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Date : 20250610


Dossier : A-276-22

A-54-23

A-55-23

Référence : 2025 CAF 112

CORAM :

LE JUGE LOCKE

LE JUGE LEBLANC

LE JUGE PAMEL

 

 

Dossier : A-276-22

ENTRE :

MARTIN FOURNIER-GIGUÈRE

appelant

et

SA MAJESTÉ LE ROI

intimé

Dossier : A-54-23

ET ENTRE :

ANTOINE BÉRUBÉ

appelant

et

SA MAJESTÉ LE ROI

intimé

Dossier : A-55-23

ET ENTRE :

PHILIPPE D'AUTEUIL

appelant

et

SA MAJESTÉ LE ROI

intimé

Audience tenue à Québec (Québec), le 9 décembre 2024.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 10 juin 2025.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE LEBLANC

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE LOCKE

LE JUGE PAMEL

 


Date : 20250610


Dossiers : A-276-22

A-54-23

A-55-23

Référence : 2025 CAF 112

CORAM :

LE JUGE LOCKE

LE JUGE LEBLANC

LE JUGE PAMEL

 

 

Dossier : A-276-22

ENTRE :

MARTIN FOURNIER-GIGUÈRE

appelant

et

SA MAJESTÉ LE ROI

intimé

Dossier : A-54-23

ET ENTRE :

ANTOINE BÉRUBÉ

appelant

et

SA MAJESTÉ LE ROI

intimé

Dossier : A-55-23

ET ENTRE :

PHILIPPE D'AUTEUIL

appelant

et

SA MAJESTÉ LE ROI

intimé

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE LEBLANC

I. Introduction

[1] Ces trois appels ont été entendus en même temps, à Québec. Ils mettent tous trois en cause le statut fiscal de gains nets générés par des activités de jeu de poker entre 2009 et 2011 dans le cas de l’appelant Martin Fournier-Giguère, 2008 et 2011 dans le cas de l’appelant Antoine Bérubé et 2008 et 2012 dans celui de l’appelant Philippe D’Auteuil.

[2] L’intimé, par le biais d’avis de nouvelles cotisations, a cotisé les appelants sur la base que ces gains, jusque-là non déclarés, constituaient, dans les circonstances où ils ont été générés, des revenus d’entreprise au sens des articles 3 et 9 de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. 1985, c. 1 (5e suppl.) (la Loi) et qu’ils étaient, en conséquence, imposables.

[3] Les appelants ont contesté ces avis de nouvelles cotisations devant la Cour canadienne de l’impôt (la CCI), estimant que les gains qu’ils ont générés de leurs activités de jeu de poker durant les années d’imposition en cause ne rencontraient pas les critères jurisprudentiels applicables à l’établissement d’un revenu d’entreprise au sens de la Loi et étaient, subsidiairement, non-imposables aux termes de l’alinéa 40(2)f) de la Loi, le jeu de poker étant, selon eux, un jeu de « pari » au sens de cette disposition.

[4] Dans trois jugements distincts : Fournier Giguère c. Le Roi, 2022 CCI 132 (Jugement Fournier-Giguère); D'Auteuil c. Le Roi, 2023 CCI 3 (Jugement d’Auteuil); et Bérubé c. Le Roi, 2023 CCI 12 (Jugement Bérubé), rendus au terme d’une audience commune, le juge Réal Favreau de la CCI (le Juge) a rejeté en grande partie les appels logés par les appelants, étant satisfait que l’alinéa 40(2)f) de la Loi était inapplicable en l’espèce, et que les gains nets tirés par ceux-ci de leurs activités de jeu de poker devaient être inclus dans le calcul de leur revenu imposable à titre de revenu d’entreprise.

[5] C’est de ces jugements (collectivement le Jugement) dont se pourvoient les appelants devant notre Cour au motif que le Juge se serait mal dirigé en droit en plus de se méprendre de manière manifeste et déterminante sur les faits de chaque affaire.

[6] Pour les motifs qui suivent, j’estime que les trois appels doivent échouer.

II. Contexte

[7] Les trois appelants se connaissent et leurs parcours respectifs les ayant menés à s’adonner à des activités du jeu de poker s’entrecroisent. Les appelants MM. Fournier-Giguère et D’Auteuil font connaissance au Cégep de Rimouski, région dont ils sont originaires. Ils s’inscrivent tous les deux à l’Université Laval pour l’année académique 2006-2007.

[8] Initié par son père à ce jeu, M. D’Auteuil joue au poker depuis 2003, d’abord avec de l’argent fictif et ensuite avec de l’argent véritable. Il ne complètera pas sa première session à l’Université Laval. Il joue alors au poker de 15 à 25 heures par semaine. M. Fournier-Giguère complète, lui, sa première session universitaire. Pendant cette période, il joue au poker avec M. D’Auteuil quelques soirs par semaine.

[9] En janvier 2007, MM. Fournier-Giguère et D’Auteuil partent ensemble pour un séjour d’environ quatre mois en Europe en compagnie de quelques amis. Ils y jouent au poker et les gains qu’ils y font paient les frais de voyage. Au retour d’Europe, M. D’Auteuil joue au poker l’après-midi et le soir dans son appartement de Québec. Grâce à ses gains, il passe ses temps libres, dit-il, à faire la fête.

[10] En 2008, c’est l’Australie que les deux compères visitent. C’est ici qu’entre en scène l’appelant Bérubé, qui fait le voyage avec eux après avoir fait leur connaissance sur des forums de discussion et lors de fêtes entre amis. Son intérêt pour le poker remonte à 2006. Ce voyage en Australie leur est profitable à tous les trois grâce aux gains qu’ils font en jouant au poker. Au retour de ce voyage, en juin 2008, MM. Fournier-Giguère et D’Auteuil acquièrent ensemble une maison unifamiliale dans la région de Québec, pour une somme de 525 000 $, qu’ils paient comptant. En 2009, M. Fournier-Giguère se porte acquéreur d’une unité de condominium en Floride pour un montant de 360 000 $ US, qu’il paie également comptant.

[11] Il n’est pas véritablement contesté que pour les années d’imposition en cause, les gains provenant des activités de poker constituent la principale, sinon la seule, source de revenu des appelants.

[12] Entre octobre 2012 et novembre 2013, la ministre du Revenu national (la Ministre) émet les avis de nouvelles cotisations en cause aux termes desquels elle ajoute aux revenus déclarés des appelants, pour ces années, ce qu’elle considère être les gains qu’ils ont générés en lien avec leurs activités de poker. Elle impose du même souffle, à chacun, une pénalité en vertu du paragraphe 163(2) de la Loi, réclamation qu’elle laisse tomber au procès devant le Juge.

[13] Aussi, à la suite d’un consentement partiel à jugement intervenu dans chacun des trois dossiers le 13 septembre 2021, les parties consentent à ce que les gains imputés aux appelants aux termes des avis de nouvelles cotisations, dans la mesure ils sont jugés être des revenus d’entreprise, soient ajustés par la prise en compte de dépenses et pertes d’entreprise. Les trois jugements rendus en l’espèce donnent effet à ces consentements partiels.

