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Date : 20140206


Dossier : A-155-12

 

Référence : 2014 CAF 35

 

CORAM :

LE JUGE PELLETIER

LA JUGE TRUDEL

LE JUGE MAINVILLE

 

ENTRE :

ROGER COUTURE ET CHRISTIANE JOBIN

 

appelants

et

SA MAJESTÉ LA REINE, PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA ET MINISTÈRE DU REVENU FÉDÉRAL

 

intimés

 

Audience tenue à Québec (Québec), le 29 janvier 2014.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 6 février 2014.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE PELLETIER

Y A (ONT) SOUSCRIT :

LA JUGE TRUDEL

LE JUGE MAINVILLE

 


Date : 20140206


Dossier : A-155-12

 

Référence : 2014 CAF 35

CORAM :

LE JUGE PELLETIER

LA JUGE TRUDEL

LE JUGE MAINVILLE

 

ENTRE :

ROGER COUTURE ET CHRISTIANE JOBIN

 

appelants

et

SA MAJESTÉ LA REINE, PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA ET MINISTÈRE DU REVENU FÉDÉRAL

 

intimés

 

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE PELLETIER

[1]               Monsieur Couture et madame Jobin (les appelants) se pourvoient en appel d'une décision de la Cour canadienne de l'impôt selon laquelle leur appel de la cotisation sous la Loi sur la taxe d'accise L.R.C. 1985 c. E-5 (la Loi) pour la période allant du 1 avril 2003 au 31 décembre 2008 a été rejeté.

 

[2]               Les appelants se sont porté acquéreurs d'un terrain en proximité de la rivière Magog avec l'intention de construire un développement immobilier ayant certaines attractions pour les acheteurs potentiels, telles qu'une marina, une mise à l'eau et un "clubhouse". Malheureusement, pour diverses raisons, leurs espoirs pour ce terrain ne se sont pas réalisés et ils ont fini par vendre à perte 9 lots du terrain au cours de la période de cotisation. Sur la foi de certains conseils qu'ils ont reçus, ils n’ont pas perçu et remis au ministre la taxe sur les produits et les services (la TPS) par rapport à ces ventes. Les cotisations en cause incluent le montant de la TPS non perçue ainsi que les intérêts accrus et des pénalités.

 

[3]               La question en litige, tant devant nous que devant la Cour canadienne de l’impôt, est de savoir si la vente de ces terrains est une fourniture taxable aux termes de la Loi, ou encore, une fourniture exonérée prévue à l'Annexe V de la Loi.

 

[4]               Le juge de la Cour canadienne de l’impôt a commencé son analyse de cette question en considérant les définitions de "fourniture taxable" et de "activité commerciale" que l’on retrouve au paragraphe 123(1) de la Loi, définitions qui sont reproduites ci-dessous.

« fourniture taxable »

 « fourniture taxable » Fourniture effectuée dans le cadre d’une activité commerciale.

 

“taxable supply”

 “taxable supply” means a supply that is made in the course of a commercial activity;

 

 

« activité commerciale »

 « activité commerciale » Constituent des activités commerciales exercées par une personne :

a) l’exploitation d’une entreprise (à l’exception d’une entreprise exploitée sans attente raisonnable de profit par un particulier, une fiducie personnelle ou une société de personnes dont l’ensemble des associés sont des particuliers), sauf dans la mesure où l’entreprise comporte la réalisation par la personne de fournitures exonérées;

b) les projets à risque et les affaires de caractère commercial (à l’exception de quelque projet ou affaire qu’entreprend, sans attente raisonnable de profit, un particulier, une fiducie personnelle ou une société de personnes dont l’ensemble des associés sont des particuliers), sauf dans la mesure où le projet ou l’affaire comporte la réalisation par la personne de fournitures exonérées;

c) la réalisation de fournitures, sauf des fournitures exonérées, d’immeubles appartenant à la personne, y compris les actes qu’elle accomplit dans le cadre ou à l’occasion des fournitures.

(Je souligne)

“commercial activity”

“commercial activity” of a person means

 

(a) a business carried on by the person (other than a business carried on without a reasonable expectation of profit by an individual, a personal trust or a partnership, all of the members of which are individuals), except to the extent to which the business involves the making of exempt supplies by the person,

(b) an adventure or concern of the person in the nature of trade (other than an adventure or concern engaged in without a reasonable expectation of profit by an individual, a personal trust or a partnership, all of the members of which are individuals), except to the extent to which the adventure or concern involves the making of exempt supplies by the person, and

 

(c) the making of a supply (other than an exempt supply) by the person of real property of the person, including anything done by the person in the course of or in connection with the making of the supply;

 

 

[5]               À la lecture de la définition "d'activité commerciale", deux conclusions s’imposent.  La première est que la fourniture d’immeubles est, aux termes du paragraphe c), une activité commerciale. La deuxième est qu’en toute circonstance, la réalisation d’une fourniture exonérée est exclue du cadre des activités commerciales. C’est sans doute la raison pour laquelle le juge s’est penché d’emblée sur la question de la fourniture exonérée.

