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Date : 20140203


Dossier :

A‑174‑13

 

Référence : 2014 CAF 29

CORAM:      

LA JUGE SHARLOW

LE JUGE WEBB

LE JUGE NEAR

 

 

ENTRE :

LE COMMISSAIRE DE LA CONCURRENCE

 

appelant

et

THE TORONTO REAL ESTATE BOARD

 

intimé

Audience tenue à Toronto (Ontario), le 22 janvier 2014.

Jugement prononcé à Ottawa (Ontario), le 3 février 2014.

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                        LA JUGE SHARLOW

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                           

LE JUGE WEBB

                                                                                                                               

LE JUGE NEAR

 

 


Date : 20140203


Dossier :

A‑174‑13

 

Référence : 2014 CAF 29

CORAM :     

LA JUGE SHARLOW

LE JUGE WEBB

LE JUGE NEAR

 

 

ENTRE :

LE COMMISSAIRE DE LA CONCURRENCE

 

appelant

et

THE TORONTO REAL ESTATE BOARD

 

intimé

MOTIFS DU JUGEMENT

LA JUGE SHARLOW

[1]               Le commissaire de la concurrence interjette appel de la décision du Tribunal de la concurrence, qui a rejeté sa demande d’ordonnance de réparation fondée sur le paragraphe 79(1) de la Loi sur la concurrence, L.R.C. 1985, ch. C‑34, contre l’intimé, le Toronto Real Estate Board (2013 Trib. Conc. 9). La demande était fondée sur l’allégation du commissaire selon laquelle une certaine règle adoptée par le Toronto Real Estate Board (TREB) est anti‑concurrentielle parce qu’elle diminue sensiblement la concurrence entre les courtiers en immeubles de la région du Grand Toronto qui sont membres de cette chambre immobilière. Le Tribunal a rejeté la demande sans statuer sur le fond, au motif que le paragraphe 79(1) ne peut s’appliquer au TREB parce qu’il n’est pas en concurrence avec ses membres. Selon le Tribunal, cette conclusion s’imposait vu la décision rendue par notre Cour dans l’arrêt Canada (Commissaire de la concurrence) c. Tuyauteries Canada Ltée, 2006 CAF 233, [2007] 2 R.C.F. 3. Pour les motifs qui suivent, j’accueillerais l’appel et renverrais la demande du commissaire au Tribunal pour qu’il rende une décision sur le fond.

 

Les allégations factuelles

[2]               Le TREB conteste plusieurs aspects factuels et juridiques de la demande du commissaire, mais le Tribunal n’a tranché aucune de ces questions parce qu’il a rejeté la demande uniquement sur une question de droit. Pour cette raison, j’ai présumé, sans me prononcer sur la question et uniquement aux fins du présent appel, que les allégations du commissaire, comme l’indiquent les motifs qui suivent, sont pour l’essentiel vraies. Rien dans les présents motifs ne vise à empêcher le commissaire ou le TREB d’alléguer un fait ou de défendre un argument devant le Tribunal dans la présente affaire, exception faite de la question d’interprétation législative que j’examinerai plus loin.

 

[3]               Le TREB est une association commerciale constituée en société. Son effectif compte plus de 35 000 courtiers immobiliers qui se font concurrence, et regroupe la grande majorité des courtiers en immeubles qui exercent dans la région du Grand Toronto. Le TREB exploite un service interagences de la région du Grand Toronto. Ce service repose sur une base de données de répertoires actualisés et antérieurs d’immeubles résidentiels inscrits, comprenant notamment les prix de vente convenus des immeubles résidentiels selon les répertoires antérieurs (dans les présents motifs, les « données historiques »). L’accès aux renseignements contenus dans cette base de données et la capacité de communiquer ces renseignements aux clients et aux clients potentiels constituent des outils précieux pour les membres du TREB puisqu’ils leur permettent d’attirer des clients et de leur fournir des services.

[4]               Certains courtiers immobiliers membres du TREB mènent leurs affaires d’une manière conventionnelle, c’est‑à‑dire qu’ils interagissent avec leurs clients et leurs clients potentiels en personne. Récemment, certains membres ont adopté un modèle différent qui leur permet de transiger en ligne au moyen d’un bureau virtuel sur Internet. Grâce aux économies qui découlent de ce modèle, ces courtiers peuvent offrir à leur clientèle des services à moindre coût.

