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Date : 20131212


Dossiers :

A-104-09

A-50-13

A-51-13

A-52-13

A-53-13

A-54-13

Référence : 2013 CAF 290

CORAM :

LA JUGE DAWSON

LA JUGE TRUDEL

LE JUGE NEAR

 

 

Dossier :

A-104-09

ENTRE :

SA MAJESTÉ LA REINE

appelante

et

STANLEY J. TESSMER LAW CORPORATION

intimée

Dossiers :

A-50-13

A-51-13

A-52-13

A-53-13

A-54-13

ET ENTRE :

STANLEY J. TESSMER LAW CORPORATION

appelante

et

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

Audience tenue à Vancouver (Colombie-Britannique), le 10 décembre 2013.

Jugement rendu à Vancouver (Colombie-Britannique), le 12 décembre 2013.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LA JUGE TRUDEL

Y ONT SOUSCRIT :

LA JUGE DAWSON

 

LE JUGE NEAR

 

 

 


Date : 20131212


Dossiers :

A-104-09

A-50-13

A-51-13

A-52-13

A-53-13

A-54-13

Référence : 2013 CAF 290

CORAM :

LA JUGE DAWSON

LA JUGE TRUDEL

LE JUGE NEAR

 

 

Dossier :

A-104-09

ENTRE :

SA MAJESTÉ LA REINE

appelante

et

STANLEY J. TESSMER LAW CORPORATION

intimée

Dossiers :

A-50-13

A-51-13

A-52-13

A-53-13

A-54-13

ET ENTRE :

STANLEY J. TESSMER LAW CORPORATION

appelante

et

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

MOTIFS DU JUGEMENT

LA JUGE TRUDEL

[1]               Sa Majesté la Reine interjette appel de l’ordonnance modifiée rendue par la juge Miller le 4 mars 2009, dans laquelle elle a conclu que Stanley J. Tessmer Law Corporation (Tessmer) avait qualité « pour soulever les prétendues atteintes aux droits garantis à ses clients par la Charte canadienne des droits et libertés et pour se fonder sur ces atteintes pour contester la validité de la Loi sur la taxe d’accise [L.R.C. 1985, ch. E-15] [LTA] en ce qui concerne l’application de la taxe sur les produits et services [« TPS »] aux honoraires juridiques demandés pour des services de défense au criminel fournis par [Tessmer] » (les motifs de la juge Miller sont répertoriés sous 2009 CCI 104). Sa Majesté prétend que la juge Miller a commis une erreur en concluant que Tessmer avait qualité pour agir conformément à l’exception prévue dans Office canadien de commercialisation des œufs c. Richardson, [1998] 3 R.C.S. 157 [OCCO].

[2]               Par ordonnance de notre Cour en date du 18 mars 2013, le présent appel est entendu en même temps que cinq appels réunis interjetés par Tessmer contre une ordonnance rendue par le juge Paris le 28 janvier 2013, dans laquelle il a conclu que la TPS qu’impose l’art. 165 de la LTA  ne portait pas atteinte aux droits des clients de l’appelante garantis par l’al. 10b) de la Charte canadienne des droits et libertés [partie 1 de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.-U.), 1982, ch. 11] [la Charte] et n’était pas incompatible avec ces droits (les motifs de l’ordonnance du juge Paris sont répertoriés sous 2013 CCI 27). Le juge Paris est arrivé à sa conclusion finale après avoir souligné l’absence de quelque élément de preuve que ce soit établissant que l’un quelconque des clients de Tessmer n’a pu retenir les services d’un avocat à cause de la TPS à payer sur les services juridiques fournis et le fait que Tessmer a admis que ce type de preuve était disponible (les motifs du juge Paris, aux paragraphes 57 et 67).

[3]               Tessmer soutient que le juge Paris a commis une erreur en l’obligeant à produire une preuve montrant que la disposition en question porte atteinte aux droits constitutionnels de ses clients. Tessmer prétend que l’inconstitutionnalité de la disposition contestée est évidente à première vue. Par conséquent, elle n’a qu’à démontrer que la taxe est incompatible avec le droit prévu à l’al. 10b) de la Charte. En appel devant notre Cour, Tessmer a aussi présenté un avis de question constitutionnelle, libellé comme suit :

[traduction]

Compte tenu des faits énoncés dans l’exposé conjoint des faits déposé par la présente, la taxe sur les produits et services (TPS) qu’impose l’article 165 de la Loi sur la taxe d’accise porte-t-elle atteinte aux droits que tirent de l’article 7 et de l’alinéa 10b) de la Charte des droits et libertés les clients de l’appelante ou est-elle incompatible avec ces droits, de sorte que l’article 165 de la Loi sur la taxe d’accise est, en cas d’une telle incompatibilité, et, sous réserve de l’article premier de la Charte, inopérant vu le paragraphe 52(1) de la Loi constitutionnelle? (A-50-13, mémoire des faits et du droit de Tessmer, au paragraphe 1 )

