Date : 20251110
Dossier : A-122-24
Référence : 2025 CAF 204
[TRADUCTION FRANÇAISE]
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CORAM : |
LE JUGE WEBB LA JUGE ROUSSEL LA JUGE BIRINGER |
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ENTRE : |
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DEML INVESTMENTS LIMITED |
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appelante |
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et |
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SA MAJESTÉ LE ROI |
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intimé |
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Audience tenue à Calgary (Alberta), le 13 février 2025,
et observations supplémentaires déposées après l’audience les 29 mai, 13 juin et 20 juin 2025.
Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 10 novembre 2025.
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MOTIFS DU JUGEMENT : |
LE JUGE WEBB |
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Y ONT SOUSCRIT : |
LA JUGE ROUSSEL LA JUGE BIRINGER |
Date : 20251110
Dossier : A-122-24
Référence : 2025 CAF 204
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CORAM : |
LE JUGE WEBB LA JUGE ROUSSEL LA JUGE BIRINGER |
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ENTRE : |
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DEML INVESTMENTS LIMITED |
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appelante |
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et |
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SA MAJESTÉ LE ROI |
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intimé |
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MOTIFS DU JUGEMENT
LE JUGE WEBB
[1] Le ministre du Revenu national (le ministre) a appliqué la règle générale anti-évitement (la RGAÉ) prévue à l’article 245 de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. (1985), ch. 1 (5e suppl.) (la Loi), pour refuser la perte en capital déclarée par DEML Investments Limited (DEML) résultant de la vente de sa participation dans une société de personnes en 2010. DEML a reporté à l’année d’imposition 2007 la presque totalité de la perte en capital nette attribuable à cette perte en capital afin de compenser un gain en capital imposable réalisé par DEML au cours de cette année d’imposition. Le contribuable subit une perte en capital lorsqu’il vend une immobilisation et que le prix de base rajusté (le PBR) de cette immobilisation ainsi que les dépenses engagées en vue de la vente excèdent le produit de disposition de cette immobilisation (alinéa 40(1)b) de la Loi). En l’espèce, rien n’indique que DEML a déclaré un montant au titre des dépenses engagées en vue de la vente de la participation dans la société de personnes ayant entraîné la perte en capital en cause. De plus, nul ne conteste que le produit de disposition de cette participation était de 6 700 000 $.
[2] La Cour canadienne de l’impôt a rejeté l’appel de DEML (2024 CCI 27). DEML interjette appel de cette décision devant notre Cour.
[3] Pour les motifs qui suivent, j’accueillerais en partie l’appel de DEML.
[4] Les dispositions de la Loi mentionnées dans les présents motifs sont celles qui étaient en vigueur au cours de l’année d’imposition où les opérations en cause dans le présent appel ont été réalisées. De plus, plusieurs montants présentent un intérêt dans le cadre du présent appel. Au lieu d’indiquer les chiffres exacts tout au long des présents motifs, nous les arrondissons aux 100 000 $ près à certains endroits.
I. Contexte
[5] L’audience devant la Cour canadienne de l’impôt s’est déroulée sur la base d’un exposé conjoint des faits et de divers documents présentés par les parties. Il n’y a eu aucun témoignage de vive voix. Les parties s’entendent sur les opérations réalisées et leurs répercussions fiscales, mais pas sur l’application de la RGAÉ.
[6] En 2008, Direct Energy Marketing Limited (Direct Energy) (la société mère de DEML) a négocié avec Transglobe Energy Corporation (Transglobe) pour acquérir auprès d’elle certains avoirs miniers (les avoirs miniers). Il s’agissait notamment de droits sur du pétrole et du gaz naturel (qui sont des avoirs miniers canadiens au sens du paragraphe 66(15) de la Loi), de biens amortissables compris dans la catégorie 41 au sens de l’annexe II du Règlement de l’impôt sur le revenu, C.R.C., ch. 945, ainsi que de divers biens d’une valeur nominale.
[7] Transglobe a réalisé plusieurs opérations avant le transfert des biens de Transglobe à Direct Energy. Cette dernière et DEML ont réalisé plusieurs opérations après l’acquisition des biens auprès de Transglobe et avant la vente de la participation dans la société de personnes qui a entraîné la perte en capital en cause.
[8] Les opérations, énoncées dans l’exposé conjoint des faits présenté à l’audience devant la Cour canadienne de l’impôt, peuvent être regroupées ainsi :
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Opérations antérieures à l’acquisition
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En 2008, Transglobe a constitué deux sociétés (1377116 Alberta Ltd.[137] et 1389673 Alberta Ltd.[138]) en tant que filiales à cent pour cent.
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Les sociétés 137 et 138 ont créé une société de personnes (DERP 2).
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Transglobe a transféré :
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(a)une participation de 99 % dans les avoirs miniers à 137 et a fait le choix prévu au paragraphe 85(1) de la Loi pour que :
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les biens amortissables soient transférés pour un montant de 11 286 000 $ (paragraphe 19i) de la réponse déposée auprès de la Cour canadienne de l’impôt);
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les avoirs miniers canadiens soient transférés pour un montant de 34 859 099 $ (paragraphe 19i) de la réponse déposée auprès de la Cour canadienne de l’impôt);
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(b)la participation restante de 1 % dans les avoirs miniers à 138 (les sommes choisies reflétant la participation symbolique transférée).
Une somme égale à la somme choisie pour les avoirs miniers canadiens (34 859 099 $) aurait été ajoutée aux frais cumulatifs à l’égard de biens canadiens relatifs au pétrole et au gaz (les FCBCPG) de 137 au moment du transfert des avoirs miniers canadiens par Transglobe à 137 (élément A figurant à la définition de FCBCPG au paragraphe 66.4(5) de la Loi). De même, une somme égale à la somme choisie pour les biens amortissables (11 286 000 $) aurait été ajoutée à la fraction non amortie du coût en capital (la FNACC), pour 137, des biens de la catégorie 41. Au paragraphe 19i) de la réponse déposée auprès de la Cour canadienne de l’impôt, le ministre a supposé que la juste valeur marchande des biens de la catégorie 41 transférés à 137 était égale à la somme choisie pour ces biens.
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Les sociétés 137 et 138 ont ensuite transféré à DERP 2 leur participation respective dans les avoirs miniers et ont fait le choix prévu au paragraphe 97(2) de la Loi, fixant les sommes choisies pour 137 à 11,3 millions de dollars pour sa participation de 99 % dans les biens amortissables et à 1 $ pour sa participation de 99 % dans les avoirs miniers canadiens (paragraphe 9, étape 4 des motifs du juge de la Cour canadienne de l’impôt). La somme choisie pour 138 pour les biens amortissables reflétait sa participation symbolique dans ces biens. La société 138 a fixé à 1 $ sa participation dans les avoirs miniers canadiens.
Les sommes choisies relativement au transfert des avoirs miniers par 137 à DERP 2 auraient été ajoutées au PBR de la participation de 137 dans DERP 2 (alinéa 97(2)b) de la Loi). Au paragraphe 19j) de la réponse déposée auprès de la Cour canadienne de l’impôt, le ministre a supposé que le PBR de la participation de 137 dans DERP 2 était alors de 11 286 101 $. Le compte de FCBCPG de 137 reflétait encore la somme de 34,9 millions de dollars qui y avait été ajoutée au moment du transfert des avoirs miniers canadiens par Transglobe à 137. Le transfert des avoirs miniers canadiens à DERP 2 n’a pas eu d’incidence sur cette somme, puisque la somme choisie pour les avoirs miniers canadiens transférés à DERP 2 était de 1 $. De plus, selon l’alinéa 96(1)d) de la Loi, le revenu ou la perte d’une société de personnes doit être calculé comme si aucune déduction n’était permise par diverses dispositions liées aux frais relatifs à des ressources (y compris l’article 66.4 pour les FCBCPG). Par conséquent, dans le cas d’une société de personnes, les FCBCPG sont ceux de l’associé et non de la société de personnes. De plus, l’alinéa b) de la définition de « frais à l’égard de biens canadiens relatifs au pétrole et au gaz »
(les FBCPG) figurant au paragraphe 66.4(5) de la Loi ainsi que le paragraphe 66.4(6) de la Loi illustrent ce traitement des FBCPG dans le cas des sociétés de personnes.
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Opération d’acquisition
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Le 30 avril 2008, Direct Energy a acquis auprès de Transglobe les actions de 137 pour un montant de 50 688 330 $ et celles de 138 pour un montant de 512 003 $ (paragraphe 7, étape 5 de l’exposé conjoint des faits). Par conséquent, le PBR pour Direct Energy des actions de 137 était de 50,7 millions de dollars.
