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Date : 20130919

Dossier : A‑562‑12

 

Référence : 2013 CAF 222

CORAM :      LE JUGE NADON

LE JUGE PELLETIER

LA JUGE GAUTHIER

 

 

 

ENTRE :

DOUGLAS RODGER

 

demandeur

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

défendeur

 

Audience tenue à Vancouver (Colombie‑Britannique), le 18 septembre 2013.

Jugement rendu à Vancouver (Colombie‑Britannique), le 19 septembre 2013.

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                        LA JUGE GAUTHIER

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                         LE JUGE NADON

                                                                                                                      LE JUGE PELLETIER

 

 


FCAHdrF

 


Date : 20130919

Dossier : A‑562‑12

 

Référence : 2013 CAF 222

CORAM :      LE JUGE NADON

LE JUGE PELLETIER

LA JUGE GAUTHIER

 

 

 

ENTRE :

DOUGLAS RODGER

 

demandeur

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

défendeur

MOTIFS DU JUGEMENT

LA JUGE GAUTHIER

[1]               Douglas Rodger sollicite le contrôle judiciaire de deux décisions d’un juge‑arbitre. Par la première, ce dernier a rejeté l’appel interjeté par le demandeur de la décision par laquelle un conseil arbitral (le conseil) (CUB 79268) avait rejeté son appel du refus de la Commission d’antidater sa demande de prestations en vertu du paragraphe 10(4) de la Loi sur l’assurance‑emploi (L.C. 1996, ch. 23) (la Loi), et ce, parce qu’il n’avait pas démontré qu’il avait un motif valable au sens de ladite disposition. Par la deuxième décision, le juge‑arbitre a rejeté la requête en réexamen du demandeur (CUB 79268A), présentée en vertu de l’article 120 de la Loi.

 

[2]               Pour les motifs exposés ci‑dessous, la demande de contrôle judiciaire devrait être rejetée.

 

LES FAITS

[3]               Le demandeur a été à l’emploi d’Otto’s Service Centre Ltd., à Ottawa, du 24 août 2009 au 13 août 2010. Son employeur ne lui a remis son relevé d’emploi (RE) que le 3 septembre 2010. Le RE contenait un avis indiquant ce qui suit : « Si vous présentez votre demande plus de quatre semaines après avoir arrêté de travailler, vous risquez de ne pas recevoir toutes les prestations auxquelles vous avez droit. »

 

[4]               Le 4 septembre 2010, le demandeur s’est rendu à un bureau de Service Canada pour présenter une demande de prestations d’assurance‑emploi (AE). Une fois sur place, il a constaté que son RE comportait plusieurs erreurs. Un représentant de Service Canada l’a informé qu’il devait obtenir un nouveau RE. Le demandeur a alors parlé à un autre agent de la possibilité de suivre des cours à temps plein à l’université tout en recevant des prestations d’AE. La teneur exacte de cette discussion est au cœur des différentes procédures dans le présent dossier et il en sera question lors de l’examen des conclusions du conseil et du juge‑arbitre un peu plus loin. Voici ce qui est clair : aucune demande de prestations d’AE n’a été présentée en 2010.

 

[5]               En fait, ce n’est que le 27 avril 2011, après avoir terminé ses cours et reçu un RE corrigé de son employeur précédent, daté du 27 avril 2011, que le demandeur a présenté une demande de prestations d’AE. Le 25 juillet 2011, il a demandé à la Commission d’antidater sa demande au 26 août 2010 en vertu du paragraphe 10(4) de la Loi. Le 15 septembre 2011, la Commission a avisé le demandeur que sa demande avait été rejetée parce qu’il n’avait pas démontré l’existence d’un « motif valable » justifiant son retard à présenter une demande. Ainsi, le demandeur n’était pas admissible à des prestations d’AE puisqu’il n’avait pas accumulé un nombre d’heures suffisant d’emploi assurable au cours de la période d’admissibilité qui précédait sa demande du 27 avril 2011.

