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Date : 20131206

Dossier : A-486-12

Référence : 2013 CAF 285

CORAM :      LE JUGE EN CHEF BLAIS

                        LA JUGE DAWSON

                        LE JUGE O'REILLY (d'office)

 

ENTRE :

TRANSALTA CORPORATION

appelante

et

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

 

Audience tenue à Calgary (Alberta), le 3 octobre 2013.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 6 décembre 2013.

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                               LE JUGE EN CHEF BLAIS

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                      LA JUGE DAWSON

                                                                                                         LE JUGE O'REILLY (d'office)

 

 


Date : 20131206


Dossier : A-486-12

 

Référence : 2013 CAF 285

CORAM :      LE JUGE EN CHEF BLAIS

                        LA JUGE DAWSON

                        LE JUGE O'REILLY (d'office)

 

ENTRE :

TRANSALTA CORPORATION

appelante

et

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

LE JUGE EN CHEF BLAIS

[1]               La Cour est saisie de l'appel d'une ordonnance du 23 octobre 2012 par laquelle le juge Margeson (le juge) de la Cour canadienne de l'impôt a rejeté la requête présentée par l'appelante afin d'obtenir des dépens indemnitaires substantiels (Transalta Corporation c. La Reine, 2012 CCI 375).

 

LE CONTEXTE FACTUEL

[2]               Le ministre du Revenu national (le ministre) a établi des cotisations à l'égard de l'appelante pour les années d'imposition 2001, 2002, 2003 et 2004, et a refusé à celle‑ci la déduction des gratifications en argent et sous forme d'actions qu'elle avait demandée.

 

[3]               L'appelante a contesté cette décision devant la Cour de l'impôt (Transalta Corporation c. La Reine, 2012 CCI 86) et l'appel a été accueilli. Le juge a renvoyé l'affaire au ministre et les dépens ont été adjugés à l'appelante.

 

[4]               La véritable question en litige dans le présent appel ne porte pas sur la décision rendue par la Cour de l'impôt sur le fond. Elle vise plutôt les dépens indemnitaires substantiels que l'appelante a réclamés, en vain, par suite du refus de la Couronne d'accepter l'offre de règlement que l'appelante a présentée plusieurs mois avant le procès.

 

[5]               En effet, le 28 avril 2011, l'appelante a présenté une offre de règlement au ministre, en vertu de laquelle le ministre aurait refusé la déduction de certaines gratifications versées en espèces au titre du régime d'actionnariat fondé sur le rendement (RAFR), au cours de l'année d'imposition 2004, à des employés de filiales non résidentes de l'appelante (les gratifications en argent). En outre, cette offre de règlement prévoyait que le ministre accorderait le reste de la déduction des gratifications au titre du RAFR. L'intimée a rejeté cette offre le 3 juin 2011.

 

[6]               Ayant obtenu gain de cause devant la Cour de l'impôt, l'appelante a demandé l'octroi de dépens partie‑partie jusqu'à la date à laquelle elle avait proposé l'offre de règlement, des dépens indemnitaires substantiels qu'elle a estimé s'élever à 265 000 $ pour la période suivant cette date, des débours raisonnables dans l'appel et des dépens relatifs à la requête, fixés à 80 p. 100 des dépens procureur‑client, plus des débours raisonnables. La requête de l'appelante était en grande partie fondée sur la directive sur la procédure no 18 de la Cour de l'impôt (décrite ci‑après) et sur le fait que l'issue du procès était plus favorable pour l'appelante que l'offre de règlement qu'elle avait proposée.

 

[7]               Il importe de souligner que, même si l'intimée n'a pas expliqué pourquoi elle avait rejeté l'offre de règlement à ce moment, elle a toutefois reconnu, avant l'instruction, que les gratifications en argent au titre du RAFR étaient en fait déductibles. Par conséquent, l'appel n'a porté que sur la question de la déduction des gratifications sous forme d'actions.

