Décisions de la Cour d'appel fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20250620


Dossier : A-205-25

Référence : 2025 CAF 122

[TRADUCTION FRANÇAISE]

En présence de madame la juge ROUSSEL

ENTRE :

UNIVERSAL OSTRICH FARMS INC.

appelante

et

L’AGENCE CANADIENNE D’INSPECTION DES ALIMENTS

intimée

Requête jugée sur dossier sans comparution des parties.

Ordonnance rendue à Ottawa (Ontario), le 20 juin 2025.

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :

LA JUGE ROUSSEL

 


Date : 20250620


Dossier : A-205-25

Référence : 2025 CAF 122

En présence de madame la juge ROUSSEL

ENTRE :

UNIVERSAL OSTRICH FARMS INC.

appelante

et

L’AGENCE CANADIENNE D’INSPECTION DES ALIMENTS

intimée

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

LA JUGE ROUSSEL

[1] L’appelante, Universal Ostrich Farms Inc., interjette appel de la décision du 13 mai 2025 par laquelle la Cour fédérale (2025 CF 878) a rejeté sa demande de contrôle judiciaire visant deux décisions interreliées que l’Agence canadienne d’inspection des aliments (l’ACIA) a rendues en application de l’article 48 de la Loi sur la santé des animaux, L.C. 1990, ch. 21 (la LSA). La première décision, rendue le 31 décembre 2024 après que des tests en laboratoire ont confirmé la détection de cas d’influenza aviaire H5N1 hautement pathogène (l’IAHP), exigeait de l’appelante qu’elle procède à la destruction de toutes les autruches de son élevage au plus tard le 1er février 2025. La deuxième décision, rendue le 10 janvier 2025, rejetait la demande de l’appelante en vue d’obtenir une exemption à l’application des mesures de dépeuplement. La Cour fédérale, dans le jugement porté en appel, a conclu que les deux décisions de l’ACIA étaient raisonnables et qu’elles étaient conformes à l’équité procédurale.

[2] Par voie de requête, l’appelante demande la prise d’une ordonnance suspendant l’exécution de l’avis du 31 décembre 2024 par lequel l’ACIA a ordonné à l’appelante de procéder à la destruction des autruches, et/ou, subsidiairement, interdisant à l’ACIA de réformer les autruches avant que notre Cour tranche l’appel de manière définitive. L’appelante demande également la prise d’une ordonnance lui permettant d’effectuer une analyse diagnostique de son troupeau d’autruches alors que ces dernières sont toujours en quarantaine. Enfin, l’appelante demande, par voie de requête, la prise d’une ordonnance suspendant l’application de toute directive ou politique de l’ACIA selon laquelle il est actuellement interdit de soumettre les autruches en quarantaine à des analyses diagnostiques indépendantes ou effectuées par une entité autre que l’ACIA.

[3] Pour que sa requête puisse être accueillie, l’appelante doit démontrer que cette dernière respecte le critère à trois volets conjonctifs relatif à la suspension ou à l’injonction interlocutoire, que la Cour suprême du Canada a énoncé dans l’arrêt RJR-MacDonald Inc. c. Canada (Procureur général), [1994] 1 R.C.S. 311. Plus particulièrement, l’appelante doit faire la preuve de l’existence d’une question sérieuse à juger, qu’elle subirait un préjudice irréparable si sa requête était rejetée et que, selon la prépondérance des inconvénients, la suspension devrait être accordée.

[4] S’agissant du premier volet du critère, l’appelante soulève plusieurs motifs d’appel dans son avis d’appel. Plus particulièrement, l’appelante allègue que la Cour fédérale a commis une erreur dans son analyse de la politique de l’ACIA en matière d’abattage sanitaire et du mandat de l’ACIA; que la Cour fédérale, dans son contrôle selon la norme de la décision raisonnable, s’en est remis à tort à l’expertise de l’ACIA et n’a pas entièrement tenu compte des conséquences des décisions pour l’appelante, le troupeau d’autruches et l’intérêt du public à l’égard de la recherche scientifique; et que la Cour fédérale a commis une erreur en refusant d’examiner des éléments de preuve pertinents au sujet des décisions de l’ACIA d’interdire les analyses diagnostiques ou d’en restreindre la portée, et en concluant que la façon dont l’ACIA s’était comportée avec l’appelante était conforme à l’équité procédurale. L’appelante affirme également que la décision de la Cour fédérale devrait être annulée pour motif d’assistance non effective de son ancien avocat lors de l’audience relative aux demandes.

[5] Le seuil à respecter en ce qui concerne l’existence d’une question sérieuse à juger est généralement peu élevé. Il suffit en effet de démontrer que les questions soulevées dans l’avis d’appel ne sont ni futiles ni vexatoires (RJR-MacDonald, à la p. 348). J’estime que l’appelante a démontré l’existence d’une question sérieuse à juger.

