was issued or confirmed in writing.

[28] Lorsqu’un appel est interjeté, le pouvoir général du Conseil de modifier les instructions est prévu au paragraphe 146.1(1) du Code :

146.1 (1) Saisi d’un appel interjeté en vertu du paragraphe 129(7) ou de l’article 146, le Conseil mène sans délai une enquête sommaire sur les circonstances ayant donné lieu à la décision ou aux instructions, selon le cas, et sur la justification de celles-ci. Il peut :

146.1 (1) If an appeal is brought under subsection 129(7) or section 146, the Board shall, in a summary way and without delay, inquire into the circumstances of the decision or direction, as the case may be, and the reasons for it and may

a) soit modifier, annuler ou confirmer la décision ou les instructions;

(a) vary, rescind or confirm the decision or direction; and

b) soit donner, dans le cadre des paragraphes 145(2) ou (2.1), les instructions qu’il juge indiquées.

(b) issue any direction that the Board considers appropriate under subsection 145(2) or (2.1).

[29] La question que soulève la présente demande concerne l’interprétation par le Conseil de son pouvoir de modifier des instructions. Comme je l’explique plus loin, le Conseil a conclu que son pouvoir était suffisamment large pour lui permettre de modifier les instructions pour qu’elles renvoient à la disposition du Code qui s’applique à GCT.

[30] Le Conseil a d’abord examiné les principes juridiques applicables. Sur le fondement de la jurisprudence, il a conclu qu’il pouvait corriger les instructions pour qu’elles renvoient à la bonne disposition du Code si la contravention alléguée était fondée sur les mêmes faits et circonstances (la décision du Conseil, par. 41).

[31] Le Conseil a exposé son raisonnement à cet égard. En particulier, le Conseil a conclu que la nature d’une contravention à l’alinéa 135(7)e) est la même que celle d’une contravention à l’alinéa 136(5)g), puisque le contenu de ces dispositions est essentiellement le même. Le Conseil a noté que la « principale préoccupation » soulevée dans la plainte concernait le fait que GCT n’invitait ou n’autorisait pas les membres du comité à participer à toutes les inspections de navires. Malheureusement, l’employé qui a déposé la plainte et le délégué du ministre qui a donné les instructions ont tous deux cité la mauvaise disposition du Code. Dans ces circonstances, le Conseil a conclu que le fait d’avoir cité la mauvaise disposition du Code ne devrait pas constituer un obstacle à l’examen par le Conseil des instructions. Par conséquent, le Conseil a conclu que, dans les circonstances, il avait le pouvoir de modifier les instructions pour qu’elles renvoient à la bonne disposition (la décision du Conseil, par. 42 et 43).

[32] Nul ne conteste que les motifs du Conseil sont logiques et cohérents et tiennent compte des contraintes factuelles pertinentes. L’argument de GCT repose plutôt essentiellement sur la question de savoir si le Conseil a déraisonnablement omis de tenir compte d’importantes contraintes juridiques qui ont une incidence sur la décision (Vavilov, par. 101, 105 et 106).

[33] Comme je le mentionne ci-dessus, l’analyse juridique du Conseil se trouve aux paragraphes 40 à 42 de la décision. La principale décision à laquelle le Conseil fait référence est l’arrêt Martin c. Canada (Procureur général), 2005 CAF 156 [Martin], de la Cour d’appel fédérale. Le Conseil a relevé certains principes pertinents provenant de l’arrêt Martin et de la jurisprudence qui l’a suivi. Premièrement, l’appel interjeté devant le Conseil est un appel de novo. Deuxièmement, le Conseil peut modifier des instructions pour donner celles que le délégué du ministre aurait dû, selon lui, donner, ou pour ajouter des contraventions nécessitant la prise de mesures correctives. Le pouvoir de modifier des instructions est toutefois limité : toutes les nouvelles instructions « doivent être liées à l’affaire qui fait l’objet de l’appel et avoir été examinées par le délégué [du] ministre » (la décision du Conseil, par. 40).