 

[8]               Devant la Cour de l'impôt, les dispositions des Règles de la Cour canadienne de l'impôt (procédure générale), DORS/90‑688a, relatives aux frais et dépens sont les articles 147 à 153. L'article 147 est rédigé comme suit :

147. (1) La Cour peut fixer les frais et dépens, les répartir et désigner les personnes qui doivent les supporter.

 

147. (1) The Court may determine the amount of the costs of all parties involved in any proceeding, the allocation of those costs and the persons required to pay them.

 

(2) Des dépens peuvent être adjugés à la Couronne ou contre elle.

 

(2) Costs may be awarded to or against the Crown.

 

(3) En exerçant sa discrétion conformément au paragraphe (1), la Cour peut tenir compte :

 

a) du résultat de l'instance;

 

b) des sommes en cause;

 

c) de l'importance des questions en litige;

 

d) de toute offre de règlement présentée par écrit;

 

e) de la charge de travail;

 

f) de la complexité des questions en litige;

 

g) de la conduite d'une partie qui aurait abrégé ou prolongé inutilement la durée de l'instance;

 

h) de la dénégation d'un fait par une partie ou de sa négligence ou de son refus de l'admettre, lorsque ce fait aurait dû être admis;

 

i) de la question de savoir si une étape de l'instance,

 

(i) était inappropriée, vexatoire ou inutile,

 

(ii) a été accomplie de manière négligente, par erreur ou avec trop de circonspection;

 

j) de toute autre question pouvant influer sur la détermination des dépens.

 

(3) In exercising its discretionary power pursuant to subsection (1) the Court may consider,

 

(a) the result of the proceeding,

 

(b) the amounts in issue,

 

(c) the importance of the issues,

 

(d) any offer of settlement made in writing,

 

(e) the volume of work,

 

(f) the complexity of the issues,

 

(g) the conduct of any party that tended to shorten or to lengthen unnecessarily the duration of the proceeding,

 

(h) the denial or the neglect or refusal of any party to admit anything that should have been admitted,

 

(i) whether any stage in the proceedings was,

 

(i) improper, vexatious, or unnecessary, or

 

(ii) taken through negligence, mistake or excessive caution,

 

(j) any other matter relevant to the question of costs.

 

(4) La Cour peut fixer la totalité ou partie des dépens en tenant compte ou non du tarif B de l'annexe II et peut adjuger une somme globale au lieu ou en sus des dépens taxés.

 

(4) The Court may fix all or part of the costs with or without reference to Schedule II, Tariff B and, further, it may award a lump sum in lieu of or in addition to any taxed costs.

 

(5) Nonobstant toute autre disposition des présentes règles, la Cour peut, à sa discrétion :

 

a) adjuger ou refuser d'adjuger les dépens à l'égard d'une question ou d'une partie de l'instance particulière;

 

b) adjuger l'ensemble ou un pourcentage des dépens taxés jusqu'à et y compris une certaine étape de l'instance;

 

c) adjuger la totalité ou partie des dépens sur une base procureur‑client.

 

(5) Notwithstanding any other provision in these rules, the Court has the discretionary power,

 

(a) to award or refuse costs in respect of a particular issue or part of a proceeding,

 

(b) to award a percentage of taxed costs or award taxed costs up to and for a particular stage of a proceeding, or

 

(c) to award all or part of the costs on a solicitor and client basis.

 

(6) La Cour peut, dans toute instance, donner des directives à l'officier taxateur, notamment en vue :

 

a) d'accorder des sommes supplémentaires à celles prévues pour les postes mentionnés au tarif B de l'annexe II;

 

b) de tenir compte des services rendus ou des débours effectués qui ne sont pas inclus dans le tarif B de l'annexe II;

 

c) de permettre à l'officier taxateur de prendre en considération, pour la taxation des dépens, des facteurs autres que ceux précisés à l'article 154.

 

 

(6) The Court may give directions to the taxing officer and, without limiting the generality of the foregoing, the Court in any particular proceeding may give directions,

 

(a) respecting increases over the amounts specified for the items in Schedule II, Tariff B,

 

(b) respecting services rendered or disbursements incurred that are not included in Schedule II, Tariff B, and

 

(c) to permit the taxing officer to consider factors other than those specified in section 154 when the costs are taxed.

