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Date : 20140502

 

Dossier : A‑510‑12

 

Référence : 2014 CAF 114

CORAM :      LE JUGE EN CHEF BLAIS

                        LA JUGE SHARLOW

                        LE JUGE STRATAS

 

ENTRE :

JOSE MARIA SERRANO LEMUS, ENMA ALVARADO DE SERRANO, et JOSE MARIA SERRANO ALVARADO

appelants

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

intimé

 

Audience tenue à Toronto (Ontario), le 4 novembre 2013.

Jugement prononcé à Ottawa (Ontario), le 2 mai 2014.

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

 

LE JUGE STRATAS

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE EN CHEF BLAIS

LA JUGE SHARLOW

 


 


Date : 20140502

 

Dossier : A‑510‑12

 

Référence : 2014 CAF 114

 

 

CORAM :      LE JUGE EN CHEF BLAIS

                        LA JUGE SHARLOW

                        LE JUGE STRATAS

 

ENTRE :

JOSE MARIA SERRANO LEMUS, ENMA ALVARADO DE SERRANO, et JOSE MARIA SERRANO ALVARADO

appelants

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

intimé

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

LE JUGE STRATAS

[1]               Les appelants (collectivement appelés la famille Lemus) interjettent appel du jugement par lequel la Cour fédérale — 2012 CF 1274, le juge Near — a rejeté leur demande de contrôle judiciaire visant le rejet par le ministre de leur demande de dispense pour considérations d'ordre humanitaire présentée au titre du paragraphe 25(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27.

 

[2]               La Cour a instruit le présent appel en même temps que l'appel dans l'affaire Kanthasamy c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2014 CAF 113 (dossier no A‑272‑13). J'ordonne par conséquent qu'une copie des présents motifs soit transmise aux avocats de la présente affaire ainsi qu'à ceux dans l'appel Kanthasamy. Les présents motifs doivent également être versés au dossier de l'appel Kanthasamy.

 

[3]               Une question commune est au cœur des deux appels, celle de l'interprétation du paragraphe 25(1) de la Loi, modifié par la Loi sur des mesures de réforme équitables concernant les réfugiés, L.C. 2010, ch. 8, article 4. Cette dernière modification a entraîné l'ajout du nouveau paragraphe 25(1.3).

 

[4]               Les questions certifiées en l'espèce soulèvent cette question d'interprétation. Dans l'affaire Kanthasamy, j'ai conclu que l'interprétation que le ministre a donnée aux paragraphes 25(1) et 25(1.3) — interprétation adoptée par la Cour fédérale en l'espèce — est correcte pour l'essentiel. C'est pourquoi je répondrais aux questions certifiées dans la présente affaire d'une manière qui soit compatible avec les motifs que j'ai exposés dans l'arrêt Kanthasamy.

 

[5]               Quant aux autres questions soulevées dans le présent appel, elles portent sur la contestation du paragraphe 25(1.3) de la Loi par la famille Lemus, qui invoque à cet égard des arguments fondés sur la Charte, ainsi que sur le caractère raisonnable du rejet par le ministre de la demande de dispense pour considérations d'ordre humanitaire présentée par la famille au titre du paragraphe 25(1) de la Loi.

 

[6]               Je rejette la contestation présentée par la famille Lemus sur le fondement de la Charte. Toutefois, j'estime que la décision du ministre est déraisonnable. Je serais donc d'avis d'accueillir l'appel, d'annuler la décision de la Cour fédérale, d'accueillir la demande de contrôle judiciaire et de renvoyer la question au ministre afin qu'il rende une nouvelle décision conformément aux présents motifs.

 

A.        Les faits essentiels

[7]               La famille Lemus est partie du Salvador pour venir au Canada, où elle a déposé une demande d'asile. La Section de la protection des réfugiés a rejeté la demande.

