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Date : 20131015


Dossier : A‑4‑13

 

Référence : 2013 CAF 243

 

CORAM :      LA JUGE SHARLOW

LE JUGE STRATAS

LE JUGE NEAR

 

 

ENTRE :

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

demandeur

et

DERWIN JEWETT

 

défendeur

 

Audience tenue par vidéoconférence entre Toronto et Thunder Bay (Ontario),

le 19 septembre 2013.

 

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 15 octobre 2013.

 

Motifs du jugement :                                                                                            LA COUR


Date : 20131015


Dossier : A‑4‑13

 

Référence : 2013 CAF 243

CORAM :      LA JUGE SHARLOW

LE JUGE STRATAS

LE JUGE NEAR

 

 

ENTRE :

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

demandeur

et

DERWIN JEWETT

 

défendeur

 

 

Motifs du jugement DE LA COUR

 

[1]               Le procureur général du Canada a engagé un recours en contrôle judiciaire dirigé contre la décision (CUB 80183) du juge‑arbitre Goulard qui confirmait la décision d’un conseil arbitral portant que le défendeur, M. Jewett, avait accumulé suffisamment d’heures d’emploi assurable pour être admissible aux prestations d’assurance‑emploi aux termes de l’article 7 de la Loi sur l’assurance‑emploi, L.C. 1996, ch. 23.

[2]               La jurisprudence est bien fixée : l’interprétation des dispositions législatives en matière d’assurance‑emploi effectuée par un juge arbitre est susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte : Chaulk c. Canada (Procureur général), 2012 CAF 190, au paragraphe 26; Canada (Procureur général) c. Trochimchuk, 2011 CAF 268 au paragraphe 7.

 

[3]               La décision du juge arbitre visée en l’espèce était fondée sur une analyse juridique qui s’appuyait sur le paragraphe 27(4) de la Loi d’interprétation, L.R.C. 1985, ch. I‑21. Cette disposition concerne le calcul du délai qui suit un jour déterminé. Cette disposition ne joue pas en l’espèce étant donné que tous les délais pertinents sont clairement précisés dans la Loi sur l’assurance‑emploi. Par conséquent, le juge arbitre a commis une erreur de droit en appuyant son analyse sur la Loi d’interprétation. Cependant, par les motifs exposés ci‑après, nous avons conclu que la décision du juge arbitre portant que M. Jewett a droit aux prestations d’assurance‑emploi qu’il réclame se tient.

 

[4]               Comme nous l’expliquerons, la solution du différend sur la question de savoir si M. Jewett a droit aux prestations repose en grande partie sur le paragraphe 17(1) du Règlement sur l’assurance‑emploi, DORS/96‑332. Pour saisir le rôle de cette disposition, il faut comprendre les éléments essentiels du régime législatif qui servent à établir les prestations d’assurance‑emploi.

 

[5]               L’article 9 de la Loi sur l’assurance‑emploi exige que la « période de prestations » soit établie pour que le prestataire ait droit aux prestations prévues à l’article 7. Selon le paragraphe 10(1), la période de prestations du prestataire débute, selon le cas, le dimanche de la semaine au cours de laquelle survient l’arrêt de rémunération ou le dimanche de la semaine au cours de laquelle est formulée la demande initiale de prestations, si cette semaine est postérieure à celle de l’arrêt de rémunération. Aux fins de la Loi sur l’assurance‑emploi, une semaine est la période de sept jours consécutifs qui commence le dimanche (article 2).

 

[6]               En l’espèce, il n’y a pas controverse entre les parties sur la période de prestations de M. Jewett. L’arrêt de rémunération a eu lieu le vendredi 3 février 2012 (au cours de la semaine qui commence le dimanche 29 janvier et se termine le samedi 4 février). Sa demande initiale de prestations a été faite le 7 février 2012 (au cours de la semaine qui commence le dimanche 5 février). Le dernier des deux dimanches est le 5 février. Par conséquent, selon le paragraphe 10(1), sa période de prestations a débuté le dimanche 5 février 2012.

