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Date : 20250612


Dossier : A-353-23

Référence : 2025 CAF 115

CORAM :

LE JUGE EN CHEF DE MONTIGNY

LE JUGE BOIVIN

LE JUGE LEBLANC

 

 

ENTRE :

PHILIPPE D’ARCANGELI

demandeur

et

FEDEX GROUND PACKAGE SYSTEM LTD.

défenderesse

Audience tenue à Montréal (Québec), le 11 juin 2025.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 12 juin 2025.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE LEBLANC

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE EN CHEF DE MONTIGNY

LE JUGE BOIVIN

 


Date : 20250612


Dossier : A-353-23

Référence : 2025 CAF 115

CORAM :

LE JUGE EN CHEF DE MONTIGNY

LE JUGE BOIVIN

LE JUGE LEBLANC

 

 

ENTRE :

PHILIPPE D’ARCANGELI

demandeur

et

FEDEX GROUND PACKAGE SYSTEM LTD.

défenderesse

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE LEBLANC

[1] Le demandeur soutient avoir été congédié injustement par la défenderesse pour laquelle il a travaillé comme préposé aux colis de décembre 2018 jusqu’au 27 mai 2020, date de son congédiement. Il prétend que la défenderesse (FedEx) a illégalement mis fin à son emploi en exigeant que soit prise sa température corporelle à son arrivée au travail. Il s’agissait-là de l’une des mesures mises en place par FedEx au début mai 2020 pour protéger ses employés contre la propagation de la COVID-19 et pour maintenir ainsi ses opérations, jugées essentielles par le gouvernement du Québec. Le demandeur, qui ne s’est jamais présenté au travail à partir du moment où on l’a informé de l’entrée en vigueur de cette mesure, prétend que celle-ci brimait son droit au refus de soins médicaux protégé par l’article 11 du Code civil du Québec.

[2] Le demandeur s’est plaint de son congédiement comme le lui permettait le paragraphe 240(1) du Code canadien du travail, L.R.C. 1985, c. L-2, plainte dont le Conseil canadien des relations industrielles (le Conseil) a éventuellement été saisi. Dans une décision rendue le 22 novembre 2023 et répertoriée à 2023 CCRI LD 5203, le Conseil a rejeté la plainte, se disant d’avis que bien que le droit au refus de soins médicaux soit un droit fondamental, ce droit n’était pas absolu et qu’une politique mise de l’avant unilatéralement par l’employeur dans l’exercice de son droit de gestion pouvait porter atteinte à un tel droit dans la mesure où, en fonction d’un certain nombre de critères jurisprudentiels, cette atteinte était jugée raisonnable. Après avoir analysé les critères applicables, le Conseil a conclu que la mesure en cause était raisonnable.

[3] Le demandeur se pourvoit ici en contrôle judiciaire de la décision du Conseil. Il plaide devant nous que le congédiement dont il a fait l’objet est abusif puisqu’il a été fait sans qu’un juste équilibre ne soit trouvé entre le droit au congédiement administratif dont dispose FedEx et son droit au refus de soins médicaux et sa liberté de conscience. Selon lui, la décision du Conseil fait ainsi prévaloir le monopole médical actuel, imposé par la majorité, sur la liberté de conscience de ceux et celles qui, comme lui, n’adhèrent pas aux dicta de ce monopole. Sur ce plan, ajoute-t-il, si la prise de la température corporelle n’est pas invasive médicalement, elle l’est en revanche sur les plans philosophique, spirituel et psychologique. Finalement, le demandeur soutient qu’un juste équilibre entre les droits en cause aurait été atteint – et aurait été compatible avec les règles du contrat d’emploi en common law – si on l’avait simplement dispensé de se présenter au travail, sans rompre le lien d’emploi, le temps que la crise liée à la pandémie de COVID-19 se résorbe.

[4] Devant nous, le demandeur a admis candidement qu’il espérait, par le présent recours, que notre Cour fasse la lumière sur la portée du droit au consentement à des soins médicaux en tenant compte des principes de justice fondamentale et du droit à la vie.

[5] Or, outre le fait qu’il n’y ait aucune trace au dossier que le demandeur ait invoqué les principes de justice fondamentale et le droit à la vie dans ses représentations à FedEx pour justifier son refus de se soumettre à la mesure en cause ou devant le Conseil pour tenter d’établir qu’il y avait eu congédiement injuste – il a d’ailleurs concédé devant nous que sa position ne reposait alors que sur le droit au consentement aux soins médicaux au motif qu’il croyait que ce droit « couvrait tout » –, ces prétentions ratent la véritable cible en ce qu’elles dénotent une mauvaise compréhension de notre rôle en matière de contrôle judiciaire.

[6] En effet, et comme cela a été expliqué au demandeur à l’audience, notre Cour doit examiner la décision du Conseil suivant la norme de la décision raisonnable. Suivant cette norme, nous devons nous abstenir de reconsidérer la décision du Conseil, réévaluer la preuve faite devant lui, mettre en doute ses conclusions et y substituer les nôtres (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov, 2019 CSC 65 au para. 83 (Vavilov)). Notre rôle consiste plutôt à nous assurer que la décision du Conseil repose sur un raisonnement rationnel et logique et qu’elle se situe, au niveau du résultat, à l’intérieur de la fourchette des issues possibles et acceptables en regard des faits de l’affaire et du droit applicable (Vavilov au para. 84; Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 au para. 47).