 

la Décision du conseil arbitral

[6]               Le 16 septembre 2011, le demandeur a interjeté appel de la décision de la Commission. Par une lettre jointe à son avis d’appel, il a expliqué les raisons pour lesquelles il estimait avoir un motif valable justifiant le retard de huit mois. Voici un extrait de cette lettre :

[traduction]

[4] […] Le motif valable est le fait que j’ai suivi des cours de formation postsecondaire – à plein temps et à la condition d’être présent aux cours – sans avoir l’intention de chercher ou d’obtenir un emploi pendant le programme d’études rigoureux. Je comprenais que les cours de formation autorisés offerts dans le cadre du programme du Sceau rouge de l’Assurance‑emploi ne comprenaient pas les cours que j’avais l’intention de suivre, de plein gré et de ma propre volonté, de sorte qu’il était inutile de demander des prestations d’assurance‑emploi à ce moment‑là.

 

[5] Pourquoi aurais‑je demandé des prestations alors que je savais que je ne serais pas admissible au bénéfice des prestations tant que mes cours ne seraient pas terminés? Le fait est que je n’étais pas à la recherche d’un emploi et que je suivais des cours de formation non autorisés, de sorte que je ne respectais pas deux conditions essentielles pour être admissible au bénéfice des prestations. J’estime donc qu’il est raisonnable de croire que, comme je n’avais pas droit à des prestations en raison du choix que j’avais fait, il était inutile de me soumettre aux formalités du régime d’assurance‑emploi […]

 

[6] Je plaide qu’il s’agissait d’une erreur de droit et je reconnais que la présentation des relevés d’emploi (RE) avant d’entreprendre le programme de formation de huit mois était la bonne démarche. Toutefois, comment un profane, ne connaissant pas les lois et les règlements, aurait‑il pu avoir la possibilité de se renseigner sur les processus liés aux prestations d’AE avant d’être empêtré dans un processus décisionnel injuste, puisqu’il est alors obligé de défendre les gestes qu’il a posés? Il est vrai que sans le savoir je n’ai pas respecté la procédure que prévoit la loi pour réclamer des prestations. Je n’ai toutefois pas eu l’intention de me pénaliser en ne présentant pas les documents avant de suivre les cours de formation, c’est une chose que j’aurais pu faire facilement. […]

 

 

[7]               Par sa décision datée du 11 octobre 2011, le conseil a résumé les éléments de preuve pertinents versés au dossier. Il est utile de reproduire les extraits suivants (à la page 2) :

[traduction] Selon le prestataire, le retard est attribuable à deux erreurs que l’employeur a faites sur le RE et leur correction a pris du temps.

Le prestataire n’avait pas le temps de penser à présenter une demande parce qu’il avait entamé un programme de formation et il avait également des problèmes de logement.

Le prestataire n’avait pas prévu qu’il ne présenterait pas sa demande de prestations d’AE avant le 27 avril 2011, avec un retard de huit mois.

 

[8]               Après avoir fait référence à plusieurs nouveaux documents déposés par le demandeur à l’audience, le conseil a examiné le témoignage de ce dernier, d’une façon assez détaillée, plus particulièrement le contenu de la conversation qu’il a eue au bureau de Service Canada le 4 septembre 2010. Le conseil a entre autres relevé ce qui suit :

[traduction] Le prestataire a déclaré que la représentante à qui il s’est adressé lui a dit qu’il devait obtenir un nouveau RE. Elle ne lui aurait pas dit que la Commission pouvait l’aider à cet égard s’il continuait à éprouver des difficultés. La représentante ne lui a pas dit non plus qu’il devait établir une période de prestations immédiatement même si le RE comportait des erreurs.

