Décisions de la Cour d'appel fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20140207


Dossier :

A-93-13

 

Référence : 2014 CAF 37

CORAM :      LE JUGE EN CHEF BLAIS

                        LA JUGE GAUTHIER

LE JUGE MAINVILLE

 

ENTRE :

DANIEL MARCOTTE

 

appelant

et

 

 

SA MAJESTÉ LA REINE

 

intimée

 

Audience tenue à Ottawa (Ontario), le 11 décembre 2013.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 7 février 2014.

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                      LE JUGE MAINVILLE

Y ONT SOUSCRIT :                                                                         

LE JUGE EN CHEF BLAIS

LA JUGE GAUTHIER

 

 

 


Date : 20140207


Dossier :

A-93-13

 

Référence : 2014 CAF 37

CORAM :     

LE JUGE EN CHEF BLAIS

                        LA JUGE GAUTHIER

LE JUGE MAINVILLE

 

 

ENTRE :

DANIEL MARCOTTE

 

appelant

et

 

 

SA MAJESTÉ LA REINE

 

intimée

 

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE MAINVILLE

[1]               Nous sommes saisis d’un appel d’un jugement du juge en chef Rip de la Cour canadienne de l’impôt (le « juge ») daté du 7 février 2013, dont les motifs portent le numéro de référence neutre 2013 CCI 49 (le « jugement »), rejetant un appel à l’encontre d’une cotisation datée du 16 juillet 2008 émise en vertu du paragraphe 323(1) de la Loi sur la taxe d’accise, L.R.C. 1985, c. E-15.

 

 

 

Les faits et le contexte

[2]               L’appelant, M. Daniel Marcotte, est le seul administrateur et actionnaire de la société 3634451 Canada Inc. qui est désignée aux fins du litige comme la société « JORA ». Cette société se spécialise dans la construction d’immeubles à logements.

 

[3]               La société JORA, l’appelant en son nom personnel, son frère Guy Marcotte et une employée, Gail Maloney, ont fait construire cinq immeubles locatifs sur des terrains adjacents. Étant donné que les immeubles en cause sont complétés à des dates différentes et qu’il est difficile de répartir les coûts de constructions des immeubles entre chacun d’eux, l’appelant convient avec un fonctionnaire de Revenu Québec de traiter les immeubles comme un ensemble immobilier aux fins de la TPS et de la TVQ.

 

[4]               Aux fins de la remise de ces taxes, en 2004 l’appelant donne instructions à Revenu Québec de conserver les crédits sur les intrants au montant de 349 162,91$, et JORA remet un chèque à Revenu Québec au montant de 500 000$. Après avoir divisé le montant du chèque en deux tranches de 250 000$ allouées respectivement à la TPS et à la TVQ, Revenu Québec impute la totalité du chèque reçu au compte de JORA.  Comme suite à ces opérations, au 31 mars 2007, Revenu Québec affiche un solde créditeur de 53 691,14$ au compte de TPS de JORA.

 

[5]               Toutefois, au cours de l’été 2007, l’appelant demande que le paiement antérieur de 500 000$ soit plutôt imputé aux dettes fiscales de l’appelant personnellement, de son frère Guy Marcotte, et de son employée Gail Maloney. Cette demande est acceptée par Revenu Québec le 17 décembre 2007 selon la répartition suivante :

-Gail Maloney              61 852,79$

-Daniel Marcotte         285 975,38$

-Guy Marcotte                         38 564,21$

-JORA                         113 607,62$

 

 

 

[6]               Cette nouvelle répartition conduit à une rectification rétroactive au compte TPS de JORA. La dette fiscale recalculée au compte de la TPS n’ayant pas été acquittée par JORA, Revenu Québec émet à l’encontre de l’appelant trois avis de cotisations conformément à l’article 325 de la Loi sur la taxe d’accise aux montants respectifs de 46 612,41$, de 45 642,61$ et de 89 949,17$. Revenu Québec s’appuie, à cet égard, sur le fait qu’en 2005 et 2006 JORA avait déclaré et versé des dividendes de 400 000$ à l’appelant durant les périodes de cotisation en cause.

 

[7]               Le paragraphe 325(2) de la Loi sur la taxe d’accise permet d’établir une cotisation à l’égard d’un cessionnaire dans les circonstances prévues au paragraphe 325(1), qui se lit comme suit :

     325. (1) La personne qui transfère un bien, directement ou indirectement, par le biais d’une fiducie ou par tout autre moyen, à son époux ou conjoint de fait, ou à un particulier qui l’est devenu depuis, à un particulier de moins de 18 ans ou à une personne avec laquelle elle a un lien de dépendance, est solidairement tenue, avec le cessionnaire, de payer en application de la présente partie le moins élevé des montants suivants :

 

a) le résultat du calcul suivant :

 

A - B

où :

 

représente l’excédent éventuel de la juste valeur marchande du bien au moment du transfert sur la juste valeur marchande, à ce moment, de la contrepartie payée par le cessionnaire pour le transfert du bien,

l’excédent éventuel du montant de la cotisation établie à l’égard du cessionnaire en application du paragraphe 160(2) de la Loi de l’impôt sur le revenu relativement au bien sur la somme payée par le cédant relativement à ce montant;

 

b) le total des montants représentant chacun :

 

   (i) le montant dont le cédant est redevable en vertu de la présente partie pour sa période de déclaration qui comprend le moment du transfert ou pour ses périodes de déclaration antérieures,

 

   (ii) les intérêts ou les pénalités dont le cédant est redevable à ce moment.

