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Date : 20140203

Dossier : A‑130‑13

Référence : 2014 CAF 28

 

CORAM :      LE JUGE EN CHEF BLAIS

                        LA JUGE SHARLOW

                        LA JUGE GAUTHIER

 

ENTRE :

HUBERT D'OR

appelant

et

TINA ST. GERMAIN ET LE CHEF ET LE CONSEIL DE LA NATION CRIE DE LITTLE RED RIVER

 

intimés

 

Audience tenue à Edmonton (Alberta), le 3 février 2014.

Jugement prononcé à l'audience à Edmonton (Alberta), le 3 février 2014.

 

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR :                                               LA JUGE SHARLOW

 


Date : 20140203


Dossier : A‑130‑13

Référence : 2014 CAF 28

CORAM :      LE JUGE EN CHEF BLAIS

                        LA JUGE SHARLOW

                        LA JUGE GAUTHIER

 

ENTRE :

HUBERT D'OR

appelant

et

TINA ST. GERMAIN ET LE CHEF ET LE CONSEIL DE LA NATION CRIE DE LITTLE RED RIVER

 

intimés

 

MOTIFS DU JUGEMENT

(Prononcés à l'audience à Edmonton (Alberta), le 3 février 2014.)

 

LA JUGE SHARLOW

[1]               Monsieur Hubert D'Or interjette appel du jugement du 12 mars 2013 (2013 CF 223) par lequel la Cour fédérale (le juge O'Reilly) a rejeté la demande de contrôle judiciaire qu'il avait présentée à l'égard de deux décisions découlant de l'élection du chef et du Conseil de la nation crie de Little Red River en 2011. Le juge a appliqué la norme de la décision raisonnable et a conclu que les deux décisions ne comportaient aucune erreur.

 

Les faits

[2]               Les faits ne sont pas contestés. Ils sont exposés en détail aux paragraphes 4 à 9 des motifs du juge et sont reproduits ici par souci de commodité :

[4]        La [nation crie de Little Red River] est composée de trois collectivités : Fox Lake, St John D'Or Prairie et Garden River. Le conseil est formé de quatre conseillers de Fox Lake, de quatre conseillers de St John D'Or Prairie et de deux conseillers de Garden River. M. D'Or était candidat pour l'un des postes de conseiller à Garden River.

 

[5]        L'élection a eu lieu le 11 mai 2011. L'agente a annoncé les résultats le lendemain. Selon ces résultats, M. D'Or était au troisième rang et n'a donc pas été élu.

 

[6]        Le 15 mai 2011, l'agente électorale a reçu une demande de nouveau dépouillement du scrutin pour le poste de chef. Le 16 mai 2011, on lui a demandé de faire un nouveau dépouillement des votes pour Fox Lake. Le jour même, le chef et le conseil ont approuvé officiellement les résultats de l'élection.

 

[7]        Le 18 mai 2011, l'agente a annoncé qu'elle allait faire un second dépouillement des bulletins pour le poste de chef et pour les postes de conseillers pour Fox Lake. Elle n'a découvert aucune erreur quant au poste de chef, mais elle a découvert une erreur de calcul relativement à l'un des postes de conseiller. Elle a informé le chef et le conseil de cette erreur, puis elle a publié les résultats modifiés. Le chef et le conseil ont approuvé les résultats modifiés.

 

[8]        Le 31 mai 2011, l'agente a reçu une demande de nouveau dépouillement pour Garden River. L'agente a procédé à un second dépouillement le 16 juin 2011 et elle a découvert une autre erreur de calcul. Si les bulletins avaient été comptabilisés correctement, M. D'Or aurait été élu au poste de conseiller. L'agente a informé le chef et le conseil de cette erreur, mais elle n'a pas affiché les résultats, laissant cette décision à la discrétion du chef et du Conseil.

 

[9]        Le chef et le Conseil ont conclu qu'ils ne pouvaient pas approuver les résultats de ce second dépouillement, car le Code exige que tout appel soit interjeté dans les sept jours suivant l'élection. Ils avaient donc approuvé les résultats du second dépouillement pour Fox Lake parce qu'il avait eu lieu dans les délais. Par contre, ils ont rejeté les résultats du second dépouillement mené plus tard pour Garden River, au motif qu'il fallait avoir un résultat définitif.

 

Le régime légal — le code électoral

[3]               L'élection de 2011 était régie par le code électoral de 2003 de la nation crie de Little Red River. Plusieurs aspects de ce code sont pertinents pour les questions soulevées en l'espèce. Ils peuvent se résumer comme suit :

a)         Conformément à l'article 21, on peut interjeter appel des résultats de l'élection dans les sept jours suivant l'affichage des résultats de l'élection. L'appel peut être fondé sur l'un des cinq moyens énumérés dans le code. Une inexactitude dans le comptage ou le calcul des votes ne figure pas parmi ces moyens.