[6] S’agissant du deuxième volet du critère, l’appelante soutient qu’elle subirait un préjudice irréparable si la suspension n’était pas accordée. L’appelante allègue que la destruction des autruches la contraindra à fermer les portes de son entreprise vieille de 25 ans, à faire une croix sur des décennies consacrées à l’élevage d’un troupeau d’autruches unique et à mettre fin à des initiatives scientifiques et commerciales visant la production d’anticorps à partir de produits sanguins et d’œufs d’autruches aux fins de la création d’un produit biomédical pour le traitement ou le diagnostic de la grippe aviaire.

[7] Ainsi que la Cour suprême du Canada l’a souligné dans l’arrêt RJR-MacDonald, le terme irréparable a trait à la nature du préjudice subi et non à son étendue. Le préjudice irréparable est « un préjudice qui ne peut être quantifié du point de vue monétaire ou un préjudice auquel il ne peut être remédié, en général parce qu’une partie ne peut être dédommagée par l’autre » (RJR‑MacDonald, à la p. 341). À titre d’exemple, la Cour suprême du Canada a mentionné le cas où la décision du tribunal aura pour effet de faire perdre son entreprise à la partie requérante, ou encore le cas où la partie requérante subira une perte commerciale permanente ou un préjudice irrémédiable à sa réputation commerciale (RJR-MacDonald, à la p. 341).

[8] Je retiens la position de l’appelante selon laquelle le dépeuplement de son élevage aura pour elle des conséquences graves et réelles. L’interruption de ses activités commerciales en découlera assurément et entraînera d’importantes pertes financières pour elle. Certes, l’appelante pourrait être admissible à une indemnisation en vertu du Règlement sur l’indemnisation en cas de destruction d’animaux ou de choses, D.O.R.S./2000-233, toutefois, pour les autruches, l’indemnisation peut atteindre un maximum de 3 000 $ par oiseau. Cette somme est inférieure au prix moyen allégué d’environ 7 500 $ pour chaque autruche. Dans l’arrêt David Hunt Farms Ltd. c. Canada (Ministre de l’Agriculture) (C.A.), [1994] 2 C.F. 625, notre Cour a jugé que, dans le cas où « le montant de la perte recouvrable est limité par la loi et que ce montant est substantiellement inférieur à la perte réelle qui sera encourue si l’injonction n’est pas accordée, le préjudice irréparable est établi » (David Hunt Farms, à la p. 633).

[9] Également, je reconnais que le rejet de la requête en suspension aura probablement pour effet de rendre l’appel théorique du fait de la destruction de l’élément qui est au cœur de l’appel.

[10] J’estime donc que l’appelante subira un préjudice irréparable si la suspension n’est pas accordée.

[11] S’agissant du troisième élément du critère, je fais observer que la Cour fédérale a accordé une suspension le 1er février 2025 et que l’intimée a convenu de ne pas procéder à la destruction des autruches avant que la requête en suspension soit tranchée. Cela dit, je reconnais qu’un nouveau report pourrait faire augmenter les risques associés au virus causant l’IAHP et porter atteinte aux accords commerciaux internationaux que le Canada a conclus. Je reconnais également que l’intérêt du public à l’égard de la capacité de l’ACIA à remplir son mandat, lequel consiste à atténuer les risques liés aux maladies animales infectieuses, revêt une importance de premier plan dans l’évaluation de la prépondérance des inconvénients. En revanche, l’appelante doit avoir la possibilité d’exercer valablement son droit d’appel. J’estime que, dans la présente affaire, l’instruction accélérée de l’appel peut permettre l’atteinte d’un juste équilibre entre ces deux intérêts concurrents.

[12] Ainsi, l’instruction accélérée de l’appel sera ordonnée et la suspension sera par conséquent accordée, mais uniquement en ce qui a trait à l’avis du 31 décembre 2024 exigeant de l’appelante qu’elle procède à la destruction de toutes les autruches de son élevage en application du paragraphe 48(1) de la LSA. Les deux autres ordonnances que l’appelante sollicite seront refusées. La suspension sera en vigueur jusqu’à ce que l’appel soit tranché ou, s’il y a lieu, jusqu’à la date que la Cour fixera par ordonnance.

[13] Le présent appel doit faire l’objet d’une instruction accélérée selon les directives qui suivent :

« Sylvie E. Roussel »

j.c.a.

Traduction certifiée conforme

Karyne St-Onge, jurilinguiste principale


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

A-205-25

 

INTITULÉ :

UNIVERSAL OSTRICH FARMS INC. c. L’AGENCE CANADIENNE D’INSPECTION DES ALIMENTS

 

REQUÊTE JUGÉE SUR DOSSIER SANS COMPARUTION DES PARTIES

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :

LA JUGE ROUSSEL

 

DATE DE L’ORDONNANCE :

LE 20 JUIN 2025

 

OBSERVATIONS ÉCRITES PAR :

Umar Sheikh

 

POUR L’ApPelantE

 

Aileen Jones

Banafsheh Sokhansanj

Paul Saunders

 

POUR L’INTIMÉE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Sheikh Law

Victoria (Colombie‑Britannique)

 

POUR L’AppelantE

 

Shalene Curtis-Micallef

Sous-procureure générale du Canada

 

POUR L’INTIMÉE

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.