Décisions de la Cour d'appel fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20130924


Dossier :

A-91-12

 

Référence : 2013 CAF 223

CORAM :     

LE JUGE NOËL

LA JUGE TRUDEL

LE JUGE MAINVILLE

 

 

 

ENTRE :

GANDHI JEAN PIERRE

 

demandeur

et

ALLIANCE DE LA FONCTION

PUBLIQUE DU CANADA

 

défenderesse

 

Audience tenue à Montréal (Québec), le 10 septembre 2013.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 24 septembre 2013.

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                             LA JUGE TRUDEL

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                            

LE JUGE NOËL

                                                                                                                   

LE JUGE MAINVILLE

                                                                                                                                                           

 

 


Date : 20130924


Dossier :

A-91-12

 

Référence : 2013 CAF 223

CORAM :     

LE JUGE NOËL

LA JUGE TRUDEL

LE JUGE MAINVILLE

 

 

 

ENTRE :

GANDHI JEAN PIERRE

 

demandeur

et

ALLIANCE DE LA FONCTION

PUBLIQUE DU CANADA

 

défenderesse

 

MOTIFS DU JUGEMENT

LA JUGE TRUDEL

[1]               Notre Cour est saisie de la demande de contrôle judiciaire du demandeur, Gandhi Jean Pierre, à l’encontre d’une décision de la Commission des relations de travail dans la fonction publique (la Commission) rendue par le commissaire Stephan J. Bertrand  (Jean-Pierre c. Arcand, 2012 CRTFP 23).

 

[2]               La Commission a rejeté la plainte du demandeur fondée sous l’article 190 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22, art. 2 (la Loi). Elle a ainsi refusé de conclure que Pierre Arcand (le défendeur devant la Commission) avait agi « de manière arbitraire ou discriminatoire ou de mauvaise foi en matière de représentation » du demandeur et tout particulièrement en refusant de représenter ce dernier dans le cadre d’un grief qu’il avait formulé suite au refus de l’employeur de retenir sa candidature concernant un avis d’intérêt pour une affectation temporaire (voir article 187 de la Loi).

 

[3]               Le litige opposant le demandeur et l’Alliance de la fonction publique du Canada est né d’une séquence factuelle toute simple. Je la décris ici, ne serait-ce que pour démontrer l’ampleur que peut prendre un dossier sous la plume d’un demandeur convaincu que son point de vue est la seule issue possible au litige sans quoi la conclusion inévitable est que le système de justice est corrompu et ses décideurs partiaux et de mauvaise foi.

 

Les faits pertinents

 

[4]               Le demandeur est agent d’immigration à Citoyenneté et Immigration Canada au bureau de Montréal. Alors qu’il était en affectation temporaire à l’ambassade canadienne du Mexique, le directeur des opérations du bureau de Montréal a fait publier un avis visant à sonder l’intérêt de candidats potentiels pour combler temporairement quelques postes de superviseurs intérimaires au Québec. Les candidats intéressés devaient soumettre les documents requis avant le 18 novembre 2009.

 

[5]               Le demandeur a été informé de cet avis non par la voie officielle mais par un collègue de travail et a manifesté son intérêt en temps utile tout en requérant une prorogation du délai pour acheminer les documents requis. Le demandeur a finalement soumis sa candidature en bonne et due forme sept (7) jours après la date butoir. Ce retard lui a été fatal puisque sa candidature a été rejetée par l’employeur.

 

[6]               Ces faits ont amené le demandeur à contacter son représentant syndical. D’entrée de jeu, un représentant syndical national a formulé l’opinion qu’un grief portant sur le refus de l’employeur de considérer la candidature du demandeur ne pourrait réussir parce que l’avis d’intérêt portait sur des affectations de moins de quatre (4) mois fermant la porte à tout recours (voir le Règlement sur l’emploi dans la fonction publique, DORS/2005-334, aux articles 12 à 14).

 

[7]               Mais, dans l’espoir d’obtenir une offre de règlement de l’employeur, un grief fut tout de même déposé au premier palier du processus de grief de l’employeur requérant simplement que la candidature du demandeur soit considérée. Aucun allégué de mépris ou de discrimination à l’endroit du demandeur n’y apparaissait. Ce grief fut rejeté puis, à la demande du demandeur, porté par le syndicat au deuxième palier de la procédure de grief. Cependant, le demandeur fut avisé par Pierre Arcand que le syndicat cesserait de le représenter sans toutefois retirer le grief. De là, la plainte du demandeur contre Pierre Arcand pour refus de représentation dans le cadre d’un grief dont le demandeur ne s’est pas préoccupé depuis.