Toutefois, le présent paragraphe ne limite en rien la responsabilité du cédant découlant d’une autre disposition de la présente partie.

     325. (1) Where at any time a person transfers property, either directly or indirectly, by means of a trust or by any other means, to

 

(a) the transferor’s spouse or common-law partner or an individual who has since become the transferor’s spouse or common-law partner,

 

(b) an individual who was under eighteen years of age, or

 

(c) another person with whom the transferor was not dealing at arm’s length,

the transferee and transferor are jointly and severally liable to pay under this Part an amount equal to the lesser of

 

(d) the amount determined by the formula

 

A - B

Where

 

is the amount, if any, by which the fair market value of the property at that time exceeds the fair market value at that time of the consideration given by the transferee for the transfer of the property, and

is the amount, if any, by which the amount assessed the transferee under subsection 160(2) of the Income Tax Act in respect of the property exceeds the amount paid by the transferor in respect of the amount so assessed, and

 

(e) the total of all amounts each of which is

 

   (i) an amount that the transferor is liable to pay or remit under this Part for the reporting period of the transferor that includes that time or any preceding reporting period of the transferor, or

 

   (ii) interest or penalty for which the transferor is liable as of that time,

but nothing in this subsection limits the liability of the transferor under any provision of this Part.

 

 

[8]               Ces cotisations sont annulées par le juge de la Cour canadienne de l’impôt dans un jugement daté du 27 septembre 2012, portant la référence neutre 2012 CCI 336. Le juge a conclu que JORA affichait un solde créditeur de 53 691,14$ auprès de Revenu Québec jusqu’au 17 décembre 2007, date de la nouvelle répartition du montant de 500 000$, et qu’en conséquence l’article 325 de la Loi sur la taxe d’accise ne trouvait pas application, puisqu’aucune taxe n’était due par JORA au moment du versement des dividendes en cause.

 

[9]               Cependant, l’affaire ne s’arrête pas là. Une autre cotisation a aussi été émise à l’égard de l’appelant en date du 16 juillet 2008 sous le régime de l’article 323 de la Loi sur la taxe d’accise concernant la responsabilité des administrateurs. Les paragraphes 323(1) et (3) disposent de ce qui suit :

 (1) Les administrateurs d’une personne morale au moment où elle était tenue de verser, comme l’exigent les paragraphes 228(2) ou (2.3), un montant de taxe nette ou, comme l’exige l’article 230.1, un montant au titre d’un remboursement de taxe nette qui lui a été payé ou qui a été déduit d’une somme dont elle est redevable, sont, en cas de défaut par la personne morale, solidairement tenus, avec cette dernière, de payer le montant ainsi que les intérêts et pénalités afférents.

 (1) If a corporation fails to remit an amount of net tax as required under subsection 228(2) or (2.3) or to pay an amount as required under section 230.1 that was paid to, or was applied to the liability of, the corporation as a net tax refund, the directors of the corporation at the time the corporation was required to remit or pay, as the case may be, the amount are jointly and severally, or solidarily, liable, together with the corporation, to pay the amount and any interest on, or penalties relating to, the amount.

 

     (3) L’administrateur n’encourt pas de responsabilité s’il a agi avec autant de soin, de diligence et de compétence pour prévenir le manquement visé au paragraphe (1) que ne l’aurait fait une personne raisonnablement prudente dans les mêmes circonstances.

     (3) A director of a corporation is not liable for a failure under subsection (1) where the director exercised the degree of care, diligence and skill to prevent the failure that a reasonably prudent person would have exercised in comparable circumstances.

 

[10]           C’est cette dernière cotisation qui a fait l’objet du jugement en appel.

 

Le jugement de la Cour canadienne de l’impôt

[11]           La seule question soulevée devant le juge de la Cour canadienne de l’impôt consistait à déterminer si l’appelant pouvait invoquer la défense de diligence raisonnable prévue au paragraphe 323(3) de la Loi sur la taxe d’accise, reproduit ci-haut, afin d’être exonéré de sa responsabilité sous le paragraphe 323(1).

 

[12]           Le juge a conclu que le fait de « [v]erser une somme pour ensuite la retirer ne constitue pas un versement » (au para. 14 du jugement) afin d’écarter la prétention de l’appelant selon laquelle JORA aurait acquittée ses dettes fiscales durant les périodes pertinentes.

 

[13]           Le juge a aussi conclu que l’appelant n’avait pas établi qu’il avait agi avec le soin et la diligence requise par le paragraphe 323(3) au motif qu’en procédant à la nouvelle répartition du montant de 500 000$ à la fin de 2007, l’appelant savait, ou aurait du savoir, que cette opération résulterait en la création d’une dette fiscale pour JORA.

