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Date : 20131206

Dossier : A‑442‑12

Référence : 2013 CAF 283

 

CORAM :      LE JUGE EVANS

                        LA JUGE GAUTHIER

                        LE JUGE NEAR

 

ENTRE :

KATHRYN KOSSOW

appelante

et

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

 

Audience tenue à Toronto (Ontario), le 17 octobre 2013.

Jugement prononcé à Ottawa (Ontario), le 6 décembre 2013.

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                                  LE JUGE NEAR

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                          LE JUGE EVANS

LA JUGE GAUTHIER

 

 


 


Date : 20131206

Dossier : A‑442‑12

Référence : 2013 CAF 283

 

CORAM :      LE JUGE EVANS

                        LA JUGE GAUTHIER

                        LE JUGE NEAR

 

ENTRE :

KATHRYN KOSSOW

appelante

et

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE NEAR

[1]               Kathryn Kossow interjette appel du jugement du 14 septembre 2012 par lequel la juge Valerie Miller de la Cour canadienne de l'impôt (Kossow c. La Reine, 2012 CCI 325) a rejeté l'appel qu'elle avait interjeté à l'encontre de nouvelles cotisations établies à son égard, en application de la Loi de l'impôt sur le revenu, L.R.C. 1985, ch. 1 (5e suppl.), pour les années d'imposition 2000, 2001 et 2002. Les nouvelles cotisations faisaient suite à la participation de Mme Kossow à un programme de dons de bienfaisance financés par emprunt et à la décision du ministre du Revenu national de refuser les crédits d'impôt qu'elle demandait pour les paiements effectués en vertu du programme.

 

[2]               Pour les motifs qui suivent, je rejetterais l'appel de Mme Kossow.

 

I.          Les faits

[3]               En 2000, 2001 et 2002, Mme Kossow a participé à un programme de dons de bienfaisance financés par emprunt, l'argent versé devant servir à financer l'achat d'oeuvres d'art pour un organisme de bienfaisance enregistré.

 

[4]               Je vais d'abord décrire le mode de fonctionnement du programme de dons de bienfaisance visé par le présent appel, puis la participation de Mme Kossow à ce programme.

 

Le mode de fonctionnement du programme de dons de bienfaisance

[5]               Le programme de dons de bienfaisance était proposé par Berkshire Funding Initiatives Limited et Talisker Funding Limited. Berkshire était le collecteur de fonds et Talisker prêtait aux participants l'argent requis pour effectuer les paiements qui, espérait‑on, leur donneraient droit à des crédits d'impôt pour dons de bienfaisance. Talisker elle‑même, pour pouvoir consentir ces prêts, empruntait auprès d'un prêteur canadien; elle empruntait ensuite à un prêteur étranger pour rembourser le prêteur canadien initial. Les participants au programme, y compris Mme Kossow, mettaient ensuite en commun leurs propres fonds avec le produit du prêt de Talisker pour verser de l'argent à un organisme de bienfaisance enregistré, Ideas Canada Foundation. On avait structuré Ideas Canada Foundation de manière à ce qu'elle transfère l'argent à d'autres organismes de bienfaisance, plutôt que d'exercer elle‑même des activités de cette nature.

 

[6]               Quatre‑vingt‑huit pour cent des sommes totales versées à Ideas (le solde servant à acquitter les frais de collecte de fonds et les frais administratifs) passaient, à la suite d'une série d'instructions, dans un compte entiercé d'un cabinet d'avocats. L'argent servait à l'acquisition d'oeuvres d'art pour le MacLaren Art Centre, qui n'exerçait cependant aucun contrôle sur 87,5 % de ces fonds, seulement 0,5 % des fonds qu'elle recevait n'étant pas assorti d'instructions. Les promoteurs du programme et leurs associés dictaient à MacLaren le choix des oeuvres d'art, et le prix à verser pour les acquérir. On a produit au procès d'abondants éléments de preuve concernant l'acquisition de ces oeuvres d'art, et les questions de savoir si le prix payé était raisonnable et si les opérations effectuées étaient légitimes. Il n'est pas nécessaire que je résume en détail ces éléments de preuve.