 

Le prestataire a demandé de parler à un agent. Au cours de la conversation avec celui‑ci, le prestataire a discuté de la possibilité de suivre un cours universitaire à temps plein. Il a demandé s’il serait admissible à des prestations dans un tel cas. L’agent a répondu qu’il était certain à 99 % que le prestataire ne serait pas admissible. Concernant les possibilités de formations approuvées, il a informé le prestataire de l’existence du programme du « Sceau rouge. »

 

Selon le prestataire, l’agent a numérisé le RE inexact au cours de l’entrevue. Le prestataire a déclaré que l’agent ne lui a à aucun moment dit qu’il devait établir une période de prestations. Le prestataire a déclaré qu’il avait nettement le sentiment, à la fin de l’entrevue, qu’il ne serait pas admissible à des prestations s’il suivait le cours à l’université. Il avait également nettement l’impression de devoir obtenir un RE corrigé avant de présenter une demande de prestations.

 

Le prestataire a déclaré qu’il n’a pas présenté de demande par voie électronique parce qu’il ne croyait pas pouvoir obtenir de prestations pendant qu’il fréquentait l’université et qu’on ne lui avait pas mentionné les conséquences importantes de ne pas lancer le processus à ce moment‑là.

 

 

[9]               Dans ses conclusions de fait, le conseil a également observé :

 

[traduction] Le prestataire a reconnu à l’audience qu’il était arrivé à la conclusion qu’il n’aurait pas droit à des prestations s’il décidait de suivre le cours à l’université. Il a quand même décidé de le suivre parce que, depuis qu’il avait lu le dossier avant l’audience, il voulait améliorer sa condition. Le prestataire a aussi déclaré à l’audience qu’il avait beaucoup appris sur l’antidatation et sur l’obligation de démontrer l’existence d’un motif valable justifiant le retard pour établir une période de prestations.

 

[10]           Après avoir signalé le critère juridique applicable pour rechercher s’il existait un motif valable justifiant le retard, le conseil a conclu comme suit :

[traduction] Le conseil a reconnu que les représentants ne semblent pas avoir bien expliqué qu’il était nécessaire de présenter une demande dans les délais prescrits, mais il a tiré la conclusion de fait que le prestataire n’a pas démontré qu’il avait un motif valable justifiant le retard.

 

 

La décision du juge‑arbitre – CUB 79268

[11]           Par sa lettre datée du 4 décembre 2011, qui résume le fondement de son appel de la décision du conseil, le demandeur a déclaré que le conseil avait mal appliqué les principes consacrés par les deux jurisprudences citées dans sa décision, dont Canada (Procureur général) c. Albrecht, [1985] 1 C.F. 710 (C.A.F.). Par sa lettre du 16 septembre 2011 adressée au conseil, le demandeur a invoqué ce dernier arrêt comme enseignant le critère applicable : l’ignorance de la loi ne constitue pas un motif valable à moins qu’une personne ne démontre comment aurait agi une personne raisonnable placée dans la même situation pour s’assurer des droits et obligations que lui impose la Loi.

 

[12]           En ce qui a trait à ce qui a été dit au bureau de Service Canada le 4 septembre 2010, le demandeur a simplement déclaré :

[traduction] Le représentant m’a informé que je ne pourrais pas recevoir de prestations d’assurance‑emploi pendant mes études et aussi qu’il me faudrait un nouveau relevé d’emploi étant donné que celui que j’avais reçu était rempli d’erreurs.

 

 

[13]           Le demandeur a ensuite soutenu qu’il avait tenté de respecter ses obligations en s’appuyant sur les conseils du représentant de Service Canada et, comme toute personne raisonnable, il ne pouvait pas prévoir qu’il recevrait des renseignements inexacts.

 

[14]           Par sa décision datée du 31 mai 2012 rejetant l’appel, le juge‑arbitre a conclu que le conseil n’avait pas commis d’erreur de droit. Il n’y avait pas eu de déni de justice naturelle et le conseil pouvait conclure de la façon dont il l’avait fait compte tenu des éléments de preuve. À son avis, la décision était raisonnable et conforme à la législation et à la jurisprudence.

