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Date : 20140207


Dossier :

A‑117‑13

 

Référence : 2014 CAF 36

CORAM :     

LA JUGE DAWSON

LE JUGE STRATAS

LE JUGE NEAR

 

 

ENTRE :

ELIAHU SWIRSKY

 

appelant

et

SA MAJESTÉ LA REINE

 

intimée

 

Audience tenue à Toronto (Ontario), le 4 février 2014.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 7 février 2014.

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                           LA JUGE DAWSON

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                     

LE JUGE STRATAS

LE JUGE NEAR

 

 


Date : 20140207

Dossier :

A‑117‑13

 

Référence : 2014 CAF 36

CORAM :     

LA JUGE DAWSON

LE JUGE STRATAS

LE JUGE NEAR

 

 

ENTRE :

ELIAHU SWIRSKY

 

appelant

et

SA MAJESTÉ LA REINE

 

intimée

 

MOTIFS DU JUGEMENT

LA JUGE DAWSON

[1]               Au moyen de trois opérations effectuées en 1991, en 1993 et en 1995, l’appelant a transféré des actions détenues dans une société familiale à son épouse. Cette dernière a supporté les intérêts et certains coûts du portage relativement aux emprunts contractés pour financer ces opérations. Pendant un certain temps, l’appelant a demandé la déduction des pertes découlant des actions qu’il avait transférées à son épouse. Le montant des pertes équivalait aux intérêts et aux coûts du portage payés relativement aux emprunts.

 

[2]               L’appelant a demandé la déduction de ces pertes en vertu du paragraphe 74.1(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. 1985, ch. 1 (5e suppl.) (la Loi), qui attribue à l’époux auteur du transfert les revenus ou les pertes concernant les biens transférés d’un époux à l’autre.

 

[3]               Dans les nouvelles cotisations établies pour les années d’imposition 1996 à 2003 de l’appelant, le ministre du Revenu national a refusé la déduction demandée par l’appelant au motif que son épouse n’avait pas emprunté les fonds en vue de gagner un revenu et qu’il n’y avait donc pas de pertes subies à l’égard des actions qui pouvaient être attribuées à l’appelant.

 

[4]               Le juge de la Cour canadienne de l’impôt a conclu que l’appelant n’avait pas démontré que son épouse avait une expectative raisonnable de tirer un revenu des actions au moment où elle les avait achetées. Comme elle n’avait pas d’expectative raisonnable de tirer un revenu des actions lorsqu’elle les avait acquises, elle n’avait pas le droit de déduire les intérêts et les frais du portage dans le calcul de son revenu provenant des actions. Il s’ensuivait que le ministre n’avait pas commis d’erreur en refusant la déduction des pertes demandée par l’appelant (2013 CCI 73).

 

[5]               Le juge a ensuite examiné deux moyens subsidiaires avancés par le ministre. En premier lieu, le juge a conclu que le paragraphe 74.5(11) de la Loi n’excluait pas l’attribution des pertes subies sur les actions à l’appelant. En second lieu, le juge a conclu que la règle générale anti‑évitement (la RGAE) énoncée à l’article 245 de la Loi ne s’appliquait pas aux faits portés à sa connaissance.

 

[6]               Dans le présent appel, le ministre a renoncé au moyen qu’il tirait du paragraphe 74.5(11) de la Loi.

 

[7]               L’appelant affirme que le juge a commis une erreur en concluant que son épouse n’avait pas une expectative raisonnable de tirer un revenu des actions lorsqu’elle avait emprunté de l’argent pour les acheter. Plus précisément, l’appelant soutient que le juge :

(i)                 a commis une erreur de droit en n’appliquant pas le bon critère juridique. L’appelant affirme en effet que le juge avait l’obligation d’appliquer une norme objective pour se prononcer sur la question de savoir si l’épouse de l’appelant avait une expectative raisonnable de tirer un revenu des actions lorsqu’elle a emprunté de l’argent pour les acheter, mais qu’il n’a pas appliqué une telle norme;

 

(ii)               a commis une erreur de fait et de droit en concluant que l’épouse de l’appelant n’avait pas d’expectative raisonnable de tirer un revenu des actions lorsqu’elle avait emprunté de l’argent pour les acheter;

 

(iii)             a commis une erreur de droit en tirant des conclusions qui n’étaient pas appuyées par la preuve, en se fondant sur des éléments de preuve non pertinents et en n’accordant pas suffisamment de poids aux éléments de preuve soumis par l’appelant.

 

En ce qui concerne la première erreur reprochée au juge, les parties sont d’accord pour dire qu’il a appliqué le bon critère juridique pour décider si les intérêts étaient déductibles en vertu du sous‑alinéa 20(1)c)(i) de la Loi et que le seul élément du critère en litige, au vu des faits de la présente affaire, était celui de savoir si les fonds empruntés avaient été utilisés en vue de tirer un revenu non exonéré d’une entreprise ou d’un bien (Shell Canada Ltd. c. Canada, [1999] 3 R.C.S. 622, au paragraphe 28).

 

[8]               Dans l’arrêt Ludco Enterprises Ltd. c. Canada, 2001 CSC 62, [2001] 2 R.C.S. 1082, aux paragraphes 54 et 55, la Cour suprême a jugé que, pour dégager l’objet d’une mesure ou l’intention de son auteur, le tribunal doit déterminer objectivement la nature de la fin poursuivie en tenant compte à la fois des éléments subjectifs et objectifs pertinents. L’appelant soutient que le juge a, dans le cas qui nous occupe, commis une erreur de droit en accordant une importance excessive à l’intention subjective de l’épouse et en n’accordant pas suffisamment de valeur aux éléments objectifs concernant la fin poursuivie.