 

[7]               On peut dire que, pour financer le programme, l'argent circulait rapidement entre les promoteurs, les sociétés, les institutions financières et les organismes de bienfaisance concernés. La juge a exposé comme suit la chaîne complexe des opérations effectuées par les promoteurs :

a)         Les avances consenties par la Standard [le prêteur canadien] étaient déposées dans le compte bancaire d'Irwin Singer (« M. Singer »), en fiducie, qui avait ordonné à la Banque TD de porter ces avances au crédit du compte bancaire de Talisker.

 

b)         Talisker a ordonné à la Banque TD de mettre en commun les avances consenties par la Standard et les sommes qui lui étaient versées, à elle, [TRADUCTION] « à titre de mandataire », et d'émettre à Ideas des traites bancaires au nom de chacun des participants et correspondant à l'intégralité de leur don. Talisker avait fourni à la Banque TD la liste des participants et le détail des dons effectués par chacun.

 

c)         Ideas a ordonné à la Banque TD de déposer dans son compte le produit des traites bancaires. Ideas a alors autorisé la Banque TD à débiter son compte de 88 % des dons et à remettre à Fasken un chèque où [sic] une traite bancaire du même montant au titre d'un don qu'Ideas ferait au Centre MacLaren.

 

d)         Ideas a ordonné à Fasken de déposer 88 % (parfois 86 %) des dons dans un compte de garantie bloqué détenu en fiducie pour le compte du Centre MacLaren. (Ideas remettait 11 % des dons à Berkshire pour ses services de collecte de fonds. Le solde, soit 1 % des dons, était utilisé par Ideas pour ses frais de fonctionnement et le salaire de ses employés et pour faire des dons à des organismes de bienfaisance choisis par Sanderson [le directeur général d'Ideas Foundation]).

 

e)         Le Centre MacLaren a donné l'ordre et l'autorisation à Fasken de verser à Jennings Art l'intégralité des sommes reçues d'Ideas, moins 0,5 %. Ce 0,5 % a été versé au Centre MacLaren pour son fonds de construction.

 

f)         Jennings Art a ordonné à Fasken de verser à GSG certaines sommes. Je suppose que Jennings Art touchait une commission, mais le pourcentage de celle‑ci n'a pas été présenté en preuve.

 

g)         GSG a ordonné à Fasken de remettre [TRADUCTION] « les sommes qui pourraient de temps à autre lui être demandées » par écrit, par Wigmore Investments Limited (« Wigmore »).

 

h)         Wigmore a ordonné à Fasken de verser à Talisker les montants que Fasken avait reçus de GSG pour le compte de Talisker. Les éléments de preuve et les témoignages recueillis m'amènent à conclure que GSG a reçu au moins 80 % des dons et qu'elle a ordonné que le montant des prêts soit versé à Wigmore, qui a ordonné que les sommes soient remises à Talisker. Elizabeth Sumption, à la Barbade, donnait des instructions à la fois à GSG et à Wigmore. Selon M. Beach, les sommes en questions étaient les avances consenties à Talisker par Wigmore aux termes de leur convention de prêt.

 

i)          Talisker a demandé à Fasken de déposer les sommes reçues de Wigmore dans le compte bancaire de Talisker à la Banque TD.

 

j)          Talisker a demandé à la Banque TD de porter 80 % du don (le montant du prêt) au crédit du compte détenu en fiducie par Irwin Singer.

 

(Au paragraphe 53; notes de bas de page omises)

 

[8]               La juge a également exposé sous forme de tableau (en annexe A de ses motifs) la série d'opérations effectuées. Je reproduis le tableau par souci de commodité :

 

Programme Berkshire

4. 20 % de l’argent comptant + prêt de 80 %

 

 

[9]               Le programme Berkshire consistait essentiellement, tel que la juge l'a décrit, « en ce que de petits dons en argent soient faits à quelques organismes de bienfaisance. Le Centre MacLaren, quant à lui, était tenu d'affecter les dons qui lui étaient faits à l'achat d'oeuvres d'art qui lui étaient vendues par ceux qui avait [sic] mis sur pied le programme » (paragraphe 61).

 

La participation de Mme Kossow au programme

[10]           L'article 118.1 de la Loi de l'impôt sur le revenu autorise les contribuables à demander un crédit d'impôt pour les dons faits à des organismes de bienfaisance enregistrés et à d'autres organismes admissibles, en réduction de l'impôt sur le revenu qu'ils ont à payer :

118.1 (1) Les définitions qui suivent s'appliquent au présent article.