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Liquidation de 137 et transfert des avoirs miniers de DERP 2
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Le 28 janvier 2009, Direct Energy a transféré les actions de 137 à DEML et a fait le choix prévu au paragraphe 85(1) de la Loi de les transférer à leur PBR (50,7 millions de dollars). L’exposé conjoint des faits ne mentionne pas le transfert des actions de 138 à DEML. Cependant, les parties ont convenu que, dans le cadre des opérations liées à la vente des avoirs miniers de Redwater à Orion Oil and Gas Corporation (Orion), dont il est question plus loin, DEML a également vendu ses actions de 138 à Orion, ce qui signifie qu’à un certain moment, les actions de 138 ont dû être transférées à DEML.
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Le 29 janvier 2009, 137 a distribué ses biens à DEML lors de sa liquidation et a fait une désignation aux termes de l’alinéa 88(1)d) de la Loi, ce qui a entraîné une augmentation (une majoration) de 39 402 330 $ (passant de 11 286 101 $ à 50 688 431 $) du PBR de la participation de DEML dans DERP 2 acquise auprès de 137 (paragraphe 9, étape 8 des motifs du juge de la Cour canadienne de l’impôt).
Le montant de la majoration prévue à l’alinéa 88(1)d) de la Loi en cause dans le présent appel (39 402 330 $) correspond à la différence entre le PBR des actions de 137 détenues par DEML (50 688 431 $) et le PBR de la participation de 137 dans DERP 2 (11 286 101 $). Le PBR des actions de 137 correspond au montant payé par Direct Energy à Transglobe pour les acquérir. Le PBR de la participation de 137 dans la société de personnes résulte du transfert des avoirs miniers à DERP 2.
Étant donné qu’aux fins de la détermination de ses FCBCPG, DEML est réputée être la même société que 137 et en être la continuation, DEML a ajouté 34 859 099 $ à ses FCBCPG (paragraphe 88(1.5) de la Loi).
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Le 30 janvier 2009, DERP 2 a distribué les avoirs miniers à DEML.
Le PBR de la participation de DEML dans DERP 2 a diminué d’un montant égal à la juste valeur marchande des avoirs miniers transférés de DERP 2 à DEML (sous-alinéa 53(2)c)(v) de la Loi). Les FCBCPG de DEML ont augmenté d’un montant égal à la juste valeur marchande des droits sur du pétrole et du gaz naturel (les avoirs miniers canadiens) transférés de DERP 2 à DEML (élément A figurant à la définition de FCBCPG au paragraphe 66.4(5) de la Loi). DEML a également ajouté à la FNACC des biens de la catégorie 41 un montant égal à la juste valeur marchande des biens de cette catégorie qui lui ont été distribués.
À la fin de l’exercice de DERP 2 (31 janvier 2009), le produit de disposition réputé des avoirs miniers canadiens (la juste valeur marchande de ces avoirs) a entraîné une augmentation du PBR de la participation de DEML dans DERP 2 (sous-alinéa 53(1)e)(viii) de la Loi) et à une réduction correspondante des FCBCPG de DEML (paragraphe 66.4(6) de la Loi et élément F figurant à la définition de FCBCPG au paragraphe 66.4(5) de la Loi).
Compte tenu des opérations énoncées dans l’exposé conjoint des faits, le juge de la Cour canadienne de l’impôt a conclu, au paragraphe 9, étape 9 de ses motifs, que le PBR de la participation de DEML dans DERP 2 était de 34 402 673 $. Le solde du compte de FCBCPG de DEML aurait été de 34 850 099 $ (paragraphe 22a) du mémoire de la Couronne). Il est difficile de savoir si ce montant aurait dû être de 34 859 099 $ (le montant indiqué plus haut aux points 3 et 7 du paragraphe 8). Cependant, le fait de savoir si le montant exact était de 34 850 099 $ ou de 34 859 099 $ n’est pas pertinent en l’espèce. DEML ne conteste pas le montant indiqué dans le mémoire de la Couronne.
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Le 1er février 2009, DEML a transféré les biens qu’elle avait acquis auprès de DERP 2 à une autre société de personnes (LP1) dont elle était une associée minoritaire. Les autres associés étaient liés à DEML. Dans l’exposé conjoint des faits et dans les motifs du juge de la Cour canadienne de l’impôt, rien n’indique la somme choisie relativement au transfert de ces biens à LP1. Comme je l’indique plus haut, le compte de FCBCPG est celui des associés. Ainsi, la somme choisie pour les biens canadiens relatifs au pétrole et au gaz étant vraisemblablement de 1 $, ce transfert d’avoirs miniers canadiens n’aurait pas d’incidence sur le compte de FCBCPG de DEML.
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Vente des avoirs miniers de Redwater
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DEML a accepté de vendre certains des avoirs miniers situés dans le district de Redwater (les avoirs miniers de Redwater) à un acheteur sans lien de dépendance, Orion.
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Le 29 novembre 2010, LP1 a transféré les avoirs miniers de Redwater (évalués à 6 700 000 $) à DEML. Cette dernière les a ensuite transférés de nouveau à DERP 2 pour une somme choisie de 6,7 millions de dollars et a ajouté cette même somme au PBR de sa participation dans DERP 2.
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Le 30 novembre 2010, DEML a vendu sa participation dans DERP 2 et ses actions dans 138 à Orion pour un montant de 6,7 millions de dollars et a déclaré une perte en capital de 45 850 237 $. Au paragraphe 9, étape 12 de ses motifs, le juge de la Cour canadienne de l’impôt a conclu que DEML avait déclaré un PBR de 52 550 237 $ et un produit de disposition de 6 700 000 $ pour sa participation dans DERP 2 (ce qui aurait entraîné une perte en capital de 45 850 237 $). Par conséquent, le PBR et le produit de disposition des actions de 138 n’étaient essentiellement que symboliques. En vertu de l’alinéa 111(1)b) de la Loi, DEML a reporté à l’année d’imposition 2007 une perte en capital nette de 22 439 997 $ (la moitié de 44 879 994 $) afin de compenser un gain en capital imposable réalisé au cours de cette année d’imposition.
II. Décision de la Cour canadienne de l’impôt
[9] À l’audience devant la Cour canadienne de l’impôt, DEML a reconnu qu’il y avait un avantage fiscal à reporter la perte en capital nette attribuable à la perte en capital déclarée résultant de la vente de sa participation dans DERP 2 afin de compenser un gain en capital imposable réalisé en 2007 et que certaines opérations entreprises en lien avec la réalisation de cette perte étaient des opérations d’évitement. Par conséquent, la seule question que la Cour canadienne de l’impôt devait trancher était celle de savoir si les opérations d’évitement constituaient un abus, c’est-à-dire si leur résultat :
-
a)donne lieu à un résultat que les dispositions invoquées visent à empêcher;
-
b)va à l’encontre de la raison d’être de ces dispositions;
-
c)contourne l’application de certaines dispositions de manière à contrecarrer leur objet ou leur esprit.
(Paragraphes 30 et 31 des motifs du juge de la Cour canadienne de l’impôt, citant le paragraphe 69 de l’arrêt Deans Knight Income Corp. c. Canada, 2023 CSC 16 (Deans Knight), rendu par la Cour suprême du Canada.)
[10] Le juge de la Cour canadienne de l’impôt a conclu que les opérations constituaient un abus des dispositions de la Loi relatives aux pertes en capital (les alinéas 3b), 38b), 39(1)b), 40(1)b), 111(1)b), les définitions de « prix de base rajusté »
à l’article 54 et de « perte en capital nette »
au paragraphe 111(8) de la Loi – paragraphe 45 des motifs du juge de la Cour canadienne de l’impôt) car, selon lui, la perte en capital était une perte artificielle puisque DEML détenait toujours les avoirs miniers (sauf les avoirs miniers de Redwater, qui avaient été vendus à Orion) :
[56] Comme l’objet des dispositions relatives aux pertes en capital est de reconnaître les pertes véritables, il y a manifestement abus lorsque des pertes artificielles sont déduites. Cela est d’autant plus vrai lorsque ces pertes sont liées à des avoirs miniers canadiens autres que des immobilisations et seront déduites par l’intermédiaire des comptes de FCBCPG selon un taux d’inclusion de 100 %, ce qui donnera lieu à une double déduction. Comme l’a déclaré l’appelante, un avoir minier canadien n’est pas une immobilisation et n’a pas de PBR. Par conséquent, comment peut-il constituer le fondement économique d’une perte en capital?
[57] Les opérations d’évitement en cause minent l’intégrité du régime relatif aux gains et aux pertes en capital de la Loi, en plus de tirer profit des comptes de FCBCPG.
[58] Par conséquent, je conclus qu’en l’espèce, suivant la RGAÉ, les opérations d’évitement ont entraîné un abus des dispositions relatives aux pertes en capital applicables.