 

[6]               Une fourniture exonérée est une fourniture qui figure à l'Annexe V de la Loi. La Partie 1 de l’Annexe V vise les fournitures d’immeuble exonérées. Le juge a examiné le sous-alinéa 9(2)b(i)) de l’Annexe V, reproduit ci-dessous, afin de voir si la vente de ces terrains par les appelants était une fourniture exonérée:

9 (2) La fourniture par vente d’un immeuble, effectuée par un particulier ou une fiducie personnelle, à l’exclusion des fournitures suivantes :

b) la fourniture d’un immeuble effectuée :

(i) dans le cadre d’une entreprise du particulier ou de la fiducie,

 

(2) A supply of real property made by way of sale by an individual or a personal trust, other than

(b) a supply of real property made

(i) in the course of a business of the individual or trust,

 

 

 

[7]               Le juge était d’avis que la vente de ces terrains n’était pas une fourniture exonérée pour deux motifs. Premièrement, le paragraphe 9(2), et le sous-alinéa 9(2)b)(i), visent une vente par un particulier. Après avoir examiné la preuve au dossier, le juge a conclu que le vendeur des terrains en cause était la société de personnes constituée par les appelants, et non un particulier. À son avis, les ventes à l’origine de la cotisation ne remplissaient pas cette condition du paragraphe 9(2) de l’Annexe V.

 

[8]               Deuxièmement, le juge était d’avis que les ventes en question tombaient dans l’exception à l’exonération décrite au sous-alinéa 9(2)b)(i) puisqu’il s’agissait d’une vente de terrains par une entreprise. Les appelants alléguaient avoir perdu tout espoir de tirer un profit de ces terrains avant la période de cotisation de sorte qu’ils n’exploitaient pas une entreprise dans une attente raisonnable de profit. Le juge n’a pas accepté cet argument.

 

[9]               À la lumière de la preuve dont il disposait, le juge a conclu que les appelants exploitaient une entreprise de développement immobilier. Il a pris acte de tous les gestes posés par les appelants afin de mettre leurs terrains sur le marché immobilier. Même si, en fin de compte, ils avaient perdu tout espoir de tirer un bénéfice de la vente de ces terrains, le juge n’était pas persuadé qu’ils n’exploitaient pas une entreprise. Il était d’avis qu’une entreprise ne cesse pas d’être une entreprise parce qu’elle passe par une période difficile. Selon le juge :

« Il serait inapproprié pour le fisc de refuser la déduction de pertes d’entreprise, alors qu’il impose les bénéfices, uniquement en raison du fait que l’entreprise passe un mauvais moment et qu’elle ne subit que des pertes. »

 

Motifs du juge, Dossier d’appel à la page 45.

 

[10]           À cela s’ajoute la jurisprudence selon laquelle une entreprise de développement immobilier continue à être exploitée tant que son inventaire n’a pas été disposé : Les Entreprises Chelsea Ltée c. Ministre du revenu national, 70 D.T.C. 6379 (Cour de l’échiquier). 

 

[11]           Le juge a aussi constaté qu’il n’y avait aucune preuve que les terrains avaient fait l’objet d’un changement d’usage. Rien ne laissait croire que ces terrains, achetés pour des fins commerciales, étaient devenus des terrains dont l’objet était une utilisation à des fins personnelles.  Une raison de plus pour le juge de conclure que les terrains étaient exploités à des fins d’entreprise.

 

[12]           Le caractère juridique des ventes en cause est une question mixte de faits et de droit, révisable par cette Cour selon la norme de l'erreur manifeste et dominante, sauf dans le cas où l’erreur relève d’une question de droit isolable : voir Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33,  [2002] 2 R.C.S. 235 au paragraphes 34, 36.

 

[13]           Les appelants se sont attardés longuement sur la question de la double taxation.  Ils ont fait valoir que pour certains des terrains, les travaux effectués pour les mettre sur le marché ont été rendus avant l’entrée en vigueur de la TPS. Les entrepreneurs qui ont effectué ces travaux ont donc été tenus d’acquitter les taxes fédérales en vigueur à l’époque sur les biens qu’ils ont fournis en rapport avec ces terrains. Le fait de soumettre ces fournitures au régime de la TPS revient, selon les appelants, à les soumettre une deuxième fois au système d’imposition fédérale et donc, à une double imposition.