 

(7) Une partie peut :

 

a) dans les trente jours suivant la date à laquelle elle a pris connaissance du jugement;

 

b) après que la Cour a décidé du jugement à prononcer, au moment de la présentation de la requête pour jugement,

 

que le jugement règle ou non la question des dépens, demander à la Cour que des directives soient données à l'officier taxateur à l'égard des questions visées au présent article ou aux articles 148 à 152 ou qu'elle reconsidère son adjudication des dépens.

 

(7) Any party may,

 

(a) within thirty days after the party has knowledge of the judgment, or

 

(b) after the Court has reached a conclusion as to the judgment to be pronounced, at the time of the return of the motion for judgment,

 

whether or not the judgment included any direction concerning costs, apply to the Court to request that directions be given to the taxing officer respecting any matter referred to in this section or in sections 148 to 152 or that the Court reconsider its award of costs.

 

 

[9]               Sont également pertinentes deux directives sur la procédure portant sur les règles et sur les modifications proposées relatives, entre autres, aux offres de règlement. Elles ne sont pas encore en vigueur, mais les parties sont cependant au courant des intentions de la Cour en ce qui a trait aux offres de règlement.

 

[10]           La directive sur la procédure no 17, modifiée par la directive sur la procédure no 18, énonce ce qui suit en ce qui a trait aux dépens majorés :

Le Comité des règles de la Cour canadienne de l'impôt a proposé de modifier les Règles de la Cour canadienne de l'impôt (procédure générale), notamment par l'adjonction de nouvelles règles. Les nouvelles règles et les modifications revêtiront essentiellement la forme de celles ci‑annexées, comme il est indiqué ci‑après :

 

The Rules Committee of the Tax Court of Canada has proposed amendments and new rules to the Tax Court of Canada Rules (General Procedure) substantially in the form annexed hereto.

 

Jusqu'à ce que les nouvelles règles et les modifications proposées reçoivent l'approbation du gouverneur en conseil et entrent en vigueur, la pratique de la Cour portant sur les audiences sur l'état de l'instance, les conférences préparatoires à l'audience, les offres de règlement d'un appel et tout autre sujet auquel les nouvelles règles et les modifications font référence doit être conforme aux nouvelles règles proposées ainsi qu'aux modifications, ci‑jointes;

 

[…]

 

Until such time as the proposed rules and amendments receive approval of the Governor in Council and become effective, the practice of the Court with respect to Status Hearings, Pre-Hearing Conferences, offers of settlement of an appeal and any other matter referred to in the proposed rules and amendments shall conform to the proposed rules and amendments annexed hereto;

 

. . .

 

147(3.1) Offres de règlement

 

a) À moins que la Cour n'en ordonne autrement et sous réserve de l'alinéa c), lorsque l'appelant fait une offre écrite de règlement et qu'il obtient un jugement qui est au moins aussi favorable que l'offre de règlement, l'appelant a droit aux dépens entre parties jusqu'à la date de la signification de l'offre et, après cette date, aux dépens indemnitaires substantiels que fixe la Cour, plus les débours raisonnables et les taxes applicables.

 

[...]

 

c) Les alinéas a) et b) ne s'appliquent que si l'offre de règlement

 

(i) est faite par écrit;

 

(ii) est signifiée au moins 30 jours après la clôture de la procédure écrite et au moins 90 jours avant le début de l'audience;

 

(iii) n'est pas retirée;

 

(iv) n'expire pas moins de 30 jours avant le début de l'audience.

 

d) Il incombe à la partie qui invoque l'alinéa a) ou l'alinéa b) de prouver

 

(i) qu'il existe un rapport entre la teneur de l'offre de règlement et le jugement;

 

(ii) que le jugement est au moins aussi favorable que l'offre de règlement ou qu'il n'est pas plus favorable que l'offre de règlement, selon le cas.

 

e) Pour l'application du présent article, les dépens « indemnitaires substantiels » correspondent à 80 % des dépens établis sur une base procureur‑client.

