Décisions de la Cour d'appel fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20250618


Dossier : A-82-25

Référence : 2025 CAF 120

CORAM :

LE JUGE BOIVIN

LE JUGE LOCKE

LE JUGE LEBLANC

 

 

ENTRE :

MICHAEL MOREAU

appelant

et

ADMINISTRATION PORTUAIRE D’HALIFAX ET

SA MAJESTÉ DU CHEF DU CANADA

intimés

Requête écrite décidée sans comparution des parties.

Ordonnance rendue à Ottawa (Ontario), le 18 juin 2025.

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :

LE JUGE LEBLANC

 

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE BOIVIN

LE JUGE LOCKE

 


Date : 20250618


Dossier : A-82-25

Référence : 2025 CAF 120

CORAM :

LE JUGE BOIVIN

LE JUGE LOCKE

LE JUGE LEBLANC

 

 

ENTRE :

MICHAEL MOREAU

appelant

et

ADMINISTRATION PORTUAIRE D’HALIFAX ET

SA MAJESTÉ DU CHEF DU CANADA

intimés

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

LE JUGE LEBLANC

[1] L’appelant en appelle d’une ordonnance de la Cour fédérale, datée du 20 février 2025 (2025 CF 345), qui rejetait sa requête pour l’obtention d’une ordonnance d’injonction interlocutoire visant à forcer les intimés à communiquer avec lui en anglais et à déposer leur preuve en français dans le cadre des procédures sous-jacentes à sa requête, entreprises aux termes de la partie X de la Loi sur les langues officielles, L.R.C. (1985), ch. 31 (4e Suppl.) (la LLO), et introduites en français.

[2] Dans le cadre du présent appel, l’appelant demande que soit prorogé jusqu’au 11 juillet 2025 le délai pour le dépôt et la signification du dossier d’appel au motif qu’il n’a pas, présentement, les moyens financiers nécessaires pour payer la transcription de l’audience de sa requête en injonction interlocutoire devant la Cour fédérale, dont le coût s’élève à un peu moins de 3000 $.

[3] C’est la requête qui est présentement devant la Cour.

[4] Selon le dossier de requête de l’appelant, l’entente sur le contenu du dossier d’appel a été déposée le 1er avril 2025. Suivant la règle 345(1) des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 (les Règles), le dossier d’appel aurait dû être signifié et déposé au plus tard le 1er mai 2025. La requête elle-même a été déposée le 6 mai 2025.

[5] Les critères pour l’obtention d’une prorogation de délai sont bien connus. Ainsi, pour réussir, l’appelant doit démontrer : (i) une intention constante de poursuivre son appel; (ii) que l’appel a un certain mérite; (iii) que le délai requis ne causera pas préjudice aux intimés; (iv) et qu’il existe une explication raisonnable pour le délai demandé. Ultimement, il s’agit de voir si l'octroi d'une prorogation de délai serait dans l'intérêt de la justice (Canada (Procureur général) c. Larkman, 2012 CAF 204 aux para. 61-62).

[6] L’intimée, l’Administration portuaire d’Halifax (APH), s’oppose à la présente requête au motif qu’elle ne rencontre aucun de ces quatre critères. L’intimé, Sa Majesté du Chef du Canada (Sa Majesté), s’y oppose, pour sa part, sur la base que le présent appel est dépourvu de tout mérite.

[7] Dans l’ordonnance faisant l’objet du présent appel, la Cour fédérale a conclu que la requête de l’appelant visant l’obtention d’une ordonnance d’injonction interlocutoire ne rencontrait aucun des trois critères établis par la jurisprudence pour l’émission d’une telle ordonnance, lesquels obligeaient l’appelant à établir que : (i) puisque, dans ce cas-ci, l’ordonnance qu’il recherche est de type mandatoire, il existe une « forte apparence de droit », par opposition à une question sérieuse à trancher, menant à la conclusion que les intimés sont, à son égard, légalement tenus de communiquer avec lui en anglais et de produire leur preuve en français; (ii) il subira un préjudice irréparable si l’ordonnance recherchée n’est pas émise; et (iii) la prépondérance des inconvénients favorise l’octroi de l’ordonnance recherchée (R. c. Société Radio-Canada, 2018 CSC 5 au para. 15 (Radio-Canada)).