[11] Le juge de la Cour canadienne de l’impôt a ensuite examiné s’il y a eu abus des dispositions du paragraphe 88(1) de la Loi relatives à la majoration et a conclu par l’affirmative :
[69] Je note également que les dispositions relatives à la « majoration » cadrent bien avec celles relatives aux pertes en capital de la Loi. Après tout, c’est le PBR qui est « majoré », et le PBR est un élément essentiel dans le calcul du montant d’un gain ou d’une perte en capital. Ainsi, l’objet et l’esprit des dispositions relatives aux pertes en capital de la Loi, qui sont d’empêcher les pertes artificielles, s’appliquent également aux dispositions du paragraphe 88(1) relatives à la « majoration ». Par conséquent, dans le cadre d’une analyse fondée sur la RGAÉ, l’abus de ces dispositions s’étendrait également aux dispositions relatives à la « majoration » lorsque le PBR est « majoré » en vue de créer la perte artificielle en l’espèce à l’origine de la perte en capital donnant lieu à l’avantage fiscal.
[12] Par conséquent, la Cour canadienne de l’impôt a rejeté l’appel de DEML.
III. Observations présentées après l’audience
[13] À l’audience devant la Cour canadienne de l’impôt, DEML n’a pas plaidé que la RGAÉ ne devrait s’appliquer qu’à une partie de la perte en capital déclarée. L’instance semble s’être déroulée selon la prémisse que la totalité de la perte en capital était attribuable à la majoration du PBR de la participation de DEML dans DERP 2 effectuée en vertu de l’alinéa 88(1)d), et ce, bien que le juge de la Cour canadienne de l’impôt ait correctement indiqué, au paragraphe 9, étape 8 de ses motifs, que le montant de la majoration était de 39 402 330 $ et, au paragraphe 9, étape 12 de ses motifs, que le montant de la perte en capital en cause était de 45 850 237 $.
[14] Le juge de la Cour canadienne de l’impôt a d’abord examiné s’il y avait eu abus des dispositions relatives aux pertes en capital. Après avoir conclu par l’affirmative, il s’est penché sur la deuxième allégation d’abus formulée par la Couronne :
[59] Passons à la deuxième allégation d’abus de l’intimé, à savoir que les opérations d’évitement entreprises pour obtenir la perte en capital ou l’avantage fiscal, par l’augmentation du PBR de la participation de l’appelante dans DERP2, constituaient un abus des dispositions de la Loi. Les dispositions sont les suivantes : les alinéas 88(1)b), c) et d), les sous-alinéas 39(1)b)(i) et (ii), les alinéas 3b), 38b) et 111(1)b) et les définitions de « prix de base rajusté » à l’article 54 et de « perte en capital nette » au paragraphe 111(8), le sous-alinéa 53(1)e)(viii), l’article 66.4 et le paragraphe 66(13) de la Loi.
[15] Il n’est pas fait mention de la partie de la perte en capital attribuable à « l’augmentation du PBR de la participation de [
DEML
] dans DERP2 »
. Le juge de la Cour canadienne de l’impôt a écrit ses motifs comme si la totalité de la perte en capital en cause était attribuable à la majoration effectuée en vertu de l’alinéa 88(1)d). DEML n’ayant jamais soutenu qu’il y avait une partie de la perte en capital qui n’était pas attribuable à la majoration effectuée en vertu de l’alinéa 88(1)d), il n’y a là rien de surprenant.
[16] Cependant, la perte en capital qui a été refusée était de 45 850 237 $, et le montant de la majoration effectuée en vertu de l’alinéa 88(1)d) était de 39 402 330 $. Il est donc évident que ce n’est pas la totalité de la perte en capital qui est attribuable à la majoration effectuée en vertu de l’alinéa 88(1)d). Un montant de 6 447 907 $ de la perte en capital déclarée par DEML et refusée par application de la RGAÉ doit être attribuable à autre chose qu’à la majoration effectuée en vertu de l’alinéa 88(1)d).
[17] Le PBR de la participation de DEML dans DERP 2 serait pris en compte dans la perte en capital déclarée. À l’audience du présent appel, il est devenu évident qu’il y avait une différence inexpliquée dans le calcul de ce PBR.
[18] Le juge de la Cour canadienne de l’impôt a conclu que le PBR de la participation de DEML dans DERP 2, immédiatement après la majoration effectuée en vertu de l’alinéa 88(1)d), était de 50 688 330 $ (paragraphe 9, étape 8 de ses motifs). À l’étape 9, le juge de la Cour canadienne de l’impôt a modifié ce montant pour l’établir à 50 688 431 $. Étant donné que :
-
a)les parties, dans l’exposé conjoint des faits, ont convenu que le PBR de la participation de DEML dans DERP 2, immédiatement après la majoration effectuée en vertu de l’alinéa 88(1)d), était de 50 688 431 $;
-
b)le juge de la Cour canadienne de l’impôt a utilisé le montant de 50 688 431 $ pour calculer le PBR révisé de la participation de DEML dans DERP 2 immédiatement après la distribution des biens de DERP 2 à DEML (paragraphe 9, étape 9 de ses motifs);
il semblerait que le montant de 50 688 330 $ comportait une erreur de typographie et que le PBR de cette participation dans la société de personnes était de 50 688 431 $.
[19] Le juge de la Cour canadienne de l’impôt a conclu que le PBR de la participation de DEML dans DERP 2 immédiatement après la distribution des biens de DERP 2 à DEML (paragraphe 9, étape 9 de ses motifs) était de (8 675 032) $. Il a également conclu qu’à la suite de l’attribution du revenu par DERP 2 à la fin de son exercice, le PBR de la participation de DEML dans DERP 2 était de 34 402 673 $.
[20] À la suite de la distribution par DERP 2 de ses biens à DEML et de l’attribution de son revenu à la fin de son exercice, aucune autre opération qui changerait le PBR de la participation de DEML dans DERP 2, outre le transfert des avoirs miniers de Redwater à DERP 2, n’a été mentionnée dans l’exposé conjoint des faits ou dans les motifs du juge de la Cour canadienne de l’impôt. Par conséquent, compte tenu des conclusions du juge de la Cour canadienne de l’impôt, le PBR de la participation de DEML dans DERP 2 immédiatement avant le transfert des avoirs miniers de Redwater à DERP 2 aurait été de 34 402 673 $.
[21] Les parties et le juge de la Cour canadienne de l’impôt sont tous d’accord pour dire que le transfert des avoirs miniers de Redwater à DERP 2 a entraîné une augmentation de 6 700 000 $ du PBR de la participation de DEML dans DERP 2. Par conséquent, après le transfert des avoirs miniers de Redwater à DERP 2 (et donc immédiatement avant la vente de cette participation à Orion), le PBR de la participation de DEML dans DERP 2 aurait été le suivant :
|
PBR avant le transfert des avoirs miniers de Redwater |
34 402 673 $ |
|---|---|
|
Augmentation du PBR compte tenu des avoirs miniers de Redwater |
6 700 000 $ |
|
PBR révisé |
41 102 673 $ |
[22] Cependant, les parties et le juge de la Cour canadienne de l’impôt étaient tous d’accord que le produit de disposition tiré de la vente de la participation de DEML dans DERP 2 était de 6 700 000 $ et que le PBR de cette participation était de 52 550 237 $, ce qui avait donné lieu à une perte en capital déclarée de 45 850 237 $. Ni l’exposé conjoint des faits ni les motifs du juge de la Cour canadienne de l’impôt n’expliquent comment le PBR de la participation de DEML dans DERP 2 a été établi à 52 550 237 $.