 

[9]               J’écarte cet argument. Au paragraphe 30 de ses motifs, le juge écrit que, dans l’arrêt Ludco, la Cour suprême a décidé que le critère applicable pour déterminer la fin visée par l’utilisation des fonds empruntés et pour décider si l’intérêt est déductible est le suivant : « compte tenu de toutes les circonstances, le contribuable avait‑il, au moment de l’investissement, une expectative raisonnable de tirer un revenu? » Le juge a poursuivi en faisant observer que la Cour suprême a souligné que, bien qu’elle soit pertinente, l’intention subjective du contribuable n’est pas décisive quant à la fin visée. À mon avis, cet exposé des règles de droit applicables correspond à celui que l’on trouve dans l’arrêt Ludco et, loin d’avoir accordé une importance excessive à l’intention subjective de l’épouse, le juge a tenu compte de plusieurs des éléments objectifs concernant l’objet pour lequel les actions avaient été acquises et leur a accordé du poids :

 

                     Il n’y avait aucune preuve que la société familiale avait, avant 1999, versé des dividendes (motifs, paragraphe 32).

 

                     Avant les opérations, on utilisait les prêts à l’actionnaire provenant de la société familiale pour subvenir aux besoins de la famille. Ces prêts étaient ensuite transformés en primes versées à l’appelant. Ces primes n’étaient pas des revenus dérivés des actions de la société (motifs, paragraphe 34).

 

                     Dans les années qui ont immédiatement suivi les opérations, les dépenses de la famille ont continué à être payées par la société familiale. Ces sommes étaient traitées comme des prêts consentis à des membres de la famille sans égard à la question de savoir s’ils détenaient des actions de la société (motifs, paragraphe 36).

 

                     La société familiale n’avait pas de politique ou de plan en vigueur pour payer des dividendes sur ces actions après leur acquisition par l’épouse de l’appelant (motifs, paragraphe 46).

 

                     Des dispositions ont été prises pour que l’épouse de l’appelant, en tant que prêteuse, n’ait pas à payer de sa poche les intérêts et les coûts du portage sur les prêts (motifs, paragraphe 44).

 

                     On pouvait inférer que l’épouse de l’appelant avait une expectative raisonnable de recevoir un dividende en capital. Après 1999, le dividende suivant a été versé en 2003 (motifs, paragraphe 47).

 

[10]           À mon avis, ces conclusions de fait reposent sur la preuve et étayent convenablement la conclusion du juge suivant laquelle les actions n’ont pas été acquises avec une expectative objectivement raisonnable d’en tirer un revenu.

 

[11]           Lors des débats, l’avocat de l’appelant a fait valoir que le juge avait également commis une erreur en appliquant le critère énoncé dans l’arrêt Ludco, en n’examinant pas les opérations en question en fonction du contexte familial en cause, notamment du fait qu’il s’agissait d’une entreprise familiale. À mon avis, le juge n’a pas commis l’erreur que l’avocat de l’appelant lui reproche. Dans ses motifs, le juge a constamment tenu compte de la nature de l’entreprise familiale en question ainsi que des éléments de preuve portant sur le contexte familial dans lequel les opérations avaient eu lieu.

 

[12]           Vu ma conclusion que le juge n’a pas commis d’erreur de droit ni d’erreur manifeste et dominante de fait ou de fait et de droit, il n’est pas nécessaire que j’examine la conclusion subsidiaire formulée par le juge au sujet de l’application de la RGAE, et je refuse de le faire. Par conséquent, les présents motifs ne devraient pas être interprétés comme un appui à l’analyse que le juge a faite de cette question, notamment en ce qui concerne la déclaration qu’il a faite, au paragraphe 71 de ses motifs, au sujet du fardeau de preuve applicable.

 

[13]           Pour ces motifs, je rejetterais l’appel avec dépens.

 

« Eleanor R. Dawson »

j.c.a.

« Je suis d’accord.

            David Stratas j.c.a. »

 

« Je suis d’accord.

            D.G. Near j.c.a. »

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Mario Lagacé, jurilinguiste

 


 

COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 


 

DOSSIER :

                                                                                                A‑117‑13

 

APPEL D’UN JUGEMENT RENDU LE 28 FÉVRIER 2013 PAR MONSIEUR LE JUGE PARIS DE LA COUR CANADIENNE DE L’IMPÔT DANS LE DOSSIER No 2007‑3940 (IT) G.

 

INTITULÉ :

ELIAHU SWIRSKY c. SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

                                                                                                Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

                                                                                                LE 4 FÉVRIER 2014

MOTIFS DU JUGEMENT :

                                                                                                LA JUGE DAWSON

Y ONT SOUSCRIT :                                                           LE JUGE STRATAS

LE JUGE NEAR

 

DATE DES MOTIFS :

                                                                                                LE 7 FÉVRIER 2014

 

 

COMPARUTIONS :

 

David W. Chodikoff

Patrick Déziel

Brahm Taveroff

 

POUR L’APPELANT

 

Bobby J. Sood

Patricia Lee

Sandra K.S. Tsui

 

POUR L’INTIMÉe

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Miller Thompson LLP

Toronto (Ontario)

 

pour l’appelant

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

POUR L’INTIMÉE

 

 

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