 

 

 

La décision de la Commission

 

[8]               Après avoir noté que le fardeau de preuve du demandeur consistait à établir que le défendeur Pierre Arcand avait failli à son devoir de représentation équitable, la Commission a rappelé quelques principes juridiques sous-tendant sa conclusion ultime qui fut de rejeter la plainte.

 

[9]               Entre autres, la Commission a rappelé que bien qu’un fonctionnaire puisse s’attendre de son représentant syndical à une analyse sérieuse de son dossier, il n’a cependant pas droit à l’enquête la plus exhaustive qui soit (motifs de la Commission au paragraphe 43). De même, la Commission n’a pas pour rôle de statuer sur le bien-fondé de la décision de l’agent négociateur, mais bien plutôt de se pencher sur le processus décisionnel mis en branle par ce dernier (ibidem au paragraphe 44, citant Halfacree c. Alliance de la fonction publique du Canada, 2009 CRTFP 28). Enfin, la Commission, prenant appui sur les affaires Guilde de la marine marchande du Canada c. Gagnon, [1984] 1 R.C.S. 509 et Noël c. Société d’énergie de la Baie James, 2001 CSC 39, [2001] 2 R.C.S. 207 a mentionné que la barre pour faire la preuve d’une conduite arbitraire – ou discriminatoire ou de mauvaise foi – est très élevée à dessein afin de laisser de la latitude aux agents négociateurs relativement aux décisions qu’ils prennent en matière de représentation (ibidem au paragraphe 48).

 

[10]           Puis, ayant examiné les faits et la preuve présentée par les parties, la Commission a conclu que le demandeur ne s’était pas déchargé de son fardeau. Plus précisément, la Commission a écrit :

 

49        … Mon analyse des faits et de la preuve présentée par les parties ne révèle aucun signe que le défendeur a agi de manière discriminatoire, arbitraire ou de mauvaise foi. Aucun élément présenté par le plaignant n’a permis d’établir, selon la prépondérance des probabilités, qu’il y avait eu violation de l’article 187 de la Loi. Le plaignant n’a présenté aucune preuve indépendante, documentaire ou autre, venant confirmer que le défendeur avait préalablement refusé de représenter le plaignant ni la raison de ce refus. Le défendeur a nié ce fait et n’a pas été contre-interrogé sur cette partie de son témoignage. Le plaignant n’a lui-même présenté aucune preuve ou contexte concernant cette allégation.

 

50        De même, le plaignant n’a présenté aucune preuve indépendante, documentaire ou autre venant supporter son argument voulant que le défendeur avait agi en collusion avec l’employeur lors du retrait de représentation de l’agent négociateur.

 

51        En outre, rien dans la preuve qui m’a été présentée ne m’a permis de conclure que le défendeur avait manifesté une attitude désinvolte ou cavalière envers les intérêts du plaignant ou qu’il avait agi de manière trompeuse, malveillante ou en raison de quelque hostilité à son égard. Je n’ai aucune raison de croire que ce dernier a agi de façon négligente ou qu’il a traité le plaignant différemment des autres fonctionnaires et que telle distinction, le cas échéant, aurait pu être attribuable à des motifs illégaux, arbitraires ou déraisonnables.

 

52        Par ailleurs, je suis d’avis que le défendeur connaissait les circonstances entourant le grief et avait en main toute l’information nécessaire pour prendre une décision concernant la représentation du plaignant au deuxième palier de la procédure. Je suis également convaincu que le défendeur a examiné les circonstances du grief, qu’il en a apprécié le bien-fondé et qu’il a pris une décision éclairée à savoir si l’agent négociateur devait continuer de représenter le plaignant. Les conclusions du défendeur n’étaient pas différentes de celles des deux autres représentants syndicaux impliqués dans le dossier du plaignant, c’est-à-dire Messieurs Thériault et Boulanger.

 

Analyse

 

[11]           La norme de contrôle applicable aux décisions de la Commission en matière de représentation juste et équitable est celle de la raisonnabilité (Boulos c. Alliance de la fonction publique du Canada, 2012 CAF 193; Beaulne c. Alliance de la fonction publique du Canada, 2011 CAF 62, autorisation de pourvoi à la C.S.C. refusée, 34256 (8 septembre 2011); McAuley c. Chalk River Technicians and Technologists Union, 2011 CAF 156).