 

La décision du juge‑arbitre – CUB 79268A

[15]           Par sa demande datée du 23 juillet 2012 sollicitant le réexamen de la décision mentionnée ci‑dessus en raison de faits nouveaux (article 120 de la Loi), le demandeur a notamment déclaré :

 

[traduction] […] de façon plus générale, les faits exposés au conseil étaient fondés sur ma compréhension limitée du droit et de la loi et ne faisaient pas état de la question centrale. Je n’ai pas véritablement bien expliqué ma version des faits. Vu l’évolution de l’affaire, et pour que la justice soit bien servie, certains faits généraux doivent être reconnus pour que la situation soit mise en perspective, et il convient d’ajouter du contexte et de tenter d’expliquer mes observations initiales plus en profondeur. J’en ai brièvement discuté avec le juge‑arbitre pendant que je présentais mes observations verbales. C’est le moment de présenter à nouveau mon argumentation, maintenant que ma compréhension des enjeux est meilleure et plus équilibrée. J’expliquerai ici le cœur de la question, soit les mauvais renseignements reçus d’un agent de l’assurance‑emploi. […]

 

Cependant, à aucun moment au cours de la conversation je n’ai été informé de l’importance de remplir une demande en ligne et, fait plus important, je n’ai pas été informé de mon inadmissibilité quant à des prestations possibles futures à la fin du programme de formation de huit mois. Au cours de cette séance d’information, j’ai cru comprendre, à la suite d’une longue discussion, que des prestations ne seraient pas versées pour m’aider à subvenir à mes besoins pendant le programme de formation. Toutefois, muni d’un RE corrigé, je pourrais présenter ma demande à la fin du cours de huit mois, si à ce moment‑là la recherche d’un emploi se révélait infructueuse. Ma décision de retourner aux études était en effet fondée sur le report des prestations – la décision était fondée sur de mauvais renseignements. […]

 

J’aimerais changer la déclaration originale que j’ai présentée au conseil, selon laquelle je ne devais pas avoir droit aux prestations pendant mes études. Pendant les 15 derniers mois, je me suis renseigné sur l’antidatation et les responsabilités des employés de l’AE, et je demanderais maintenant à la cour d’antidater le dossier no 11‑1078 au 13 août 2010. […]

 

[…] Par mes observations de fait initiales faites au conseil arbitral, je demandais exactement ce que l’agent d’AE m’avait dit : que l’admissibilité aux prestations d’AE commence à la fin des cours de formation. Ces nouveaux faits ne contredisent pas mes observations de fait initiales présentées au conseil arbitral. Le fait que je n’ai pas été en mesure de formuler clairement tous les détails de l’affaire n’est pas étonnant, notamment parce que je ne savais pas très clairement ce que je revendiquais. [Non souligné dans l’original.]

 

 

[16]           Le 12 août 2010, le juge‑arbitre a rejeté la demande de réexamen après avoir retenu la thèse de la Commission selon laquelle l’article 120 ne fait qu’accorder la [traduction] «  possibilité de faire état de nouveaux faits pertinents qui n’existaient pas au moment où l’audience a eu lieu ». Or, en l’espèce, le demandeur cherchait à plaider à nouveau sa cause. Le juge‑arbitre a conclu que rien ne justifiait le réexamen aux termes de l’article 120.

 

LA DEMANDE DE CONTRÔLE JUDICIAIRE

[17]           Après avoir obtenu l’autorisation de solliciter par la même demande le contrôle judiciaire de ces deux décisions distinctes, le demandeur a déposé un affidavit à l’appui de sa demande, daté du 5 février 2013. Compte tenu de l’objection préliminaire soulevée par le défendeur, il est utile de reproduire les paragraphes controversés :

[traduction]

5. L’agent d’AE m’a dit qu’il serait inutile de présenter une demande de prestations parce que le programme que je voulais suivre ne serait pas visé par les programmes d’études financés par l’AE.

 

6. L’agent d’AE m’a informé qu’il serait possible de présenter ma demande de prestations à la fin du programme de formation.