[4]               Cette question a initialement été présentée à la Cour canadienne de l’impôt. À l’instruction des appels réunis, Tessmer s’est vu rappeler que le juge Paris avait modifié cette question après que l’avocat de Tessmer l’eut informé qu’il ne se fondait maintenant plus que sur l’al. 10b). Il a donc été convenu que Tessmer ne se référerait qu’à l’art. 7 de la Charte étant donné que celui-ci influe sur l’interprétation de l’al. 10b).

Analyse

La question de la qualité

[5]               En ce qui concerne la question de la qualité, je conviens avec la juge Miller que l’exception prévue dans l’arrêt OCCO s’applique de sorte que Tessmer a qualité pour agir. Dans l’arrêt OCCO, la Cour suprême du Canada  a conclu que, bien qu’une partie n’ait habituellement pas qualité pour contester la constitutionnalité d’une loi lorsque ses propres droits garantis par la Charte ne sont pas violés, il est possible qu’une personne morale « poursuivie en justice conformément à un régime de réglementation [ait qualité pour] contester la loi — qu’elle considère inconstitutionnelle — en vertu de laquelle le régime en cause a été établi » (OCCO, au paragraphe 44).

[6]               Conformément aux art. 221 et 225 de la LTA, Tessmer est un mandataire de Sa Majesté.   Elle est tenue, à titre de « personne qui effectue une fourniture taxable », de percevoir la TPS payable par ses clients sur les honoraires d’avocat et de verser à Sa Majesté du chef du Canada le montant net approprié de la TPS. Bien que ce soit en principe Tessmer qui a interjeté appel devant la Cour canadienne de l’impôt, elle l’a fait parce que, comme l’a conclu la juge Miller, « c’est le contribuable qui doit établir que la cotisation du ministre est erronée » (les motifs de la juge Miller, au paragraphe 20). Il s’agit là, comme l’a écrit la juge Miller, d’une « nuance de notre régime d’autocotisation » (ibidem). Par suite de sa décision de ne pas percevoir ou verser la taxe, Tessmer a fait l’objet de cotisations exigeant le paiement de la TPS, d’intérêts et de pénalités dont le montant total s’élève à environ 360 000 $. Ayant reçu les cinq cotisations susmentionnées, elle pouvait soit payer les montants exigés même si elle croyait que le fait de percevoir la TPS payable par ses clients portait atteinte à leurs droits constitutionnels, soit interjeter appel des cotisations devant la Cour canadienne de l’impôt.

[7]               En conséquence, je ne vois aucune erreur dans la conclusion de la juge Miller selon laquelle Tessmer s’est trouvée involontairement devant la Cour ni dans sa décision reconnaissant à Tessmer la qualité pour agir en vertu de l’exception prévue dans l’arrêt OCCO. Ayant conclu que Tessmer a qualité pour agir, je vais maintenant examiner l’appel sur le fond.

La contestation constitutionnelle

[8]               Premièrement, je fais remarquer que Tessmer accepte la conclusion du juge Paris selon laquelle l’objet du par. 165(1) de la LTA n’est pas invalide. Par conséquent, il ne reste à Tessmer que la contestation de la loi en raison de son effet sur les droits de ses clients selon l’al. 10b) de la Charte.

[9]               Je conviens avec le juge Paris que Tessmer n’a pas établi que l’art. 165 de la LTA porte atteinte à l’al. 10b) de la Charte. Compte tenu des faits de l’espèce, Tessmer devait produire une preuve pour démontrer l’effet de la TPS sur les droits de ses clients, mais elle ne l’a pas fait. La Cour suprême du Canada a clairement dit que « [l]es décisions relatives à la Charte ne doivent pas être rendues dans un vide factuel » (MacKay c. Manitoba, [1989] 2 R.C.S. 357, à la page 361). Aussi, dans l’arrêt Danson c. Ontario (Procureur général) [1990] 2 R.C.S. 1086, à la p. 1099 [Danson], la Cour suprême du Canada affirme avoir toujours veillé soigneusement « à ce qu’un contexte factuel adéquat existe avant d’examiner une loi en regard des dispositions de la Charte, surtout lorsque le litige porte sur les effets de la loi contestée » (non souligné dans l’original).