[12]           Une analyse attentive du dossier, incluant les pièces auxquelles le demandeur a spécifiquement référé au cours de sa plaidoirie, me convainc que la décision de la Commission relève des « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » applicable (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190 au paragraphe 47). Il n’y a donc pas, selon moi, matière à intervention par notre Cour sur ce volet de la demande de contrôle judiciaire du demandeur.

 

[13]           Je suis aussi d’avis qu’il n’y a pas davantage de motif pour notre Cour de casser la décision sous étude et de retourner le dossier pour une nouvelle audition devant la Commission en raison d’un prétendu manquement aux principes d’équité procédurale et de justice naturelle. Rien au dossier ne donne foi aux allégations du demandeur à cet égard.

 

[14]           Ceci dit, je tiens à faire quelques commentaires sur la plaidoirie du demandeur devant notre Cour, plaidoirie dont le texte intégral a été versé au dossier lors de l’audition.

 

[15]           C’est tous azimuts que le demandeur attaque l’ensemble des personnes qui ont été impliquées dans son dossier en commençant par le représentant de l’employeur, M. Vassalo, puis en passant aux représentants syndicaux, Pierre Arcand et Éric Thériault. Le premier est accusé d’avoir eu un « comportement arbitraire, abusif et irrespectueux » et de s’être adonné à de multiples abus de pouvoir, alors que les autres, supposément reconnus pour leur allégeance patronale, ont illégalement représenté le demandeur alors qu’ils n’en avaient pas l’autorité. L’Alliance de la fonction publique du Canada (la défenderesse en l’instance) n’échappe pas non plus aux accusations du demandeur. Quant à elle, elle a toléré les irrégularités mentionnées ci-dessus et s’est mise en infraction par rapport à ses propres statuts et règlements. Ses représentants se sont rendus coupables de collusion avec l’employeur dans le but de bafouer les droits du demandeur et de perpétuer la discrimination dont il avait été victime aux mains de son employeur.

 

[16]           Mais les pires accusations sont réservées au commissaire Bertrand. Selon le demandeur, le commissaire aurait « analysé superficiellement [la preuve] avec un état d’esprit fermé et une prédisposition envers la partie défenderesse ». Il a rendu une décision « déraisonnable, abusi[ve] et contraire à la transparence judiciaire » en ne retenant pas la preuve du demandeur, en ne discutant pas de tous ses arguments et en préférant la preuve de l’employeur ou des représentants syndicaux. Le commissaire a fait preuve « d’aveuglement volontaire ». Il s’est montré hostile et partial dans l’administration de la preuve et a « trompé la justice ». Le commissaire serait même allé jusqu’à « altére[r] [la] plaidoirie [du demandeur] dans son ensemble laissant croire que celle-ci était courte voire non substantielle ».

 

[17]           Convaincu de la justification de toutes ces accusations, le demandeur conclut que ses droits fondamentaux protégés par les articles 11 et 15 de la Charte canadienne des droits et libertés, partie 1 de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.-U.), 1982, c. 11 « ont délibérément été bafoués par le commissaire Bertrand ». Le demandeur en ressort, dit-il, avec une « confiance en l’administration judiciaire fortement ébranlée ». Il n’a donc recours au système judiciaire que par obligation.

 

[18]           Ces accusations sont très graves, lourdes de conséquences pour les personnes visées et ne peuvent être passées sous silence, d’autant plus qu’elles ne trouvent aucun appui dans la preuve ou dans la décision du commissaire Bertrand. En l’espèce, il y a lieu de rappeler que le commissaire Bertrand est membre d’un tribunal indépendant quasi-judiciaire.

 

[19]           La Commission et ses décideurs exercent des fonctions « essentiellement juridictionnelles » ["primarily adjudicative"] et doivent respecter la norme d’impartialité judiciaire imposée aux cours de justice (Newfoundland Telephone Co. c. Terre-Neuve (Board of Commissioners of Public Utilities), [1992] 1 R.C.S. 623 au paragraphe 27). D’ailleurs, la Commission impose à ses commissaires un Code de conduite et des lignes directrices en lien avec cette obligation d’impartialité (voir Code de conduite et lignes directrices à l’intention des commissaires de la Commission des relations de travail dans la fonction publique (19 Décembre 2011), en ligne : Commission des relations de travail dans la fonction publique <http://pslrb-crtfp.gc.ca/about/codeofconduct_f.asp>). Selon ce code, un commissaire doit, entre autres,

 

         approcher toute audience avec un esprit ouvert à l’égard de toute question en litige;

         écouter attentivement les vues et arguments des parties et de leurs représentants;

         mener les audiences promptement, en évitant les retards inutiles et en faisant en sorte que toutes les parties aient une juste possibilité de faire valoir leurs arguments;

         exposer à la partie qui se représente seule les règles concernant la présentation de sa preuve et la procédure qui entrent en jeu dans le déroulement de l’audience.