 

[8]               La Section de la protection des réfugiés a conclu que les demandeurs n'étaient ni des réfugiés au sens de la Convention ni des personnes à protéger. Les demandeurs n'ont pas pu établir l'existence d'un lien entre leur situation et les motifs prévus à l'article 96 de la Loi. Étant propriétaires d'un commerce, ils craignaient d'être victimes de la Mara Salvatruchia ou, de manière générale, de la criminalité et de la violence. Or, il s'agit là de risques auxquels sont exposés en général les autres Salvadoriens. Aucune preuve ne permettait d'affirmer qu'ils seraient pris pour cible s'ils retournaient au Salvador.

 

[9]               La famille Lemus a demandé au ministre une dispense pour considérations d'ordre humanitaire en application du paragraphe 25(1) de la Loi, invoquant son degré d'établissement au Canada, l'intérêt supérieur de l'enfant, ainsi que les graves difficultés et les risques auxquels elle aurait à faire face à son retour au Salvador. L'épouse de M. Lemus souffre de trouble de stress post‑traumatique et de dépression en raison d'une agression sexuelle dont elle a été victime au Salvador. L'enfant de M. Lemus, un adolescent, pourrait quant à lui se retrouver dans la mire de la Mara Salvatruchia.

 

[10]           La représentante du ministre a rejeté la demande présentée au titre du paragraphe 25(1). J'exposerai ci‑dessous les motifs de ce rejet, dans l'examen du caractère raisonnable de cette décision.

 

B.        Analyse

[11]           Dans l'arrêt Kanthasamy, j'ai conclu ce qui suit (au paragraphe 75) pour ce qui est de la question de l'interprétation des paragraphes 25(1) et 25(1.3) :

Si des éléments comme la crainte fondée de persécution, la menace à la vie et le risque de traitements ou peines cruels et inusités — des facteurs liés aux articles 96 et 97 — ne peuvent être pris en compte dans l'étude de la demande faite au titre du paragraphe 25(1) en vertu du paragraphe 25(1.3), les faits qui sous‑tendent ces facteurs peuvent néanmoins s'avérer pertinents, dans la mesure où ils ont trait à la question de savoir si le demandeur fait face directement et personnellement à des difficultés inhabituelles et injustifiées ou excessives.

 

[12]           J'ai également souligné que, dans l'application de cette norme, les agents peuvent tenir compte du guide opérationnel publié par le ministre. Cependant, les agents doivent considérer l'ensemble des faits et des circonstances qui leur sont présentés et appliquer la norme avec ouverture d'esprit, sans être entravés par le contenu du guide.

 

[13]           La famille Lemus conteste la validité du paragraphe 25(1.3) sur le fondement des articles 7 et 15 de la Charte, et du principe constitutionnel de la primauté du droit.

 

[14]           Dans une certaine mesure, j'ai traité de ces questions lorsque j'ai rejeté l'analyse que M. Kanthasamy a faite des valeurs consacrées par la Charte : voir Kanthasamy, précité, aux paragraphes 77 et 78.

 

[15]           Le paragraphe 25(1.3) ne porte aucunement atteinte au principe constitutionnel de la primauté du droit tel qu'il a été interprété par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Colombie‑Britannique c. Imperial Tobacco Canada Ltée, 2005 CSC 49, [2005] 2 R.C.S. 473, au paragraphe 58 :

La Cour a décrit la primauté du droit comme embrassant trois principes. Le premier reconnaît que « le droit est audessus des autorités gouvernementales aussi bien que du simple citoyen et exclut, par conséquent, l'influence de l'arbitraire » : Renvoi relatif aux droits linguistiques au Manitoba, p. 748. Le deuxième « exige la création et le maintien d'un ordre réel de droit positif qui préserve et incorpore le principe plus général de l'ordre normatif » : Renvoi relatif aux droits linguistiques au Manitoba, p. 749. Selon le troisième, « les rapports entre l'État et les individus doivent être régis par le droit » : Renvoi relatif à la sécession du Québec, par. 71.