 

[...]

 

« total des dons de bienfaisance » En ce qui concerne un particulier pour une année d'imposition, le total des montants représentant chacun le montant admissible d'un don (sauf un don dont le montant admissible est inclus dans le total des dons à l'État, le total des dons de biens culturels ou le total des dons de biens écosensibles du particulier pour l'année) qu'il a fait au cours de l'année ou d'une des cinq années d'imposition précédentes (mais non au cours d'une année pour laquelle il a demandé une déduction en application du paragraphe 110(2) dans le calcul de son revenu imposable) à un donataire reconnu, dans la mesure où la somme n'a pas été incluse dans le calcul d'une somme déduite en application du présent article dans le calcul de son impôt payable en vertu de la présente partie pour une année d'imposition antérieure.

 

118.1 (1) In this section,

 

. . .

 

“total charitable gifts”, of an individual for a taxation year, means the total of all amounts each of which is the eligible amount of a gift (other than a gift the eligible amount of which is included in the total Crown gifts, the total cultural gifts or the total ecological gifts of the individual for the year) made by the individual in the year or in any of the five preceding taxation years (other than in a year for which a deduction under subsection 110(2) was claimed in computing the individual's taxable income) to a qualified donee, to the extent that the amount was not included in determining an amount that was deducted under this section in computing the individual's tax payable under this Part for a preceding taxation year;

 

 

[11]           La juge a décrit les formalités qu'un participant au programme, comme Mme Kossow, devait accomplir :

Afin de devenir une participante au Programme Berkshire, l'appelante a dû accomplir les formalités suivantes, ce qu'elle a fait en 2000, en 2001 et en 2002 :

 

a)         signature d'un engagement envers Ideas pour le montant intégral de son don;

 

b)         présentation d'une demande de prêt de 25 ans ne portant pas intérêt, correspondant à 80 % de son don à Talisker (que j'appellerai le « montant du prêt »);

 

c)         signature d'un chèque d'un montant équivalant à 20 % de son don, payable à Talisker [TRADUCTION] « à titre de mandataire »;

 

d)         versement à Talisker d'un dépôt de garantie correspondant à 10 % du montant du prêt, dépôt qui devait être investi afin d'atteindre, en 25 ans, le montant du prêt;

 

e)         versement à Talisker de frais d'administration du prêt, de 1 à 5 % du montant du don;

 

f)         signature d'un document appelé billet à ordre pour le montant du prêt, payable 25 ans après la date inscrite sur le billet.

 

(Au paragraphe 40)

 

[12]           Conformément aux conditions du programme de dons, les paiements versés par Mme Kossow à Ideas étaient financés à hauteur de 20 % par ses propres fonds, et à hauteur de 80 % par un prêt de 25 ans ne portant pas intérêt. Mme Kossow versait également aux promoteurs des frais d'administration des prêts et de mise sur pied du programme. À titre de crédits d'impôt, elle a réclamé 20 046 $ en 2000, 24 060 $ en 2001, et 20 045 $ en 2002, au titre de paiements effectués à Ideas, respectivement, de 50 000 $ en 2000, de 60 000 $ en 2001, et de 50 000 $ en 2002.

 

[13]           La juge a fait état, comme suit, des sommes déboursées par Mme Kossow et des reçus qu'on lui a remis (au paragraphe 44 de ses motifs) :

Année

Don

Montant du prêt

20 %

du don

Dépôt de garantie

Frais d'administration du prêt

Reçu pour don de bienfaisance

2000

50 000 $

40 000 $

10 000 $

5 000 $

2 000 $

50 000 $

2001

60 000 $

56 400 $

12 000 $

6 000 $

2 400 $

60 000 $

2002

50 000 $

40 000 $

10 000 $

5 000 $

2 000 $

50 000 $

 

II.        L'historique de la procédure

[14]           Le 4 septembre 2004, Mme Kossow a fait l'objet d'une nouvelle cotisation; 80 % du crédit d'impôt demandé pour chacune des années en cause était refusé. Le 9 septembre 2005, le ministre a délivré un autre avis de nouvelle cotisation suivant lequel le crédit d'impôt reçu pour l'année d'imposition 2002 était intégralement refusé.