 

[5]               Tous les membres du TREB ont accès aux multiples bases de données du service interagences de la chambre immobilière, notamment les données historiques. Ils sont autorisés à divulguer les données historiques à leurs clients en personne, par télécopieur, par la poste ou par courriel. Toutefois, le TREB a adopté une règle interdisant aux membres d’afficher les données historiques dans leur bureau virtuel. Cette règle a pour effet d’empêcher les membres qui exploitent un bureau virtuel sur Internet de donner à leurs clients un accès direct aux données historiques.

 

[6]               La règle en litige a force obligatoire pour tous les membres. Pour un membre, le manquement à une règle peut avoir de graves conséquences; il risque d’être interdit d’accès au service interagences du TREB ou d’être radié du TREB.

 

Le régime législatif

[7]               Le paragraphe 79(1) de la Loi sur la concurrence se lit comme suit :

79. (1) Lorsque, à la suite d’une demande du commissaire, il conclut à l’existence de la situation suivante :

 

79. (1) Where, on application by the Commissioner, the Tribunal finds that

a) une ou plusieurs personnes contrôlent sensiblement ou complètement une catégorie ou espèce d’entreprises à la grandeur du Canada ou d’une de ses régions;

 

(a) one or more persons substantially or completely control, throughout Canada or any area thereof, a class or species of business,

b) cette personne ou ces personnes se livrent ou se sont livrées à une pratique d’agissements anti‑concurrentiels;

 

(b) that person or those persons have engaged in or are engaging in a practice of anti‑competitive acts, and

c) la pratique a, a eu ou aura vraisemblablement pour effet d’empêcher ou de diminuer sensiblement la concurrence dans un marché,

 

(c) the practice has had, is having or is likely to have the effect of preventing or lessening competition substantially in a market,

le Tribunal peut rendre une ordonnance interdisant à ces personnes ou à l’une ou l’autre d’entre elles de se livrer à une telle pratique.

the Tribunal may make an order prohibiting all or any of those persons from engaging in that practice.

 

 

 

[8]               La définition du terme « agissement anti‑concurrentiel » figure au paragraphe 78(1) et se lit comme suit :

78. (1) Pour l’application de l’article 79, « agissement anti‑concurrentiel » s’entend notamment des agissements suivants :

 

78. (1) For the purposes of section 79, “anti‑competitive act”, without restricting the generality of the term, includes any of the following acts:

a) la compression, par un fournisseur intégré verticalement, de la marge bénéficiaire accessible à un client non intégré qui est en concurrence avec ce fournisseur, dans les cas où cette compression a pour but d’empêcher l’entrée ou la participation accrue du client dans un marché ou encore de faire obstacle à cette entrée ou à cette participation accrue;

 

(a) squeezing, by a vertically integrated supplier, of the margin available to an unintegrated customer who competes with the supplier, for the purpose of impeding or preventing the customer’s entry into, or expansion in, a market;

b) l’acquisition par un fournisseur d’un client qui serait par ailleurs accessible à un concurrent du fournisseur, ou l’acquisition par un client d’un fournisseur qui serait par ailleurs accessible à un concurrent du client, dans le but d’empêcher ce concurrent d’entrer dans un marché, dans le but de faire obstacle à cette entrée ou encore dans le but de l’éliminer d’un marché;

 

(b) acquisition by a supplier of a customer who would otherwise be available to a competitor of the supplier, or acquisition by a customer of a supplier who would otherwise be available to a competitor of the customer, for the purpose of impeding or preventing the competitor’s entry into, or eliminating the competitor from, a market;

c) la péréquation du fret en utilisant comme base l’établissement d’un concurrent dans le but d’empêcher son entrée dans un marché ou d’y faire obstacle ou encore de l’éliminer d’un marché;

 

(c) freight equalization on the plant of a competitor for the purpose of impeding or preventing the competitor’s entry into, or eliminating the competitor from, a market;

d) l’utilisation sélective et temporaire de marques de combat destinées à mettre au pas ou à éliminer un concurrent;