 

[7]               Le droit du prestataire aux prestations prévues à l’article 7 varie selon le nombre d’heures d’emploi assurable qu’il a accumulées au cours de la « période de référence », établie en vertu de l’article 8 de la Loi sur l’assurance‑emploi. Il n’est pas controversé entre les parties que la période de référence de M. Jewett doit être établie en vertu de l’alinéa 8(1)a). Selon cette disposition, sa période de référence est la période de 52 semaines qui précède immédiatement le début de sa période de prestations ou, en d’autres termes, la période de 52 semaines qui se termine le samedi 4 février.

 

[8]               L’étape suivante consiste à calculer le nombre d’heures d’emploi assurable que M. Jewett devait accumuler au cours de sa période de référence. Selon l’alinéa 7(2)b) de la Loi sur l’assurance‑emploi, M. Jewett est admissible aux prestations si, au cours de sa période de référence (les 52 semaines se terminant le 4 février 2012), il avait accumulé le nombre d’heures d’emploi assurable indiqué dans le tableau suivant, selon le taux régional de chômage qui s’applique à lui.

 

Taux régional de chômage

Nombre d’heures d’emploi assurable requis au cours de la période de référence

6 % et moins

700

Plus de 6 % mais au plus 7 %

665

Plus de 7 % mais au plus 8 %

630

Plus de 8 % mais au plus 9 %

595

Plus de 9 % mais au plus 10 %

560

Plus de 10 % mais au plus 11 %

525

Plus de 11 % mais au plus 12 %

490

Plus de 12 % mais au plus 13 %

455

Plus de 13 %

420

 

 

 

[9]               Il n’est pas controversé qu’en ce qui concerne M. Jewett, la « région » pertinente est celle de Thunder Bay. Selon le tableau, si le taux de chômage de Thunder Bay applicable à M. Jewett était supérieur à 6 p. 100 sans toutefois dépasser 7 p. 100, le nombre d’heures d’emploi assurable requises serait de 665. La Couronne soutient que c’est le taux qui joue en ce qui concerne M. Jewett et qu’il n’a donc pas droit aux prestations prévues à l’article 7 parce qu’il n’avait accumulé que 633 heures d’emploi assurable.

 

[10]           Si le taux de chômage à Thunder Bay qui joue en ce qui concerne  M. Jewett était supérieur à 7 p. 100 sans toutefois atteindre 8 p. 100, le nombre d’heures d’emploi assurable requises serait de 630. M. Jewett soutient que tel est le taux qui s’applique à lui et que, étant donné qu’il a accumulé 633 heures d’emploi assurable au cours de sa période de référence, il est admissible aux prestations prévues à l’article 7.

 

[11]           Pour savoir qui a raison, il faut se reporter au paragraphe 17(1) du Règlement, lequel dispose que le taux régional de chômage applicable au prestataire est la moyenne des taux de chômage mensuels désaisonnalisés de la dernière période de trois mois pour laquelle des statistiques ont été produites par Statistique Canada, qui précède la semaine visée au paragraphe 10(1) de la Loi.

 

[12]           Comme nous l’avons déjà expliqué, en ce qui concerne M. Jewett, la semaine visée au paragraphe 10(1) de la Loi sur l’assurance‑emploi est celle qui commence le dimanche 5 février 2012. Par conséquent, la période de trois mois pertinente aux fins de l’application du paragraphe 17(1) du Règlement à la demande de M. Jewett doit être celle qui se termine au plus tard le samedi 4 février 2012.

 

[13]           La question fondamentale qui se pose est donc la suivante : quelle était la moyenne des taux de chômage mensuels désaisonnalisés de la dernière période de trois mois pour laquelle des statistiques ont été produites par Statistique Canada, qui se termine au plus tard le samedi 4 février 2012? Il s’agit d’une question de fait. Pour y répondre, nous devons examiner le dossier dont disposait le juge arbitre.