 

D'après moi, la famille Lemus voit dans le terme « primauté du droit » un motif passe‑partout de contestation constitutionnelle. Cela ne se défend pas sur le plan juridique. Lorsqu'on conteste la validité d'un texte de loi au motif qu'il est contraire à la primauté du droit, le bien‑fondé de la contestation est apprécié en tenant compte des principes dégagés dans l'arrêt Imperial Tobacco. Voir également Yeager c. Day, 2013 CAF 258, au paragraphe 13.

 

[16]           Pour ce qui est de l'article 7 de la Charte, j'estime qu'en exigeant un examen des difficultés auxquelles fait face la famille Lemus, le paragraphe 25(1.3) tient compte de tous les droits à la liberté et à la sécurité de la personne dont jouit celle‑ci. Lorsqu'ils sont saisis de demandes de dispense fondées sur des considérations d'ordre humanitaire au titre du paragraphe 25(1), les agents doivent tenir compte de l'ensemble des faits permettant de se prononcer sur la question des difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives.

 

[17]           Les arguments avancés par la famille Lemus au titre de l'article 15 reposent sur la présomption que le paragraphe 25(1.3) prévoit pour les demandeurs qui cherchent à obtenir une dispense fondée sur des considérations d'ordre humanitaire un traitement différent de celui des demandeurs qui ne prétendent pas au statut de réfugié. Ce n'est pas le cas : tous les demandeurs sont soumis à la même évaluation des difficultés auxquelles ils font face. Je rejette donc les arguments fondés sur l'article 15.

 

[18]           Quant à la décision de l'agente ici en cause, j'estime pour les motifs exposés dans l'arrêt Kanthasamy, précité, que la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable. C'est à bon droit que la Cour fédérale a conclu en ce sens.

 

[19]           La Cour fédérale a ensuite conclu que la décision de l'agente était raisonnable.

 

[20]           La Cour fédérale a mentionné que l'agente avait à juste titre attaché de l'importance au fait que la famille avait des proches au Salvador. L'agente a estimé que ces proches [TRADUCTION] « devraient être en mesure d'aider les demandeurs à se réinstaller à leur retour ».

 

[21]           La Cour fédérale a également mentionné, avec approbation, que l'agente avait conclu que les difficultés et les conditions générales qui régnaient dans le pays étaient celles « auxquelles la population tout entière était exposée en général ». Pour ce qui est de l'épouse et de son état de santé, l'agente a estimé qu'elle pourrait, [TRADUCTION] « comme elle l'avait déjà fait, obtenir à son retour au Salvador l'assistance médicale et psychologique dont elle peut avoir besoin ». En ce qui concerne le degré d'établissement au Canada, l'agente a conclu que, compte tenu de la durée de leur séjour au Canada, il était [TRADUCTION] « comme on pouvait s'y attendre » et n'avait rien d'« exceptionnel ».

 

[22]           Jusqu'ici, je suis d'accord avec la Cour fédérale que la conclusion à laquelle l'agente est parvenue est acceptable et se justifie au regard des faits et du droit.

 

[23]           Là où je ne suis plus d'accord avec la Cour fédérale, c'est lorsqu'elle estime que l'agente est parvenue à une décision qui appartient aux issues acceptables et justifiables, compte tenu de l'interprétation du paragraphe 25(1.3) exposée dans l'arrêt Kanthasamy et citée ci‑dessus.

 

[24]           Bien que l'agente ait relevé l'existence de ce paragraphe 25(1.3), elle ne s'est pas penchée sur les faits se rapportant aux questions soulevées par la demande d'asile qui auraient pu également être utiles pour décider si le renvoi de la famille Lemus au Salvador créerait à celle‑ci des difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives.