[8] La Cour fédérale a aussi noté, à juste titre, que, pour réussir, l’appelant devait établir chacun des trois volets de ce test (voir : Manitoba (Procureur général) c. Metropolitan Stores Ltd, [1987] 1 R.C.S. 110, p. 127; RJR - MacDonald Inc. c. Canada (Procureur général), [1994] 1 R.C.S. 311, p. 334 (RJR); Landry c. Première Nation des Abenakis de Wolinak, 2021 CAF 197 au para. 97 (Landry)).

[9] Pour les raisons qui suivent, j’estime que la présente requête doit échouer au motif que l’appel lui-même est voué à l’échec.

[10] Le présent appel étant voué à l’échec, je suis aussi d’avis qu’il s’agit ici d’un cas où la Cour est justifiée de le rejeter sommairement sur la base de sa compétence plénière, qui lui confère les pouvoirs nécessaires à la gestion des instances mues devant elle (Dugré c. Canada (Procureur général du Canada), 2021 CAF 8 aux para. 19-25 (Dugré)).

[11] La décision d’accorder ou non une injonction interlocutoire relève d’un pouvoir discrétionnaire, faisant en sorte qu’une cour d’appel doit s’abstenir de modifier une telle décision simplement parce qu’elle aurait exercé ce pouvoir différemment (Radio-Canada au para. 27; Landry au para. 96). Notre Cour doit plutôt se demander ici si la Cour fédérale s’est correctement dirigée en droit. Si c’est le cas, sa décision ne peut être renversée qu’en présence d’une erreur manifeste et dominante dans son appréciation des faits mis en preuve devant elle ou encore dans son application des faits au droit applicable (Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33 aux para. 8 et 10). Le fardeau qui attend l’appelant à ce dernier égard est onéreux (Canada c. South Yukon Forest Corporation, 2012 CAF 165 au para. 46).

[12] Bien que les intimés soulèvent des arguments forts persuasifs quant au bien-fondé de la décision de la Cour fédérale sur le premier volet du test applicable, soit l’absence d’une forte apparence de droit menant à la conclusion que les intimés sont, à l’égard de l’appelant, légalement tenus de communiquer avec lui en anglais et de produire leur preuve en français, j’estime ne pas avoir à décider de cette question puisqu’il m’apparait manifeste que sa conclusion à l’effet que l’appelant n’a pas démontré qu’il subira un préjudice irréparable si l’ordonnance recherchée n’est pas accordée, ne peut être renversée en appel.

[13] L’appelant reproche essentiellement deux choses à la Cour fédérale sur ce point. D’une part, il lui reproche d’avoir exigé une preuve médicale pour appuyer ses allégations de préjudice irréparable. Toutefois, en réplique, il a reconnu que le constat d’absence de preuve médicale par la Cour fédérale n’était pas déterminant à la décision qu’elle a rendue sur le préjudice irréparable, ce qui est effectivement le cas. Ce premier reproche de l’appelant n’a donc aucune chance de succès.

[14] D’autre part, l’appelant soutient que la Cour fédérale a erré « en concluant qu’une perte de jouissance de la vie en réponse à une violation prétendue d’un droit linguistique ne peut constituer un préjudice irréparable ». Or, je ne vois aucun énoncé de la sorte dans la décision de la Cour fédérale sur ce point. Cette décision repose plutôt sur les constats suivants :

  • a)La preuve d’un préjudice irréparable ne ressort pas des publications de l’appelant sur les réseaux sociaux; au contraire, l’appelant y exprime tantôt ses préoccupations, tantôt une certaine forme de désinvolture (i.e. il aime la situation qu’il a créée et il en rit); il y évoque même le fait que l’omission des intimés de communiquer avec lui dans la langue officielle de son choix pourrait lui valoir des compensations financières;

  • b)En soi, une allégation de souffrance ou de perte de jouissance de la vie, qui repose sur des hypothèses, des spéculations ou des affirmations générales, n’est pas suffisante pour établir un préjudice irréparable; et

  • c)Les violations à la LLO alléguées par l’appelant dans la présente requête, peuvent, si elles sont établies, faire l’objet d’une compensation financière aux termes du paragraphe 77(4) de la LLO.