 

[14]           Le dossier contient un tableau sur lequel la Couronne s’appuie pour défendre la position de la Commission selon laquelle, pour la semaine commençant le 5 février 2012, le taux de chômage applicable est de 6,2 p. 100. Selon la Couronne, il en résulte que M. Jewett devait avoir accumulé 665 heures d’emploi assurable pour être admissible aux prestations; par conséquent, il n’y est pas admissible.

 

[15]           Le tableau est difficile à lire et, à bien des égards, il n’est pas très utile. On ne sait pas, au vu du dossier, qui l’a fait, ni pour quelles raisons, ni de quelle manière. Rien dans le tableau ne permet de savoir s’il satisfait aux exigences du paragraphe 17(1) du Règlement ou s’il a été établi à partir de statistiques de Statistique Canada. Il est de plus impossible de savoir à quelles dates correspondent les statistiques qui y figurent. À lui seul, le tableau ne permet pas de répondre à la question fondamentale susmentionnée.

 

[16]           Il y a cependant plus important encore : ce tableau, même s’il revêtait une forme acceptable et présentait une preuve suffisante, ne vise pas la bonne période. Comme nous l’avons vu, la période pertinente aux fins de l’application du paragraphe 17(1) du Règlement à la demande de M. Jewett est la période de trois mois qui se termine au plus tard le 4 février 2012, et non la période de trois mois qui commence le 5 février 2012, comme l’a soutenu la Couronne.

 

[17]           Comme le tableau sur lequel s’appuie la Couronne ne permet pas de répondre à la question fondamentale, nous devons chercher la réponse ailleurs dans le dossier. Le seul document en mesure de fournir une réponse est la pièce A jointe à l’affidavit de M. Jewett daté du 11 mars 2013. Selon la page 2 de ce document, pour la période du 8 janvier 2012 au 4 février 2012, le taux régional de chômage pour la région de Thunder Bay était de 7,3 p. 100. Il n’est pas controversé entre les parties que cette page a été tirée du site Web de la Commission par M. Jewett. Même si cette page ne contient aucun renseignement correspondant aux données exigées au paragraphe 17(1) du Règlement, M. Jewett invite implicitement la Cour à inférer qu’il s’agit d’un élément de preuve relatif au taux régional de chômage qui est pertinent quant à l’application du paragraphe 17(1) du Règlement à sa demande.

 

[18]           De façon générale, la Cour dispose de preuves inadéquates concernant le taux régional de chômage. Cependant, étant donné que la Couronne n’a pas produit d’éléments de preuve à ce sujet (éléments de preuve dont elle connaissait l’existence et auxquels elle avait accès), il ne serait pas dans l’intérêt de la justice de renvoyer l’affaire au juge arbitre pour qu’une meilleure preuve soit présentée et d’exiger de M. Jewett qu’il emprunte une seconde fois la voie administrative et judiciaire.

 

[19]           La meilleure preuve du taux régional de chômage est celle qui se trouve dans le document sur lequel s’est appuyé M. Jewett. Ce document provient du site Web de la Commission et son contenu peut raisonnablement être interprété selon la manière proposée par M. Jewett, et la Cour statuera sur la présente affaire en conséquence.

 

[20]           La demande de contrôle judiciaire sera rejetée avec dépens, lesquels seront fixés à 800 $ et comprendront l’ensemble des débours et les taxes applicables.

 

« K. Sharlow »

j.c.a.

 

« David Stratas »

j.c.a.

 

 

« D.G. Near »

j.c.a.

 

 

Traduction certifiée conforme

François Brunet, réviseur

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 


DOSSIER :

A‑4‑13

 

INTITULÉ :

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA c. DERWIN JEWETT

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                                 TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L’AUDIENCE :                                               LE 19 SEPTEMBRE 2013

MOTIFS DU JUGEMENT DE

LA COUR :                                                                          LES JUGES SHARLOW, STRATAS et NEAR

 

DATE DES MOTIFS :                                                       LE 15 OCTOBRE 2013

 

COMPARUTIONS :

Jim Kapches

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Derwin Jewett

 

POUR SON PROPRE COMPTE

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

POUR LE DEMANDEUR

 

 

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