[14] Je reproduis ici, pour chaque appelant, les gains ainsi imposés et les dépenses et pertes d’entreprises, figurant entre parenthèses, qui leur ont été appliquées du consentement de la Ministre:

  • a)M. Fournier-Giguère :

2009 : 573 882 $

2010 : 156 855 $

2011 : 747 444 $ (- 279 830 $)

  • b)M. D’Auteuil :

2008 : 167 688 $

2009 : 305 661 $ (- 305 661 $)

2010 : 1 410 320 $ (- 3 550 $)

2011 : 1 920 558 $ (- 1 684 $)

2012 : 736 848 $ (- 215 781 $)

  • c)M. Bérubé :

2008 : 377 478 $

2009 : 884 323 $ (- 206 920 $)

2010 : 454 867 $ (- 48 939 $)

2011 : 231 208 $ (- 3 367 $)

[15] Il est à noter que M. Fournier-Giguère a aussi fait l’objet d’un avis de nouvelle cotisation pour l’année d’imposition 2008. Cet avis établissait ses gains liés à ses activités de poker, pour cette année d’imposition, à 250 679 $. Toutefois, l’appel de Fournier-Giguère à l’encontre de cet avis de nouvelle cotisation a été admis au motif que ledit avis avait été établi à l’extérieur de la période normale de nouvelle cotisation pour cette année d’imposition.

III. Le Jugement

[16] Les jugements rendus par le Juge dans les trois cas ont une structure similaire : on y dresse d’abord l’historique des cotisations et des appels de cotisation en cause; on y fait état de la question en litige; on y expose ensuite en détail la position des parties de même que la preuve entendue au procès, y compris la preuve d’expert, laquelle porte sur la question de la prépondérance du hasard ou des habiletés dans la pratique du jeu de poker; et on y retrouve enfin l’analyse et les conclusions du Juge.

[17] L’analyse elle-même, plutôt brève dans chaque cas, peut se résumer comme suit :

  • a)Il ne fait pas de doute que le jeu de poker de type « Texas Hold’em sans limite », pratiqué par les trois appelants, est un jeu combinant hasard et habiletés;

  • b)La question de savoir si les habiletés prévalent sur le hasard n’est pas pertinente aux fins de déterminer si les appelants exploitaient ou non une entreprise au cours des années d’imposition en cause dans chaque cas puisque le poker n’est pas un jeu de type « pari » au sens de l’alinéa 40(2)f) de la Loi;

  • c)Les critères servant à déterminer si les appelants exploitaient ou non une entreprise ne sont pas véritablement contestés, mais leur application aux faits de chaque affaire l’est;

  • d)Au cours des années d’imposition en cause dans chaque cas, le jeu de poker est « beaucoup plus qu’un divertissement » pour les appelants; c’est leur gagne-pain. En ce sens, les appelants organisent leur vie en fonction du jeu de poker, auquel ils consacrent la quasi-totalité de leur temps et duquel ils tirent la quasi-totalité, sinon la totalité, de leurs revenus;

  • e)Ces revenus, au cours des années d’imposition en cause dans chaque cas, sont au minimum de 5 241 025 $ pour M. D’Auteuil, 3 219 074 $ pour M. Bérubé et 1 450 000 $ pour M. Fournier-Giguère; cela démontre la capacité des appelants à réaliser des profits sur une base constante et régulière et, ce, malgré qu’il soit impossible de contrôler de façon prévisible l’issue d’une partie de poker; et

  • f)Malgré leur mode de vie « hors norme », les appelants ont des comportements d’hommes d’affaires sérieux : ils jouent au poker pour gagner; selon le cas, ils adaptent leurs stratégies selon les niveaux de table de jeu et la force de leurs adversaires, évitent des situations trop périlleuses, se dotent de normes objectives de gestion et de minimisation du risque, ou encore font appel à des outils informatiques leur permettant de conserver un nombre de statistiques sur leurs activités de jeu de poker et celles de leurs adversaires.

[18] Le Juge conclut généralement que, selon la balance des probabilités, chaque appelant « avait l’intention subjective de réaliser un profit en s’adonnant à ses activités de poker et qu’il utilisait son expertise et ses habiletés pour gagner sa vie au poker, un jeu de hasard où l’habilité entre fortement en ligne de compte ».

[19] Finalement, le Juge discute brièvement de l’affaire Duhamel c. La Reine, 2022 CCI 66 (Duhamel), où une de ses collègues a conclu que les gains nets tirés des activités de jeu de poker par ce contribuable ne devaient pas être inclus dans le calcul de son revenu pour les années d’imposition en cause (2010, 2011 et 2012). Le Juge a conclu, et j’y reviendrai, que les critères appliqués par sa collègue aux fins de déterminer si les gains nets tirés des activités de jeu de poker de M. Duhamel devaient être inclus dans le calcul de son revenu au titre de revenu d’une source qui est une entreprise, étaient les mêmes qu’en l’espèce mais que leur application aux faits propres à MM. D’Auteuil, Fournier-Giguère et Bérubé engendrait des résultats différents.

IV. Question en litige et norme d’intervention

[20] La principale question que soulève le présent appel est celle de savoir si le Juge, en concluant que les gains tirés par les appelants de leurs activités de jeu de poker devaient être inclus dans le calcul de leur revenu au titre de revenu d’une source qui est une entreprise lors des années d’imposition en cause, a commis une erreur justifiant l’intervention de la Cour.

[21] Les appelants soutiennent également que le Juge a erré en concluant à l’inapplicabilité de l’alinéa 40(2)f) de la Loi aux faits de l’espèce.

[22] Ces deux questions doivent être examinées suivant la norme de contrôle applicable aux appels, développée par la Cour suprême dans l’arrêt Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33 (Housen). Ainsi, les questions de droit à résoudre, s’il en est, doivent être examinées selon la norme de la décision correcte alors que les conclusions de fait ou mixtes de fait et de droit, à l’exception de celles dont émanent une question de droit isolable, doivent l’être suivant la norme déférente de l’erreur manifeste et dominante.

[23] Les appelants prétendent aussi que le rapport de l’expert de la Ministre était inadmissible en preuve et qu’en ne se prononçant pas sur son admissibilité, le Juge a appliqué incorrectement – ou simplement ignoré – l’article 145 des Règles de la Cour canadienne de l’impôt (procédure générale), DORS/90-688a (les Règles).

[24] Je vais d’abord procéder à l’analyse de cette question, avant d’aborder celle mettant en cause l’alinéa 40(2)f) de la Loi. Je traiterai ensuite de la question principale que soulève le présent pourvoi.

[25] Finalement, je vais me pencher sur une question qui est propre à l’appel de M. D’Auteuil, qui reproche au Juge d’avoir décliné compétence à l’égard de son appel de l’avis de nouvelle cotisation pour l’année d’imposition 2008.

V. Analyse

A. L’admissibilité du rapport de l’expert de la Ministre

[26] Les appelants soutiennent que les rapports produits par l’expert de la Ministre étaient inadmissibles en preuve puisque les données sur lesquelles ces rapports – essentiellement des mises à jour d’un rapport produit quelques années auparavant par ce même expert dans un litige américain – n’étaient plus disponibles et n’étaient donc pas jointes auxdits rapports, tel que le requiert l’article 145 des Règles, lequel régit, notamment, ce que doit contenir le rapport d’un expert.

[27] Les appelants notent que ce même expert a été retenu par la Ministre dans l’affaire Duhamel et que les parties de son rapport qui reposaient sur les données n’étant plus disponibles n’ont pas été admises en preuve.

[28] Ils reprochent ici au Juge d’avoir fait état de la preuve présentée par cet expert sans d’abord traiter de la problématique qui a entrainé l’inadmissibilité d’une partie de son rapport dans Duhamel.

[29] Cet argument ne peut être retenu puisque, même en supposant une erreur du Juge à ce niveau, cette erreur n’est pas déterminante pour l’issue du présent appel (Roher c. Canada, 2019 CAF 313 au para. 34, citant Salomon c. Matte‑Thompson, 2019 CSC 14 au para. 33). En effet, bien qu’il en ait fait état en détail, il semble assez clair que les conclusions que le Juge a tirées dans les trois dossiers ne reposent pas sur la question traitée par l’expert de la Ministre, soit celle de savoir si les habilités au jeu de poker prévalent sur le hasard. Je rappelle que le Juge a déterminé que cette question, bien qu’intéressante, n’était pas pertinente aux fins de déterminer si les gains nets tirés par les appelants de leurs activités de jeu de poker devaient être inclus dans le calcul de leur revenu imposable à titre de revenu d’entreprise.