 

10. Conformément à l’explication de l’agent d’AE concernant la procédure administrative appropriée, j’ai décidé de participer au programme de formation de mon choix et de reporter mon admissibilité aux prestations d’AE.

 

19. Je me suis présenté devant le conseil arbitral et j’ai fourni tous les renseignements à l’audience du 11 octobre 2011. Lors de mon témoignage devant le conseil, j’ai donné tous les détails possibles concernant la présente affaire pour m’assurer qu’il trouve l’erreur. J’ai expliqué la façon dont un agent d’AE m’a dit de ne pas présenter de demande de prestations parce que le programme de formation que je voulais suivre n’était pas visé, et que je pouvais reporter mon admissibilité aux prestations : je serais admissible uniquement le lendemain de la fin des cours.

 

20. Par sa décision du 11 octobre 2011, le conseil arbitral a refusé d’antidater ma demande en raison de l’absence d’un motif valable justifiant le retard (pièce A). Le dossier du tribunal faisait abstraction du fait qu’un agent d’AE m’avait dit que je serais admissible uniquement après la fin du programme de formation et que je pouvais reporter mon admissibilité aux prestations.

 

les Questions en litige

[18]           Comme question préliminaire, le défendeur soutient que les éléments de preuve des paragraphes 5, 6, 10, 19 et 20 de l’affidavit du demandeur [traduction] « ne sont pas admissibles et qu’aucun poids ne doit leur être accordé dans la mesure où les éléments de preuve sont incompatibles avec la preuve dont disposaient le conseil et le juge-arbitre ».

 

[19]           Dans son mémoire, le demandeur a énuméré cinq questions, les deux premières étant de savoir si le conseil a tiré des conclusions de fait erronées et si son interprétation du paragraphe 10(4) de la Loi était erronée en droit.

 

[20]           Dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire de la décision d’un juge-arbitre, il n’appartient pas à la Cour de réexaminer, sur le fond, l’appel de la décision du conseil.

 

[21]           Voici donc les véritables questions en litige dont nous sommes saisis :

 

i)          Le juge arbitre a‑t‑il commis une erreur susceptible de contrôle en maintenant la décision du conseil selon laquelle le demandeur n’avait pas démontré qu’il avait un motif valable justifiant son retard aux termes du paragraphe 10(4) de la Loi?

 

ii)         Le juge arbitre a‑t‑il commis une erreur en rejetant la demande de réexamen du demandeur au motif qu’il n’y avait pas de nouveaux faits pertinents?

 

ANALYSE

[22]           Tout d’abord, en ce qui concerne la question préliminaire, il est évident que le demandeur, qui s’est représenté lui‑même tout au long du processus, a mieux compris, entre le moment où il a présenté la demande d’antidatation de sa demande de prestations auprès de la Commission et le moment où il a présenté sa demande de contrôle judiciaire, l’importance de certains éléments pertinents relativement à son allégation qu’il a été mal informé. Cependant, la portée des mauvais renseignements que lui aurait fournis l’agent d’AE semble avoir également changé : au départ, le demandeur a déclaré que l’agent ne l’aurait pas informé des conséquences importantes de ne pas déposer sa demande en temps opportun (devant le conseil), alors qu’il a déclaré par la suite devant la Cour que l’agent d’AE l’a de fait informé qu’il était inutile de présenter une demande en septembre 2010 et qu’il pourrait toujours la présenter après la fin de ses cours.

 

[23]           Manifestement, si les paragraphes controversés de l’affidavit du demandeur sont destinés à transformer l’omission de l’agent quant à la façon dont le demandeur pouvait conserver ses droits en une affirmation de l’agent selon laquelle il n’était pas nécessaire que le demandeur dépose une demande en 2010 pour conserver son droit d’avoir accès à des prestations d’AE après ses études, je conviens que ces paragraphes ne peuvent pas être pris en compte.