 

[15]           La juge a instruit l'affaire au fond sur une période de dix jours au printemps et à l'été 2011, et elle a rendu ses motifs à l'automne 2012.

 

[16]           Dans ses motifs, la juge décrit le programme et la façon dont Mme Kossow y participait. Elle expose ensuite les questions à trancher :

Il faut, en l'espèce, rechercher : a) si les dons effectués par l'appelante étaient effectivement des dons au sens du paragraphe 118.1(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu (la « Loi »); b) si la disposition générale anti‑évitement a, en l'occurrence, pour effet d'exclure l'appelante les [sic] crédits d'impôt en question; et, c) à qui il incombe de démontrer les hypothèses formulées par le ministre lorsque ces hypothèses englobent les activités de tiers.

 

(Au paragraphe 3)

 

[17]           Madame Kossow a déclaré à la Cour de l'impôt qu'elle avait participé au programme parce qu'il lui permettait d'effectuer des dons plus importants qu'elle n'aurait pu autrement le faire sans l'opération d'emprunt et que le fait que cela lui permettait de réaliser des économies d'impôt était accessoire. La juge n'a pas prêté foi à la déclaration de Mme Kossow, et a plutôt conclu que « l'impôt que cela devait lui permettre d'économiser était, pour l'appelante, la principale raison l'ayant porté [sic] à faire un don » (paragraphe 65). La juge a toutefois accepté le fait que Mme Kossow « ignorait l'existence de la plupart [des] personnes et des opérations » que faisait intervenir le programme (paragraphe 62).

 

[18]           La juge a conclu que l'arrêt Maréchaux c. La Reine, 2010 CAF 287, de notre Cour s'appliquait et que Mme Kossow n'avait pas fait un don au sens de l'article 118.1 de la Loi de l'impôt sur le revenu. La juge a conclu que les « prêts sans intérêt remboursables en 25 ans étaient des “avantages importants” qu'elle a reçus en échange de ses dons » (paragraphe 69) et que le « fait qu'un avantage a été conféré à Mme Kossow en échange de son don démontre à lui seul qu'il ne s'agissait pas d'un don au sens de la Loi » (paragraphe 70).

 

[19]           La juge s'est également penchée sur l'argument des avocats de Mme Kossow selon lequel, tel que la Cour d'appel de l'Ontario l'a déclaré dans l'arrêt McNamee c. McNamee, 2011 ONCA 533, 106 R.J.O. (3e) 401, une donation n'est viciée en common law en raison d'une contrepartie que si la contrepartie provient du donataire. La juge n'a pas souscrit à cet argument et a conclu que ce serait mal interpréter la portée de l'arrêt que de considérer applicable une affaire en droit de la famille où l'on s'était demandé s'il y avait eu ou non don d'un bien par un membre de la famille (au paragraphe 72).

 

III.       Les questions en litige

[20]           Selon moi, les questions à trancher dans le présent appel sont les suivantes :

1.         La juge a‑t‑elle eu raison en droit de conclure qu'on ne pouvait établir la moindre distinction significative entre les faits d'espèce et ceux en cause dans l'arrêt Maréchaux, de sorte que, liée par celui‑ci, elle devait conclure que l'appelante n'avait pas fait de don au sens de l'article 118.1 de la Loi de l'impôt sur le revenu?

2.         Les motifs énoncés par la juge suffisaient‑ils pour donner ouverture à un examen valable en appel?

3.         Le fait que des documents non admis en preuve par la juge aient été versés au dossier de la Cour a‑t‑il causé un préjudice justifiant l'intervention de notre Cour?

4.         La règle générale anti‑évitement de l'article 245 de la Loi de l'impôt sur le revenu empêche‑t‑elle Mme Kossow de se prévaloir des crédits d'impôt?

 

IV.       La norme de contrôle

[21]           La norme de contrôle applicable à une question de droit est celle de la décision correcte, tandis que celle applicable à une question de fait est celle de l'erreur manifeste et dominante (Housen c. Nikolaisen, 2003 CSC 33, aux paragraphes 8 et 10).

 

[22]           Comme la Cour suprême l'a déclaré dans l'arrêt Hypothèques Trustco Canada c. Canada, 2005 CSC 54 : « L'interprétation textuelle, contextuelle et téléologique de dispositions particulières de la Loi de l'impôt sur le revenu est essentiellement une question de droit, mais l'application de ces dispositions aux faits d'une affaire dépend nécessairement des faits » (paragraphe 44).