 

[25]           Cela ressort de l'extrait suivant des motifs de l'agente :

[TRADUCTION]

 

La demande d'ordre humanitaire présentée par le demandeur repose en partie sur les risques auxquels les demandeurs seraient exposés s'ils étaient renvoyés au Salvador, et en particulier le risque découlant de la crainte de la Mara Salvatruchia, et de la peur de voir le demandeur mineur recruté par ce gang. Il s'agit des risques prévus aux articles 96 et 97 de la LIPR, et à ce titre, ils ne peuvent être évalués que par la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (CISR). Il ressort de la preuve que la CISR s'est penchée sur les craintes invoquées, et la demande d'asile présentée par les demandeurs a été rejetée. N'ayant pas compétence pour réévaluer les demandes fondées sur la crainte au titre des articles A96 et A97 [sic] de la LIPR, je n'ai pas examiné la preuve portant sur la crainte qu'a le demandeur d'un renvoi au Salvador, mais j'ai examiné les facteurs, autres que ceux qui concernent le risque, dont a pu faire état le demandeur.

 

[26]           L'agente n'a pas, dans le reste de ses motifs, évalué sous l'angle des difficultés le risque que la Mara Salvatruchia cible l'enfant. L'agente a bien pris en compte l'intérêt supérieur de l'enfant, mais à d'autres égards, et elle a relevé que [TRADUCTION] « la preuve qui m'a été soumise n'est pas suffisante pour conclure que ses besoins fondamentaux ne seraient pas satisfaits au Salvador », alors que l'enfant a [TRADUCTION] « des membres de sa famille élargie qui demeurent toujours au Salvador ». Cela étant, je conclus que la décision est déraisonnable et qu'elle ne saurait être maintenue.

 

[27]           Le ministre a fait valoir que la preuve au dossier était suffisante pour maintenir la décision de l'agente de rejeter la demande de dispense pour considérations d'ordre humanitaire présentée par la famille Lemus. Le ministre nous invite à trouver dans le dossier soumis à l'agente des éléments permettant de confirmer la conclusion à laquelle elle est parvenue.

 

[28]           L'argument du ministre repose sur une interprétation littérale du passage suivant tiré du paragraphe 48 de l'arrêt Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190 :

Nous convenons avec David Dyzenhaus que la notion de [TRADUCTION] « retenue au sens de respect » n'exige pas de la cour de révision [TRADUCTION] « la soumission, mais une attention respectueuse aux motifs donnés ou qui pourraient être donnés à l'appui d'une décision » : « The Politics of Deference : Judicial Review and Democracy », dans M. Taggart, dir., The Province of Administrative Law (1997), 279, p. 286 (cité avec approbation par la juge L'Heureux‑Dubé dans l'arrêt Baker, par. 65; Ryan, par. 49).

 

[29]           Toutefois, l'arrêt Alberta (Information and Privacy Commissioner) c. Alberta Teachers' Association, 2011 CSC 61, [2011] 3 R.C.S. 654, donne à penser que cela ne laisse pas à la cour de révision toute latitude pour plonger dans le dossier dont était saisi le décideur administratif afin d'y trouver les moyens de sauvegarder la décision.

 

[30]           Au paragraphe 54 de l'arrêt Alberta Teachers' Association, le juge Rothstein, s'exprimant au nom des juges majoritaires de la Cour suprême, conclut que l'invitation à porter une attention respectueuse aux motifs qui pourraient être donnés à l'appui d'une décision ne confère pas à la cour de justice « le pouvoir absolu de reformuler la décision en substituant à l'analyse qu'elle juge déraisonnable sa propre justification du résultat ».

 

[31]           Au paragraphe 55 de l'arrêt Alberta Teachers' Association, le juge Rothstein prévoit la possibilité suivante :

Il peut arriver parfois qu'une juridiction de révision ne puisse manifester la déférence voulue sans offrir d'abord au décideur administratif la possibilité d'exposer les motifs de sa décision. Alors, même s'il y a décision implicite, il est possible qu'elle juge opportun de renvoyer la décision au tribunal administratif pour qu'il la motive.