 

(d) use of fighting brands introduced selectively on a temporary basis to discipline or eliminate a competitor;

e) la préemption d’installations ou de ressources rares nécessaires à un concurrent pour l’exploitation d’une entreprise, dans le but de retenir ces installations ou ces ressources hors d’un marché;

 

(e) pre‑emption of scarce facilities or resources required by a competitor for the operation of a business, with the object of withholding the facilities or resources from a market;

f) l’achat de produits dans le but d’empêcher l’érosion des structures de prix existantes;

 

(f) buying up of products to prevent the erosion of existing price levels;

g) l’adoption, pour des produits, de normes incompatibles avec les produits fabriqués par une autre personne et destinées à empêcher l’entrée de cette dernière dans un marché ou à l’éliminer d’un marché;

(g) adoption of product specifications that are incompatible with products produced by any other person and are designed to prevent his entry into, or to eliminate him from, a market;

 

h) le fait d’inciter un fournisseur à ne vendre uniquement ou principalement qu’à certains clients, ou à ne pas vendre à un concurrent ou encore le fait d’exiger l’une ou l’autre de ces attitudes de la part de ce fournisseur, afin d’empêcher l’entrée ou la participation accrue d’un concurrent dans un marché;

 

 

(h) requiring or inducing a supplier to sell only or primarily to certain customers, or to refrain from selling to a competitor, with the object of preventing a competitor’s entry into, or expansion in, a market; and

i) le fait de vendre des articles à un prix inférieur au coût d’acquisition de ces articles dans le but de discipliner ou d’éliminer un concurrent.

(i) selling articles at a price lower than the acquisition cost for the purpose of disciplining or eliminating a competitor.

 

[9]               Le comportement du TREB qui motive la demande du commissaire n’est pas mentionné au paragraphe 78(1). Toutefois, il est admis que, selon les termes introductifs du paragraphe 78(1), l’énumération comprise aux alinéas 78(1)a) à i) ne se veut pas exhaustive.

 

[10]           Le Tribunal ne peut prononcer une ordonnance en application du paragraphe 79(1) que si les conditions énoncées aux alinéas 79(1)a), b) et c) sont remplies. L’alinéa 79(1)a) impose au Tribunal de définir le marché convoité et de déterminer si la personne visée par l’ordonnance au titre du paragraphe 79(1) occupe une position dominante dans ce marché. Ensuite, l’alinéa 79(1)b) dispose que le Tribunal doit déterminer si l’acte reproché à la personne visée constitue un agissement anti‑concurrentiel. Si c’est le cas, l’alinéa 79(1)c) prévoit que Tribunal doit déterminer si l’agissement anti‑concurrentiel a, a eu ou aura vraisemblablement pour effet d’empêcher ou de diminuer sensiblement la concurrence dans le marché en question.

 

L’argumentation du commissaire contre le Toronto Real Estate Board

[11]           Au risque de trop simplifier et sans vouloir limiter la portée de la présente affaire dans l’éventualité où elle aurait une suite, je résume ici les allégations formulées par le commissaire au regard de chacun des alinéas 79(1)a), b) et c) :

 

a)                 Concernant l’alinéa 79(1)a), le TREB occupe une position dominante dans le marché des services immobiliers résidentiels dans la région du Grand Toronto, et ce, de deux façons. Premièrement, le TREB peut établir et établit des règles sur la conduite de ses membres, qui constituent la grande majorité des courtiers immobiliers dans cette région et se font concurrence les uns les autres. Deuxièmement, le TREB est l’unique entité fournissant à ses membres les renseignements contenus dans la base de données de son service interagences. Ces renseignements revêtent une valeur considérable pour les membres en ce qu’ils leur permettent d’attirer des clients et de leur offrir des services.

 

b)             En ce qui a trait à l’alinéa 79(1)b), la règle du TREB qui interdit aux membres d’afficher en ligne des données historiques constitue un agissement anti‑concurrentiel parce qu’il vise l’exclusion. La règle limite à dessein l’utilisation autorisée de la base de données du TREB, ressource précieuse pour les membres, d’une manière qui empêche ou diminue sensiblement la concurrence des seuls membres qui exploitent un bureau virtuel sur Internet.