[34] Ce que le Conseil omet de mentionner dans son analyse juridique, c’est que la jurisprudence à laquelle il fait référence est antérieure aux modifications qui ont été apportées au Code peu avant que le Conseil entende l’appel de GCT. Par suite de ces modifications, le libellé du paragraphe 146.1(1) n’a pas changé de manière substantielle, mais l’article 146.2 du Code, qui énumérait les pouvoirs étendus dont disposaient les agents d’appel, comme le pouvoir de convoquer des témoins, a été abrogé. Selon GCT, puisque ces pouvoirs étendus existaient au moment où l’arrêt Martin et les décisions subséquentes auxquelles le Conseil fait référence ont été rendus, il n’était pas raisonnable pour le Conseil de se fonder sur les principes juridiques mentionnés plus haut. GCT soutient que si le Conseil avait plutôt tenu compte des modifications apportées récemment au Code, il se serait rendu compte qu’il dispose désormais d’un champ d’intervention plus restreint dans le cadre d’un appel. En particulier, selon ce que soutient GCT, les modifications font en sorte que le Conseil dispose maintenant [traduction] « de pouvoirs d’appel seulement, et non du pouvoir d’examiner l’affaire de novo ». Par conséquent, le Conseil peut seulement examiner la contravention énoncée dans les instructions; il n’a pas le pouvoir de modifier les instructions pour conclure à une contravention à une autre disposition du Code.

[35] Comme je le mentionne plus haut, selon l’arrêt Vavilov, il incombe à GCT de démontrer que la décision du Conseil était déraisonnable. En l’espèce, il s’agit de savoir si GCT a établi le caractère déraisonnable de la décision du fait que le Conseil n’a pas mentionné les modifications apportées récemment au Code.

[36] Il convient de souligner que GCT n’a pas soulevé l’argument relatif aux modifications récentes devant le Conseil. Toutefois, la question demeure : le fait que le Conseil n’a pas, de son propre chef, mentionné les modifications suffit-il à amener la Cour à perdre confiance dans le résultat obtenu (Vavilov, par. 106)? Bien qu’il aurait peut-être été préférable que le Conseil mentionne les modifications apportées au Code, la norme applicable n’est pas celle de la perfection, et j’estime que cette omission ne rend pas la décision du Conseil déraisonnable.

[37] Même s’il reste peut-être une question en suspens quant à l’état actuel du droit sur l’étendue des pouvoirs du Conseil dans le cadre d’un appel, notamment sur son pouvoir de modifier des instructions, il était raisonnable que le Conseil se fonde sur l’arrêt Martin vu les faits de la présente affaire. Dans l’arrêt Martin, la Cour d’appel fédérale a examiné le régime législatif applicable aux appels interjetés à l’encontre d’instructions. La Cour a conclu que le pouvoir des agents d’appel de modifier les instructions qui présentaient des lacunes était très large. Les circonstances dans l’arrêt Martin étaient bien différentes de celles qui nous occupent en l’espèce, où il est question d’une utilisation très restreinte du pouvoir de modifier des instructions afin de corriger ce qui est essentiellement une erreur d’ordre technique tant dans la plainte que dans les instructions qui ont suivi. Par conséquent, le Conseil n’avait aucune raison d’examiner l’étendue de son pouvoir de modifier des instructions dans le cadre du régime législatif actuel. Quoi qu’il en soit, je soulignerais que l’abrogation de l’article 146.2 du Code ne diminue en rien les pouvoirs dont dispose le Conseil par rapport à ceux dont disposaient les agents d’appel au moment où l’arrêt Martin a été rendu, compte tenu des pouvoirs conférés au Conseil par d’autres dispositions du Code (voir, par exemple, l’article 16). Par conséquent, je rejette l’argument de GCT selon lequel le pouvoir du Conseil de modifier des instructions est plus restreint que celui dont disposaient auparavant les agents d’appel.

[38] En conclusion, j’estime que GCT n’a pas établi, conformément à l’arrêt Vavilov, qu’il était déraisonnable pour le Conseil de s’appuyer principalement sur l’arrêt Martin. Par conséquent, je conclus que le Conseil n’a pas commis d’erreur en décidant de modifier les instructions.