B. L’alinéa 40(2)f) de la Loi

[30] L’alinéa 40(2)f) se trouve dans une sous-section de la Loi portant sur les gains en capital imposables et les pertes en capital déductibles en lien avec les règles applicables au calcul du revenu. Il décrète la nullité du gain ou de la perte d’un « contribuable résultant de la disposition : (i) soit d’une chance de gagner un prix ou un pari, (ii) soit d’un droit de recevoir une somme comme prix ou comme enjeu d’un pari, à l’occasion d’une loterie ou d’un pari collectif mentionné à l’article 205 du Code criminel » (je souligne).

[31] L’article 205 du Code criminel, L.R.C. 1985, c. C-46 (le Code criminel), qui n’est plus en vigueur depuis 1985, décriminalisait l’exploitation et la gestion de « paris collectifs », autrement prohibés, dans la mesure où elles étaient assurées par le gouvernement du Canada, seul ou conjointement, à la suite d’une entente, avec un ou des gouvernements provinciaux. Il le faisait en lien avec « toute combinaison d’épreuves ou de manifestations sportives », tel que défini par règlement.

[32] Les appelants reprochent au Juge d’avoir conclu à l’inapplicabilité de l’alinéa 40(2)f) sans même se livrer à une quelconque analyse, notamment quant à la signification des termes « loterie » et « pari collectif », laquelle, selon eux, englobe le jeu de poker lorsque l’interprétation de ces termes est « adaptée à la réalité maintenant existante » (Mémoire des appelants aux para. 39 (M. Fournier-Giguère), 33 (M. Bérubé) et 47 (M. D’Auteuil)).

[33] Si l’on accepte que leur portée doive être « adaptée à la réalité maintenant existante », il est pour le moins étonnant que le jeu de poker puisse raisonnablement être assimilé à une « loterie » et à un « pari collectif ». Comme la preuve le démontre en l’espèce, le jeu de poker s’enseigne; des livres ont été écrits à son sujet; des sites web montrent des joueurs en action et commentent leurs faits et gestes; et il existe des logiciels permettant d’en apprendre sur ses adversaires. Évidemment, personne ne conteste que le hasard joue un rôle dans les résultats des parties de poker mais personne ne conteste non plus le rôle qu’y jouent les habilités du joueur.

[34] D’ailleurs, dans Duhamel, sur lequel les appelants fondent en grande partie leur théorie de cause, la CCI a statué qu’aucun expert ne l’avait convaincu « que soit le hasard ou soit l’habileté prévalaient dans les résultats au jeu de poker de manière générale » (Duhamel au para. 170). Je note que deux des trois experts qui ont témoigné dans les présents dossiers étaient les experts qui s’affrontaient dans Duhamel, dont, je le rappelle, l’expert de la Ministre.

[35] De plus, pour peu que l’on s’intéresse à ce jeu, il est notoire que certains grands tournois de poker sont maintenant télévisés sur des chaines sportives, avec des experts qui en décrivent et analysent le déroulement.

[36] On ne peut certes en dire autant de la loterie et des paris collectifs. À tout le moins, il n’y a aucune preuve en ce sens au présent dossier.

[37] Quoi qu’il en soit, l’argument des appelants concernant l’alinéa 40(2)f) de la Loi ne peut être retenu pour une autre raison. Comme la Ministre le souligne à juste titre, il n’y a pas de règle absolue décrétant la non-imposition des revenus provenant du jeu. Si les gains de loterie ont traditionnellement été considérés comme des « gains fortuits », et, donc, comme constituant du capital (The Queen v. Rumack, 92 DTC 6143), les gains provenant du jeu, comme on le verra, dans la mesure où certains critères sont rencontrés, peuvent être considérées comme des revenus d’entreprise et, donc, comme devant être inclus dans le calcul du revenu imposable.

[38] Je note, à cet égard, que la Loi ne prévoit aucune exonération du type de celle prévue l’alinéa 40(2)f) aux fins du calcul du revenu ou d’une perte provenant d’une entreprise, ce qui permet de présumer que le législateur n’entendait pas, parce qu’il l’a prévu explicitement dans un cas, mais pas dans l’autre, assujettir le calcul du revenu d’entreprise à une telle exonération (R. c. Wolfe, 2024 CSC 34 au para. 35). Je note également que seuls les domaines des paris sportifs et des courses de chevaux ont été règlementés aux termes de l’article 205 du Code criminel (Règlement concernant la surveillance du pari mutuel ainsi que la possession et l’usage des drogues aux hippodromes, C.R.C., c. 441 (27 décembre 1984), DORS/85-59 (2 janvier 1985); Règlement concernant l’organisation, l’exploitation et la gestion des paris collectifs sportifs, C.P. 1984-1356 (18 avril 1984), DORS/84-326 (19 avril 1984); Décret sur les cotisations à payer pour la surveillance du pari mutuel, C.P. 1983-846 (24 mars 1983); Loi prévoyant l’exploitation publique de paris collectifs sur les combinaisons de certaines épreuves ou manifestations sportives et modifiant le Code criminel et la Loi de l’impôt sur le revenu, Gazette du Canada, vol. 6, no. 21 (29 juin 1983); Règlement concernant la surveillance et la conduite du pari mutuel aux hippodromes ainsi que l’interdiction, la restriction et la réglementation de la possession de drogues et de matériel utilisé pour administrer des drogues aux hippodromes, L.C. 1989, ch. 2 art. 1, DORS/91-365 (30 mai 1991)).

[39] Pour ces raisons, je ne vois ni erreur de droit, ni erreur manifeste et dominante dans le fait de conclure, comme l’a fait le Juge, à l’inapplicabilité de l’alinéa 40(2)f) de la Loi lorsqu’il s’agit de déterminer si des gains nets provenant d’activités de jeu de poker peuvent être considérés, non pas comme des gains fortuits, mais comme des revenus provenant d’une entreprise. D’ailleurs, les appelants n’ont cité aucune autorité qui viendrait appuyer leurs rétentions à l’applicabilité de l’alinéa 40(2)f) aux gains générés par des activités liées au jeu de poker.

[40] Cela m’amène à la question centrale que pose le présent pourvoi.

C. Le Juge a-t-il erré en concluant que les gains nets générés par les activités de poker des appelants au cours des années d’imposition en litige devaient être inclus dans le calcul de leur revenu imposable à titre de revenu d’entreprise?

[41] Les appelants font valoir qu’en concluant comme il l’a fait sur cette question, le Juge a commis une erreur de droit en omettant de considérer l’ensemble des critères jurisprudentiels applicables en vue de déterminer si des gains générés par les activités de poker d’un contribuable doivent ou non être inclus dans le calcul du revenu imposable à titre de revenu d’entreprise. Ils lui reprochent également d’avoir commis des erreurs manifestes et dominantes dans son appréciation de la preuve administrée au procès en lien avec cette question.

(1) Le Juge n’a pas erré en droit

[42] Les appelants ont raison de dire que même si l’application d’un test juridique à un ensemble de faits constitue une question mixte de fait et de droit, l’énonciation du test, lorsqu’elle mène à son altération, constitue une question de droit isolable révisable, par conséquent, suivant la norme de la décision correcte (Teal Cedar Products Ltd. c. Colombie‑Britannique, 2017 CSC 32 au para. 44; Banque le Choix du Président c. Canada, 2024 CAF 135 au para. 49; Smith c. Canada, 2019 CAF 173 au para. 30).