 

V.        Analyse

L'application de l'arrêt Maréchaux

[23]           Les avocats de Mme Kossow ont présenté de nombreux arguments à la Cour, mais la question fondamentale à trancher est de savoir si la juge a eu raison d'appliquer l'arrêt Maréchaux rendu par notre Cour et de conclure, par conséquent, que l'appelante n'avait pas fait de dons au sens de l'article 118.1 de la Loi de l'impôt sur le revenu.

 

[24]           L'arrêt Maréchaux concerne un programme de dons de bienfaisance financés par emprunt qui s'apparente de façon frappante à celui en cause en l'espèce, particulièrement puisqu'une part importante du prétendu don était financée par un prêt sans intérêt accordé par les promoteurs (qui n'étaient pas les donataires), selon des conditions découlant d'un ensemble d'ententes contractuelles interdépendantes. La Cour d'appel fédérale a adopté la définition bien connue de « don » au sens de l'article 118.1 de la Loi de l'impôt sur le revenu énoncée dans l'arrêt R. c. Friedberg, [1991] A.C.F. no 1255 (QL) (C.A.F.) :

[...] un don est le transfert volontaire du bien d'un donateur à un donataire, en échange duquel le donateur ne reçoit pas d'avantage ni de contrepartie [...]

 

[25]           Les deux principes suivants se dégagent de l'arrêt Maréchaux :

a)         un prêt à long terme sans intérêt constitue un avantage financier important pour le bénéficiaire;

 

b)         un avantage obtenu en échange d'une donation la vicie, que l'avantage provienne du donataire ou encore d'un tiers.

 

[26]           Passons maintenant aux faits d'espèce et à l'application de ces principes.

 

[27]           Il ressort clairement des faits d'espèce que le programme de dons de bienfaisance financés par emprunt auquel Mme Kossow a participé mettait en cause plusieurs prêts à long terme sans intérêt. La juge a tiré à cet égard la conclusion suivante, à laquelle je souscris :

L'appelante a ainsi pu transférer à Ideals [sic], en 2000, en 2001 et en 2002 respectivement, 50 000 $, 60 000 $ et 50 000 $ en n'avançant que 17 000 $, 20 400 $ et 17 000 $ de ses propres fonds. Elle a pu faire cela sans payer les intérêts qu'aurait occasionnés un prêt commercial lui avançant la différence (au paragraphe 69).

 

[28]           Madame Kossow a par conséquent obtenu un avantage financier important en tant que bénéficiaire de prêts à long terme sans intérêt. L'avantage tiré provenait non pas du donataire, mais de Talisker, en raison de la participation de Mme Kossow au programme de dons. Le prêt sans intérêt et le don étaient deux composantes d'un mécanisme consistant en une série d'opérations interdépendantes, comme l'illustre le tableau figurant à l'annexe A des motifs de la juge (reproduit ci‑dessus). Les avocats de Mme Kossow ont soutenu que le tableau ne présentait pas avec exactitude tous les éléments du programme. J'estime toutefois que la juge n'a pas commis d'erreur manifeste et dominante en tirant la conclusion de fait selon laquelle il n'y avait qu'une seule opération interdépendante en jeu. Il me semble, d'ailleurs, que c'était là la seule conclusion raisonnable qui s'offrait à elle, au vu de la preuve qui lui avait été présentée.

 

[29]           Comme la juge l'a relevé, la Cour d'appel fédérale a conclu dans l'arrêt Maréchaux que M. Maréchaux n'avait pas fait de don au sens de l'article 118.1 de la Loi de l'impôt sur le revenu parce qu'il avait versé une somme d'argent à une fondation de bienfaisance en s'attendant à recevoir en contrepartie un « avantage important ». Dans l'affaire Maréchaux, l'« avantage important » obtenu était un prêt sans intérêt consenti par un tiers prêteur (paragraphe 9). Mme Kossow a obtenu de Talisker un prêt de 25 ans ne portant pas intérêt, et ses dons dépendaient de l'approbation et de l'obtention de ses prêts sans intérêt, de sorte que les éléments du programme liés au prêt et ceux liés au don étaient interdépendants. Selon moi, les faits pertinents de l'espèce s'apparentent tellement à ceux de l'arrêt Maréchaux que la juge n'a pas commis d'erreur de droit en arrivant à la même conclusion. Le principe même de la justice exige que des cas semblables soient traités de la même façon (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration c. Thamotharem, 2007 CAF 198, paragraphe 61; Sanofi‑Aventis c. Apotex Inc., 2013 CAF 186, paragraphes 77 à 81).