 

[24]           Comme l’a expliqué mon collègue le juge Stratas par l’arrêt Association des universités et collèges du Canada c. Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright), 2012 CAF 22, au paragraphe 19 :

[…] en principe, le dossier de la preuve qui est soumis à notre Cour lorsqu’elle est saisie d’une demande de contrôle judiciaire se limite au dossier de preuve dont disposait la Commission. En d’autres termes, les éléments de preuve qui n’ont pas été portés à la connaissance de la Commission et qui ont trait au fond de l’affaire soumise à la Commission ne sont pas admissibles dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire présentée à notre Cour. Ainsi que notre Cour l’a déclaré dans l’arrêt Gitxan Treaty Society c. Hospital Employees’ Union, 1999 CanLII 7628 (CAF), [2000] 1 C.F. 135, aux pages 144 et 145 (C.A.F.), « [l]e but premier du contrôle judiciaire est de contrôler des décisions, et non pas de trancher, par un procès de novo, des questions qui n’ont pas été examinées de façon adéquate sur le plan de la preuve devant le tribunal ou la cour de première instance ». [Non souligné dans l’original.]

 

 

[25]           Lorsqu’il a discuté de la portée que peuvent avoir les affidavits produits dans le cadre de la procédure en contrôle judiciaire, le juge Stratas a également observé : « On doit s’assurer que l’affidavit ne va pas plus loin en fournissant des éléments de preuve se rapportant au fond de la question déjà tranchée par le tribunal administratif, au risque de s’immiscer dans le rôle que joue le tribunal administratif en tant que juge des faits et juge du fond. »

 

[26]           Même si un plaideur ne comprend pas entièrement la procédure à laquelle il participe, ou ne saisit pas l’importance d’un élément de preuve en particulier, le rôle de notre Cour se limite à contrôler les décisions qui lui sont présentées en fonction des éléments de preuve dont disposait le décideur (Ray c. Canada, 2003 CAF 317, [2003] 4 C.T.C. 206, au paragraphe 5). Il ne s’agit pas en l’espèce d’un des rares cas appelant une exception, par exemple une affaire où la Cour doit décider s’il y a eu manquement à l’équité procédurale. Le juge‑arbitre a tranché l’appel en fonction des éléments de preuve à sa disposition, qui consistait en tous les documents produits devant le conseil et les témoignages relevés dans la décision du conseil, puisqu’il n’y avait pas de transcription de l’audience. La Cour doit se servir du même dossier aux fins du contrôle de la décision du juge‑arbitre.

 

[27]           Lorsqu’il a présenté son premier appel devant le juge‑arbitre, le demandeur tentait de faire instruire de nouveau sa cause au fond. Malheureusement, le rôle du juge‑arbitre ne consistait pas à réexaminer, au fond, son appel de la décision de la Commission, pas plus que le rôle de la Cour, dans le cadre de la procédure en contrôle judiciaire, ne consiste à réexaminer, au fond, l’affaire ou les questions dont était saisi le juge-arbitre, comme je l’ai déjà expliqué.

 

[28]           Cela m’amène à me pencher sur la norme de contrôle applicable aux questions que la Cour doit trancher.

 

[29]           La question de savoir si un prestataire en particulier avait un motif valable, au sens du paragraphe 10(4) de la Loi, pour justifier son retard à présenter sa demande est une question mélangée de fait et de droit (Canada (Procureur général) c. Burke, 2012 CAF 139 au paragraphe 9; Canada (Procureur général) c. Bendetti, 2009 CAF 283 au paragraphe 9). La norme de contrôle applicable à l’égard d’une telle question est celle de la décision raisonnable.

 

[30]           Le demandeur soutient que le juge‑arbitre a commis une erreur de droit isolable qui doit être examinée selon la norme de la décision correcte. Plus précisément, tout en reconnaissant que le conseil a retenu le bon critère juridique, il allègue que le juge‑arbitre n’a pas tenu compte du fait que le conseil n’a pas appliqué ce critère pour décider s’il avait établi l’existence d’un motif valable et de suivre la jurisprudence faisant autorité, enseignant que le retard causé par de mauvais renseignements de la part de la Commission constitue un motif valable. Je ne puis retenir la thèse portant qu’il s’agit de questions de droit isolables.