[10]           Comme il a été dit dans l’arrêt John Carten Personal Law Corp. v. British Columbia (Attorney General) (1997), 40 B.C.L.R. (3d) 181 (BCCA), autorisation de pourvoi refusée, [1998] S.C.C.A. No. 205, il existe de nombreuses raisons pour lesquelles le coût des services juridiques, ou le manque de moyens financiers, peut limiter ou gêner une personne dans l’exercice du droit d’accès aux tribunaux ou à d’autres services juridiques, ou même l’empêcher d’exercer ce droit (au paragraphe 33). Cela est conforme à l’arrêt Colombie-Britannique (Procureur général) c. Christie, 2007 CSC 21, [2007] 1 R.C.S. 873 [Christie], où la Cour suprême du Canada a approuvé la position du procureur général de la Colombie-Britannique, qui soutenait que « le coût des services juridiques est susceptible d’être influencé par un éventail complexe de facteurs, ce qui tend à faire ressortir la nécessité d’obtenir, de la part d’experts, des éléments de preuve de nature financière visant à établir que la taxe [provinciale sur le prix d’achat des services juridiques] entravera concrètement l’accès à la justice » (ibidem, au paragraphe 28). Toujours dans l’arrêt Christie, la Cour suprême a indiqué qu’il faut se garder de statuer sur des litiges constitutionnels en l’absence d’un dossier factuel adéquat (au paragraphe 28).

[11]           En l’espèce, il y a un manque total de preuve et l’avocat de Tessmer n’a été en mesure de citer aucun précédent justifiant que notre Cour s’écarte des enseignements de la Cour suprême du Canada dans les arrêts Danson ou Christie. Compte tenu des faits de l’espèce, ce manque total de preuve est fatal pour la contestation constitutionnelle engagée par Tessmer.

[12]           Je n’ai donc pas besoin d’examiner l’argument de Tessmer relatif à la portée de l’al. 10b) de la Charte. Cependant, mon silence ne devrait pas être interprété comme emportant approbation des motifs du juge Paris sur cette question (voir en particulier les paragraphes 61 et suivants des motifs du juge Paris).

[13]           Par conséquent, je me propose de rejeter l’appel avec dépens pour ce qui est du dossier A‑104-09. Je me propose également de rejeter les appels dans les dossiers A-50-13, A-51-13, A‑52‑13, A-53-13 et A-54-13, avec un seul mémoire de dépens.

[14]           Enfin, je répondrais comme suit à la question constitutionnelle, telle qu’elle a été modifiée par le juge Paris :

Compte tenu des faits énoncés dans l’exposé conjoint des faits déposé par les parties, la taxe sur les produits et services (TPS) qu’impose l’article 165 de la Loi sur la taxe d’accise ne porte pas atteinte aux droits que tirent de l’alinéa 10b) de la Charte des droits et libertés les clients de l’appelante et n’est pas incompatible avec ces droits.

[15]           Une copie des présents motifs sera déposée dans le dossier de l’appel no A-104-09 et dans chacun des cinq autres appels.

« Johanne Trudel »

j.c.a.

 

« Je suis d’accord

            Eleanor R. Dawson, j.c.a. »

 

« Je suis d’accord

D.G. Near, j.c.a. »

 

Traduction certifiée conforme

Erich Klein

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

A-104-09

 

INTITULÉ :

SA MAJESTÉ LA REINE c. STANLEY J. TESSMER LAW CORPORATION

 

ET DOSSIERS :

A-50-13 A-51-13 A-52-13 A-53-13 A-54-13

 

INTITULÉ :

STANLEY J. TESSMER LAW CORPORATION c. SA MAJESTÉ LA REINE

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 10 décembre 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

LA JUGE TRUDEL

 

Y ONT SOUSCRIT :

LA JUGE DAWSON

LE JUGE NEAR

 

DATE DES MOTIFS :

LE 12 décembre 2013

 

COMPARUTIONS :

Elizabeth (Lisa) McDonald

Darren McLeod

 

Pour l'appelante

SA MAJESTÉ LA REINE

 

Craig C. Sturrock, c.r.

 

Pour l'intimée

STANLEY J. TESSMER LAW CORPORATION

 

Craig C. Sturrock, c.r.

 

Pour l'appelante

STANLEY J. TESSMER LAW CORPORATION

 

Elizabeth (Lisa) McDonald

Darren McLeod

 

Pour l'intimée

SA MAJESTÉ LA REINE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

Pour l'appelante

SA MAJESTÉ LA REINE

 

Thorsteinssons LLP, avocats fiscalistes

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

Pour l'intimée

STANLEY J. TESSMER LAW CORPORATION

 

Thorsteinssons LLP, avocats fiscalistes

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

Pour l'appelante

STANLEY J. TESSMER LAW CORPORATION

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

Pour l'intimée

SA MAJESTÉ LA REINE

 

 

 

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