 

b)         L'article 21 porte également sur la conservation des bulletins de vote. L'agent électoral doit déposer tous les bulletins de vote dans une enveloppe scellée et les conserver pendant 60 jours, ou jusqu'à ce qu'un avis d'appel lui soit signifié, auquel cas il transmet au comité d'appel l'enveloppe scellée contenant les bulletins.

 

c)         L'article 17 a trait au dépouillement du scrutin après la fermeture des bureaux de scrutin. Il dispose notamment que l'agent électoral ou son adjoint doit ouvrir, dans les plus brefs délais, toutes les boîtes de scrutin en présence des candidats et de leurs représentants qui sont présents. L'alinéa 17c) prévoit que [TRADUCTION] « sous réserve d'un nouveau dépouillement ou d'un appel en matière d'élection, l'agent électoral ou son adjoint prend note de toute objection soulevée par un candidat ou le représentant d'un candidat à l'égard de tout bulletin de vote qui se trouve dans la boîte de scrutin, et tranche toute question liée à cette objection » [non souligné dans l'original].

 

d)         L'alinéa 17c) est la seule disposition du code électoral qui prévoit la possibilité d'un nouveau dépouillement. Le code électoral n'établit aucune procédure en matière de nouveau dépouillement.

 

La demande de contrôle judiciaire

[4]               Monsieur D'Or sollicite le contrôle judiciaire de la décision que l'agente électorale a prise de ne pas afficher les résultats du nouveau dépouillement effectué en juin pour la collectivité de Garden River, ainsi que de la décision du chef et du Conseil de ne pas approuver les résultats de ce nouveau dépouillement. Le juge a permis que les deux questions soient tranchées dans une seule demande. Cet aspect de son jugement n'est pas contesté.

 

La norme de contrôle

[5]               Le juge a appliqué la norme de la décision raisonnable aux deux décisions. Devant notre Cour, M. D'Or a fait valoir dans son mémoire des faits et du droit que le juge aurait dû appliquer la norme de la décision correcte. Nous sommes d'accord avec le juge que la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable.

 

[6]               Les deux décisions sont fondées sur une interprétation des dispositions du code électoral. Nous convenons avec le juge que l'interprétation du code électoral doit se faire à la lumière des coutumes sur lequel il est fondé, et que l'agente électorale, le chef et le Conseil ont probablement une meilleure compréhension que la Cour des coutumes pertinentes. Nous constatons que M. D'Or n'a présenté aucune preuve concernant les coutumes de la nation crie de Little Red River, et encore moins la preuve d'une coutume qui mette en doute le bien‑fondé de l'une ou l'autre des décisions contrôlées.

 

[7]               De plus, le juge a conclu qu'il est permis de présumer que l'agente électorale connaissait les coutumes de la nation crie puisqu'elle réside dans la collectivité. M. D'Or a fait observer dans son mémoire des faits et du droit que le code électoral exige que l'agent électoral ne soit ni un membre de la nation crie de Little Red River, ni ne réside dans l'une ou l'autre de ses collectivités. Le juge a commis une erreur de fait sur ce point, mais nous estimons que cette erreur n'est pas suffisamment grave pour casser la décision du juge quant à la norme de contrôle applicable.

 

L'application de la norme de contrôle

[8]               Comme il a été mentionné précédemment, le juge a conclu que la décision de l'agente électorale de transmettre les résultats du nouveau dépouillement effectué en juin au chef et au Conseil sans les afficher était raisonnable, et que la décision du chef et du Conseil de les rejeter était aussi raisonnable.

 

[9]               En ce qui a trait à la décision de l'agente électorale, le juge a précisé que rien dans le code électoral n'empêchait l'agente électorale de renvoyer la question au chef et au Conseil comme elle l'avait fait. De plus, comme l'écrit le juge au paragraphe 21 de ses motifs, « en l'absence de règles précises, sa décision était prudente et respectait l'autorité supérieure du chef et du Conseil ». Nous constatons que le code électoral ne donne aucune instruction expresse sur la question des nouveaux dépouillements, et en particulier qu'il ne fixe aucun délai pour demander un nouveau dépouillement ou pour y procéder. L'agente électorale se trouvait donc dans une situation où plus d'une solution raisonnable s'offrait à elle. Nous sommes d'accord avec le juge que, dans ces circonstances, il était loisible à l'agente de consulter le chef et le Conseil et, compte tenu de leur avis et de ce que nous considérons comme son interprétation définitive du code électoral quant au délai prescrit pour demander un nouveau dépouillement pour Garden River, de ne pas afficher les résultats du deuxième dépouillement de juin.