 

[30]           Madame Kossow a soutenu devant la juge et devant notre Cour que l'arrêt McNamee de la Cour d'appel de l'Ontario avait supplanté l'arrêt Maréchaux au moins sur un point, à savoir que l'avantage important reçu par le donateur devait provenir du donataire et non d'un tiers. Je ne suis pas de cet avis.

 

[31]           J'estime tout comme la juge que l'arrêt McNamee ne visait pas à modifier la définition généralement admise d'un don énoncée dans l'arrêt Friedberg. Dans l'affaire McNamee, la Cour d'appel de l'Ontario avait à examiner une entente conclue entre un père et son fils et à décider si les actions que le père avait données au fils en vertu d'un gel successoral avaient été données moyennant contrepartie. Dans l'arrêt McNamee, la Cour d'appel de l'Ontario n'a pas été appelée à examiner un programme de dons financés par emprunt, ni une situation où, par suite d'une série d'opérations interdépendantes, dont le don supposé, un donateur reçoit un avantage important d'une personne autre que le donataire.

 

[32]           Ainsi, il n'existe aucune incompatibilité entre l'arrêt Maréchaux de la Cour d'appel fédérale et l'arrêt McNamee de la Cour d'appel de l'Ontario, et il n'y a donc aucune raison pour que notre Cour s'écarte de l'arrêt Maréchaux

 

[33]           Je suis d'avis qu'il convient, sauf en de rares circonstances, d'appliquer la jurisprudence antérieure de la Cour, particulièrement ses arrêts récents. Selon le critère bien connu, formulé dans l'arrêt Miller c. Canada (Procureur général), 2002 CAF 370, pour que la Cour infirme la décision d'une autre formation de la Cour, il faut que :

[...] la décision en cause soit manifestement erronée, du fait que la Cour n'aurait pas tenu compte de la législation applicable ou d'un précédent qui aurait dû être respecté [...] (paragraphe 10).

 

[34]           Dans l'arrêt Maréchaux, la Cour d'appel fédérale n'a pas omis de tenir compte de la législation applicable ou d'un précédent qui aurait dû être respecté. Comme j'ai conclu qu'il n'y avait pas d'incompatibilité entre les arrêts Maréchaux et McNamee, j'estime comme la Couronne qu'il n'y a pas lieu de reconsidérer l'arrêt Maréchaux à la lumière de l'arrêt McNamee.

 

[35]           À mon avis, la juge n'a commis ni erreur de droit ni erreur de fait en concluant qu'elle était liée par les conclusions tirées par la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Maréchaux.

 

Le caractère adéquat des motifs

[36]           Les avocats de Mme Kossow ont soutenu que les motifs de la juge ne répondaient pas au critère établi dans R. c. Sheppard, 2002 CSC 26, [2002] 1 R.C.S. 869, au paragraphe 55, puisqu'ils ne sont ni intelligibles ni accessibles, et qu'ils font obstacle à un examen valable en appel. Cette prétention est selon moi sans fondement. Les conclusions de la juge quant aux faits relativement peu nombreux qui ont une incidence sur la question de droit visée par le présent appel sont à la fois compréhensibles et complètes. La juge n'avait pas à faire état de chaque élément de preuve sur lequel elle s'est fondée, non plus qu'à expliquer en détail pourquoi elle rejetait tout élément de preuve contraire à ses conclusions.

 

Le contenu du dossier d'appel

[37]           À l'audience, les avocats de Mme Kossow ont également mis en question les renvois faits dans le dossier d'appel à certains documents qui n'avaient pas été admis en preuve au procès. Tout juste avant l'instruction du présent appel, la Couronne a informé la Cour et les avocats de Mme Kossow qu'elle avait par mégarde fait référence à trois pages de documents désignés comme pièces possibles, mais n'ayant finalement pas été admis en preuve. La Couronne en fait mention aux notes de bas de page 28, 29 et 37 de son mémoire des faits et du droit. Mme Kossow ne s'est pas opposée au contenu du dossier d'appel avant l'instruction de l'appel. Ses avocats ont expliqué à la Cour qu'elle n'avait remarqué les renvois faits aux documents non admis en preuve, aux notes de bas de page, que lorsque la lettre de la Couronne à la Cour lui en avait révélé l'existence.