[43] La position des appelants sur cette question repose principalement sur deux arrêts de la Cour suprême du Canada : Moldowan c. La Reine, [1978] 1 R.C.S. 480 (Moldowan), et Stewart c. Canada, 2002 CSC 46 (Stewart), des affaires mettant en cause la déductibilité de pertes provenant d’une exploitation qui se voulait agricole, soit l’élevage de chevaux de course, dans un cas (Moldowan) et d’activités de location d’unités condominiales dans l’autre (Stewart).

[44] Un rappel du régime fiscal applicable en l’espèce s’impose d’entrée de jeu. L’article 3 de la Loi établit les règles de base pour le calcul du revenu d’un contribuable pour une année d’imposition. Entre dans ce calcul le « total des sommes qui constituent chacune le revenu du contribuable pour l’année (autre qu’un gain en capital imposable résultant de la disposition d’un bien) dont la source se situe au Canada ou à l’étranger ».

[45] La notion de « source de revenu », nous dit la Cour suprême, est un « élément fondamental du régime fiscal canadien » (Stewart au para. 5). Ainsi, le contribuable qui souhaite déduire des pertes pour une année d’imposition donnée en lien avec une activité doit démontrer que cette activité constitue une source de revenu, gagnée au Canada ou à l’étranger. Pour ce faire, le contribuable doit établir qu’il a exercé cette activité avec l’intention de réaliser un profit et doit fournir des éléments de preuve de cette intention. Pour des raisons évidentes, cette preuve ne peut être uniquement subjective; elle doit aussi comporter des éléments objectifs (Stewart aux para. 5-54; Moldowan aux pp. 485-486).

[46] En cela, la notion de « source de revenu », rappelle la Cour suprême, « concorde avec la définition traditionnelle du mot ‘entreprise’ qui est donnée en common law, à savoir [traduction] ‘tout ce qui occupe le temps, l’attention et les efforts d’un homme et qui a pour objet la réalisation d’un profit’ » (Stewart aux para. 38 et 51).

[47] Dans la même veine, un revenu, pour être éventuellement imposable, doit présenter cette caractéristique, soit l’intention de réaliser un profit, laquelle vise à distinguer les activités commerciales des activités purement personnelles ou récréatives. Ainsi, la recherche d’un profit par le contribuable sera établie dès lors que l’activité en cause ne comporte aucun aspect personnel ou récréatif. Si, toutefois, elle comporte un tel aspect, on ne doit pas nécessairement en conclure que l’activité en cause ne constitue pas une « source de revenu » aux fins de la Loi. Au contraire, cette activité sera considérée comme une « source de revenu » – en l’occurrence, ici, un revenu tiré d’une entreprise – si, en dépit de son caractère personnel ou récréatif, elle est tout de même exercée « de manière suffisamment commerciale » (Stewart au para. 52; Tarascio c. Canada, 2012 CAF 30 au para. 3 (Tarascio)).

[48] Pour déterminer si, dans un tel contexte, une activité est exercée « de manière suffisamment commerciale », et donc, avec l’intention de générer un profit, la jurisprudence nous fournit certains indices de commercialité ou de comportement « d’homme d’affaires sérieux », soit: (i) l’état des profits et pertes pour les années antérieures; (ii) la formation du contribuable; (iii) la voie sur laquelle il entend s’engager; et (iv) la capacité de l’entreprise de réaliser un profit (Stewart aux para. 52-55; Moldowan p. 486).

[49] Il est important de souligner, toutefois, que cette liste d’indices ou de facteurs ne se veut pas exhaustive et que ces indices ou facteurs « différents selon la nature et l’importance de l’entreprise » (Moldowan p. 486; Stewart au para. 55). Dans le contexte particulier des gains liés aux jeux et aux loteries, la CCI, et ses prédécesseurs, ont pris en compte les sous‑facteurs suivants: la gestion et l’atténuation des risques, l’habilité au jeu, le côté calculateur et la discipline du contribuable dans l’exercice de l’activité en cause et le temps consacré à cette activité (Cohen c. La Reine, 2011 CCI 262 au para. 21 (Cohen), citant Balanko c. Ministre du Revenu national, 88 DTC 6228; Luprypa c. La Reine, [1997] 3 CTC 2363; Leblanc c. La Reine, 2006 CCI 680; et dans une moindre mesure Duhamel au para. 85).

[50] Ultimement, l’examen visant à déterminer si le contribuable a exercé l’activité en cause avec l’intention de réaliser un profit requiert un examen global où, nous rappelle la Cour suprême, l’expectative raisonnable de profit, critère énoncé pour la première fois dans l’arrêt Moldowan et auquel, selon l’arrêt Stewart, une trop grande portée a été donnée dans des décisions postérieures, n’est pas un facteur déterminant de l’examen puisque c’est la nature commerciale – ou suffisamment commerciale – de l’activité en cause qui doit être évaluée, et non le sens des affaires du contribuable (Stewart au para.55). L’issue de cet examen dépendra des faits précis de chaque affaire (Moldowan p. 486; voir aussi Radonjic c. Canada (Agence du revenu), 2013 CF 916 au para. 44; Cohen au para. 20).

[51] Par ailleurs, en ce qui a trait au revenu tiré d’une entreprise, il est explicitement une « source de revenu » aux termes de la Loi. Le terme « entreprise » est défini assez largement au paragraphe 248(1) de la Loi. Y sont assimilés les « professions, métiers, commerces, industries ou activités de quelque genre que ce soit », y compris les « projets comportant un risque ou les affaires de caractère commercial, à l’exclusion toutefois d’une charge ou d’un emploi ». Quant au revenu d’entreprise lui-même, il équivaut, suivant le paragraphe 9(1) de la Loi, au bénéfice que le contribuable tire d’une source qui est une entreprise pour l’année d’imposition en cause. Le débat en l’instance ne porte pas sur ces définitions.

[52] Il importe de souligner également, ce que les appelants ont fini par reconnaître à l’audience, qu’il n’existe aucun précédent, disposition législative ou principe de droit fiscal, voulant que les sommes d’argent gagnées au jeu, tel le poker, ne soient pas imposables. Le caractère imposable ou non de ces sommes dépendra dans chaque cas de la question de savoir si l’activité en cause a été exercée avec l’intention de réaliser un profit ou, le cas échéant, si elle l’a été de manière suffisamment commerciale.

[53] En l’espèce, il ne fait aucun doute que le Juge était bien au fait du droit applicable. Il a fait état en détail de la position respective des parties à cet égard. Après s’être dit d’avis qu’elles en avaient, sur l’essentiel, une compréhension commune, le Juge a estimé que le véritable litige entre les parties portait plutôt sur l’application du droit applicable aux faits propres à chaque appelant (Jugement Fournier-Giguère au para. 115; Jugement Bérubé au para. 108; Jugement D’Auteuil au para. 113).

[54] Je ne saurais dire qu’en énonçant le droit applicable comme il l’a fait, le Juge s’est mépris sur sa portée. À ce stade, la question est celle de savoir s’il en a altéré la teneur en l’appliquant aux faits mis en preuve devant lui. Je rappelle que la teneur de l’examen visant à déterminer si l’on est en présence d’une activité commerciale ou suffisamment commerciale pourra varier « selon la nature et l’importance de l’entreprise » et que l’objectif ultime de cet examen est de déterminer, globalement, la nature des activités du contribuable et si son intention, en se livrant à ces activités, était de réaliser un profit (Moldowan p. 486; Stewart au para. 55).

[55] Selon moi, bien que sa décision eût pu être structurée de manière à traiter séparément, comme ce fut le cas dans Cohen et Duhamel, des différents indices ou sous-indices de commercialité des activités des appelants, le Juge, lorsque les décisions qu’il a rendues sont lues dans leur ensemble, n’a pas altéré le critère juridique applicable.