[7] En l’espèce, je suis d’avis que la décision du Conseil possède ces attributs :

  • a)D’abord, le Conseil a conclu que le demandeur avait fait l’objet d’un congédiement administratif, et non qu’il avait démissionné volontairement, comme le prétendait la défenderesse;

  • b)Ensuite, le Conseil s’est dit d’accord avec le demandeur que le consentement aux soins médicaux relevait de l’exercice d’un droit fondamental;

  • c)Il a toutefois précisé, comme le reconnaît d’ailleurs le demandeur, que l’exercice des droits fondamentaux, quels qu’ils soient, n’est pas absolu, tout en notant, jurisprudence à l’appui, qu’il fallait distinguer entre le soin « forcé », ce qui n’était pas le cas en l’espèce, FedEx n’ayant pas procédé à la prise de température du demandeur sans son consentement, et le soin « obligatoire »;

  • d)Le Conseil s’est par la suite penché, comme la jurisprudence en la matière l’y obligeait, sur la légalité de la mesure à l’origine du congédiement du demandeur; à cette fin, il a bien identifié le test jurisprudentiel applicable et s’est livré, à la lumière des faits mis en preuve et des arguments des parties, à l’analyse des différentes composantes de ce test, soit la nature des intérêts de l’employeur, l’existence de moyens moins attentatoires pour répondre aux préoccupations de l’employeur et l’incidence de la mesure sur les employés; et

  • e)Le Conseil a noté, à cette fin, que la jurisprudence arbitrale en matière de droit du travail reconnaissait déjà la légalité de mesures plus intrusives que la prise de la température corporelle, telle la vaccination obligatoire.

[8] Au terme d’une analyse minutieuse, le Conseil a conclu que la mesure en cause poursuivait, dans le contexte de la pandémie de COVID-19, un objectif légitime de protection de tous les employés et que le refus de s’y soumettre constituait un défaut de répondre aux exigences justifiées de l’employeur.

[9] En outre, le Conseil a noté que le demandeur, qui dit pratiquer le bouddhisme, n’avait pas invoqué ses croyances religieuses auprès de la défenderesse, ni demandé d’accommodement pour motif religieux, avant qu’il ne soit mis fin à son emploi.

[10] Pour réussir, le demandeur devait nous convaincre que la décision du Conseil « souffre de lacunes graves à un point tel qu’on ne peut pas dire qu’elle satisfait aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence » (Vavilov au para. 100). Le demandeur exprime certes avec conviction sa position sur des sujets tels que la valeur médicale réelle de la prise de température corporelle, le droit au refus de soins médicaux et la liberté de conscience, mais il n'est pas parvenu à identifier de « lacunes graves » mettant en péril la raisonnabilité de la décision du Conseil. Tout au plus, exprime-t-il des désaccords avec ladite décision. Au bout du compte, il demande à la Cour de réévaluer l’ensemble du dossier dans l’espoir que nous adhérions à ses théories et positions et que nous nous prononcions, de surcroît, sur des arguments qui n’ont pas été soumis au Conseil.

[11] Or, cela ne relève pas de ce que la Cour est autorisée à faire lorsqu’elle est saisie d’une demande de contrôle judiciaire (Vavilov au para. 83).

[12] Compte tenu de notre conclusion sur la raisonnabilité de la décision du Conseil, il n’est pas nécessaire de disposer de l’argument de FedEx voulant qu’il y ait ici matière à rejeter sommairement la demande de contrôle judiciaire compte tenu de lacunes dans l’Avis de demande qui en affecteraient la recevabilité.

[13] Pour toutes ces raisons, je propose que la présente demande de contrôle judiciaire soit rejetée. FedEx demande ses dépens. Compte tenu de l’issue de la présente affaire, j’estime qu’elle devrait y avoir droit et qu’un montant de 1 000 $, déboursés compris, serait raisonnable dans les circonstances.

« René LeBlanc »

j.c.a.

« Je suis d’accord.

Yves de Montigny j.c. »

« Je suis d’accord.

Richard Boivin j.c.a. »


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

A-353-23

 

INTITULÉ :

PHILIPPE D’ARCANGELI c. FEDEX GROUND PACKAGE SYSTEM LTD.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 11 juin 2025

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE LEBLANC

 

 

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE EN CHEF DE MONTIGNY

LE JUGE BOIVIN

 

 

DATE DES MOTIFS :

LE 12 juin 2025

 

 

COMPARUTIONS :

Philippe D’Arcangeli

POUR SON PROPRE COMPTE

 

David Paradis

 

Pour la défenderesse

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

McCarthy Tétrault S.E.N.C.R.L., S.R.L.

Montréal (Québec)

 

Pour la défenderesse

 

 

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