 

[31]           La question de savoir si le conseil a mal appliqué le critère est une question mélangée de fait et de droit.

 

[32]           En ce qui concerne la soi-disant jurisprudence, laquelle consiste en fait en des décisions rendues par d’autres juges‑arbitres, le demandeur ne comprend pas qu’elle n’est pas, sur le plan juridique, obligatoire pour le juge‑arbitre. L’application du bon critère pour démontrer l’existence d’un motif valable eu égard aux circonstances particulières d’une affaire est essentiellement une question de fait ; la jurisprudence ne peut imposer quelque solution que ce soit.

 

[33]           Gardant cela à l’esprit, j’examinerai le bien‑fondé de la présente demande. Il est évident que le conseil a compris que le demandeur n’a pas présenté une demande en septembre 2010, plus particulièrement par voie électronique, parce qu’il ne croyait pas pouvoir obtenir des prestations pendant qu’il suivait des cours et qu’il n’a pas été informé des conséquences importantes de ne pas entamer le processus à ce moment‑là.

 

[34]           Il y a lieu de signaler que même si le demandeur déclare, au paragraphe 23 de son affidavit, que ce n’est qu’après avoir déposé son appel auprès du juge arbitre qu’il a compris l’importance de présenter une demande par voie électronique avant de commencer ses études, il est clair que le conseil a examiné cette question. Le demandeur a également signalé ce fait au paragraphe 6 de la lettre qu’il a envoyée au conseil le 16 septembre 2011.

 

[35]           Le conseil savait très bien que l’agent de Service Canada n’avait pas dit au demandeur qu’il devait déposer une demande en septembre 2010 s’il avait l’intention de demander des prestations d’AE après ses études. Le conseil le signale expressément : [traduction] « les représentants ne semblent pas avoir bien expliqué qu’il était nécessaire de présenter une demande dans les délais prescrits ».

 

[36]           Il est toutefois également manifeste que le conseil estimait que cette omission était insuffisante pour justifier le retard. Le conseil n’a certainement pas tiré la conclusion de fait que l’agent avait fourni les conseils trompeurs que le demandeur semble maintenant soulever, à savoir qu’il n’était pas nécessaire de présenter quoi que ce soit. Le conseil n’a pas assimilé ces « explications incomplètes » au cas où l’agent « a mal conseillé » le demandeur.

 

[37]           Même si l’on devait examiner les différentes versions des faits données depuis lors, le demandeur a admis qu’il a demandé de parler avec le deuxième agent le 4 septembre 2010 parce qu’il voulait savoir s’il pouvait recevoir des prestations d’AE pendant ses études. Les conseils qu’il a reçus à cet égard étaient tout à fait exacts, puisque le genre d’études qu’il a faites ne lui donnait pas droit à des prestations pendant qu’il les faisait.

 

[38]           La Cour ne dispose pas du contexte exact dans lequel a eu lieu l’autre discussion concernant la possibilité de reporter le versement de prestations d’AE. Rien n’indique que le demandeur a demandé à l’agent s’il devait présenter une demande immédiatement ou uniquement après ses études pour avoir accès à des prestations d’AE plus tard. En fait, à l’audience devant la Cour, le demandeur a reconnu qu’il n’avait pas posé de questions précises à cet égard. Sa demande de renseignements était de nature plus générale. Comme l’a fait valoir le défendeur, il serait difficile pour n’importe quel agent d’envisager toutes les hypothèses possibles. Je conviens qu’en l’espèce il n’y avait aucun motif de conclure que l’agent avait une telle obligation.

 

[39]           Dans les circonstances, je conviens avec le juge‑arbitre que le conseil pouvait conclure comme il l’a fait que l’omission de l’agent de donner des directives explicites au demandeur (le prétendu peu d’informations apparemment fournies), au regard de tous les autres renseignements présentés pour justifier le retard ne constitue pas un motif valable, et ce, en raison notamment de l’avis explicite figurant sur le RE selon lequel une demande doit être déposée dans le délai de quatre semaines.