[56] En effet, il s’est dit convaincu que, pendant les années d’imposition en cause :

  • a)Les activités de poker des appelants étaient, pour eux, bien davantage qu’un simple divertissement ou une activité récréative;

  • b)Les appelants jouaient au poker pour gagner leur vie, faisant d’eux des joueurs de poker professionnel;

  • c)Leurs activités de poker représentaient leur seule source de revenu (ou la principale source de revenu, dans le cas de M. D’Auteuil);

  • d)Les appelants y consacraient la presque totalité de leur temps, à part dormir, manger et festoyer;

  • e)Ils avaient, sur la foi des gains générés par le jeu de poker, la capacité de réaliser des profits sur une base annuelle constante et régulière, même si les résultats des parties ne pouvaient être contrôlés de façon prévisible;

  • f)À ce niveau de gains sur une aussi longue période, ils pouvaient raisonnablement s’attendre à pouvoir gagner leur vie en jouant au poker;

  • g)Malgré leur mode de vie hors norme, ils avaient un comportement « d’homme d’affaires sérieux » : ils jouaient pour gagner; ils avaient des stratégies qu’ils adaptaient selon les niveaux de tables et la force de leurs adversaires; ils utilisaient des logiciels qui leur permettaient d’obtenir de l’information sur les tendances de jeu de leurs adversaires, de faire un suivi de leurs gains sur les sites de jeu et d’analyser leurs statistiques personnelles;

  • h)Ils avaient adopté des normes objectives de gestion et de minimisation du risque et de maximisation de leurs revenus; et

  • i)Ils utilisaient leur expertise et leurs habilités pour gagner leur vie au poker, un jeu de hasard où l’habilité entre fortement en ligne de compte.

[57] Quant à l’indice de la formation, le Juge a noté que M. Fournier-Giguère n’avait jamais suivi de formation particulière sur le jeu de poker; que M. Bérubé consacrait des heures à sa formation, à l’analyse des autres joueurs et à des forums de discussion; et que M. D’Auteuil s’était abonné au site d’une entreprise offrant des services et consultations, d’apprentissage et de développement du jeu de poker.

[58] À mon sens, l’examen effectué par le Juge dans chaque cas, tient compte, explicitement ou implicitement, des indices et sous-indices de commercialité précités, soit : (i) les pertes et profits pour les années antérieures; (ii) la formation du contribuable; (iii) la voie sur laquelle il entend s’engager; (iv) la capacité de l’entreprise de réaliser un profit; (v) la gestion et l’atténuation des risques; (vi) l’habilité au jeu; (vii) le côté calculateur et la discipline du contribuable dans l’exercice de l’activité en cause; et (viii) le temps consacré à cette activité.

[59] Contrairement aux prétentions des appelants, je ne décèle aucune erreur de droit dans la façon dont le Juge a procédé à son analyse dans les trois cas. En d’autres termes, je ne suis pas convaincu qu’en procédant comme il l’a fait, le Juge s’est trouvé à s’écarter du test juridique qu’il était appelé à appliquer.

[60] Bien au contraire, globalement, sa démarche en respecte, à mon avis, les tenants et aboutissants. Je rappelle, à cet égard, que la suffisance des motifs d’un juge de procès est normalement évaluée sur une base pratique et fonctionnelle. Cela veut dire qu’une cour d’appel ne s’attend pas à ce que le juge du procès discute explicitement de toutes les questions dont il a été saisi ou encore qu’il indique dans tous les cas comment il en est arrivé à conclure comme il l’a fait. Les motifs doivent plutôt « être considérés dans leur ensemble et dans leur contexte global, y compris les éléments de preuve versés au dossier, les observations des parties, les questions en litige devant la juridiction et le fait que les juges sont censés connaître les principes fondamentaux du droit ». En d’autres termes, même brefs, les motifs d’un juge de procès seront suffisants s’ils sont « intelligibles ou aptes à être compris et se prêtent à un examen valable en appel » (Canada c. Première Nation de Long Plain, 2015 CAF 177 au para. 143 (Long Plain), citant R. c. R.E.M., 2008 CSC 51 aux para. 17, 43 et 44; R. c. Dinardo, 2008 CSC 24 au para. 25; R. c. Walker, 2008 CSC 34 au para. 27; R. c. Sheppard, 2002 CSC 26 au para. 25; et voir aussi Canada c. Olumide, 2017 CAF 42 au para. 40).

[61] À mon sens, les motifs du Juge, même si les appelants auraient souhaité qu’ils soient plus détaillés et mieux structurés, respectent ces exigences.

[62] Il reste donc à déterminer si, au terme de son application du cadre analytique précité aux faits de chaque affaire, le Juge a commis une erreur manifeste et dominante en concluant au caractère imposable, à titre de revenu tiré d’une entreprise, des gains de poker générés par les appelants au cours des années d’imposition en cause.

(2) Le Juge n’a pas commis d’erreur manifeste et dominante

[63] Les appelants, en guise de « question préliminaire », reprochent au Juge de ne pas avoir conclu, sur la base de la preuve d’expert, que le poker est essentiellement un jeu de hasard où les « aptitudes qu’un joueur pourrait avoir développées n’ont potentiellement qu’une infime incidence sur l’issue d’une partie de poker ».

[64] Ils s’emploient ensuite à tenter de démontrer que la preuve au dossier n’autorisait pas le Juge à conclure que leurs activités de jeu de poker pendant les années d’imposition en cause, rencontraient les différents indices et sous-indices de commercialité permettant de définir les gains en résultant comme une « source de revenu » au sens de la Loi.

[65] Il importe de rappeler, à ce stade, ce qu’est la norme de l’erreur manifeste et dominante, et par là, quel est le rôle de la Cour lorsqu’elle est appelée à l’appliquer. Cette norme est une norme hautement déférente. Cela vaut tout autant pour les questions de fait, qu’elles soient fondées ou non sur la crédibilité des témoins, que pour les inférences que le juge du procès tire des faits et pour les questions mixtes de fait et de droit à l’exception de la pure question de droit pouvant être isolée de la question mixte de fait et de droit sous examen (Housen aux para. 20-25 et 36). Par exemple, une cour d’appel n’est pas habilitée à modifier une conclusion de faits avec laquelle elle est en désaccord lorsque celle-ci « résulte d’une divergence d’opinion sur le poids à attribuer aux faits à la base de la conclusion » ou encore parce qu’elle « perçoit la preuve différemment » (Housen aux para. 23-24; Nelson (City) c. Mowatt, 2017 CSC 8 au para. 38).

[66] Seule l’erreur manifeste et dominante permet à une cour d’appel d’intervenir. L’erreur est manifeste lorsqu’elle « relève de l’évidence » et ne nécessite pas, par conséquent, « de réexaminer toute la preuve pour s’en apercevoir »; elle est dominante ou déterminante « lorsqu’elle a influencé la décision » (Hydro-Québec c. Matta, 2020 CSC 37 au para. 33; Housen aux para. 4-6, 27 et 28). Comme l’a énoncé la Cour de façon imagée dans l’affaire Canada c. South Yukon Forest Corporation, 2012 CAF 165 au paragraphe 46, « [l]orsque l’on invoque une erreur manifeste et dominante, on ne peut se contenter de tirer sur les feuilles et les branches et laisser l’arbre debout. On doit faire tomber l’arbre tout entier. » (voir aussi : Canada (Procureur général) c. Hutton, 2023 CAF 45 aux para. 39-41 (Hutton)).

[67] Ce fardeau, pour le moins qu’on puisse dire, est exigeant. À mon avis, il n’a pas été rencontré en l’espèce.

a) La « question préliminaire »

[68] Cet argument repose, tout compte fait, sur l’alinéa 40(2)f) de la Loi. Selon les appelants, le Juge aurait dû conclure que le poker est un jeu de pari au sens de cette disposition. J’ai déjà rejeté cet argument. Je rappelle que le Juge s’est dit satisfait que le jeu de poker est un jeu alliant chance et habiletés et que la question de savoir lequel des deux prévalait sur l’autre n’était pas pertinente au débat qu’il avait à trancher.