[23] À l’audience du présent appel, lorsqu’on a posé des questions aux avocats de DEML concernant cet écart, ils ont été incapables d’expliquer comment le montant de 52 550 237 $ a été établi. Toutefois, les avocats de la Couronne ont renvoyé la Cour à la note de service interne préparée par DEML en date du 26 mai 2011 (la note de DEML) qui figure au dossier. Cette note présente les calculs suivants du PBR de la participation de DEML dans DERP 2 immédiatement avant la vente de cette participation à Orion :
|
Opération |
Rajustement du PBR |
|---|---|
|
Acquisition de Transglobe |
|
|
Majoration effectuée en vertu de l’alinéa 88(1)d) |
39 402 330 $ |
|
Distribution de la FNACC |
(12 112 166) $ |
|
Distribution des FBCPG |
|
|
Attribution négative des FBCPG (1er février 2009) |
43 349 956 $ |
|
Attribution positive des FBCPG (31 janvier 2009) |
(187 559) $ |
|
Attribution des frais d’aménagement au Canada (31 janvier 2009) |
(1 123 494) $ |
|
Attribution des frais d’exploration au Canada (31 janvier 2009) |
(61 655) $ |
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Attribution du revenu (31 janvier 2009) |
9 084 659 $ |
|
Transfert des avoirs miniers à DERP 2 |
6 700 000 $ |
|
PBR de la participation de DEML dans DERP 2 (novembre 2010) |
[24] À l’audience devant la Cour canadienne de l’impôt, aucune des parties n’a traité du calcul du PBR de la participation de DEML dans DERP 2 mentionné dans la note de DEML (même si la note de DEML figure au dossier soumis sur consentement à la Cour canadienne de l’impôt). Dans le cadre du présent appel, la Couronne a simplement renvoyé la Cour à cette note en réponse aux questions posées par les juges concernant l’écart dans le calcul du PBR compte tenu des conclusions tirées par le juge de la Cour canadienne de l’impôt concernant le PBR, dont il est question plus haut. Par conséquent, la Cour a demandé aux parties de fournir des observations supplémentaires sur les questions suivantes :
1. Comme les parties conviennent que la note de DEML est admise en preuve sur consentement, l’une ou l’autre d’entre elles conteste-t-elle que la note de DEML rend compte de la manière dont cette dernière a calculé le PBR de sa participation dans DERP 2 qu’elle a utilisé pour déterminer la perte en capital qu’elle a déclarée et qui a été refusée? En cas de contestation, les parties doivent en expliquer la raison dans leurs observations. Elles doivent indiquer les autres documents au dossier qui sont d’intérêt pour la question de savoir comment DEML a déterminé le PBR de sa participation dans DERP 2. Elles doivent également déterminer si la note de DEML est une pièce commerciale aux fins de l’application de l’article 30 de la Loi sur la preuve au Canada, L.R.C. (1985), ch. C-5, et, si tel est le cas, les conséquences qui en découleraient;
2. Dans l’hypothèse où la note de DEML rend compte de la manière dont cette dernière a déterminé le PBR de sa participation dans DERP 2, convient-il d’appliquer la RGAÉ à une partie de la perte en capital attribuable à l’augmentation du PBR de la participation de DEML dans DERP 2 découlant de l’attribution du revenu de 9 084 659 $ au 31 janvier 2009?
[25] Les parties ont fourni leurs observations écrites. Avant de traiter des observations, je fais remarquer qu’au paragraphe 19dd) de sa réponse déposée auprès de la Cour canadienne de l’impôt, le ministre a formulé une hypothèse de fait sur le PBR de la participation de DEML dans DERP 2 que DEML a inscrit dans sa déclaration de revenus lorsqu’elle a déclaré la perte en capital en cause. Au paragraphe 12 de l’exposé conjoint des faits déposé auprès de la Cour canadienne de l’impôt, les parties ont souscrit à ce PBR.
[26] Le tableau suivant montre le PBR de la participation de DEML dans DERP 2 que DEML a déclaré dans le calcul de sa perte en capital :
-
a)tel qu’il est supposé par le ministre dans sa réponse;
-
b)tel qu’en ont convenu les parties;
-
c)tel qu’il est indiqué dans la note de DEML :
|
PBR (réponse) |
PBR (exposé conjoint des faits) |
PBR (note de DEML) |
|---|---|---|
|
52 550 237 $ |
52 550 237 $ |
52 550 237 $ |
[27] Bien que le PBR de la participation de DEML dans DERP 2 tel qu’il est indiqué dans la note de DEML soit exactement pareil au PBR tel qu’il est supposé par le ministre dans sa réponse et tel qu’en ont convenu les parties, aucune des parties n’a confirmé que la note de DEML présente le calcul exact de ce PBR.
[28] Au paragraphe 1(a) de ses observations supplémentaires, la Couronne a indiqué ce qui suit :
[TRADUCTION]
La [Couronne] estime que rien au dossier dont dispose la Cour ne lui permet de confirmer, ou d’infirmer, que le calcul présenté dans la note de DEML est, à titre de fait historique, le calcul du PBR que [DEML] a utilisé pour calculer la perte en capital en cause.
[29] Toutefois, la note de DEML est censée présenter un calcul du PBR de la participation de DEML dans DERP 2 au moment pertinent, et la Couronne a reconnu que le PBR de cette participation au moment pertinent était exactement du même montant que celui indiqué dans la note de DEML. Par conséquent, on ne sait trop si la Couronne a accepté que le PBR était de 52 550 237 $ sans savoir comment DEML l’avait calculé.
[30] Bien que la Couronne ait indiqué d’autres documents au dossier qui [traduction] « sont semblables à la note de
DEML
»
, aucun ne mentionne de PBR de 52 550 237 $ (le PBR convenu).
[31] Au paragraphe 2(a) de ses observations écrites, DEML a indiqué ce qui suit :
[TRADUCTION]
La note de DEML ne comporte pas de calcul complet ou exact du PBR de la participation dans DERP 2.
[32] Si le calcul n’est pas complet, il doit donc y avoir un autre montant manquant. Le fait d’ajouter un autre montant modifierait le résultat et changerait le PBR pour un montant autre que le montant convenu.
[33] En ce qui concerne l’observation de DEML sur l’exactitude du calcul du PBR de sa participation dans DERP 2 tel qu’il est indiqué dans sa note, comme le résultat final indiqué dans la note de DEML correspondait exactement au montant convenu, il doit y avoir au moins deux erreurs dans le calcul du PBR tel qu’il est indiqué dans la note de DEML et l’effet net de toutes les erreurs doit être nul, si le PBR tel qu’en ont convenu les parties correspondait au PBR déclaré par DEML dans sa déclaration de revenus.
[34] DEML n’a pas indiqué d’autre document montrant comment a été déterminé le PBR qui, selon les parties, était celui utilisé par DEML dans sa déclaration de la perte en capital en cause.
[35] Aucune des parties n’est disposée à reconnaître que la note de DEML rend compte de la manière dont DEML a déterminé le PBR de sa participation dans DERP 2. Se pose alors la question de savoir pourquoi les parties ont accepté que cette note soit admise en preuve sur consentement sans qu’aucune réserve ni restriction quant à son utilisation soit précisée dans les documents produits avec cette note. Cela soulève également des questions quant à savoir comment la Cour canadienne de l’impôt et notre Cour devaient utiliser les autres documents figurant dans les six volumes de documents comptant près de 1 700 pages.
[36] Quoi qu’il en soit, le présent appel porte sur la décision du ministre, confirmée par la Cour canadienne de l’impôt, d’appliquer la RGAÉ pour refuser la totalité de la perte en capital. Le fait de savoir comment le PBR a été déterminé permettra de cerner les dispositions de la LTA dont il y aurait eu abus.
[37] La note de DEML mentionne un ajout important de 9 084 659 $ au PBR pour l’attribution du revenu à la fin de l’exercice de DERP 2 se terminant le 31 janvier 2009. Selon l’exposé conjoint des faits, Direct Energy a acquis les actions de 137 et de 138 (les deux sociétés associées de DERP 2) le 30 avril 2008 (peu après que DERP 2 a été constituée et a acquis les avoirs miniers le 22 avril 2008). Le 30 janvier 2009, DERP 2 a distribué les avoirs miniers à DEML. Par conséquent, il y a eu une période de 9 mois au cours de laquelle DERP 2 était propriétaire des avoirs miniers, aurait exploité une entreprise et aurait pu gagner un revenu.
[38] Dans sa réponse déposée auprès de la Cour canadienne de l’impôt, le ministre a formulé l’hypothèse de fait suivante :
[TRADUCTION]
19. Pour déterminer les obligations fiscales de [DEML] pour les années d’imposition se terminant les 30 novembre 2007 et 2010, le ministre a formulé les hypothèses de fait suivantes :
[…]
s) Le PBR révisé des parts dans DERP2 détenues par l’appelante au 31 janvier 2009 était maintenant de 46 125 338 $, calculé ainsi :
|
Solde des FBCPG avant la distribution |
[EN BLANC] |
(4 936 568) $ |
|---|---|---|
|
Ajout : FBCPG distribués le 31 janvier |
[EN BLANC] |
43 162 396 $ |
|
Total partiel |
[EN BLANC] |
38 225 828 $ |
|
Ajout : attribution du revenu imposable |
9 084 659 $ |
[EN BLANC] |
|
Frais d’exploration au Canada |
(61 655) $ |
[EN BLANC] |
|
Frais d’aménagement au Canada |
(1 123 494) $ |
[EN BLANC] |
|
Total partiel |
[EN BLANC] |
7 899 510 $ |
|
PBR révisé des parts de DERP2 détenues par [DEML] |
[EN BLANC] |
46 125 338 $ |
[39] Dans ses observations déposées en réponse à celles de DEML, la Couronne a fait observer ce qui suit concernant le paragraphe 19(s) de la réponse :
[TRADUCTION]
3. Cependant, le paragraphe 19(s) de la réponse n’est d’aucune utilité en l’espèce. Les allégations formulées à ce paragraphe ne se rapportent pas aux hypothèses faites par le ministre concernant le fait historique lié à la manière dont l’appelante a calculé le PBR de sa participation dans la société de personnes. Le paragraphe n’indique pas ce qui suit : « Dans le calcul du PBR de sa participation dans la société de personnes, l’appelante a effectué le rajustement X. » Les allégations formulées à ce paragraphe se rapportent plutôt à la compréhension qu’a le ministre de la manière dont les dispositions de la Loi de l’impôt sur le revenu relatives au PBR s’appliquent aux opérations présumées (une question mixte [sic] et de droit).