 

147(3.1) Settlement offers

 

(a) Unless otherwise ordered by the Court and subject to paragraph (c), where an Appellant makes a written offer to settle and obtains a judgment as favourable as or more favourable than the terms of the offer to settle, the Appellant is entitled to party-and-party costs to the date of service of the offer and substantial indemnity costs after that date, as determined by the Court, plus reasonable disbursements and applicable taxes.

 

. . .

 

(c) Paragraphs (a) and (b) do not apply unless the offer to settle

 

(i) is a written offer of settlement;

 

(ii) is served no earlier than 30 days after the close of pleadings and at least 90 days before the commencement of the hearing;

 

(iii) is not withdrawn; and

 

(iv) does not expire earlier than 30 days before the commencement of the hearing.

 

(d) The party who claims the benefit of paragraphs (a) or (b) has the burden of proving that:

 

(i) there is a relationship between the terms of the settlement offer and the judgment; and

 

(ii) that the judgment is as favourable as the terms of the offer to settle, or more or less favourable, as the case may be.

 

(e) For the purposes of this section "substantial indemnity" costs means 80% of solicitor and client costs.

 

147(3.2)

 

a) Dans le cas où l'offre écrite de règlement ne prévoit pas le règlement de la question des dépens, si une partie demande à la Cour de tenir compte du paragraphe 147(3.1), celle‑ci, en déterminant si le jugement accordé est plus favorable ou moins favorable que l'offre de règlement, ne tient pas compte des dépens accordés dans le jugement ou qui seraient par ailleurs accordés.

 

b) Pour plus de certitude, si une offre écrite de règlement qui ne prévoit pas le règlement de la question des dépens est acceptée, une partie à la [sic] règlement peut demander à la Cour une ordonnance quant aux dépens.

 

147(3.2)

 

(a) In circumstances where a written offer to settle does not provide for the settlement of the issue of costs, if a party requests the Court to consider subsection 147(3.1), the Court, in ascertaining whether the judgment granted is more or less favourable than the offer to settle, shall not have regard to costs awarded in the judgment or that would otherwise be awarded.

 

(b) For greater certainty, if a written offer to settle that does not provide for the settlement of the issue of costs is accepted, a party to the offer may apply to the Court for an order determining costs.

 

 

[11]           Bien que le juge ait reconnu que les questions soulevées en appel étaient importantes et méritaient une attention particulière, il a accepté l'argument de l'intimée selon lequel le ministre ne pouvait pas accepter l'offre de règlement proposée par l'appelante et qu'il n'était pas tenu de motiver son refus. Le ministre ne pouvait pas accepter l'offre proposée à cause de la règle de l'empêchement légal.

 

[12]           Le juge a également retenu l'argument avancé par l'intimée selon lequel, malgré les directives sur la procédure, il avait toute latitude pour accorder ou refuser des dépens majorés.

 

[13]           En ce qui a trait à la norme de contrôle applicable à la décision rendue par le juge sur les dépens, la juge Dawson a écrit ce qui suit, dans l'arrêt Guibord c. Canada, 2011 CAF 346, au paragraphe 10 :

[…] Une cour d'appel doit faire montre de déférence envers l'exercice du pouvoir discrétionnaire de la Cour de l'impôt en matière de dépens et ne devrait intervenir que lorsque le juge de la Cour de l'impôt a considéré des facteurs qui ne sont pas pertinents, a omis de considérer des facteurs pertinents ou est parvenu à une conclusion déraisonnable.

 

[14]           En effet, l'adjudication de dépens relève d'un pouvoir hautement discrétionnaire qui doit nécessairement faire l'objet de déférence.

 

[15]           Dans un autre arrêt, Canada c. Landry, 2010 CAF 135, au paragraphe 22, notre Cour a déclaré que l'exercice d'un pouvoir hautement discrétionnaire implique qu'une cour d'appel ne peut substituer son opinion à celle du juge de première instance, à moins que ce dernier n'ait pas exercé son pouvoir discrétionnaire selon les principes établis.