[15] Je ne décèle aucune erreur de droit ou d’erreur manifeste et dominante dans le jugement de la Cour fédérale sur la question du préjudice irréparable. Je ne connais d’ailleurs aucune règle suivant laquelle le seul fait d’alléguer la violation d’un droit linguistique, quelle qu’en soit la source, constitue en elle-même, aux fins d’une demande d’injonction interlocutoire, une forme de préjudice irréparable. Au contraire, que la violation alléguée découle de la LLO ou de la Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.‐U.), il y a toujours cette possibilité d’une réparation juste et convenable, ce qui comprend, lorsque les circonstances le justifient, une condamnation à des dommages et intérêts (Vancouver (Ville) c. Ward, 2010 CSC 27 au para. 4; Administration des aéroports régionaux d’Edmonton c. Thibodeau, 2024 CAF 196 au para. 20).

[16] Le tout dépendra ultimement des circonstances propres à chaque cas. En l’espèce, la Cour fédérale a examiné la preuve qu’elle avait devant elle et a conclu que la preuve de préjudice irréparable présentée par l’appelant n’était pas « probante ». Je ne peux y voir, encore une fois, aucune erreur manifeste et dominante.

[17] J’ajouterais qu’en l’espèce, les intimés ont respecté le choix de la langue des procédures opéré par l’appelant, le français. En exigeant par ailleurs qu’ils correspondent avec lui en anglais et qu’ils produisent leur preuve en français, l’appelant adopte une posture qui n’est pas sans soulever un certain degré de perplexité. Sans doute veut-il tester les limites de ses droits linguistiques – le dossier révèle d’ailleurs qu’il est demandeur dans 16 dossiers de la Cour fédérale et appelant dans 7 dossiers de cette Cour –, mais cela ne le dispense pas, en cherchant à forcer les intimés par voie d’injonction interlocutoire, à respecter ces demandes, de prouver que le préjudice irréparable pouvant résulter pour lui, personnellement, d’un refus d’octroyer l’injonction sollicitée, est ancré dans les faits. Or, à l’évidence, dans la mesure où l’objectif de l’appelant est que la procédure sous-jacente à sa requête en injonction interlocutoire, se déroule sous certains aspects en français, sous certains autres en anglais, il ne l’est pas, pas plus qu’il ne ressort du dossier, si on regarde la question du point de vue des communautés de langue officielle en situation minoritaire, que l’une ou l’autre subirait un préjudice si l’injonction sollicitée par l’appelant lui est ultimement refusée.

[18] Comme indiqué précédemment, pour espérer avoir gain de cause dans le présent appel, l’appelant doit démontrer que la Cour fédérale a erré en rapport avec chacun des trois éléments du test juridique applicable en matière d’injonction interlocutoire mandatoire. S’il échoue sur un de ces éléments, c’est-à-dire s’il n’est pas en mesure de démontrer que son appel a un certain mérite eu égard à cet élément, son appel ne peut réussir. C’est le cas ici.

[19] Cela rend donc futile, à mon sens, la présente demande de prorogation de délai et contrairement à ce que l’appelant prétend, l’intérêt de la justice ne lui est d’aucun secours puisque, comme notre Cour l’a rappelé dans Dugré, « [l]es appels qui sont voués à l’échec, mais qui demeurent néanmoins sur le rôle, donnent lieu à un gaspillage de ressources judiciaires et entravent l’accès à la justice pour ceux qui exercent des recours méritoires (Hébert c. Wenham, 2020 CAF 186 [Wenham], par. 8; Fabrikant c. Canada, 2018 CAF 224, par. 25) » (Dugré au para. 22).