 

[38]           Madame Kossow a fait valoir à la Cour que l'affaire devrait être renvoyée à un autre juge pour qu'il procède à une nouvelle audition étant donné qu'il est fait mention de ces documents dans le dossier de la Cour de l'impôt alors qu'ils n'ont pas été admis en preuve au procès. Mme Kossow soutient que la juge a pu prendre en compte les documents mentionnés aux notes de bas de page 28, 29 et 37, même après avoir conclu qu'ils n'étaient pas recevables en preuve.

 

[39]           L'appelante a invoqué l'arrêt Oberreiter c. Akmali, 2009 BCCA 557, au soutien de cette prétention. Dans cette affaire, il s'agissait d'un procès civil devant jury au cours duquel on avait laissé entre les mains des jurés, pendant leurs délibérations, une bande vidéo de sécurité pouvant être préjudiciable alors que des parties n'en avaient pas été admises en preuve. La Cour d'appel de la Colombie‑Britannique a conclu que l'irrégularité commise avait pu influer sur le verdict étant donné que la bande vidéo pouvait être préjudiciable.

 

[40]           À mon avis, l'arrêt Oberreiter ne rend pas nécessaire la tenue d'un nouveau procès en l'espèce. La juge n'a jamais fait allusion aux documents en cause dans sa décision. Rien non plus ne permet de réfuter la présomption de connaissance de la loi par la juge, ni de conclure que celle‑ci a « oublié » qu'elle avait jugé lors du procès que ces documents étaient irrecevables en preuve. L'examen des documents révèle en outre qu'ils n'avaient aucune pertinence quant aux conclusions de fait tirées par la juge qui sont d'intérêt aux fins du présent appel. Ainsi, il n'existe aucun fondement à l'argument de Mme Kossow selon lequel elle aurait subi un préjudice, ou qu'une personne raisonnable, informée de tous les faits, conclurait qu'on a manqué à son endroit aux règles de l'équité procédurale.

 

La RGAÉ

[41]           Comme j'ai conclu que l'arrêt Maréchaux s'appliquait aux faits de l'espèce, de manière à priver Mme Kossow du droit de demander les crédits d'impôt pour dons de bienfaisance en application de l'article 118.1 de la Loi de l'impôt sur le revenu, il n'est pas nécessaire que je formule des commentaires sur la question de la RGAÉ, et je m'abstiens de le faire.

 

VI.       Conclusion

[42]           Pour ces motifs, je rejetterais l'appel avec dépens.

 

« D. G. Near »

j.c.a.

 

 

« Je suis d'accord.

            John M. Evans, j.c.a. »

 

« Je suis d'accord.

            Johanne Gauthier, j.c.a. »

 

 

Traduction certifiée conforme

Yves Bellefeuille, réviseur

 


COUR D'APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

DOSSIER :                                                    A‑442‑12

 

APPEL DU JUGEMENT RENDU LE 14 SEPTEMBRE 2012 PAR LA JUGE V. A. MILLER DANS LE DOSSIER 2005‑1974(IT)G

 

INTITULÉ :                                                  KATHRYN KOSSOW c. SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L'AUDIENCE :                          Toronto (Ontario)

 

DATE DE L'AUDIENCE :                         Le 17 octobre 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                       LE JUGE NEAR

 

Y ONT SOUSCRIT :                                   LE JUGE EVANS

                                                                        LA JUGE GAUTHIER

 

DATE DES MOTIFS :                                 Le 6 décembre 2013

 

 

COMPARUTIONS :

 

A. Christina Tari

Jason Puterman

 

POUR L'APPELANTE

 

Arnold H. Bornstein

Patricia Lee

John Grant

Lorraine Edinboro

 

POUR L'INTIMÉE

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Richler and Tari

Toronto (Ontario)

 

POUR L'APPELANTE

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

 

POUR L'INTIMÉE

 

 

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