B. La question de fond : Le Conseil a-t-il commis une erreur en concluant que GCT avait enfreint l’alinéa 135(7)e) du Code?

[39] Comme je le mentionne ci-dessus, la question de fond est celle de savoir si le Conseil a commis une erreur en concluant que GCT avait enfreint l’alinéa 135(7)e) du Code. Cette question comporte deux sous-questions : a) Le Conseil a-t-il commis une erreur en concluant que l’alinéa 135(7)e) ne se limite pas aux lieux de travail placés sous l’entière autorité de l’employeur? b) Le Conseil a-t-il commis une erreur en concluant que, subsidiairement, les navires accostés à Vanterm sont placés sous l’entière autorité de GCT?

[40] Je suis d’accord avec les parties pour dire que la norme de contrôle applicable à ces questions est celle de la décision raisonnable (Vavilov, par. 10). Les principes généraux qui s’appliquent au contrôle selon la norme de la décision raisonnable sont énoncés plus haut et il n’est pas nécessaire de les répéter.

[41] L’article 135 du Code porte sur les comités de santé et de sécurité sur les lieux de travail. Le paragraphe 135(1) exige habituellement qu’un employeur constitue un comité de santé et de sécurité pour chaque lieu de travail placé sous son entière autorité et occupant au moins vingt employés :

135 (1) Sous réserve des autres dispositions du présent article, l’employeur constitue, pour chaque lieu de travail placé sous son entière autorité et occupant habituellement au moins vingt employés, un comité local chargé d’examiner les questions qui concernent le lieu de travail en matière de santé et de sécurité; il en choisit et nomme les membres sous réserve de l’article 135.1.

135 (1) For the purposes of addressing health and safety matters that apply to individual work places, and subject to this section, every employer shall, for each work place controlled by the employer at which twenty or more employees are normally employed, establish a work place health and safety committee and, subject to section 135.1, select and appoint its members.

[42] Le paragraphe 135(7) du Code énonce les attributions du comité local. Il est important de souligner que l’alinéa 135(7)e) exige que le comité participe à toutes les inspections en matière de santé et de sécurité pour ce qui concerne le lieu de travail pour lequel il a été constitué.

(7) Le comité local, pour ce qui concerne le lieu de travail pour lequel il a été constitué :

(7) A work place committee, in respect of the work place for which it is established,

e) participe à toutes les enquêtes, études et inspections en matière de santé et de sécurité des employés, et fait appel, en cas de besoin, au concours de personnes professionnellement ou techniquement qualifiées pour le conseiller;

(e) shall participate in all of the inquiries, investigations, studies and inspections pertaining to the health and safety of employees, including any consultations that may be necessary with persons who are professionally or technically qualified to advise the committee on those matters;

[43] La question soulevée devant le Conseil était celle de savoir si l’employeur avait enfreint l’alinéa 135(7)e) en ne permettant pas au comité de participer à toutes les inspections de navires. L’employeur n’a clairement pas toujours permis au comité d’y participer. Le différend portait donc sur la question de savoir si l’exigence liée à l’existence d’un lieu de travail placé sous l’entière autorité de l’employeur énoncée au paragraphe 135(1) signifie que l’obligation d’inspection prévue à l’alinéa 135(7)e) s’applique aux navires uniquement s’ils sont sous l’entière autorité de GCT.

[44] Le Conseil a conclu que le comité avait le droit de participer aux inspections de navires, que ces derniers soient sous l’entière autorité de GCT ou non. Subsidiairement, le Conseil a conclu que les navires sont des lieux de travail placés sous l’entière autorité de GCT, de sorte que les attributions du comité s’étendent à ces navires (la décision du Conseil, par. 159)

[45] Je commence par examiner la conclusion subsidiaire du Conseil puisque la conclusion selon laquelle les navires sont des lieux de travail placés sous l’entière autorité de GCT serait déterminante dans le contexte de la présente demande. La question est celle de savoir si le Conseil a commis une erreur en concluant que les navires accostés à Vanterm sont des lieux de travail sous l’entière autorité de GCT. Comme je le mentionne plus haut, cette question est susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable et il incombe à GCT de démontrer que la décision du Conseil était déraisonnable.