[69] Je note, à cet égard, que l’expert Mathieu Dufour, retenu par les appelants, s’est dit d’avis, au paragraphe 9 de son rapport principal, que « [l]’issue d’une partie de poker dépen[dait] manifestement à la fois du hasard (ne serait-ce que par la distribution des cartes) et de l’habileté des joueurs qui y jouent » (Dossier d’appel aux pp. 2581 (M. Fournier-Giguère), 1993 (M. Bérubé) et 2221 (M. D’Auteuil)). Leur autre expert dans le présent dossier, Jeffrey S. Rosenthal, au paragraphe 14 de son rapport, a exprimé un avis similaire en disant pleinement d’accord (« I completely agree ») avec l’expert de la Ministre quant au fait que le jeu de poker « is a game in which both skill and chance play a role in the ultimate outcome » (Dossier d’appel aux pp. 2451 (M. Fournier-Giguère), 1863 (M. Bérubé) et 2351 (M. D’Auteuil)).

[70] Non seulement le Juge n’a commis aucune erreur manifeste et dominante en concluant à l’inapplicabilité de l’alinéa 40(2)f) de la Loi mais la prétention des appelants qui sous-tend cette « question préliminaire » et qui veut que le poker ne soit qu’un jeu de hasard ne trouve aucun appui dans la preuve.

b) L’état des profits et pertes pour les années antérieures

[71] Les appelants invoquent leurs témoignages respectifs, non-contredits, pour dire qu’ils s’adonnaient au jeu de poker de façon récréative au cours des années d’imposition en cause et que leurs activités en lien avec ce jeu n’avaient ni la progression ni la constance correspondant au schéma habituel de l’exploitation d’une entreprise.

[72] Ces arguments, sans plus, invitent la Cour à réexaminer l’ensemble de la preuve. Or, comme nous l’avons vu, et pour les raisons de principe invoquées dans Housen, soit (i) la réduction du nombre, de la durée et du coût des appels; (ii) la favorisation de l’autonomie du procès et de son intégrité; et (iii) la reconnaissance de l’expertise du juge de première instance et de sa position avantageuse, ce n’est pas ce qui est attendu d’une cour d’appel.

[73] J’ajouterais ceci. Le Juge devait évaluer les questions qui lui étaient soumises en regard de l’ensemble de la preuve faite devant lui, et non seulement en regard du témoignage, même non-contredit, des appelants. À cet égard, je rappelle que la question de savoir si les activités de poker des appelants ont été entreprises avec l’intention de faire un profit devait être évaluée non pas seulement subjectivement, et donc suivant la seule vision qu’en avaient les appelants, mais aussi objectivement. Suivant le Jugement, c’est ce que le Juge s’est employé à faire.

[74] J’ajouterais aussi que la force probante d’un témoignage, même non-contredit, est toujours laissée à l’appréciation du juge du procès, à l’aune de l’ensemble de la preuve faite au dossier. En d’autres termes, il est loisible au juge du procès, qui est présumé avoir examiné tous les éléments de preuve, de privilégier un témoignage par rapport à un autre et il n’appartient pas à cette Cour, je le répète, d’apprécier à nouveau la valeur des éléments de preuve et de substituer sa propre appréciation des témoignages à celle du juge du procès (Apotex Inc. c. Eli Lilly and Company, 2021 CAF 149 au para. 28 (Apotex), citant Packers Plus Energy Services Inc. c. Essential Energy Services Ltd., 2019 CAF 96 au para. 33; Eli Lilly and Company c. Apotex Inc., 2010 CAF 240 au para. 8).

[75] Je rappelle enfin que les chiffres (gains et pertes) mis en preuve, lesquels sont non contestés et sont relatés au paragraphe 14 des présents motifs, témoignaient, selon le Juge, à part une année de gain nul pour M. D’Auteuil en 2009, d’une capacité de réaliser des profits sur une base « annuelle constante et régulière ». Même si le Juge n’y fait pas de référence explicite, j’y vois-là une indication, lorsque le Jugement est lu dans son ensemble, qu’il considérait que l’indice des pertes et profits tendait à révéler une intention, de la part des appelants, de réaliser un profit.

c) La formation des appelants

[76] Les appelants prétendent que la preuve offerte au procès sur ce point démontre qu’ils avaient tout au plus un intérêt personnel pour le poker et que la formation qu’ils ont pu suivre pendant les années d’imposition en cause ne se compare pas à celle qu’un homme d’affaires sérieux s’étant investi dans le jeu de poker aurait suivie.

[77] Comme indiqué précédemment, selon le Juge, les appelants utilisaient des logiciels qui leur permettaient d’obtenir de l’information sur les tendances de jeu de leurs adversaires, de faire un suivi de leurs gains sur les sites de jeu et d’analyser leurs statistiques personnelles. Dans le cas de M. D’Auteuil, plus particulièrement, le Juge a retenu de la preuve qu’il consacrait deux heures par semaine à l’écoute d’émissions télévisuelles et autres consacrées au poker dans le but de demeurer compétitif et de s’informer des tendances générales du poker en ligne.

[78] Les appelants n’expliquent pas en quoi la formation d’un homme d’affaires sérieux s’étant investi dans le jeu de poker aurait été différente. Quoi qu’il en soit, la prétention des appelants sur ce point constitue une autre invitation faite à cette Cour d’apprécier à nouveau la valeur des éléments de preuve administrée au procès et de substituer sa propre appréciation de la preuve à celle du Juge. La question n’est pas de savoir si la Cour – ou même un autre juge de la CCI saisi du même problème – aurait pu en arriver à une conclusion différente de celle du Juge. La question est plutôt de savoir si, en concluant comme il l’a fait sur ce point, le Juge a commis une erreur manifeste et dominante (Hutton au para. 46). Avec égards, je suis d’avis qu’aucune erreur de la sorte n’a été commise par le Juge sur ce point.

[79] Les appelants invoquent les affaires Tarascio et Cohen au soutien de leurs prétentions. Or, ces deux jugements ne leur sont, à mon avis, d’aucun secours.

[80] Dans Tarascio, où le contribuable demandait la déduction de pertes liées aux « jeux de hasard » auxquels il se consacrait après ses heures de travail et les weekends, cette Cour n’a pas dit que le fait de posséder des connaissances et compétences particulières en cette matière en raison de l’expérience acquise ne rencontrait pas l’indice de formation. Elle a simplement refusé d’intervenir au motif que le fait que la CCI n’en ait pas suffisamment tenu compte aux yeux du contribuable ne constituait pas une erreur manifeste et dominante compte tenu de toute la preuve versée au dossier. Je note que le contribuable dans cette affaire s’était adonné aux paris équestres pour un temps et ensuite « aux machines à sous et jeux de casino ». De surcroît, je note que, selon la CCI, le contribuable « ne faisait pas d’exercices pour peaufiner sa technique » (Tarascio au para. 5). Cette affaire peut donc être aisément distinguée de la présente affaire.