[40] Cet argument pose deux problèmes. Premièrement, le paragraphe 19(s) indique ce qui suit :
[TRADUCTION]
Pour déterminer les obligations fiscales de [DEML] pour les années d’imposition se terminant les 30 novembre 2007 et 2010, le ministre a formulé les hypothèses de fait suivantes :
[…]
Le PBR révisé des parts dans DERP2 détenues par l’appelante au 31 janvier 2009 était maintenant de 46 125 338 $, calculé ainsi :
[Non souligné dans l’original.]
[41] Au début du paragraphe 19, le ministre formule clairement une hypothèse de fait (et non une hypothèse mixte de fait et de droit), et le libellé du paragraphe (s) confirme que l’hypothèse de fait du ministre était que le PBR « était maintenant de 46 125 338 $ »
compte tenu de l’ajout, entre autres, de l’attribution du revenu de 9 084 659 $. La réponse est un document préparé par la Couronne. À ce stade-ci, la Couronne ne peut pas essayer de faire valoir que le libellé de ce document devrait être interprété d’une manière qui ne reflète pas le sens ordinaire des mots utilisés. Le ministre a considéré le montant de 9 084 659 $ comme une « attribution du revenu imposable »
, puisqu’il a été ajouté au PBR de la participation de DEML dans DERP 2. Toutefois, cet ajout aurait été fait conformément à l’alinéa 53(1)e) de la Loi à titre de part de DEML sur le revenu de DERP 2.
[42] Le deuxième problème que pose cet argument est que la Couronne fait valoir devant notre Cour que le paragraphe exposant les hypothèses de fait du ministre comportait un énoncé mixte de fait et de droit. Dans l’arrêt AgraCity Ltd c. Canada, 2015 CAF 288, notre Cour a noté ce qui suit :
[41] Dans les arrêts R. c. Anchor Pointe Energy Ltd., 2003 CAF 294, et Banque Canadienne Impériale de Commerce c. La Reine, 2013 CAF 122, notre Cour a insisté sur l’exigence que les hypothèses de fait soient limitées aux faits et qu’elles ne comportent pas des énoncés mixtes de fait et de droit. Les faits doivent être dégagés des énoncés en question.
[43] Dans l’arrêt Canada c. Preston, 2023 CAF 178, notre Cour a conclu qu’il ne faut pas forcément radier de la réponse une hypothèse mixte de fait et de droit figurant dans les hypothèses de fait du ministre :
[36] Ce ne sont pas toutes les hypothèses mixtes de fait et de droit qui compromettent ou sont susceptibles de retarder un litige ou qui constituent un abus de procédure. Elles ne laissent pas toutes le contribuable mal informé des faits sur lesquels se fonde le ministre. Comme l’a expressément reconnu la Cour dans l’arrêt BCIC [Banque Canadienne Impériale de Commerce c. Canada, 2013 CAF 122], un énoncé mixte de fait et de droit peut être considéré comme une hypothèse s’il n’y a pas de préjudice, s’il n’existe aucune controverse sur les principes juridiques, ou si les faits sont simples – aussi, ajouterais-je, s’il permet de mieux servir le processus judiciaire.
[Non souligné dans l’original.]
[44] Si, comme le soutient la Couronne devant notre Cour, le paragraphe 19(s) est un énoncé mixte de fait et de droit qui ne reflète aucune hypothèse de fait formulée par le ministre relativement au PBR de la participation de DEML dans DERP 2, la réponse aurait alors comporté une hypothèse erronée qui aurait dû être radiée.
[45] À mon avis, à ce stade-ci (en appel devant notre Cour), la Couronne ne devrait pas contester son propre acte de procédure et soutenir qu’une hypothèse mixte de fait et de droit erronée a été formulée et qu’elle aurait dû être radiée de la réponse. Par conséquent, même s’il s’agit d’une hypothèse mixte de fait et de droit, le fait sous-jacent (le PBR de la participation de DEML dans DERP 2 incluait l’attribution du revenu de 9 084 659 $) est une hypothèse de fait sur laquelle le ministre s’est fondé pour établir la nouvelle cotisation à l’égard de DEML en vue de refuser la perte en capital par application de la RGAÉ.
[46] L’attribution du revenu de 9 084 659 $ à DEML au cours de l’exercice de DERP 2 se terminant le 31 janvier 2009 aurait eu pour effet d’inclure ce revenu dans celui de DEML aux fins de l’application de la Loi. Elle aurait également entraîné une augmentation du même montant du PBR de la participation de DEML dans DERP 2 (alinéa 53(1)e) de la Loi). L’application de la RGAÉ pour réduire une partie du PBR de la participation de DEML dans DERP 2 qui est liée à cette attribution du revenu ferait en sorte que DEML ferait l’objet d’une double imposition : une première fois en raison de l’attribution du revenu et une deuxième fois en raison du gain en capital (ou de la perte en capital réduite) tiré de la vente de la participation dans la société de personnes. Il n’y a aucune allégation d’abus de l’alinéa 53(1)e) de la Loi, qui entraînerait l’ajout du montant du revenu attribué à DEML par DERP 2 (et qui doit être inclus dans le calcul du revenu de DEML) au PBR de la participation de DEML dans DERP 2.
[47] En réponse à la deuxième question posée aux parties, à savoir :
2. Dans l’hypothèse où la note de DEML rend compte de la manière dont cette dernière a déterminé le PBR de sa participation dans DERP 2, convient-il d’appliquer la RGAÉ à une partie de la perte en capital attribuable à l’augmentation du PBR de la participation de DEML dans DERP 2 découlant de l’attribution du revenu de 9 084 659 $ au 31 janvier 2009?
la Couronne a affirmé ce qui suit :
[TRADUCTION]
5. L’intimé réitère ses observations selon lesquelles les résultats des opérations d’évitement ont entraîné un abus de l’objet et de l’esprit des dispositions relatives aux pertes en capital et des dispositions du paragraphe 88(1) relatives à la majoration. Cependant, l’intimé reconnaît que la partie de la perte en capital ayant entraîné un abus devrait se limiter au montant de 39 402 330 $ déclaré à titre d’augmentation du coût/PBR en lien avec les opérations d’évitement énoncées aux étapes 7 et 8.
[48] À la question de savoir si la RGAÉ devrait s’appliquer à une partie de la perte en capital attribuable au revenu de société de personnes attribué à DEML, la Couronne a répondu que « la partie de la perte en capital ayant entraîné un abus devrait se limiter au montant de 39 402 330 $ déclaré à titre d’augmentation du coût/PBR en lien avec les opérations d’évitement énoncées aux étapes 7 et 8 »
(la majoration effectuée en vertu de l’alinéa 88(1)d)). Il est logique de conclure que la Couronne admet que, si le PBR incluait l’attribution du revenu de 9 084 659 $, la RGAÉ n’aurait pas dû s’appliquer, puisque la perte en capital déclarée reflétait le montant ajouté au PBR de la participation de DEML dans DERP 2 par suite de l’attribution du revenu de 9 084 659 $. Il s’agit de la conclusion qu’a tirée DEML au paragraphe 11 de sa réponse aux observations de la Couronne, que cette dernière n’a pas contestée dans sa réponse aux observations de DEML.
[49] Compte tenu de l’hypothèse de fait formulée par le ministre au paragraphe 19(s) de sa réponse, la Couronne ne peut faire valoir devant notre Cour que le PBR de la participation de DEML dans DERP 2 n’incluait pas le revenu attribué par DERP 2 à DEML. Ainsi, comme l’a reconnu la Couronne, « la partie de la perte en capital ayant entraîné un abus devrait se limiter au montant de 39 402 330 $ déclaré à titre d’augmentation du coût/PBR »
par suite de la majoration effectuée en vertu de l’alinéa 88(1)d). Comme je le mentionne plus haut, si la perte en capital est attribuable au montant ajouté au PBR de la participation de DEML dans DERP 2 par suite de l’attribution du revenu de société de personnes à DEML, l’application de la RGAÉ pour réduire cette perte en capital entraînerait une double imposition. À mon avis, la Couronne reconnaît à juste titre que la partie de la perte en capital ayant entraîné un abus devrait se limiter au montant attribuable à la majoration effectuée en vertu de l’alinéa 88(1)d) (et donc ne pas inclure la partie attribuable au revenu de société de personnes attribué à DEML).