[46] Le Conseil a expliqué de la façon suivante le critère juridique applicable : « la notion d’autorité devrait englober ces circonstances où l’employeur a la capacité directe d’influer sur les résultats en matière de santé et de sécurité en raison de sa relation particulière avec le propriétaire du bien, que ce soit dans le cadre d’un contrat ou autrement » (la décision du Conseil, par. 149).

[47] Pour arriver à la conclusion qu’il s’agissait du critère juridique applicable, le Conseil a d’abord examiné les versions française et anglaise de la disposition en question, qui utilisent respectivement les termes « entière autorité » et « control ». Le Conseil a précisé que la traduction directe du terme « entière autorité » est « full authority ». En ce qui concerne le sens des termes « autorité » et « control », le Conseil a noté que les définitions du dictionnaire montrent que les deux termes comprennent la notion d’influence : control – [traduction] « exercer un pouvoir ou une influence sur [quelqu’un ou quelque chose] »; autorité – « [i]nfluence qui s’impose aux autres en vertu d’un privilège, d’une situation sociale, d’un mérite, etc. » (la décision du Conseil, par. 146 et 147). Le Conseil était clairement conscient des nuances entre les versions française et anglaise.

[48] Le Conseil a fait remarquer qu’il « ne ressort pas clairement des définitions qui précèdent que la terminologie utilisée au paragraphe 135(1) soit aussi restrictive » que le prétend GCT, qui fait valoir que l’employeur doit avoir le droit d’éliminer tout risque éventuel ou de faire le nécessaire pour qu’il soit éliminé, ou un accès illimité ou exclusif au lieu de travail. Le Conseil a conclu qu’il convenait d’adopter une approche moins stricte pour éviter que l’employeur puisse se soustraire à l’application de certaines dispositions du Code en démontrant simplement qu’il n’est pas propriétaire d’un lieu ou qu’il n’a pas d’accès exclusif à ce lieu (la décision du Conseil, par. 143).

[49] Toutefois, le Conseil a ajouté que l’article 135 ne devait pas non plus être interprété si largement que la notion d’entière autorité serait réduite à la capacité d’influencer. Par exemple, le Conseil a expliqué que « [l]a simple possibilité de téléphoner à une municipalité pour l’entretien ou la réparation des routes n’est pas un indicateur d’influence ou d’autorité » (la décision du Conseil, par. 149). Par conséquent, le Conseil a retenu le critère juridique décrit ci-dessus et a noté que l’application de ce critère nécessite un examen approfondi du contexte.

[50] Dans son application du critère aux faits de l’espèce, le Conseil a relevé plusieurs facteurs qui, ensemble, démontrent que GCT était suffisamment en mesure d’influencer les résultats en matière de santé et de sécurité sur les navires pour dire que ces derniers sont placés sous l’entière autorité de GCT. Le Conseil a déclaré qu’il n’avait aucune difficulté à tirer cette conclusion (la décision du Conseil, par. 159).

[51] Cette conclusion repose en grande partie sur les faits exposés aux paragraphes 150 à 155 de la décision du Conseil, notamment ceux qui suivent :

  • (i)GCT a des obligations à bord des navires, y compris l’obligation « d’effectuer des inspections pour assurer le maintien de bonnes conditions de sécurité au travail ».

  • (ii)« Bien que [GCT] n’effectue pas [elle]-même les réparations [requises à des fins de sécurité], [elle] peut exercer, et exerce, une influence considérable sur le premier officier et l’équipage du navire pour que les problèmes se règlent, de manière à assurer un milieu de travail sûr. »

  • (iii)Il n’y a aucune preuve qu’un officier de navire ait déjà refusé d’effectuer toute modification ou réparation nécessaire demandée par GCT.

  • (iv)Bien que les personnes qui accèdent au navire doivent en avoir l’autorisation, il s’agit d’une pratique courante dans le secteur maritime, car le premier officier demeure en tout temps responsable du navire et de son contenu.