 

[32]           Le jour après avoir rendu l'arrêt Alberta Teachers' Association, la Cour suprême a rendu l'arrêt Newfoundland and Labrador Nurses' Union c. Terre‑Neuve‑et‑Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, [2011] 3 R.C.S. 708. Dans ce deuxième arrêt, la Cour suprême reprend le raisonnement exposé au paragraphe 48 de Dunsmuir. Elle ne mentionne pas l'arrêt Alberta Teachers' Association.

 

[33]           Aux paragraphes 11 et 12 de l'arrêt Newfoundland Nurses, la Cour suprême insiste de nouveau sur l'obligation qu'ont les cours de révision d'accorder « une attention respectueuse aux motifs [...] qui pourraient être donnés à l'appui d'une décision » [non souligné dans l'original]. Dans ce même arrêt, la Cour suprême a repris à son compte, sans réserve et sans explication, l'extrait suivant, également tiré de l'article du professeur Dyzenhaus :

[TRADUCTION]

 

Car s'il est vrai que parmi les motifs pour lesquels il y a lieu de faire preuve de retenue on compte le fait que c'est le tribunal, et non la cour de justice, qui a été désigné comme décideur de première ligne, la connaissance directe qu'a le tribunal du différend, son expertise, etc., il est aussi vrai qu'on doit présumer du bien‑fondé de sa décision même si ses motifs sont lacunaires à certains égards.

 

 

On pourrait fort bien se questionner sur l'opportunité pour les cours de révision de présumer du bien‑fondé des décisions administratives, même lorsqu'elles sont lacunaires. On pourrait également se demander si, en tentant de maintenir une décision reposant sur un raisonnement erroné, la cour de révision ne tente pas en fait de raccommoder une décision que l'administrateur, mis au fait de son erreur, n'aurait peut‑être lui‑même pas prise. Enfin, la question de savoir si une décision devrait être maintenue en raison de la solidité du dossier ou pour d'autres raisons intervient en général à l'étape de la réparation à accorder, et non avant : Mines Alerte Canada c. Canada (Pêches et Océans), 2010 CSC 2, [2010] 1 R.C.S. 6.

 

[34]           La réponse à ces questions va devoir attendre. Il nous faut maintenant résoudre une question pratique. L'arrêt Alberta Teachers' Association a été rendu un jour avant l'arrêt Newfoundland Nurses, ce deuxième arrêt ne faisant aucune allusion au premier. Quel est donc, de ces deux arrêts, celui qui énonce le principe à appliquer en l'espèce? Selon moi, c'est l'arrêt Alberta Teachers' Association. Je formule les observations suivantes.

 

[35]           D'abord, les affirmations contenues dans l'arrêt Newfoundland Nurses au sujet du paragraphe 48 de l'arrêt Dunsmuir ont été faites dans le contexte d'une discussion sur la façon d'analyser les motifs peu détaillés d'un tribunal administratif. Mais là n'est pas la question en l'espèce.

 

[36]           Deuxièmement, dans l'arrêt Alberta Teachers' Association, la Cour suprême avait à appliquer aux faits de l'affaire dont elle était saisie les principes établis au paragraphe 48 de Dunsmuir. L'analyse à laquelle elle se livre sur ce point est un élément essentiel de sa conclusion. On ne peut pas en dire autant des observations qu'elle fait dans l'arrêt Newfoundland Nurses au sujet du paragraphe 48 de Dunsmuir.

 

[37]           Par conséquent, je conclus qu'en l'espèce, l'arrêt décisif est l'arrêt Alberta Teachers' Association. Cela étant, il n'y a pas lieu en l'occurrence de donner suite à l'invitation du ministre et de compléter ou reformuler les motifs de l'agente afin de maintenir sa décision.

 

[38]           Il s'agit d'un cas où l'agente, informée par les présents motifs de son erreur et de la norme qu'il convenait d'appliquer, pourrait très bien parvenir à une conclusion différente. Le dossier contient des éléments de preuve lui permettant de trancher dans un sens comme dans l'autre. Je ne saurais affirmer que le dossier va tellement à l'encontre de l'octroi d'une dispense qu'il ne servirait à rien de renvoyer l'affaire devant l'agente, comme c'était le cas dans l'arrêt Mines Alerte Canada, précité. Je ne peux pas dire non plus que le dossier penche si nettement en faveur de l'octroi d'une dispense que nous pourrions accorder un bref de mandamus et accueillir la demande présentée au titre du paragraphe 25(1).