 

[16]           Le concept de l'empêchement légal a été examiné dans l'arrêt CIBC World Markets Inc. c. Canada, 2012 CAF 3 (CIBC World Markets), où l'appelante cherchait à obtenir des dépens majorés, étant donné qu'elle avait obtenu gain de cause en appel après que l'intimée eut rejeté une offre de règlement qui, en définitive, était favorable.

 

[17]           S'agissant de l'interprétation de l'alinéa 147(3)d) des Règles de la Cour de l'impôt, le juge Stratas a écrit ce qui suit, au paragraphe 14 :

L'alinéa 147(3)d) est conçu pour inciter les parties à faire des offres de règlement et à prendre au sérieux celles qui leur sont faites. Le rejet d'une telle offre peut entraîner des conséquences défavorables sous le rapport des dépens s'il s'avère, au vu de la décision de la Cour, qu'on aurait dû l'accepter.

 

[18]           Ensuite, au paragraphe 15, le juge Stratas a précisé que ce principe était néanmoins assujetti à une condition préalable importante :

[...] seules les offres qu'il aurait été permis d'accepter en droit peuvent entraîner des conséquences du point de vue des dépens. Dans le cas où, pour une quelconque raison juridique, la partie à qui l'offre a été faite n'aurait pas pu l'accepter, le rejet de celle‑ci ne doit pas avoir pour elle de conséquences défavorables sur le plan des dépens.

 

[19]           Dans l'affaire CIBC World Markets et dans celle qui nous occupe, la Cour de l'impôt était saisie d'une question d'interprétation légale à laquelle on ne pouvait répondre que par « oui » ou par « non ». Dans l'arrêt CIBC World Markets, il est précisé, au paragraphe 17, que la Cour ne pouvait répondre que :

[...] soit en confirmant intégralement, soit en infirmant intégralement, la cotisation par laquelle [le ministre] avait refusé à CIBC World Markets les crédits de taxe demandés sur les intrants.

 

[20]           Le juge Stratas a ajouté, au paragraphe 18 :

Dans l'affirmative [en autorisant CIBC World Markets à faire de multiples demandes de crédit de taxe sur les intrants], la cotisation du ministre aurait été annulée, et CIBC World Markets aurait eu droit à la totalité des crédits de taxe sur les intrants qu'elle avait demandés. Dans la négative, la nouvelle cotisation du ministre aurait été confirmée, et CIBC World Markets n'aurait eu droit à aucun des crédits demandés.

 

[21]           La situation dans l'affaire CIBC World Markets est dans l'ensemble semblable à celle de l'espèce. Dans l'espèce, il s'agissait de savoir si toutes les gratifications sous forme d'actions étaient déductibles ou si aucune d'elles ne l'était. Aucun principe établi ne permettait au ministre de reconnaître que les gratifications en argent n'étaient pas déductibles tout en considérant que les gratifications sous forme d'actions l'étaient. Le ministre a, en fait, conclu le contraire, à savoir que les gratifications en argent étaient déductibles et que les gratifications sous forme d'actions ne l'étaient pas.

 

[22]           En ce qui concerne la possibilité d'un compromis, le juge Stratas a déclaré, au paragraphe 19 de l'arrêt CIBC World Markets :

Vu les faits particuliers de la présente espèce, je pense comme le ministre que celui‑ci n'aurait pu accorder à CIBC World Markets dans aucune hypothèse de fait ou de droit une tranche de 90 % des crédits de taxe sur les intrants qu'elle avait demandés. Il aurait pu en aller autrement si, par exemple, le montant des crédits de taxe sur les intrants avait été en litige et que le ministre s'était trouvé théoriquement à même de justifier en fait et en droit la proportion de 90 %. Mais en l'occurrence, le point à décider était une question d'interprétation législative ne pouvant recevoir qu'une réponse de tout ou rien.