  • (v)Rien ne prouve ni n’indique que des représentants de GCT se soient déjà vu refuser l’accès à un navire.

  • (vi)La « relation contractuelle entre GCT et les navires pour les services du terminal » permet à GCT d’exercer une influence considérable sur les conditions dans lesquelles ses employés travailleront à bord des navires.

  • (vii)De plus, GCT « joue un rôle important » dans le résultat, car il peut décider de différer le travail de débardage ou refuser qu’il soit exécuté.

[52] Le Conseil a ensuite examiné d’autres décisions, dont l’arrêt Société canadienne des postes c. Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes, 2019 CSC 67 (Société canadienne des postes), et la décision Rogers Communications Inc., 2013 TSSTC 7 (Rogers), mais les a écartées.

[53] En se fondant sur la jurisprudence, le Conseil a souligné que chaque affaire devait être interprétée de manière contextuelle. Il a établi une distinction entre l’espèce et la décision Rogers puisque les dispositions législatives et les faits en cause étaient différents. Il a également noté que les faits de l’espèce différaient de ceux dans l’affaire Société canadienne des postes, car « l’employeur peut, en l’espèce, procéder à des inspections de santé et de sécurité sur les navires, et il le fait. Il est en mesure d’influencer directement et considérablement les résultats en matière de santé et de sécurité dans ce lieu de travail » (la décision du Conseil, par. 159).

[54] J’estime que la décision du Conseil relativement à la question de l’entière autorité satisfait amplement à la norme de la décision raisonnable. L’analyse est cohérente et logique et la décision n’est pas indéfendable compte tenu des contraintes juridiques et factuelles. GCT soutient que la décision comporte des lacunes, mais j’estime que celles-ci ne sont pas suffisamment capitales ou importantes pour rendre la décision déraisonnable.

[55] Compte tenu de cette conclusion, il n’est pas nécessaire d’examiner la conclusion principale du Conseil selon laquelle l’exigence relative à l’inspection prévue à l’alinéa 135(7)e) ne dépend pas de la question de savoir si le lieu de travail est placé ou non sous l’entière autorité de l’employeur. Cette question touche d’autres préoccupations, notamment celles soulevées par l’intervenante, l’Association des employeurs maritimes. Par conséquent, elle devrait être examinée dans un contexte factuel où le lieu de travail n’est pas placé sous l’entière autorité de l’employeur.

VII. Conclusion et dispositif

[56] En définitive, je conclus que GCT ne s’est pas acquittée du fardeau qui lui incombait de démontrer que le Conseil a commis une erreur. Je rejetterais la demande de contrôle judiciaire, avec dépens.

« Judith Woods »

j.c.a.

« Je suis d’accord.

George R. Locke, j.c.a. »

« Je suis d’accord.

Nathalie Goyette, j.c.a. »

Traduction certifiée conforme

Julie Blain McIntosh, jurilinguiste principale


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

A-150-23

 

 

INTITULÉ :

GCT CANADA LIMITED PARTNERSHIP c. INTERNATIONAL LONGSHORE AND WAREHOUSE UNION SHIP AND DOCK FOREMEN, SECTION LOCALE 514 et ASSOCIATION DES EMPLOYEURS MARITIMES

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

VANCOUVER (COLOMBIE-BRITANNIQUE)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 30 JANVIER 2024

MOTIFS DU JUGEMENT :

LA JUGE WOODS

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE LOCKE

LA JUGE GOYETTE

 

DATE DES MOTIFS :

22 mai 2025

COMPARUTIONS :

Gavin Hume, c.r.

Lauren McClanaghan

POUR LA DEMANDERESSE

Shirin Kiamanesh

POUR LE DÉFENDEUR

Stéphane Fillion

Jean-Pierre Langlois

Gaius Renelick

POUR L’INTERVENANTE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Harris & Company LLP

Vancouver (Colombie-Britannique)

POUR LA DEMANDERESSE

Koskie Glavin Gordon

Vancouver (Colombie-Britannique)

POUR LE DÉFENDEUR

Fasken Martineau DuMoulin LLP

Montréal (Québec)

POUR L’INTERVENANTE

 

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