 

c)             Quant à l’alinéa 79(1)c), la règle en litige a, a eu et aura vraisemblablement pour effet d’empêcher ou de diminuer sensiblement la concurrence entre les membres du TREB.

 

La norme de contrôle

[12]           Le Tribunal a rejeté la demande du commissaire en se fondant uniquement sur l’interprétation qu’il a faite du paragraphe 79(1). Comme il est indiqué plus haut, le Tribunal a statué que l’arrêt Tuyauteries Canada l’oblige à conclure que le TREB ne peut jamais se livrer à un agissement anti‑concurrentiel à l’égard du marché des services immobiliers résidentiels dans la région du Grand Toronto parce qu’il n’est pas un concurrent dans ce marché. Le commissaire soutient dans le présent appel que la conclusion du Tribunal est fondée sur une interprétation erronée du paragraphe 79(1). Il s’agit d’une question d’interprétation législative à laquelle s’applique la norme de contrôle de la décision correcte.

 

L’analyse

[13]           Selon la thèse du commissaire, une personne qui n’est pas un concurrent dans un marché particulier peut néanmoins contrôler sensiblement ce marché au sens de l’alinéa 79(1)a) en contrôlant par exemple des données importantes pour les concurrents dans ce marché ou en établissant des règles qui, dans les faits, réglementent la conduite de ces concurrents sur le plan commercial. À mon avis, la thèse du commissaire constitue une interprétation raisonnable du libellé de l’alinéa 79(1)a), compte tenu du régime législatif.

 

[14]           L’arrêt Tuyauteries Canada est une décision de principe sur le sens à donner au paragraphe 79(1). Dans son analyse des actes susceptibles d’être considérés comme des pratiques anti‑concurrentielles au sens de l’alinéa 79(1)b) et du paragraphe 78(1), la Cour a, dans cette affaire, porté son attention sur les agissements dont l’effet négatif intentionnel sur un concurrent est abusif, ou vise une exclusion ou une mise au pas. Toutefois, je ne dis pas que l’arrêt Tuyauteries Canada signifie que, sur le plan du droit, la personne qui n’est pas un concurrent dans un marché particulier ne peut jamais être déclarée coupable de s’être livrée à un agissement anti‑concurrentiel contre des concurrents dans ce marché, ou que l’ordonnance prévue au paragraphe 79(1) ne peut jamais être rendue contre une personne qui contrôle un marché autrement qu’à titre de concurrent.

 

[15]           En l’espèce, le Tribunal a conclu le contraire en se fondant sur les passages suivants de l’arrêt Tuyauteries Canada (souligné dans l’arrêt Tuyauteries Canada) :

[63] La Loi ne définit pas formellement l’expression « agissement anti‑concurrentiel », mais son article 78 énumère 11 exemples d’agissements anti‑concurrentiels, dont le caractère simplement indicatif est attesté par l’emploi du terme « notamment ». En fait, le Tribunal a établi dans des décisions antérieures qu’un comportement non visé explicitement à l’article 78 peut néanmoins constituer un agissement anti‑concurrentiel [renvois omis]. Bien que manifestement exemplative et non exhaustive, la liste de l’article 78 donne une idée du type de comportement auquel le législateur veut voir s’appliquer l’alinéa 79(1)b); il reste possible d’établir par analogie qu’un agissement anti‑concurrentiel non spécifié présente les caractéristiques essentielles communes aux exemples énumérés à l’article 78.

 

[64] Dans [Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c. NutraSweet Co. (1990) 32 C.P.R. (3d) 1 (Trib. Conc.)], le Tribunal a appliqué ce mode d’interprétation à l’alinéa 79(1)b), et a proposé (à la page 34) la définition opératoire suivante de l’expression « agissement anti‑concurrentiel » :

 

Certains de ces agissements [visés à l’article 78] ont des éléments communs, mais [...] un seul est commun à tous : l’agissement anti‑concurrentiel doit avoir un but particulier dont il est nécessaire de faire la preuve. Le but commun à tous ces agissements, sauf celui de l’alinéa 78f), est l’effet négatif intentionnel sur un concurrent et cet effet doit être abusif, viser une exclusion ou une mise au pas. [Non souligné dans l’original.]