[50] Les questions soulevées en l’espèce ne sont donc plus les mêmes que celles soulevées devant la Cour canadienne de l’impôt. Devant cette cour, la Couronne a affirmé que la totalité de la perte en capital déclarée résultait d’un abus des dispositions relatives aux pertes en capital et des dispositions de l’alinéa 88(1)d) relatives à la majoration (paragraphe 34 des motifs du juge de la Cour canadienne de l’impôt). Puisque ce n’est plus la totalité de la perte en capital qui est en litige et que la Couronne reconnaît que l’analyse de l’abus devrait se limiter au montant attribuable à la majoration effectuée en vertu de l’alinéa 88(1)d), je n’ai pas besoin de me prononcer sur l’analyse qu’a faite le juge de la Cour canadienne de l’impôt de la question de savoir si la totalité de la perte en capital résultait d’un abus des dispositions relatives aux pertes en capital. Le présent appel vise à déterminer si l’ajout au PBR de la participation de DEML dans DERP 2 par suite de la majoration effectuée en vertu de l’alinéa 88(1)d) constituait un abus.
[51] Dans ses observations, la Couronne a également soulevé un argument subsidiaire concernant la juste valeur marchande des biens distribués par DERP 2 à DEML (les opérations énoncées au point 8 du paragraphe 8 des présents motifs). Cependant, le présent appel porte sur l’application de la RGAÉ, et non sur la détermination de la juste valeur marchande d’un bien. Il n’y a eu aucune allégation d’abus des dispositions à l’origine des divers rajustements apportés au PBR en lien avec le transfert des biens à DERP 2 ou le retrait des biens de DERP 2. L’allégation d’abus liée à la majoration effectuée en vertu de l’alinéa 88(1)d) découlait de la liquidation de 137. Rien ne justifie d’examiner l’argument subsidiaire proposé par la Couronne.
IV. Question en litige
[52] Dans le présent appel, la question est de savoir s’il y a eu abus des alinéas 88(1)c) et d) de la Loi, qui a entraîné une augmentation du PBR de la participation de DEML dans DERP 2.
V. Analyse
[53] Étant donné que DEML détenait la totalité des actions de 137 et que le PBR de ces actions excédait le coût indiqué des biens détenus par 137, les alinéas 88(1)c) et d) de la Loi, dans leur version en vigueur en 2009, permettaient à DEML de majorer le PBR de la participation dans DERP 2 qu’elle avait acquise auprès de 137. La majoration ne pouvait être appliquée qu’à certaines immobilisations. Les sous-alinéas 88(1)c)(iii) à (vi) de la Loi énonçaient les « biens non admissibles »
. La Couronne ne conteste pas que la participation dans DERP 2 transférée de 137 à DEML était une immobilisation et qu’elle n’était pas un « bien non admissible »
au sens des sous-alinéas 88(1)c)(iii) à (vi) de la Loi. La participation dans la société de personnes était donc admissible à la majoration, sous réserve de l’application de la RGAÉ.
[54] Un avoir minier canadien n’est pas une immobilisation. Aux termes de l’article 54 de la Loi, une immobilisation s’entend d’un bien dont la disposition se traduirait par un gain ou une perte en capital. La disposition d’un avoir minier canadien ne se traduirait pas par un gain ou une perte en capital. Le produit de disposition d’un tel bien serait déduit dans le calcul des frais cumulatifs à l’égard de ce bien. Pour les biens relatifs au pétrole et au gaz (tels que les droits sur du pétrole et du gaz naturel qui font partie des avoirs miniers), l’excédent du produit de disposition sur toute dépense connexe engagée ou effectuée et certaines autres déductions précises est déduit dans le calcul des FCBCPG du vendeur de ce bien (élément F figurant à la définition de FCBCPG au paragraphe 66.4(5) de la Loi).
[55] Si le total des montants déduits dans le calcul des FCBCPG d’un contribuable donné excède le total des montants ajoutés dans le calcul des FCBCPG, le résultat net est déduit dans le calcul des frais cumulatifs d’aménagement au Canada (les FCAC) de ce contribuable et, si les FCAC correspondent à un montant négatif, celui-ci est inclus dans le calcul du revenu de ce contribuable (élément L figurant à la définition de FCAC au paragraphe 66.2(5) de la Loi, alinéa 59(3.2)c) et paragraphe 66.2(1) de la Loi; paragraphe 2 du bulletin d’interprétation IT‑125R4 – Dispositions d’avoirs miniers).
[56] Si le solde du compte de FCBCPG est positif à la fin d’une année d’imposition, en général, le contribuable peut déduire jusqu’à 10 % de ce solde dans le calcul de son revenu (par. 66.4(2) de la Loi).
[57] Le sous-alinéa 88(1)d)(ii.1) a été ajouté à la Loi en 2012. Par suite de l’ajout de ce sous‑alinéa, si les opérations avaient été réalisées aujourd’hui, le PBR de la participation de DEML dans DERP 2 n’aurait pas pu être majoré lors de la liquidation de 137, puisque cette disposition limite la majoration pouvant être effectuée à l’égard d’une participation dans une société de personnes qui détient un avoir minier canadien. Cependant, ce sous-alinéa ne s’applique pas à la liquidation de 137, puisqu’elle a eu lieu en 2009.
[58] Nul ne conteste que les opérations entreprises par Direct Energy, DEML et 137 satisfaisaient aux exigences techniques de la Loi pour permettre à DEML de majorer le PBR de la participation dans DERP 2 qu’elle avait acquise auprès de 137 lors de la liquidation de cette dernière en 2009. Nul ne conteste non plus qu’il y a eu avantage fiscal et que les opérations ayant mené à la majoration effectuée en vertu de l’alinéa 88(1)d) étaient des opérations d’évitement. La question en litige se rapporte à la troisième étape de l’analyse fondée sur la RGAÉ énoncée par la Cour suprême du Canada au paragraphe 51 de l’arrêt Deans Knight, à savoir si les opérations d’évitement ayant généré l’avantage fiscal étaient abusives.
[59] Selon la RGAÉ, pour déterminer si une opération d’évitement est abusive, la Cour doit aller au-delà du texte de la Loi afin de cerner l’objet ou l’esprit des dispositions pertinentes. Comme l’a fait remarquer la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Copthorne Holdings Ltd. c. Canada, 2011 CSC 63 (Copthorne) :
[66] La RGAÉ est un mécanisme juridique par lequel le législateur confie aux tribunaux la tâche inhabituelle d’aller au‑delà du texte de la disposition invoquée par le contribuable pour en déterminer l’objet ou l’esprit. Il se peut qu’une opération du contribuable respecte à la lettre la disposition en cause sans nécessairement être conforme à l’objet ou à l’esprit de celle‑ci.
[60] Dans l’arrêt Deans Knight, la Cour suprême du Canada a noté ce qui suit :
[58] Pour déterminer si une opération est abusive, le tribunal doit cerner l’objet et l’esprit des dispositions dont il y aurait abus, eu égard aux dispositions elles-mêmes, à l’économie de la Loi et aux moyens extrinsèques admissibles (Trustco, par. 55). L’objet et l’esprit des dispositions a été qualifié de [traduction] « raison d’être qui sous‑tend des dispositions particulières ou interdépendantes de la Loi » (Copthorne, par. 69, citant V. Krishna, The Fundamentals of Income Tax Law (2009), p. 818).
[59] À ce stade, il est crucial de distinguer la raison d’être d’une disposition des moyens qui ont été choisis pour y donner effet. Le processus de rédaction consiste à traduire les objectifs du gouvernement sous forme législative afin de créer des règles intelligibles et juridiquement efficaces (voir, p. ex., Canada, Bureau du Conseil privé, Lois et règlements : l’essentiel (2e éd. 2001), p. 127‑135). Les moyens choisis par les légistes et adoptés par le Parlement sont des indices pertinents dans le cadre de l’analyse du texte, du contexte et de l’objet, puisqu’ils peuvent donner un éclairage sur la raison d’être qui sous‑tend la disposition. Cela étant dit, les moyens n’expliquent pas nécessairement de manière exhaustive pourquoi la disposition a été adoptée (Canada c. Oxford Properties Group Inc., 2018 CAF 30, [2018] 4 R.C.F. 3, par. 101). Ce constat ne signifie pas que le Parlement est incapable d’exprimer ses objectifs sous forme de dispositions législatives efficaces — bien au contraire : lorsqu’il conçoit des critères juridiques, le Parlement cherche à établir une norme générale qui soit la plus fidèle à ses objectifs, à partir des choix qui s’offrent à lui et qui sont réalisables. Toutefois, même l’application de la disposition rédigée le plus minutieusement possible est susceptible d’abus, ce qui explique l’existence de la RGAÉ qui sert à en protéger la raison d’être sous‑jacente.