 

[20]           Une lecture objective de la décision du commissaire qui a entendu les parties pendant 5 jours et un examen attentif du dossier montrent que ce dernier s’est formé une opinion sur les questions en litige de manière impartiale et indépendante. Il n’avait pas l’obligation de reprendre dans ses motifs l’ensemble des doléances du demandeur. Il ne faut pas perdre de vue que le commissaire avait pour rôle de trancher un grief fondé sur la séquence factuelle discutée précédemment dont la mesure corrective recherchée était simplement « que la candidature de l’employé soit considérée pour une affectation comme superviseur au service intérieur selon les critères spécifiés dans l’avis d’intérêt du 10 novembre 2009 » (dossier de la défenderesse, volume 1 à la page 44). Dans le cadre de l’audition qu’il présidait, il lui était permis d’administrer la preuve en fonction de la tâche qui était sienne, celle de disposer du grief décrit plus haut.

 

[21]           On ne saurait davantage reprocher au commissaire, face à une preuve contradictoire, d’avoir préféré la version de l’employeur et des représentants syndicaux plutôt que celle du demandeur. C’était là son rôle de décideur en première instance, un rôle pour lequel son expertise est reconnue. De là, la déférence qu’accorde notre Cour aux conclusions factuelles tirées par la Commission (Boshra c. Association canadienne des employés professionnels, 2011 CAF 98 aux paragraphes 44, 49).

 

[22]           Enfin, je termine avec la déclaration du demandeur selon laquelle toute la procédure entourant son grief a miné sa confiance en l’administration judiciaire. C’est là la vision du demandeur. Je la respecte mais ne peut la partager en l’espèce.

 

[23]           Dans l’affaire R. c. S. (R.D.), [1997] 3 R.C.S. 484, la Cour suprême du Canada rappelle que

 

[p]our mériter le respect et la confiance de la société, le système de justice doit faire en sorte que les procès soient équitables et qu’ils paraissent équitables aux yeux de l’observateur renseigné et raisonnable. Tel est le but fondamental assigné au système de justice dans une société libre et démocratique (au paragraphe 91).

 

[24]           Cet observateur renseigné et raisonnable n’est pas, comme le rappelle la Cour suprême dans cette affaire « … de nature scrupuleuse ou tatillonne ["very sensitive or scrupulous"], c’est plutôt une personne sensée qui connaît les circonstances de la cause » (au paragraphe 36).

 

[25]           Appliquant ce cadre d’analyse, je conclus que les faits en l’espèce ne sont nullement susceptibles de susciter, chez une personne raisonnablement informée, une crainte raisonnable de partialité. Dit autrement, une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique, ne croirait pas que, selon toute vraisemblance, le commissaire a ici rendu une décision injuste (Gagliano c. Canada (Commission d’enquête sur le programme de commandites et les activités publicitaires, Commission Gomery), 2011 CAF 217, citant Committee for Justice and Liberty c. Office national de l’énergie, [1978] 1 R.C.S. 369).

 

[26]           Par conséquent, je propose de rejeter la demande de contrôle judiciaire avec dépens.

 

 

 

« Johanne Trudel »

j.c.a.

« Je suis d'accord.

           Marc Noël j.c.a. »

 

« Je suis d'accord.

           Robert M. Mainville j.c.a. »

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 


Dossier :

                                                            A-91-12

 

INTITULÉ :

GANDHI JEAN PIERRE c. ALLIANCE DE LA FONCTION PUBLIQUE DU CANADA

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

                                                                                                Montréal (Québec)

DATE DE L’AUDIENCE :

                                                                                                LE 10 SEPTEMBRE 2013

MOTIFS DU JUGEMENT :

                                                                                                LA JUGE TRUDEL

Y ONT SOUSCRIT :                                                          

LE JUGE NOËL

                                                                                               

LE JUGE MAINVILLE

 

 

DATE DES MOTIFS :

                                                                                                LE 24 SEPTEMBRE 2013

COMPARUTIONS :

Gandhi Jean Pierre

POUR SON PROPRE COMPTE

 

Wassim Garzouzi

 

Pour la défenderesse

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Raven, Cameron, Ballantyne and Yazbeck, LLP/s.r.l.

Ottawa (Ontario)

 

Pour la défenderesse

 

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.