 

[23]           Plus loin, aux paragraphes 22 et 23, il a écrit :

[22] Notre Cour est liée par son arrêt Galway c. Ministre du Revenu national, [1974] 1 C.F. 600 (C.A.). Le juge en chef Jackett, au nom de la Cour unanime, y posait en principe (à la page 602) que « le Ministre a l'obligation, aux termes de la Loi, de fixer le montant de l'impôt exigible d'après les faits qu'il établit et en conformité de son interprétation de la loi ». Il s'ensuivait selon lui que le ministre « ne peut établir une cotisation pour un certain montant fixé afin de donner effet à un compromis ». Le ministre ne peut établir de cotisation « que d'après les faits et en conformité de la loi, et non pour donner effet à un compromis ». Voir aussi Cohen c. La Reine [1980] C.T.C. 318 (C.A.F.).

 

[23] Plus récemment, notre Cour a réaffirmé ce principe de Galway dans l'arrêt Harris c. Canada, [2000] 4 C.F. 37 (C.A.), au paragraphe 37 duquel le juge Sexton rappelait au nom de la Cour unanime que « le ministre du Revenu national est tenu de rendre ses décisions en se fondant uniquement sur des considérations tirées de la Loi elle‑même » et qu'il ne peut conclure de « marchés » étrangers à ces considérations. Voir aussi, dans le même sens, Longley c. Minister of National Revenue (1992), 66 B.C.L.R. (2d) 238 (C.A.), page 455.

 

[24]           En plaidoirie, l'appelante a allégué que l'exception de l'empêchement légal exposée dans les arrêts Galway et Cohen avait été limitée par la décision CIBC World Markets. Pour les motifs qui suivent, j'estime que l'arrêt CIBC World Markets ne s'écarte en aucune manière de cette jurisprudence.

 

[25]           En fait, dans l'arrêt CIBC World Markets, la Cour a explicitement considéré qu'elle était liée par l'arrêt Galway. Au paragraphe 25, elle a déclaré qu'aucune disposition légale n'avait annulé Galway. Ce discours est incompatible avec l'idée que la Cour ait pu limiter le principe en question.

 

[26]           En concluant ainsi, je n'oublie pas les arguments de politique générale avancés par Transalta. Or, comme le souligne l'arrêt CIBC World Markets, il existe des arguments de politique générale aussi bien en faveur qu'à l'encontre de l'annulation du principe établi dans les arrêts Galway et Cohen. En outre, c'est au législateur qu'il incombe de déterminer la politique fiscale en apportant des modifications à la Loi afin de conférer au ministre le pouvoir exprès de régler des litiges en ayant recours à des compromis (voir, par exemple, l'article 109 de la Loi sur l'imposition des sociétés, L.R.O. 1990, ch. C‑40, et les articles 7121 et 7122 du Internal Revenue Code of 1986).

 

[27]           L'appelante a de plus fait valoir à l'audience que le juge n'a pas appliqué correctement le critère relatif à l'exception de l'empêchement légal étant donné qu'il s'était seulement demandé si la Couronne pouvait reconnaître la déduction des gratifications sous forme d'actions. Selon l'appelante, le juge devait appliquer le critère à l'ensemble de l'offre, c'est‑à‑dire aux gratifications en argent et à celles sous forme d'actions.

 

[28]           À cet argument, je dois répondre que, même en supposant que le juge a commis une telle erreur, celle‑ci ne saurait être qualifiée d'importante. En effet, le juge a décidé avec raison que la Couronne ne pouvait pas reconnaître la déduction des gratifications sous forme d'actions, et ce fait à lui seul est suffisant pour conclure que la Couronne ne pouvait pas accepter l'offre de règlement proposée.

 

[29]           Enfin, l'appelante a avancé que le juge n'avait pas correctement interprété les faits lorsqu'il a déclaré que la Couronne avait reconnu que les gratifications en argent étaient déductibles. Cet argument ne peut être retenu pour les mêmes raisons que celles données au paragraphe 28. Même en supposant que l'appelante a raison, le juge a correctement conclu que la Couronne ne pouvait faire de compromis en ce qui a trait aux gratifications en actions parce que la politique relative à l'établissement des cotisations de l'Agence du revenu du Canada énonce que toute émission d'actions au bénéfice des employés d'une société au titre d'un régime de gratification en argent ou sous forme d'actions constitue une entente qui relève de l'article 7 de la Loi de l'impôt sur le revenu, L.R.C. 1985 (5e suppl.), ch. 1. À ce titre, un employeur ne pourrait pas déduire les frais supportés à l'égard d'une telle entente (voir le bulletin d'interprétation IT‑113R4). Compte tenu de cette interprétation de la loi, le ministre était dans l'obligation d'établir les cotisations conformément à la loi, telle qu'il la comprenait (voir l'arrêt Cohen, à la page 319).