 

[10]           Quant à la décision du chef et du Conseil, le juge a noté que cette décision était fondée sur leur interprétation du code électoral. Le chef et le Conseil sont venus à la conclusion que le délai pour demander un second dépouillement devrait être le même que pour interjeter appel d'une élection, soit dans les sept jours suivant l'affichage des résultats, le 12 mai. Ainsi, les demandes de nouveau dépouillement du 15 et du 16 mai ont été faites dans le délai prescrit, mais le nouveau dépouillement demandé le 31 mai, et effectué en juin, était hors délai. Par conséquent, le résultat du nouveau dépouillement de juin ne pouvait être dûment approuvé. Le juge a estimé qu'il s'agissait là d'une interprétation raisonnable du code électoral.

 

[11]           Monsieur D'Or soutient que l'interprétation du code électoral résumée ci‑dessus est incorrecte. Il fait valoir qu'un nouveau dépouillement des votes n'est pas de même nature qu'un appel, que les cinq moyens d'appel énumérés à l'article 17 sont exhaustifs et qu'on ne peut donc recourir à la procédure d'appel pour contester l'exactitude du dépouillement d'un scrutin. De plus, il fait valoir qu'étant donné que le code électoral prévoit que l'agent électoral doit être indépendant du chef et du Conseil, l'agente électorale a agi de façon inappropriée en permettant au chef et au Conseil de décider des conséquences du nouveau dépouillement de juin.

[12]           Selon l'interprétation que fait M. D'Or du code électoral, les aspects procéduraux d'un second dépouillement, notamment le délai dans lequel il doit être fait, sont laissés à l'entière discrétion de l'agent électoral. Il avance que, si l'agent électoral procède à un nouveau dépouillement et constate une erreur qui change les résultats du scrutin, l'agent n'a d'autre choix que d'afficher ces résultats et, par voie de conséquence, de déclarer l'issue du scrutin sur la foi du dépouillement corrigé, ce qui, par déduction nécessaire, a pour effet de relancer le délai d'appel de sept jours.

 

[13]           Nous ne pouvons retenir l'argument de M. D'Or. À notre avis, le code électoral est ambigu quant à la façon de procéder à un nouveau dépouillement, en ce sens que le libellé des dispositions applicables est susceptible de prêter à plus d'une interprétation. Nous sommes d'accord avec le juge que l'interprétation que le chef et le Conseil ont faite du code électoral est raisonnable. Elle est conforme au texte du code électoral, interprété dans son contexte global (y compris les dispositions relatives aux motifs d'appel), et il en ressort un processus d'élection qui établit un juste équilibre entre les droits électoraux de ceux qui votent et la nécessité de disposer avec rapidité et certitude des résultats.

 

[14]           S'il fallait retenir l'interprétation proposée par M. D'Or, nous devrions conclure que, lorsque les membres de la nation crie de Little Red River ont adopté leur code électoral, ils ont à dessein choisi une procédure d'appel dont le délai est relativement court, tout en choisissant parallèlement une procédure de second dépouillement dont le délai est laissé à l'entière discrétion de l'agent électoral. Compte tenu du dossier dont nous sommes saisis, nous doutons que ce soit là ce qu'ils souhaitaient.

Conclusion

[15]           Pour ces motifs, l'appel sera rejeté. Les intimés, exception faite de Tina St. Germain, qui n'a pas comparu, ont droit à un seul mémoire des dépens, qui sont fixés au montant global de 1 500 $.

 

« K. Sharlow »

j.c.a.

 

 

Traduction certifiée conforme

Yves Bellefeuille, réviseur

 


COUR D'APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 


DoSSIER :                                                    A‑130‑13

 

APPEL D'UN JUGEMENT DE L'HONORABLE JUGE O'REILLY DU 12 MARS 2013, DOSSIER No T‑1099‑11

 

INTITULÉ :                                                  HUBERT D'OR c. TINA ST. GERMAIN ET LE CHEF ET LE CONSEIL DE LA NATION CRIE DE LITTLE RED RIVER

 

LIEU DE L'AUDIENCE :                          Edmonton (Alberta)

 

DATE DE L'AUDIENCE :                         LE 3 FÉVRIER 2014

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                       LE JUGE EN CHEF BLAIS

                                                                        LA JUGE SHARLOW

                                                                        LA JUGE GAUTHIER

 

PRONONCÉS À L'AUDIENCE PAR :    LA JUGE SHARLOW

 

COMPARUTIONS :

 

Terence P. Glancy

 

POUr L'Appelant

 

Janet L. Hutchison

 

POUR LES INTIMÉS

(LE CHEF ET LE CONSEIL DE LA NATION CRIE DE LITTLE RED RIVER)

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Terence P. Glancy Professional Corporation

Edmonton (Alberta)

 

POUR L'Appelant

 

Chamberlain Hutchison

Edmonton (Alberta)

pOUR LES INTIMÉS

(LE CHEF ET LE CONSEIL DE LA NATION CRIE DE LITTLE RED RIVER)

 

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