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Date : 20140314

Dossier : A-460-11

Référence : 2014 CAF 65

 

CORAM :      LA JUGE SHARLOW

                        LA JUGE DAWSON

                        LE JUGE MAINVILLE

 

ENTRE :

SANOFI-AVENTIS CANADA INC. et SANOFI‑AVENTIS DEUTSCHLAND GmbH

appelantes

et

TEVA CANADA LIMITÉE

intimée

 

Audience tenue à Toronto (Ontario), les 16 et 17 octobre 2013.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 14 mars 2014.

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                      LE JUGE MAINVILLE

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                   LA JUGE SHARLOW

                                                                                                                         LA JUGE DAWSON

 

 



Date : 20140314

Dossier : A-460-11

Référence : 2014 CAF 65

 

CORAM :      LA JUGE SHARLOW

                        LA JUGE DAWSON

                        LE JUGE MAINVILLE

 

ENTRE :

SANOFI-AVENTIS CANADA INC. et SANOFI‑AVENTIS DEUTSCHLAND GmbH

appelantes

et

TEVA CANADA LIMITÉE

intimée

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

LE JUGE MAINVILLE

[1]               Le présent appel a été instruit en même temps que deux autres appels (dossiers A-147-12 et A-192-12) relatifs à l'action intentée par Teva Canada Limitée (Teva) contre Sanofi-Aventis Canada Inc. et Sanofi‑Aventis Deutschland GmbH (collectivement désignées ci‑après comme Sanofi) en vue d'obtenir une indemnité au titre de l'article 8 du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93‑133 (le Règlement AC), à l'égard du médicament ramipril.

[2]               La Cour a simultanément rendu des jugements et publié des motifs concernant les deux autres appels dans les dossiers A‑147‑12 et A‑192‑12, sous les numéros de référence respectifs 2014 CAF 67 et 2014 CAF 69.

 

[3]               Le présent appel vise l'ordonnance du 25 novembre 2011 par laquelle la juge Snider de la Cour fédérale (la juge du procès) a rejeté l'appel de Sanofi contre l'ordonnance du 12 octobre 2011 du protonotaire Aalto qui refusait de lui laisser modifier sa défense afin d'y inclure des allégations concernant les deux questions suivantes.

 

[4]               La première modification consistait à affirmer que dans le marché hypothétique qu'il fallait envisager pour déterminer le niveau de l'indemnisation due aux termes de l'article 8 du Règlement AC, Pharmascience Inc. (Pharmascience) aurait été le premier fabricant de médicaments génériques à commercialiser une version générique du ramipril. La seconde modification visait à ajouter à la défense que les indications HOPE (Heart Outcomes Prevention Evaluation, c'est‑à‑dire l'utilisation du ramipril dans la prévention des événements cardiovasculaires, des accidents vasculaires cérébraux, du diabète et de l'insuffisance cardiaque congestive) de la version générique du ramipril commercialisée par Teva constituaient une importante indication non approuvée, et que l'article 8 du Règlement AC n'envisage pas le recouvrement de dommages‑intérêts pour les pertes de ventes d'un médicament générique dans le cas d'une telle indication.

 

[5]               Pour les motifs qui suivent, je rejetterais le présent appel.

 

Les décisions des instances inférieures

[6]               Lorsqu'elle a présenté sa requête visant à modifier sa défense dans le litige qui l'opposait à Teva, Sanofi était également partie à d'autres litiges concernant le ramipril et l'article 8 du Règlement AC avec d'autres fabricants de médicaments génériques, notamment Laboratoire Riva Inc. et Apotex Inc. Sanofi a demandé à effectuer des modifications similaires dans les trois instances, et toutes ces requêtes ont été instruites et tranchées ensemble par le protonotaire Aalto.

 

[7]               Ce dernier a noté que Sanofi avait demandé ces modifications à ses actes de procédure (de même qu'une requête connexe en vue d'interroger un représentant de Pharmascience) quelque trois mois avant la tenue des procès dans les actions concernant Teva et Apotex. Il a d'ailleurs fait remarquer que Sanofi avait qualifié les deux modifications en cause de simples [TRADUCTION] « clarifications » ou de modifications routinières.

 

[8]               Après avoir attentivement examiné les observations des parties, le protonotaire Aalto a estimé que, contrairement à ce que soutenait Sanofi, les modifications proposées introduisaient des allégations substantielles, nouvelles et largement hypothétiques. Le protonotaire a également tenu compte du caractère tardif de ces modifications relativement à l'imminence des procès, et a conclu que le risque réel que ceux-ci soient ajournés afin de permettre la révision des rapports d'expert déjà échangés entre les parties au litige porterait préjudice à Teva.

 

[9]               Ayant examiné la décision du protonotaire de novo, la juge du procès a rejeté l'appel de Sanofi en invoquant en substance les mêmes raisons que le protonotaire. Elle a conclu, eu égard à l'ensemble des circonstances, qu'autoriser les modifications ne servirait pas les intérêts de la justice.