[20] Pour la même raison, le présent appel devrait être rejeté sommairement en vertu de la compétence plénière dont la Cour est investie afin de gérer ses propres instances, laquelle comprend le pouvoir, exercé à de nombreuses reprises, de rejeter sommairement les appels qui n’ont aucune chance de succès, une fois que les parties ont eu l’occasion de faire valoir leur point de vue (Dugré aux para. 23-24). J’estime, ici, dans la mesure où la présente requête en prorogation de délai posait de front la question de savoir si l’appel sous-jacent a un certain mérite, que les parties, et l’appelant en particulier, ont eu cette occasion.

[21] Tout n’était pas perdu pourtant pour l’appelant puisque le dossier révèle qu’il s’est plaint au Commissaire aux langues officielles du refus de l’APH de communiquer avec lui en anglais. Sa plainte a été rejetée sommairement, le Commissaire, n’y voyant aucune violation de la LLO, estimant qu’il n’y avait pas matière à faire enquête. Un recours en vertu de l’article 77 de la LLO était dès lors à la portée de l’appelant.

[22] Avant de conclure, et même s’il ne m’est pas strictement nécessaire de décider de cette question, je souhaiterais exprimer de sérieuses réserves quant à la raisonnabilité de l’explication avancée par l’appelant pour justifier la prorogation requise, laquelle est liée au fait qu’il n’aurait actuellement pas les fonds nécessaires pour payer le coût de la transcription de l’audience devant la Cour fédérale, lequel, je le rappelle, est d’un peu moins de 3000 $.

[23] Or, nous ne sommes pas ici dans un cas d’impécuniosité ou d’accès à la justice: l’appelant occupe un emploi dans la fonction publique fédérale duquel il touche une rémunération annuelle frisant les 80 000 $. Le respect des délais prévus aux Règles ne peut dépendre, dans un cas comme celui-ci, de la disponibilité ou non de liquidités au moment où un acte procédural doit être accompli. Il appartient à l’appelant de faire des choix, peut-être difficiles à certains égards, dans la gestion de ses finances personnelles, lui qui mène de front pas moins de 23 dossiers devant la Cour fédérale et cette Cour.

[24] Je propose donc de rejeter la requête en prorogation de délai de l’appelant et de rejeter sommairement le présent appel. Sa Majesté demande ses dépens à la hauteur d’un montant forfaitaire de 1 500 $. L’APH, elle, demande aussi les dépens et réclame qu’ils soient fixés sur une base avocat-client et qu’ils soient payables immédiatement. Le présent appel était peut-être téméraire mais la conduite de l’appelant n’est pas telle qu’elle justifierait une condamnation au paiement de dépens sur une base avocat-client.

[25] J’estime, dans les circonstances de la présente affaire, que l’appelant devrait verser à chaque intimé, à titre de dépens, la somme de 1 000 $, déboursés compris.

« René LeBlanc »

j.c.a.

« Je suis d’accord.

Richard Boivin j.c.a. »

« Je suis d’accord.

George R. Locke j.c.a. »


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

A-82-25

 

INTITULÉ :

MICHAEL MOREAU c. ADMINISTRATION PORTUAIRE D’HALIFAX ET, SA MAJESTÉ DU CHEF DU CANADA

 

REQUÊTE ÉCRITE DÉCIDÉE SANS COMPARUTION DES PARTIES

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :

LE JUGE LEBLANC

 

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE BOIVIN

LE JUGE LOCKE

 

DATE DES MOTIFS :

LE 13 juin 2025

 

OBSERVATIONS ÉCRITES :

Michael Moreau

 

pour son propre compte

 

Sheila Mecking

 

Pour L’INTIMÉ

ADMINISTRATION PORTUAIRE D’HALIFAX

 

Catherine M.C. McIntryre

 

POUR L’INTIMÉ

SA MAJESTÉ DU CHEF DU CANADA

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Stewart McKelvey

Fredericton (Nouveau-Brunswick)

 

Pour les intimés

ADMINISTRATION PORTUAIRE D’HALIFAX

 

Shalene Curtis-Micallef

Sous-procureure générale du Canada

 

POUR L’INTIMÉ

SA MAJESTÉ DU CHEF DU CANADA

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.