[61] Par conséquent, il faut déterminer la raison d’être des alinéas 88(1)c) et d) de la Loi. Dans l’arrêt Canada c. Oxford Properties Group Inc., 2018 CAF 30 (Oxford Properties), notre Cour a fait remarquer ce qui suit :
[76] Selon l’alinéa 88(1)a), lors d’une fusion verticale, la société mère est réputée avoir acquis les biens de sa filiale au coût aux fins de l’impôt pour la filiale. Toutefois, avant la liquidation, il se peut que le coût aux fins de l’impôt, pour la société mère, des actions dans sa filiale (le PBR des actions) soit supérieur au coût aux fins de l’impôt des biens sous-jacents de la filiale. Au moment de la fusion verticale, ces actions disparaîtront. En l’absence de rajustement, le coût aux fins de l’impôt de ces actions disparaîtrait lui aussi, ce qui pourrait donner lieu à une double imposition si les biens sous-jacents étaient vendus ultérieurement. Cette situation pourrait survenir, parce que le coût réputé des biens sous-jacents dans les mains de la société mère, soit le coût aux fins de l’impôt pour la filiale, ne refléterait aucune augmentation de valeur jusqu’au moment de la liquidation.
[77] La majoration prévue aux alinéas 88(1)c) et d) permet de corriger cette situation. Il faut d’abord calculer la différence entre le PBR des actions de la société mère et le coût aux fins de l’impôt des biens de la filiale. Le résultat obtenu peut ensuite être ajouté au coût aux fins de l’impôt des immobilisations non amortissables dont la société mère a hérité de sa filiale. Autrement dit, le coût aux fins de l’impôt de ces immobilisations est majoré. La majoration permet essentiellement de préserver le PBR qui disparaîtrait autrement au moment de la fusion verticale et de le transférer à d’autres biens qui sont imposés de la même manière.
[78] Le sous-alinéa 88(1)c)(iii) interdit à la société mère de majorer le coût des « bien[s] non admissible[s] », qui incluent les biens amortissables. Le problème que la majoration vise à régler est celui de la disparition des actions et de leur coût aux fins de l’impôt (le PBR des actions), ce qu’on parvient à faire en préservant le PBR qui disparaîtrait autrement et en le transférant à un actif qui est imposé en fonction du même taux d’inclusion. Le fait de permettre que des biens imposés en fonction d’un taux d’inclusion de 50 p. 100 augmentent la valeur des biens imposés en fonction d’un taux d’inclusion de 100 p. 100 entraînerait une perte de revenus fiscaux évidente. Voilà pourquoi les biens amortissables et les autres types de bien visés par un taux d’inclusion de 100 p. 100 ne peuvent pas être majorés.
[62] Essentiellement, la raison d’être des dispositions relatives à la majoration (alinéas 88(1)c) et d) de la Loi) est de permettre à une société mère de préserver une partie ou la totalité du PBR des actions d’une filiale qui disparaîtrait lorsque ces actions disparaîtraient elles aussi lors de la liquidation de la filiale (ou au moment de la fusion verticale de la filiale avec sa société mère, comme c’était le cas dans l’affaire Oxford Properties) en permettant à la société mère d’ajouter une partie ou la totalité de ce PBR disparu au PBR des immobilisations non amortissables acquises par la société mère lors de la liquidation de la filiale. Cette façon de faire réduirait le risque de double imposition relevé au paragraphe 76 de l’arrêt Oxford Properties. Comme il est indiqué dans cet arrêt, le bien auquel le PBR est effectivement transféré doit être une immobilisation non amortissable qui serait imposée au même taux d’inclusion que les actions de la filiale qui disparaîtront lors de sa liquidation.
[63] Dans l’affaire Oxford Properties, la question était celle de savoir s’il y avait eu abus des dispositions relatives à la majoration pour contourner l’application du paragraphe 100(1) de la Loi. Si une personne dispose d’une participation dans une société de personnes en faveur d’une personne visée au paragraphe 100(1.1) de la Loi, le gain en capital imposable résultant de la vente de cette participation qui est attribuable à une augmentation de la valeur des biens amortissables détenus par la société de personnes ne sera pas inclus dans le calcul du revenu au taux de 50 % applicable aux gains en capital. Il sera plutôt inclus en totalité dans le calcul du revenu à titre de gain en capital imposable.
[64] Dans l’affaire Oxford Properties, pour contourner l’application du paragraphe 100(1) de la Loi, une série d’opérations complexes ont été entreprises sur une période d’environ cinq ans. Un résumé de celles-ci est présenté aux paragraphes 7 à 13 de l’arrêt Oxford Properties. Parmi ces opérations, mentionnons le recours à des sociétés de personnes à paliers multiples et la majoration prévue à l’alinéa 88(1)d) dont s’est servie Oxford Properties pour augmenter le PBR de la participation dans la société de personnes qu’elle détenait avant la vente de cette participation à une personne visée au paragraphe 100(1.1) de la Loi. La société de personnes détenait des biens immobiliers ayant un PBR et une FNACC faibles.
[65] Comme je l’indique plus haut, le sous-alinéa 88(1)d)(ii.1) a été ajouté à la Loi en 2012. Ce sous-alinéa limite également la majoration pouvant être effectuée à l’égard d’une participation dans une société de personnes qui détient des biens amortissables. Par suite de l’ajout de ce sous-alinéa à la Loi, les opérations réalisées dans l’affaire Oxford Properties n’auraient pas entraîné la majoration du PBR de la participation dans la société de personnes déclaré si elles avaient été entreprises après l’ajout de cette disposition à la Loi. Dans son examen des répercussions de cet ajout, qui a été fait après la réalisation des opérations dans l’affaire Oxford Properties, notre Cour a déclaré ce qui suit :
[90] La question de savoir si le nouveau sous-alinéa 88(1)d)(ii.1) est de droit nouveau dans le contexte de la RGAÉ doit cependant être examinée en tenant compte du sens des dispositions antérieures, interprétées en fonction de leur raison d’être. À cet égard, il ressort de l’analyse menée par le juge de la Cour de l’impôt à l’égard des dispositions telles qu’elles existaient avant la modification (motifs, paragraphes 142 à 146 et 164 à 168) que le nouveau sous-alinéa 88(1)d)(ii.1) exprime en termes exprès une raison d’être qui existait déjà. Notamment, les dispositions antérieures établissaient déjà une distinction entre les biens amortissables et les biens non amortissables, et ce, dans l’unique but de tenir compte du traitement fiscal distinct réservé aux deux types de biens sous le régime de la Loi au moment de déterminer lesquels sont admissibles à la majoration et lesquels ne le sont pas. Le recours à des sociétés de personnes à paliers multiples pour contourner le traitement distinct de ces biens contrecarre la raison d’être de la distinction que ces dispositions établissaient déjà.
[66] Les remarques concernant la distinction faite entre les immobilisations non amortissables et les biens amortissables en lien avec la majoration prévue à l’alinéa 88(1)d) s’appliquent également en l’espèce aux avoirs miniers canadiens. La majoration prévue à l’alinéa 88(1)d) ne peut être effectuée qu’à l’égard des immobilisations non amortissables, et un avoir minier canadien n’est pas une immobilisation. La conclusion tirée par notre Cour dans l’arrêt Oxford Properties selon laquelle « le nouveau sous-alinéa 88(1)d)(ii.1) exprime en termes exprès une raison d’être qui existait déjà »
s’applique également en l’espèce. Le recours à une société de personnes pour majorer le PBR de la participation dans une société de personnes qui détient un avoir minier canadien va à l’encontre de la distinction établie entre une immobilisation non amortissable et un avoir minier canadien, puisqu’il y a alors majoration du PBR de la participation dans une société de personnes dont la valeur sous-jacente est attribuable à un avoir minier canadien. Le traitement fiscal lié à la disposition d’une participation dans une société de personnes (une immobilisation) est fondamentalement différent de celui lié à la vente d’un avoir minier canadien. Comme je l’indique plus haut, le produit de la vente de droits sur du pétrole et du gaz naturel réduit les FCBCPG du vendeur.
[67] Le traitement du coût d’acquisition d’un avoir minier canadien constitue une autre différence dans le cadre du présent appel. En l’espèce, les avoirs miniers canadiens étaient des droits sur du pétrole et du gaz naturel. Le coût d’acquisition de ces droits a été ajouté d’abord aux FCBCPG de 137 puis, lors de la liquidation de 137, à ceux de DEML. Il n’a pas été ajouté à ceux de DERP 2 puisque, comme je l’indique plus haut, le compte des FCBCPG était celui des associés de DERP 2. Comme je le mentionne également plus haut, la somme choisie au moment du transfert des avoirs miniers canadiens à DERP 2 était de 1 $. J’explique plus en détail ci-après les conséquences liées à l’ajout du coût de ces droits aux FCBCPG de DEML.