 

[39]           Il s'ensuit que la décision rendue par l'agente est déraisonnable et que l'affaire devrait être renvoyée pour réexamen.

 

C.        Décision

[40]           Compte tenu des motifs que j'ai exposés dans l'arrêt Kanthasamy, précité, je répondrais comme suit aux questions certifiées :

 

1.         Quelle est la nature du risque, s'il en est, qui doit être examiné au titre des considérations d'ordre humanitaire visées à l'article 25 de la LIPR, modifié par la Loi sur des mesures de réforme équitables concernant les réfugiés?

 

Réponse : Des éléments comme la crainte fondée de persécution, la menace à la vie et le risque de traitements ou peines cruels et inusités — des facteurs énumérés aux articles 96 et 97 — ne peuvent pas être examinés au titre du paragraphe 25(1) conformément au paragraphe 25(1.3). Les faits qui les sous‑tendent peuvent néanmoins être pertinents s'ils permettent de déterminer si le demandeur, directement et personnellement, fait face à des difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives.

 

2.         Pour l'examen des considérations d'ordre humanitaire, le fait d'exclure les « facteurs » qui sont pris en compte pour répondre à la question de savoir si une personne a besoin d'être protégé [sic] en vertu des articles 96 ou 97 de la LIPR signifie‑t‑il que les faits qui ont été présentés au décideur dans le cadre de la demande d'asile ne peuvent pas être utilisés pour déterminer les « difficultés » auxquelles fait face un étranger conformément au paragraphe 25(1.3) de la LIPR?

 

Réponse : Non. Tous les faits se rapportant aux difficultés peuvent être présentés et examinés.

 

[41]           Par conséquent, je serais d'avis d'accueillir l'appel, d'annuler le jugement de la Cour fédérale, d'accueillir la demande de contrôle judiciaire et de renvoyer la question au ministre afin qu'il rende une nouvelle décision conformément aux présents motifs.

 

[42]           L'avocat de la famille Lemus sollicite l'octroi de dépens sur la base avocat‑client. À mon avis, il n'y a aucune raison spéciale justifiant d'adjuger les dépens au titre de l'article 22 des Règles des Cours fédérales en matière d'immigration et de protection des réfugiés, DORS/93‑22.

 

« David Stratas »

j.c.a.

 

 

« Je suis d'accord.

            Pierre Blais, j.c. »

 

« Je suis d'accord.

            K. Sharlow, j.c.a. »

 

 

Traduction certifiée conforme

Yves Bellefeuille, réviseur

 


COUR D'APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DoSSIER :                                                    A‑510‑12

 

APPEL D'UN JUGEMENT DU JUGE NEAR rendu le 31 OCTOBRE 2012, No IMM‑2593‑12

 

INTITULÉ :                                                  JOSE MARIA SERRANO LEMUS, ENMA ALVARADO DE SERRANO et JOSE MARIA SERRANO ALVARADO c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

 

LIEU DE L'AUDIENCE :                          Toronto (Ontario)

 

DATE DE L'AUDIENCE :                         LE 4 NOVEMBRE 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                       LE JUGE STRATAS

 

Y ONT SOUSCRIT :                                   LE JUGE EN CHEF BLAIS

                                                                        LA JUGE SHARLOW

 

DATE DES MOTIFS :                                 LE 2 MAI 2014

 

COMPARUTIONS :

Rocco Galati

POUR LES APPELANTS

 

Modupe Oluyomi

Ildiko Erdei

POUR L'intimé

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Rocco Galati Law Firm

Toronto (Ontario)

 

POUR LES APPELANTS

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

POUR L'intimé

 

 

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