 

Analyse

[14]           Comme premier motif d’appel, l’appelant soutient que le juge aurait erré en ne tenant pas compte des conclusions de son jugement portant sur les cotisations émises sous l’article 325. Le juge a en effet conclu dans cet autre jugement que JORA n’avait aucune dette fiscale au cours des années 2005 et 2006. En l’occurrence, l’appelant soutient que les conditions d’application de la responsabilité de l’administrateur sous l’article 323 ne sont pas remplies.

[15]           Je ne puis retenir ce motif d’appel.

 

[16]           Les conditions d’application des articles 325 et 323 de la Loi sur la taxe d’accise sont différentes, et le jugement du juge de la Cour canadienne de l’impôt, favorable à l’appelant sous l’article 325, ne conduit donc pas nécessairement à la même conclusion sous le régime de l’article 323. La preuve démontre que c’est l’appelant qui a demandé d’allouer la somme de 500 000$ créditée au compte de JORA afin d’acquitter sa dette fiscale personnelle et celle de son frère et de son employée. Dans ces circonstances, il était inévitable que cela occasionne une variation rétroactive au compte de TPS de JORA. Cela suffit pour conclure à l’application de l’article 323 de la Loi sur la taxe d’accise.

 

[17]           Comme second moyen d’appel, l’appelant ajoute que Revenu Québec a accepté la nouvelle répartition du montant de 500 000$ sans l’aviser qu’il serait tenu responsable personnellement de la dette fiscale de JORA qui résulterait de cette opération. Il soutient donc qu’il aurait été induit en erreur et qu’il devrait en conséquence bénéficier de la défense de diligence raisonnable prévue au paragraphe 323(3) de la Loi sur la taxe d’accise.

 

[18]           Ici encore, je ne puis retenir ce deuxième motif d’appel.

 

[19]           Je note en premier lieu que la preuve au dossier ne soutient pas les prétentions de l’appelant. En effet, le responsable du dossier pour Revenu Québec a témoigné qu’il a avisé l’appelant du fait que la nouvelle répartition du montant de 500 000$ mènerait à des mesures de recouvrement : voir le dossier d’appel aux pp. 638, 640-41, 801 et 805.

[20]           Au surplus, appliquant la norme objective de soin, de diligence et d’habileté requise sous le paragraphe 323(3) de la Loi sur la taxe d’accise, et tenant compte de la décision de notre Cour dans Canada c. Buckingham, 2011 CAF 142, [2013] 1 R.C.F. 86, je suis fermement d’opinion que tout administrateur raisonnablement diligent comprendrait qu’en réaffectant des sommes du compte fiscal de JORA au bénéfice d’autres personnes, cela entrainerait un débit au compte fiscal de la société en cause. Il s’agit là d’un calcul élémentaire et simple à comprendre. Je souscris d’ailleurs à cet égard aux conclusions suivantes du juge au paragraphe 15 de son jugement :

Un homme d’affaires raisonnable placé dans les mêmes circonstances aurait ainsi été au courant de l’étendue des obligations fiscales de JORA et aurait par le fait même réalisé qu’une modification de l’imputation de paiement résulterait en la création d’une dette pour JORA. Dans de telles circonstances, il serait aberrant de conclure que M. Marcotte a agi de façon diligente et que JORA a versé un montant de taxe nette pour une période de déclaration. Au bout du compte, JORA demeure redevable envers la Couronne relativement à une ou plusieurs périodes de déclaration. En fait, c’est M. Marcotte qui est à l’origine de la situation qui a permis que la dette de JORA soit « rétablie ».

 

 

 

[21]           Je rejetterais donc l’appel avec dépens.

 

 

« Robert M. Mainville »

j.c.a.

 

« Je suis d’accord.

Pierre Blais, Juge en chef »

 

« Je suis d’accord.

Johanne Gauthier j.c.a. »

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 


Dossier :

                                                            A-93-13

 

APPEL D’UN JUGEMENT RENDU PAR LA COUR CANADIENNE DE L’IMPÔT LE 7 FÉVRIER 2013 (L’HONORABLE JUGE EN CHEF RIP) DANS LE DOSSIER 2010-1210 (GST)G

 

INTITULÉ :

DANIEL MARCOTTE c. SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

                                                                                                Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

                                                                                                LE 11 dÉcembre 2013

MOTIFS DU JUGEMENT :

                                                                                                LE JUGE MAINVILLE

Y ONT SOUSCRIT :                                                           LE JUGE EN CHEF BLAIS

                                                                                                LA JUGE GAUTHIER

 

DATE DES MOTIFS :

                                                                                                LE 7 fÉvrier 2014

 

COMPARUTIONS :

Stéphane Tremblay

 

Pour l'appelant

 

Christian Boutin

 

Pour l'intimÉe

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Noël et Associés, S.E.N.C.R.L.

Gatineau (Québec)

 

Pour l'appelant

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Pour l'intimÉe

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.