 

[65] J’adopte cette définition, qui se révèle très proche en substance de la caractéristique commune fondamentale des exemples énumérés à l’article 78, exception faite de l’alinéa 78(1)f). Cette exception est d’ailleurs notée par le Tribunal dans NutraSweet.

 

[66] Deux aspects de cette définition doivent retenir notre attention. Premièrement, l’agissement anti‑concurrentiel est défini par rapport à un but (purpose). Deuxièmement, le but qu’il faut établir est un effet négatif intentionnel sur un concurrent, qui doit être abusif, ou viser une exclusion ou une mise au pas. Je vais maintenant examiner successivement chacun des aspects de manière détaillée.

 

[…]

 

[68] Le deuxième aspect de la définition caractérise le but ou l’objet qu’il faut établir sous le régime de l’alinéa 79(1)b) : pour être considéré comme « anti‑concurrentiel » sous ce régime, l’agissement doit avoir un effet négatif intentionnel sur un concurrent, lequel effet doit être abusif, ou viser une exclusion ou une mise au pas. L’analyse à effectuer dans le cadre de l’alinéa 79(1)b) est donc orientée vers les effets intentionnels de l’agissement sur un concurrent (on a competitor). Il s’ensuit que certains types d’effets sur la concurrence dans le marché pourraient se révéler dénués de pertinence pour l’application de l’alinéa 79(1)b), s’ils ne se traduisent pas par un effet négatif sur un concurrent. Il est important de bien voir que le terme « anti‑concurrentiel » revêt par conséquent une signification restreinte dans le contexte de l’alinéa 79(1)b). Si, au regard de l’ensemble de la Loi, la « concurrence » présente de multiples aspects comme en témoignent les objets énumérés à son article 1.1, le terme « anti‑concurrentiel », pour l’application particulière de l’alinéa 79(1)b), qualifie un agissement ayant pour but ou pour objet un effet négatif sur un concurrent (competitor).

 

 

 

[16]           Le Tribunal a interprété l’arrêt Tuyauteries Canada comme appuyant la proposition selon laquelle, par déduction nécessaire, un agissement anti‑concurrentiel doit être le fait d’une personne qui est en concurrence dans le marché visé. Le Tribunal a inféré de cette proposition que, puisque le TREB n’est pas en concurrence avec ses membres, aucune des conditions prévues au paragraphe 79(1) pour l’obtention de l’ordonnance par le commissaire ne peut être remplie. La condition énoncée à l’alinéa 79(1)b) ne peut être remplie parce que le TREB ne peut se livrer à aucun agissement anti‑concurrentiel contre ses membres, ce qui veut nécessairement dire que la condition prévue à l’alinéa 79(1)c) ne peut pas non plus être remplie. Selon le même raisonnement, la condition énoncée à l’alinéa 79(1)a) ne peut être remplie parce qu’une personne qui n’est pas en concurrence dans un marché ne peut exercer un pouvoir sur le marché.

 

[17]           La conclusion du Tribunal prend sa source dans son interprétation des passages précités de l’arrêt Tuyauteries Canada. Plus précisément, la Cour a interprété le terme « concurrent » dans ces passages comme signifiant [traduction] « un concurrent de la personne qui est l’objet de la demande d’ordonnance faite par le commissaire au titre du paragraphe 79(1) ». Toutefois, je ne vois rien dans le texte ou le contexte de la Loi sur la concurrence qui justifierait l’ajout de cette restriction.

 

[18]           L’ajout de cette restriction ne se justifie pas non plus par les faits établis dans l’arrêt Tuyauteries Canada. Compte tenu de son contexte factuel, j’estime que l’arrêt Tuyauteries Canada n’a pas pour effet d’empêcher le paragraphe 79(1) de s’appliquer au TREB lorsqu’il adopte une règle que ses membres doivent respecter.