 

La norme de contrôle

[10]           La norme de contrôle applicable à l'ordonnance discrétionnaire d'un protonotaire a été établie de manière décisive par la Cour dans Canada c. Aqua‑Gem Investments Ltd., [1993] 2 C.F. 425 (C.A.F.), puis dans Merck & Co. c. Apotex Inc., 2003 CAF 488, [2004] 2 R.C.F. 459, aux paragraphes 17 à 20, et confirmée par la Cour suprême du Canada dans Z.I. Pompey Industrie c. ECU‑Line N.V., 2003 CSC 27, [2003] 1 R.C.S. 450, au paragraphe 18. Une telle ordonnance ne peut être modifiée que si : a) la question soulevée dans la requête a une influence déterminante sur la décision finale quant au fond, ou b) l'ordonnance est entachée d'une erreur flagrante, en ce sens que le protonotaire a exercé son pouvoir discrétionnaire sur le fondement d'un mauvais principe de droit ou d'une mauvaise appréciation des faits. À son tour, notre Cour ne peut modifier la décision par laquelle un juge de la Cour fédérale a rejeté l'appel visant l'ordonnance discrétionnaire d'un protonotaire que si cette décision est entachée d'une erreur flagrante.

 

[11]           En l'espèce, la juge du procès a eu du mal à déterminer si les modifications proposées avaient une influence déterminante sur la décision finale quant au fond, attendu que Sanofi avançait des arguments contradictoires concernant leur nature. Comme on peut le lire aux pages 4 et 5 de l'ordonnance de la juge : [TRADUCTION] « D'un côté, elles soutiennent que ces modifications des actes de procédure sont essentielles à leur défense, et de l'autre, qu'elles sont mineures et, dans le cas des indications HOPE, qu'elles énoncent simplement une question de droit qu'il n'est même pas nécessaire d'invoquer dans les actes de procédure. » La juge du procès a présumé, par souci de précaution, et sans se prononcer sur ce point, que la décision du protonotaire de refuser les modifications avait une influence déterminante, et elle a donc entrepris d'examiner l'affaire de novo.

 

[12]           Sanofi (qui a changé d'avocat depuis) soutient à présent devant la Cour que les modifications avaient une influence déterminante sur sa défense quant au fond. Comme la juge du procès, je présumerai, sans trancher la question, que tel est le cas.

 

Les principes régissant les modifications

[13]           Les articles 75 à 79 ainsi que 200 et 201 des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106, régissent la modification des actes de procédure. Ces dispositions prescrivent une approche libérale. Après avoir examiné en détail la jurisprudence de la Cour, le juge Décary a énoncé les principes applicables dans l'arrêt Canderel Ltd. c. Canada, [1994] 1 C.F. 3 (C.A.F.), à la page 10 : « même s'il est impossible d'énumérer tous les facteurs dont un juge doit tenir compte en décidant s'il est juste, dans une situation donnée, d'autoriser une modification, la règle générale est qu'une modification devrait être autorisée à tout stade de l'action aux fins de déterminer les véritables questions litigieuses entre les parties, pourvu, notamment, que cette autorisation ne cause pas d'injustice à l'autre partie que des dépens ne pourraient réparer, et qu'elle serve les intérêts de la justice ».

 

[14]           Tout en reconnaissant ces principes admis et établis de longue date, Sanofi fait néanmoins valoir que [TRADUCTION] « la modification des actes de procédure doit être autorisée à tout moment, y compris à la veille du procès, voire durant le procès, pourvu qu'elle n'ait rien d'injuste » : mémoire de Sanofi, au paragraphe 21. Elle estime, en s'appuyant sur l'arrêt VISX Inc. c. Nidex Co., [1998] A.C.F. no 1766 (QL) (C.A.F.), que ces modifications doivent être accordées même en cas de retard déplorable et inconsidéré.

 

[15]           À mon avis, Sanofi oublie qu'au moins deux critères indépendants doivent être remplis pour qu'une modification puisse être autorisée : a) toute injustice imposée à l'autre partie peut être corrigée par l'adjudication de dépens, et b) les intérêts de la justice doivent être servis. Si l'une ou l'autre de ces conditions n'est pas remplie, la modification peut être refusée.

 

[16]           Le critère relatif aux intérêts de la justice invite notamment la Cour à considérer des facteurs relatifs à l'efficacité et à la bonne administration de la justice : Merck & Co. c. Apotex Inc., précité, aux paragraphes 35, 36 et 42. Comme le notait lord Griffiths dans Ketteman v. Hansel Properties Ltd., [1988] 1 All E.R. 38 (Ch. des l.), à la page 62 (que la Cour a cité en l'approuvant dans Merck & Co. c. Apotex Inc., précité, au paragraphe 30) :

[TRADUCTION]

 

Un autre facteur dont le juge doit tenir compte est la pression exercée sur les tribunaux par l'augmentation considérable des procès, et donc la nécessité que, dans l'intérêt public, les procédures soient conduites efficacement. Nous ne pouvons plus nous permettre de témoigner la même indulgence à l'égard de la conduite négligente des procès que celle peut-être possible à une époque moins fébrile. Dans certaines affaires, la justice sera mieux servie si les avocats doivent assumer les conséquences de leur incurie plutôt que d'être autorisés à faire une modification à une étape très tardive de la procédure.