 

[14]           L’argument des appelants sur ce point est nourri par le fait que les autorités fiscales leur ont refusé tout crédit par rapport aux taxes payées par ces entrepreneurs.  Se fondant sur le passage suivant de l’arrêt Renvoi relatif à la taxe sur les produits et services, [1992] 2 R.C.S. 445, ils font valoir que ce refus de prendre en ligne de compte la taxe fédérale déjà payée en lien avec la mise en marché de ces terrains dénature la TPS pour en faire une taxe de vente fédérale :

Quant à l'intégration, je suis d'avis que le Canada est fondé à dire que le fait d'établir une distinction entre les parties concernant le prélèvement de deniers dans la Loi sur la TPS d'avec celles qui ne produisent pas de recettes modifierait d'une manière fondamentale le caractère de la taxe: d'une taxe à la valeur ajoutée elle deviendrait une taxe fédérale sur la vente au détail.

 

Renvoi relatif à la taxe sur les produits et services, au paragraphe 35

 

[15]           La difficulté que les appelants n’ont pas réussi à surmonter est que la taxe de vente fédérale a été payée par d’autres, les entrepreneurs qui ont effectué les travaux.  Ceci fait en sorte les appelants ne peuvent réclamer ces taxes à titre de crédits aux intrants parce que l’article 169 de la Loi précise que ces crédits sont calculés à partir de la taxe payée par le fournisseur qui les réclame.  Le fait que les appelants n’ont pas droit à un crédit pour les taxes fédérales payées par d’autres n’a aucune incidence sur la constitutionnalité du la Loi.       

 

[16]            Cela étant dit, la question de l’imposition fédérale des mêmes produits à deux reprises reste entière. Sauf que ni l’avis d’appel ni le mémoire de faits et de droit des appelants ne soulèvent cette question. L’article 336 de la Loi est une disposition transitoire qui vise le transfert d’immeubles dans la période où la Loi entre en vigueur. Mais les parties n’en ont pas traité et l’état du dossier ne nous permet pas d’aborder cette question.

 

[17]           Les appelants ont aussi fait grand état du fait que Revenu Québec avait, dans le passé, refusé de reconnaitre que les appelants exploitaient une entreprise et leur avait refusé en bloc leurs pertes d'entreprise. Le procureur du ministre a affirmé devant nous que le Ministère du Revenu du Québec avait, en tout temps, et en rapport avec tous les dossiers qui relèvent de ces terrains, reconnu que les appelants exploitaient une entrepris, tout en soulignant que cela ne voulait pas dire, pour autant, que les appelants avaient nécessairement droit aux déductions qu’ils réclamaient à un moment donné.

 

[18]           En conclusion, les appelants n'ont pas su me persuader que le juge a commis quelque erreur que ce soit. Les conclusions qu’il a tirées quant à l’activité commerciale des appelants en relation avec les terrains dont les ventes sont en cause sont justifiées par la preuve dont disposait le juge. Les moyens soulevés devant nous par les appelants ne changent en rien cette conclusion. Je rejetterais donc l’appel avec dépens.

« J.D. Denis Pelletier »

j.c.a.

« Je suis d’accord.

            Johanne Trudel j.c.a. »

« Je suis d’accord.      

Robert M. Mainville j.c.a. »


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 


DOSSIER:

A-155-12

INTITULÉ :

ROGER COUTURE ET CHRISTIANE JOBIN c. SA MAJESTÉ LA REINE, PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA ET MINISTÈRE DU REVENU FÉDÉRAL

 

LIEU DE L’AUDIENCE:

QUÉBEC (QUÉBEC)

DATE DE L’AUDIENCE:

LE 29 JANVIER 2014

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE PELLETIER

LA JUGE TRUDEL

LE JUGE MAINVIELLE

 

DATE DES MOTIFS :

LE 6 FÉVRIER 2014

COMPARUTIONS :

Roger Couture

Christiane Jobin 

 

Pour leur propre compte

 

Michel Rossignol

 

Pour les intimés

SA MAJESTÉ LA REINE, PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA ET MINISTÈRE DU REVENU FÉDÉRAL

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

LARIVIÈRE MEUNIER (Revenu Québec)

Montréal (Québec)

 

Pour les intimés

SA MAJESTÉ LA REINE, PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA ET MINISTÈRE DU REVENU FÉDÉRAL

 

 

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