 

[19]           Dans l’arrêt Tuyauteries Canada, la Cour a indiqué que les agissements anti‑concurrentiels énumérés au paragraphe 78(1) ont pour élément commun d’être des agissements auxquels se livre une personne à l’encontre de son propre concurrent. Or, dans ces mêmes motifs, la Cour reconnaît, à juste titre selon moi, que l’alinéa 78(1)f) décrit un agissement auquel ne se livre pas nécessairement une personne contre son propre concurrent. Ni l’arrêt Tuyauteries Canada ni les autres jugements portés à l’attention de la Cour n’expliquent cette incohérence.

[20]           À mon sens, l’alinéa 78(1)f) montre que le législateur n’a pas voulu restreindre la portée du paragraphe 79(1) de telle sorte qu’il ne puisse pas s’appliquer au TREB en l’espèce. Si la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Tuyauteries Canada avait voulu restreindre la portée du paragraphe 79(1), comme l’a conclu le Tribunal, je devrais donc conclure que cet aspect de la décision est manifestement erroné parce qu’il repose sur un raisonnement vicié (c’est‑à‑dire l’incohérence inexpliquée contenue dans les motifs).

 

[21]           Le Tribunal a, dans la présente affaire, fondé sa conclusion sur certaines lignes directrices du Bureau de la concurrence. Ces lignes directrices indiquent tout au plus que la compréhension qu’a le commissaire de la portée du paragraphe 79(1) a évolué au fil du temps. À mon sens, elles n’offrent à la Cour aucun éclairage utile pour interpréter cette disposition.

 

[22]           De plus, le Tribunal s’est également fondé sur le paragraphe 79(4). À mon sens, il peut y avoir du vrai dans l’argument du commissaire selon lequel le paragraphe 79(4) se borne à prescrire que, pour l’application de l’alinéa 79(1)c), le Tribunal doit évaluer si la pratique anti‑concurrentielle alléguée résulte du rendement concurrentiel supérieur. Cet examen peut s’avérer d’une importance capitale dans certains cas, et être sans importance dans d’autres. Je ne vois aucune raison de conclure que, sur le plan du droit, le paragraphe 79(4) ne permet pas de rendre une ordonnance contre le TREB en vertu du paragraphe 79(1) simplement parce que celui‑ci n’est pas en concurrence avec ses membres.

Conclusion

[23]           Pour ces motifs, je conclus que le Tribunal a commis une erreur de droit dans son interprétation de l’arrêt Tuyauteries Canada et, par voie de conséquence, dans son interprétation des alinéas 79(1)a), b) et c). Il s’ensuit que le Tribunal a commis une erreur en rejetant la demande du commissaire au seul motif que le paragraphe 79(1) ne saurait s’appliquer au TREB, étant donné que ce dernier n’est pas en concurrence avec ses membres.

 

[24]           J’accueillerais l’appel avec dépens, j’annulerais l’ordonnance du Tribunal, et je renverrais la demande du commissaire au Tribunal pour qu’il procède à un nouvel examen sur le fond.

 

 

 

« K. Sharlow »

j.c.a.

 

« Je suis d’accord.

           Wyman W. Webb, j.c.a. »

 

« Je suis d’accord.

           D. G. Near, j.c.a. »

 

 

 

 

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 


DoSSIER :

                                                                                                A‑174‑13

 

(APPEL D’UNE ORDONNANCE DU TRIBUNAL DE LA CONCURRENCE DATÉE DU 15 AVRIL 2013)

 

INTITULÉ :

LE COMMISSAIRE DE LA CONCURRENCE c. THE TORONTO REAL ESTATE BOARD

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

                                                                                                Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

                                                                                                LE 22 JANVIER 2014

MOTIFS DU JUGEMENT :

                                                                                                LA JUGE SHARLOW

Y ONT SOUSCRIT :                                                           (LES JUGES WEBB ET NEAR)

 

DATE DU JUGEMENT :

                                                                                                LE 3 février 2014

 

comparutions :

 

John F. Rook, c.r.

Andrew D. Little

Emrys Davis

 

pour l’Appelant

 

Donald S. Affleck, c.r.

David N. Vaillancourt

Fiona Campbell

pour l’intimée

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Bennett Jones LLP

Toronto (Ontario)

 

PoUr L’Appelant

 

Affleck Greene McMurtry LLP

Toronto (Ontario)

POUR L’INTIMÉE

 

 

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