 

[30]           Pour les raisons susmentionnées et compte tenu de la jurisprudence antérieure de notre Cour, je ne peux conclure que le juge a commis une erreur justifiant notre intervention en concluant que le ministre avait raison de rejeter l'offre de règlement, comme l'appelante l'avait proposée.

 

[31]           En outre, étant donné que la directive sur la procédure no 18 n'est pas encore en vigueur, elle ne saurait avoir d'incidence sur l'exercice du pouvoir discrétionnaire de la Cour d'accorder des dépens supplémentaires lorsque la situation le justifie ou de refuser de le faire dans le cas contraire. Même si la directive sur la procédure était en vigueur, le paragraphe 147(3.1) proposé reconnaît que les juges de la Cour de l'impôt conservent leur pouvoir discrétionnaire de ne pas adjuger de dépens majorés. Si ce n'était pas le cas, la disposition proposée ferait obstacle à la capacité des juges de la Cour de l'impôt d'accorder des dépens justes et appropriés, qui répondent aux circonstances particulières de chaque cas.

 

[32]           Les deux parties ont présenté des mémoires détaillés et ont formulé des observations par voie de conférence téléphonique en ce qui concerne les dépens. Le paragraphe 147(3) dresse une longue liste de facteurs qu'un juge peut prendre en considération lorsqu'il adjuge des dépens et l'appelante n'a pas réussi à démontrer que le juge n'avait pas pris ces facteurs en considération.

 

[33]           L'intimée n'a ni le devoir ni l'obligation de donner des motifs ou de proposer d'autres solutions de règlement (Campbell c. La Reine, 2010 CCI 323 (Campbell)).

 

[34]           Dans la décision Campbell, le juge a écrit ce qui suit, au paragraphe 10 :

[…] Bien que la cour encourage les parties à négocier un règlement lorsque c'est possible, l'intimée n'avait aucunement l'obligation de faire une contre‑offre, comme le laisse entendre l'appelant, et elle était libre de rejeter immédiatement l'offre qui lui était présentée. […]

 

[35]           Compte tenu de ce qui précède, je ne peux conclure que le juge a commis une erreur de droit, a omis de prendre en considération des facteurs pertinents, a considéré des facteurs non pertinents ou est parvenu à une conclusion déraisonnable. Je conclus que le juge a exercé son pouvoir discrétionnaire de manière appropriée et que la Cour ne devrait pas intervenir.

 

[36]           Je rejetterais l'appel avec dépens en faveur de l'intimée.

 

« Pierre Blais »

Juge en chef

« Je suis d'accord.

            Eleanor R. Dawson, j.c.a. »

 

« Je suis d'accord.

            James W. O'Reilly, j.c.a. (d'office) »

 

 

Traduction certifiée conforme

Yves Bellefeuille, réviseur


COUR D'APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 


 

DOSSIER :                                                    A-486-12

 

INTITULÉ :                                                  TRANSALTA CORPORATION c. SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L'AUDIENCE :                           CALGARY (ALBERTA)

 

DATE DE L'AUDIENCE :                         LE 3 OCTOBRE 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                       LE JUGE EN CHEF BLAIS

 

Y ONT SOUSCRIT :                                    LA JUGE DAWSON

                                                                        LE JUGE O'REILLY (d'office)

 

DATE DES MOTIFS :                                 Le 6 décembre 2013

 

COMPARUTIONS :

 

Robert D. McCue                               POUR L'APPELANTE

Todd Marr

 

Carla L. Lamash                                  POUR L'INTIMÉE

Mary Softley

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Bennett Jones LLP                    POUR L'APPELANTE

Calgary (Alberta)

 

William F. Pentney                  POUR L'INTIMÉE

Sous-procureur général du Canada

 

 

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