[81] Il en est même, selon moi, de l’affaire Cohen. Dans cette affaire, le contribuable cherchait aussi à déduire de ses revenus, à titre de pertes d’entreprise, des sommes qu’il avait dédiées à des activités de poker au cours d’une année d’imposition. Cette affaire a ceci de particulier : le contribuable était à l’emploi d’un grand cabinet d’avocats. En janvier 2006, après s’être vu refuser une seconde fois une promotion au rang d’associé, il a dit avoir décidé de devenir joueur de poker professionnel, tout en restant toutefois à l’emploi du cabinet, à tout le moins au cours du premier trimestre de l’année d’imposition en cause (2006). Son ambition de devenir joueur professionnel de poker n'a duré que quelque mois au cours desquels il a joint un nouveau cabinet d’avocats pratiquement au même moment où prenait fin son emploi précédent. Son bilan de gains et pertes au cours de l’année d’imposition en cause s’est avéré essentiellement négatif. Plus important encore, la CCI a mis en doute la crédibilité de ce contribuable en rapport avec ses prétentions voulant qu’il ait créé un plan d’affaires et qu’il se soit comporté en homme d’affaires sérieux (Cohen aux para. 48-49).

[82] Sur le plan de la formation, plus particulièrement, la CCI a noté que le contribuable n’avait produit « aucune preuve fiable d’une formation organisée ou informelle sérieuse », ni de preuve fiable que cette formation avait « transformé son niveau de jeu en celui d’un joueur de poker professionnel, comme il s’est appelé » (Cohen au para. 30).

[83] L’affaire Cohen révèle donc une trame factuelle passablement différente qui ne sert pas la cause des appelants, particulièrement dans un contexte où l’examen auquel doit se livrer la Cour à ce stade-ci, fait intervenir la norme de l’erreur manifeste et dominante.

[84] Enfin, les appelants prétendent que l’indice de la formation est bien relatif quand il s’agit d’activités de jeu poker puisqu’ultimement, c’est la chance qui dicte l’issue des parties. Cet argument, comme j’ai déjà eu l’occasion de le dire, n’a pas la traction que les appelants souhaiteraient qu’il ait.

d) La voie sur laquelle les appelants entendaient s’engager

[85] Les appelants reprochent au Juge de ne pas avoir suffisamment tenu compte de ce qui les motivait à jouer au poker et du fait qu’aucun d’eux n’avait de plan d’affaires, du moins de la nature de celui qu’on devrait s’attendre de voir chez un homme d’affaires sérieux. Ils lui reprochent aussi d’avoir conclu qu’ils pouvaient raisonnablement espérer gagner leur vie en jouant au poker sur la base d’un échantillonnage de trois à quatre années de « succès ».

[86] Encore ici, il s’agit d’une invitation faite à la Cour d’apprécier à nouveau la preuve et de substituer sa propre appréciation des faits à celle du Juge. Je réitère que cela va au-delà de ce qu’il nous est permis de faire en appel sur des questions de fait ou mixtes de fait et de droit (Apotex au para. 28). Le fait que nous aurions pu pondérer différemment les éléments de preuve et, ultimement, en arriver à une autre conclusion que celle à laquelle en est arrivé le Juge sur ce point, n’y change rien (Hutton au para. 46).

[87] Encore ici, également, les appelants s’en remettent au jugement rendu dans l’affaire Cohen pour appuyer leurs prétentions. J’ai déjà fait état des limites de ce précédent, compte tenu des faits propres à cette affaire. Les appelants invoquent aussi le jugement de la Cour de l’Échiquier rendu en 1961 dans l’affaire M.N.R. v. Morden, [1962] Ex. C.R. 29 (Morden). Y était en cause le caractère imposable de gains provenant d’activités de paris sportifs. Ce que les appelants ne disent pas, c’est que pour les années d’imposition en cause dans cette affaire, les activités de paris du contribuable étaient occasionnelles et n’étaient devenues qu’un passe-temps (Morden à la p. 35.).

[88] Comme la Cour de l’Échiquier l’a si bien dit dans Morden, chaque cas est un cas d’espèce. Je ne décèle, sur ce point, aucune erreur manifeste et dominante de la part du Juge dans le traitement de la preuve qui lui a été soumise.

e) La capacité de réaliser des profits

[89] Les appelants disent que les gains qu’ils ont générés en jouant au poker pourraient laisser croire (« donner l’illusion »), qu’ils avaient la capacité de générer des profits. Cette capacité serait toutefois, selon eux, imprévisible et instable, un facteur dont le Juge aurait omis de tenir compte.

[90] Je rappelle que le Juge, sur la base des chiffres de gains et pertes mis en preuve, a conclu que les appelants avaient chacun la capacité de réaliser des profits sur une base annuelle constante et régulière bien que l’issue des parties de poker, a-t-il ajouté, ne puisse être contrôlée de façon prévisible. Les chiffres, étayés au paragraphe 14 des présents motifs, montrent en effet sauf, encore une fois pour l’année 2009 dans le cas de M. D’Auteuil, des gains nets constants – et significatifs – pendant toute la période des années d’imposition en cause.

[91] Cette conclusion est supportée par la preuve et je ne vois aucune raison d’intervenir.

f) La minimisation du risque

[92] Les appelants avancent que le Juge ne pouvait conclure qu’ils prenaient des mesures, comme le ferait un homme d’affaires sérieux, pour minimiser le risque puisqu’ils jouaient pour le plaisir du jeu, l’amusement et le divertissement et le faisaient régulièrement sous l’influence de l’alcool et de drogues.

[93] Or, le Juge a tenu compte de leur mode de vie hors norme, mais s’est dit satisfait, en donnant quelques exemples, qu’ils avaient adopté des normes objectives de gestion, de minimisation des risques et de maximisation des revenus.

[94] Dans le respect du rôle qui est le nôtre en l’espèce, il ne s’agit pas de savoir si, placés dans les souliers du Juge, nous aurions conclu comme il l’a fait sur cette question. La seule question que nous devons résoudre est celle de savoir si cette conclusion est le fruit d’une erreur manifeste et dominante, soit celle qui fait tomber non seulement les feuilles et les branches de l’arbre, mais l’arbre tout entier. Ce n’est pas le cas ici.

g) La fréquence de jeu et le nombre de parties

[95] Les appelants prétendent que le fait qu’ils jouaient fréquemment au poker et qu’ils l’ont fait pendant une période prolongée ne fait preuve de rien. Le temps qu’ils ont consacré au poker pourrait se comparer, disent-ils, au temps que de nombreuses personnes consacrent aux jeux vidéo ou encore à l’écoute de téléséries.

[96] Le Juge a conclu que les appelants consacraient la quasi-totalité de leur temps au poker, tout en reconnaissant que les données relatives au nombre d’heures et au nombre de parties jouées pendant la période des années d’imposition en cause a pu varier avec le temps. Je rappelle que la question de savoir si le revenu généré par un contribuable l’a été avec l’intention de générer des profits, à la lumière des indices et sous-indices de commercialité applicables, s’évalue globalement.

[97] Je ne saurais dire que cette conclusion du Juge, à la lumière de l’ensemble de la preuve au dossier, est viciée par une erreur manifeste et dominante.

[98] Les appelants reprochent enfin au Juge, sans plus, d’avoir omis, refusé ou négligé de « réellement » commenter la décision rendue dans Duhamel, laquelle décision, selon eux, présente les mêmes questions de fait et de droit qu’en l’espèce.

[99] Je comprends l’argument des appelants comme en étant un de suffisance des motifs. Il est vrai que les commentaires du Juge sur Duhamel sont succincts, mais est-ce suffisant pour vicier son jugement? Je ne le crois pas.

[100] Comme j’en ai déjà fait mention, les motifs du Juge doivent être considérés dans leur ensemble et leur contexte global, y compris à la lumière de la preuve versée au dossier et des observations des parties. Même brefs, je le rappelle, ils seront suffisants s’ils sont « intelligibles ou aptes à être compris et se prêtent à un examen valable en appel » (Long Plain au para. 143).