 

 

 

[17]           Le juge qui tranche une requête en modification des actes de procédure doit, en règle générale, prendre en compte le moment où la requête est présentée, le retard éventuel des procédures en raison de la modification proposée, et la manière dont la partie qui demande la modification s'est conduite tout au long de l'instance : Canderel Ltd. c. Canada, précité, à la page 11; Bristol‑Myers Squibb Co. c. Apotex Inc., 2011 CAF 34, au paragraphe 37. Même lorsqu'elle est possible, l'indemnisation pécuniaire des autres parties au litige par l'adjudication des dépens n'est donc pas le seul facteur à soupeser. L'efficacité du processus judiciaire lui-même doit aussi entrer dans cet exercice de pondération.

 

Analyse

[18]           La juge du procès a conclu à juste titre que la modification concernant Pharmascience proposée par Sanofi a été présentée à la [TRADUCTION] « veille du procès sans explication crédible pour le retard », et que celle‑ci [TRADUCTION] « a peu d'excuses pour avoir attendu jusqu'à maintenant pour soulever l'enjeu » de la modification portant sur les indications HOPE : ordonnance de la juge du procès, aux pages 6 et 7. Sanofi n'a expliqué ce retard ni à la juge du procès ni à la Cour. Il faut en déduire qu'il n'existe pas de raison valable.

 

[19]           Comme je l'ai déjà noté, il faut tenir compte du moment où une requête en modification est présentée pour déterminer si elle doit être accueillie. Comme le déclarait la Cour dans Canderel Ltd. c. Canada, précité, à la page 11 : « Pour ce qui est des intérêts de la justice, on peut dire que les tribunaux et les parties sont en droit de s'attendre à ce qu'un procès aboutisse, et les retards et la tension et les inquiétudes que suscite chez toutes les parties concernées une modification tardive soulevant une nouvelle question, peuvent fort bien être considérés comme un obstacle aux fins de la justice. »

 

[20]           En l'espèce, non seulement la requête de Sanofi était‑elle tardive, mais il est presque sûr qu'elle aurait retardé considérablement le procès si elle avait été accueillie. Dans la présente affaire, je reprends à mon compte les propos du juge Hugessen dans Bande indienne de Montana c. Canada, 2002 CFPI 583, [2002] A.C.F. no 774 (QL), au paragraphe 7 :

[...] Bien sûr, toute modification apportée aux actes de procédure occasionnera un retard, mais certains retards tirent beaucoup plus à conséquence que d'autres. Lorsque l'on en est presque à la veille d'une longue et importante instruction, dont la date est connue et prévue depuis plusieurs mois, dont la préparation a fait l'objet d'une collaboration étroite entre les avocats et la Cour sur une période de plusieurs années et dans laquelle les questions en litige sont nombreuses et complexes et les procédures mettent en cause de nombreuses parties, une ordonnance relative aux dépens ne permettrait absolument pas l'octroi d'une indemnité adéquate pour la perte de la date de l'instruction. De fait, il serait même presque impossible d'essayer de taxer les montants qui auraient été gaspillés par suite du retard prévu de l'instruction. [...]

 

 

 

[21]           Cela suffit à mon avis pour disposer de l'appel.

 

[22]           Par conséquent, je rejetterais l'appel, et j'adjugerais les dépens à Teva.

 

 

« Robert M. Mainville »

j.c.a.

« Je suis d'accord.

            Karen Sharlow, j.c.a. »

 

« Je suis d'accord.

            Eleanor R. Dawson, j.c.a. »

 

 

Traduction certifiée conforme

Yves Bellefeuille, réviseur

 


COUR D'APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

Dossier :                                                    A-460-11

 

(APPEL D'UN JUGEMENT RENDU LE 11 MAI 2012 PAR LA JUGE SNIDER DE LA COUR FÉDÉRALE, DOSSIER NUMÉRO T-1161-07.)

 

INTITULÉ :                                                  SANOFI-AVENTIS CANADA INC. et SANOFI‑AVENTIS DEUTSCHLAND GmbH c. TEVA CANADA LIMITÉE

 

LIEU DE L'AUDIENCE :                          Toronto (Ontario)

 

DATES DE L'AUDIENCE :                       les 16 et 17 octobre 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                       LE JUGE MAINVILLE

 

Y ONT SOUSCRIT :                                   LA JUGE SHARLOW

                                                                        LA JUGE DAWSON

 

DATE DES MOTIFS :                                 LE 14 MARS 2014

 

COMPARUTIONS :

 

Steven Mason

Andrew Reddon

Sanjaya Mendis

 

POUR LES appelantES

 

Jonathan Stainsby

Lesley Caswell

Ben Wallwork

Mark Davis

POUR L'INTIMÉE

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

McCarthy Tétrault, S.E.N.C.R.L., s.r.l.

Toronto (Ontario)

 

POUR LES appelantES

 

Heenan Blaikie, SENCRL, SRL

Toronto (Ontario)

 

POUR L'INTIMÉE

 

 

 

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