[68] Dans le cadre du présent appel, le bien à l’égard duquel la majoration a été effectuée était la participation de DEML dans DERP 2. Si, après la liquidation de 137, le PBR de cette participation était majoré à 50,7 millions de dollars et que DEML devait la vendre pour le même montant (également le montant payé par Direct Energy à Transglobe pour acquérir les actions de 137), DEML ne réaliserait pas de gain ni de perte sur la vente de cette participation, mais elle disposerait tout de même du montant de 34,9 millions de dollars qui avait été ajouté à ses FCBCPG qu’elle pourrait déduire, au fil du temps, dans le calcul de son revenu ou utiliser pour mettre à l’abri la vente d’un autre bien canadien relatif au pétrole et au gaz.
[69] DEML axe ses arguments sur l’application technique des dispositions de l’alinéa 88(1)d) de la Loi et des règles relatives aux avoirs miniers canadiens. Essentiellement, elle soutient qu’à l’époque en cause, l’alinéa 88(1)d) ne limitait pas la majoration pouvant être effectuée. DEML fait également valoir que, selon les règles relatives aux avoirs miniers canadiens, les FCBCPG d’une société de personnes sont ceux de la société de personnes et qu’ils sont déterminés conformément aux dispositions applicables. Par conséquent, DEML soutient que l’utilisation de la disposition relative à la majoration en l’espèce ne constitue pas un abus. Cependant, cet argument ne tient pas compte du devoir de la Cour d’aller au-delà du texte de la loi, comme il est indiqué dans l’arrêt Copthorne :
[66] La RGAÉ est un mécanisme juridique par lequel le législateur confie aux tribunaux la tâche inhabituelle d’aller au‑delà du texte de la disposition invoquée par le contribuable pour en déterminer l’objet ou l’esprit. Il se peut qu’une opération du contribuable respecte à la lettre la disposition en cause sans nécessairement être conforme à l’objet ou à l’esprit de celle‑ci.
[70] En ne s’attardant qu’au texte de l’alinéa 88(1)d) de la Loi, DEML ne tient pas compte des enjeux liés au dédoublement des attributs fiscaux. Il y aurait une augmentation du PBR de la participation dans la société de personnes attribuable à la juste valeur marchande des avoirs miniers canadiens détenus par DERP 2. Cette augmentation se reflète dans le PBR des actions de 137 détenues par DEML, puisque Direct Energy a acheté ces actions auprès de Transglobe, mais pas dans le PBR de la participation de DERP 2, puisque la somme choisie pour le transfert de ces avoirs miniers canadiens à DERP 2 était de 1 $. Parallèlement, DEML conserve un solde élevé dans son compte de FCBCPG (34,9 millions de dollars) en lien avec les mêmes avoirs miniers canadiens.
[71] Dans le cadre du présent appel, il importe également de tenir compte des conséquences fiscales qui s’ensuivraient si le PBR de la participation de DEML dans DERP 2 n’avait pas été majoré lors de la liquidation de 137. Selon les opérations énoncées dans l’exposé conjoint des faits et la conclusion du juge de la Cour canadienne de l’impôt figurant au paragraphe 9, étape 7 de ses motifs, le PBR de cette participation aurait été de 11,3 millions de dollars. Si cette participation avait été vendue pour un montant de 50,7 millions de dollars (le montant payé par Direct Energy à Transglobe pour acquérir les actions de 137) alors que DERP 2 détenait encore les avoirs miniers, le gain en capital aurait été de 39,4 millions de dollars (50,7 millions de dollars - 11,3 millions de dollars). Ce gain aurait été attribuable à la valeur des avoirs miniers canadiens, lesquels n’auraient pu donner lieu à une majoration. Le taux d’inclusion des gains en capital étant de 50 %, un gain en capital de 39,4 millions de dollars aurait fait en sorte qu’un gain en capital imposable de 19,7 millions de dollars aurait été ajouté au revenu de DEML.
[72] Toutefois, le coût fiscal associé à l’acquisition de ces avoirs miniers canadiens (34,9 millions de dollars) se reflétait dans les FCBCPG de DEML. Cette dernière pouvait déduire la totalité des 34,9 millions de dollars, bien qu’au taux de 10 % par année. Si elle détenait d’autres biens relatifs au pétrole et au gaz, DEML aurait pu les vendre pour un montant de 34,9 millions de dollars sans avoir à inclure dans son revenu le montant provenant de ces ventes.
[73] Par conséquent, même si le montant inclus dans le revenu de DEML à titre de gain en capital avait été de 19,7 millions de dollars, puisque DEML avait encore des FCBCPG de 34,9 millions de dollars attribuables à ces opérations, DEML aurait pu, au fil du temps, mettre à l’abri un revenu plus élevé (34,9 millions de dollars) que ce qu’elle aurait été tenue de déclarer à titre de gain en capital imposable (19,7 millions de dollars). Il n’y aurait aucun enjeu de double imposition comme il en a été question au paragraphe 76 de l’arrêt Oxford Properties. Il y aurait plutôt une diminution nette d’impôt.
[74] À mon avis, autoriser une majoration de 39,4 millions de dollars du PBR de la participation de DEML dans DERP 2 irait à l’encontre de la raison d’être des dispositions des alinéas 88(1)c) et d) de la Loi, qui est de permettre à une société mère d’éviter la disparition du PBR des actions d’une filiale lors de la liquidation de cette filiale. La disparition du PBR entraînerait, à un certain moment, un gain en capital qui n’aurait pas été réalisé si le PBR avait été préservé. La raison d’être de ces dispositions n’est pas de permettre à une société mère d’avoir accès à une augmentation du PBR de la participation dans une société de personnes détenue par cette filiale et aux FCBCPG de la filiale attribuables aux avoirs miniers canadiens qui sont détenus par cette société de personnes.
VI. Conclusion
[75] Par conséquent, je suis d’avis que la RGAÉ s’applique et justifie le refus de la partie de la perte en capital attribuable à la majoration effectuée en vertu de l’alinéa 88(1)d). La perte en capital déclarée par DEML était de 45 850 237 $. Elle devrait être réduite de 39 402 330 $ pour s’établir à 6 447 907 $. La perte en capital nette qui serait ainsi reportée à 2007 serait de 3 223 954 $.
[76] J’accueillerais l’appel en partie. J’annulerais la décision rendue par la Cour canadienne de l’impôt. Rendant la décision que la Cour canadienne de l’impôt aurait dû rendre, j’accueillerais en partie l’appel interjeté par DEML à l’encontre de la nouvelle cotisation établie par le ministre et je renverrais l’affaire au ministre pour qu’il procède à un nouvel examen et établisse une nouvelle cotisation sur le fondement que la perte en capital déclarée par DEML en 2010 ne devrait être réduite que de 39 402 330 $, qui correspond à la partie attribuable au montant ajouté au PBR de la participation de DEML dans DERP 2 par suite de l’application des alinéas 88(1)c) et d) de la Loi lors de la liquidation de 137. Dans le cadre du présent appel et devant la Cour canadienne de l’impôt, je n’adjugerais aucuns dépens à l’une ou l’autre des parties.
« Wyman W. Webb »
j.c.a.
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« Je suis d’accord. |
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Sylvie E. Roussel j.c.a. » |
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« Je suis d’accord. |
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Monica Biringer j.c.a. » |
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Traduction certifiée conforme Sophie Reid-Triantafyllos, jurilinguiste principale |
COUR D’APPEL FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
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DOSSIER : |
A-122-24 |
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INTITULÉ : |
DEML INVESTMENTS LIMITED c. SA MAJESTÉ LE ROI |
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LIEU DE L’AUDIENCE : |
CALGARY (ALBERTA) |
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DATE DE L’AUDIENCE : |
LE 13 FÉVRIER 2025 |
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MOTIFS DU JUGEMENT : |
LE JUGE WEBB |
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Y ONT SOUSCRIT : |
LA JUGE ROUSSEL LA JUGE BIRINGER |
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DATE DES MOTIFS : |
LE 10 novembre 2025 |
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COMPARUTIONS :
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Anu Koshal Raj Juneja Almut MacDonald |
POUR L’APPELANTE |
|
Grant Nash Carla Lamash |
POUR L’INTIMÉ |
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
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McCarthy Tétrault S.E.N.C.R.L., s.r.l. Toronto (Ontario) |
POUR L’APPELANTE |
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Shalene Curtis-Micallef Sous-procureure générale du Canada |
POUR L’INTIMÉ |