[101] En l’espèce, je décèle à la lecture de Duhamel certaines dissimilitudes factuelles qui peuvent expliquer que le Juge ne se soit pas senti lié par cette décision. En outre, je note que:

  • a)M. Duhamel profite d’une notoriété, que n’ont pas connue les appelants, en étant sacré, en 2010 (première des trois années d’imposition en cause dans son cas) et à 23 ans, champion du monde de poker, un championnat qui lui permet d’empocher des millions de dollars; sa « carrière », pendant les années d’imposition en cause (2010-2011-2012), prend donc une tout autre trajectoire que celles des appelants;

  • b)Ce championnat lui vaut, la même année, la signature d’une convention avec la société PokerStars, convention aux termes de laquelle des sommes importantes lui seront versées entre 2010 et 2015, dont 1M $ US pour la première année;

  • c)Ces sommes sont versées à une société que M. Duhamel crée à cette fin et par l’entremise de laquelle M. Duhamel s’adonnera à bon nombre d’activités auxquelles la convention l’oblige;

  • d)La preuve, selon la CCI, ne révèle aucune méthode structurée et sérieuse de nature à aider M. Duhamel à gagner; celle qui lui est imputée par la Ministre découlerait plutôt d’exigences de son commanditaire, PokerStars, méthode qu’il n’aurait jamais véritablement mise en pratique;

  • e)Toujours selon la CCI, la preuve révèle également que M. Duhamel n’utilise pas les logiciels procurant des informations et statistiques sur ses adversaires ni ne donne de cours ou séminaires sur le poker; de plus, il ne fait aucune préparation sérieuse avant la tenue d’un tournoi;

  • f)Ce championnat du monde lui procure d’autres sources de revenus que ses gains provenant de tournois de poker; rendements sur les investissements d’une partie des sommes touchées à ce moment; et dividendes provenant de la société qu’il a créée en marge de la convention signée avec PokerStars;

  • g)Aussi, il accomplit des tâches autres que celles de jouer au poker, dont des activités de représentation pour le compte de PokerStars, dont l’objectif est d’amener le plus de joueurs possibles à jouer au poker sur les plateformes en ligne de PokerStars; en ce sens, ses activités de jeu de poker ne constituent pas sa principale occupation;

  • h)Son championnat du monde lui offre le luxe de ne pas devoir travailler pour subvenir à ses besoins; et

  • i)Hormis les gains substantiels gagnés lors de ce championnat du monde, le bilan financier pour ses seules activités de jeu de poker au cours des années d’imposition en cause est globalement déficitaire.

[102] Je note aussi que beaucoup d’importance semble avoir été donnée au facteur de l’expectative raisonnable de profits dans Duhamel, un facteur, qui, comme l’a rappelé la Cour suprême dans Stewart, n’est pas déterminant mais strictement un facteur parmi d’autres dans l’évaluation globale des indices de commercialité, laquelle est tributaire du poids que lui accorde le juge du procès, qui est l’expert des faits (Housen au para. 18), à la lumière des circonstances propres à chaque cas (Stewart aux para. 4 et 37).

[103] Chaque cas étant un cas d’espèce, conclure, comme l’a fait le Juge, que l’application des indices de commercialité aux circonstances propres à chaque appelant ait pu produire des résultats différents de celui auquel en est arrivée la CCI dans Duhamel, ne m’apparait pas relever de l’erreur manifeste et dominante.

[104] Encore une fois, il est important de rappeler que nous n’avons pas à nous demander si nous – ou un autre juge de la CCI saisi de la question – aurions tiré la même conclusion que le Juge sur ce point. Le rôle de la Cour est plutôt de déterminer si, en concluant comme il l’a fait sur ce point, le Juge s’est mépris d’une manière manifeste et déterminante (Hutton au para. 46).

[105] Comme je viens de le dire, je ne suis pas persuadé que c’est le cas.

[106] En résumé, je ne décèle aucune erreur manifeste et dominante de la part du Juge dans son application des indices de commercialité aux faits propres à chaque appelant.

D. Le rejet de l’appel de l’avis de nouvelle cotisation de M. D’Auteuil pour l’année d’imposition 2008

[107] M. D’Auteuil prétend que le Juge a erré en rejetant son appel de cotisation pour l’année d’imposition 2008 au motif que l’avis de nouvelle cotisation pour cette année n’avait pas fait l’objet d’une opposition, condition préalable à un appel de cotisation devant la CCI suivant le paragraphe 169(1) de la Loi, alors que le Juge avait au préalable, soit en juin 2015, annulé les pénalités qui lui avaient imposées la Ministre.

[108] Cet argument est sans mérite. Les pénalités pour l’année d’imposition 2008, comme pour toutes les années d’imposition en cause d’ailleurs, ont été annulées par suite d’un consentement à jugement signé par les parties. Or, comme le souligne la Ministre, les parties ne peuvent, par leurs agissements, conférer à la CCI une compétence que la Loi ne lui reconnaît pas (Canada c. Telus Communications (Edmonton) Inc., 2005 CAF 159 au para. 23).

[109] En d’autres termes, ce jugement sur consentement n’a pas eu pour effet, en l’absence d’une opposition à l’avis de nouvelle cotisation pour l’année 2008, de conférer compétence à la CCI en ce qui a trait à l’appel logé par M. D’Auteuil à l’encontre de cet avis.

VI. Conclusion

[110] Une « source de revenu », pour entrer dans le calcul du revenu d’un contribuable, doit avoir été générée avec l’intention de tirer un profit. Cela exclut les revenus tirés d’une activité purement récréative. Toutefois, les revenus tirés d’une telle activité peuvent devenir une « source de revenu » au sens de la Loi si cette activité est exercée de manière suffisamment commerciale. Un certain nombre d’indices, développés par la jurisprudence, servent à déterminer si une activité récréative a été exercée, pour fins fiscales, de manière suffisamment commerciale.

[111] L’analyse requise est globale et va varier selon la nature de l’activité en cause. Dans certains cas, et je suis prêt à convenir qu’ils seront rares, la ligne sera mince entre une activité purement récréative et une activité de jeu exercée de manière suffisamment commerciale. Au bout du compte, la démarcation dépendra des circonstances de chaque cas. Ainsi, dans la mesure où le droit a été bien compris et bien appliqué par le juge du procès, cette Cour ne pourra intervenir qu’en présence d’une erreur manifeste et dominante de la part du juge du procès dans l’appréciation des faits. Cette ouverture est bien mince. Elle l’était trop en l’espèce.

[112] Pour ces motifs, je propose de rejeter les trois appels, avec dépens.

[113] Le présent jeu de motifs vaut pour ces trois appels. L’original des présents motifs sera déposé dans le dossier A‑276‑22 et copie de ceux-ci sera déposée dans les dossiers A‑54‑23 et A‑55‑23.

« René LeBlanc »

j.c.a.

« Je suis d’accord.

George R. Locke j.c.a. »

« Je suis d’accord.

Peter G. Pamel j.c.a. »


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


Dossier :

A-276-22

 

INTITULÉ :

MARTIN FOURNIER-GIGUÈRE c. SA MAJESTÉ LE ROI

 

ET DODSSIER :

A-54-23

 

INTITULÉ :

ANTOINE BÉRUBÉ c. SA MAJESTÉ LE ROI

 

ET DOSSIER :

A-55-23

 

INTITULÉ :

PHILIPPE D'AUTEUIL c. SA MAJESTÉ LE ROI

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Québec (Québec)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 9 décembre 2024

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE LEBLANC

 

 

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE LOCKE

LE JUGE PAMEL

 

 

DATE DES MOTIFS :

LE 10 JUIN 2025

 

 

COMPARUTIONS :

Danny Galarneau

 

Pour les appelants

 

Christian Lemay

Samantha Jackmino

POUR L’INTIMÉ

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Cain Lamarre s.e.n.c.r.l.

Québec (Québec)

 

Pour les appelants

 

Shalene Curtis-Micallef

Sous-procureure générale du Canada

POUR L’INTIMÉ

 

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