 

[40]           La conclusion du juge‑arbitre respecte en tout point la norme de la décision raisonnable, qu’il était tenu d’appliquer et selon laquelle il peut y avoir diverses issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, au paragraphe 47).

 

[41]           Aux yeux du demandeur, cette issue peut sembler indûment dure puisqu’il estime qu’il a fait tout ce qu’il pouvait pour se renseigner. Il est vrai que l’obligation imposée aux prestataires de présenter leurs demandes dans les plus brefs délais est très exigeante et rigoureuse. Il existe toutefois une très bonne raison pour cela. Comme il est expliqué dans l’arrêt Canada (Procureur général) c. Beaudin, 2005 CAF 123, cette exigence est essentielle pour veiller à l’intégrité du système et pour permettre à la Commission d’effectuer toutes les vérifications pertinentes quant à l’admissibilité, et elle est particulièrement importante lorsque le prestataire a volontairement quitté son emploi, comme en l’espèce. Ainsi, l’exception prévue au paragraphe 10(4) de la Loi doit être appliquée avec prudence.

 

[42]           J’examinerai maintenant la deuxième décision du juge‑arbitre concernant la demande fondée sur l’article 120 de la Loi. La question qui s’y rapporte – s’il existe de nouveaux faits importants qui justifient l’application de l’article 120 de la Loi – est également d’ordre factuel et doit également être examinée selon la norme de la décision raisonnable.

 

[43]           Comme la Cour l’a observé par l’arrêt Canada (Procureur général) c. Chan, [1994] 178 N.R. 372 (CAF) au paragraphe 10 (Chan), le réexamen aux termes de cet article de la Loi doit demeurer une « mesure très peu fréquente » et le juge‑arbitre doit s’assurer que les « prestataires négligents ou malavisés » n’abusent pas de ce processus. Comme il est signalé de façon non équivoque dans l’arrêt Chan, une version différente plus détaillée des faits déjà connus du prestataire ou la constatation soudaine des conséquences d’actions passées ne constituent pas des faits nouveaux.

 

[44]           Il ressort des extraits reproduits au paragraphe 15 des présents motifs qu’aucun nouveau fait pertinent ne justifiait la demande de réexamen du demandeur. Tous les renseignements dont a fait état le demandeur devant le juge-arbitre dans sa demande de réexamen concernaient des faits qu’il connaissait vraisemblablement déjà et qui sont devenus pertinents aux fins de son argumentation remaniée. Il ne s’agit tout simplement pas d’un cas entrant dans les prévisions de l’article 120 de la Loi. Le juge‑arbitre n’avait d’autre choix que de rejeter la demande du demandeur.

 

CONCLUSION

[45]           À mon avis, le juge‑arbitre n’a commis aucune erreur susceptible de contrôle dans les deux décisions visées par la présente demande de contrôle judiciaire. Je rejetterais l’appel avec dépens, lesquels seraient fixés à 250 $.

 

 

« Johanne Gauthier »

j.c.a.

 

 

 

 

« Je suis d’accord.

          M. Nadon, j.c.a. »

 

 

« Je suis d’accord.

          J.D. Denis Pelletier, j.c. »

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Francois Brunet, jurilinguiste

 


cour d’appel fédérale

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    A‑562‑12

 

 

INTITULÉ :                                                  DOUGLAS RODGER c.
LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                          Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                         Le 18 septembre 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                       LA JUGE GAUTHIER

 

Y ont SOUSCRIT :                                   LES JUGES NADON ET PELLETIER

 

DATE DES MOTIFS :                                 Le 19 septembre 2013

 

 

COMPARUTIONS :

 

Douglas Rodger

 

POUR SON PROPRE COMPTE

 

Nathan Murray

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Douglas Rodger

Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

POUR SON PROPRE COMPTE

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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