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Date : 20140205


Dossier :

A-199-13

 

Référence : 2014 CAF 33

 

CORAM :      LE JUGE EN CHEF

BLAIS

LA JUGE SHARLOW

LA JUGE GAUTHIER  

 

Dossier :

A-199-13

 

ENTRE :

ROBERT T. STRICKLAND, GEORGE CONNON, ROLAND AUER, IWONA AUER-GRZESIAK, MARK AUER ET VLADIMIR AUER, REPRÉSENTÉ PAR SON TUTEUR À L’INSTANCE, ROLAND AUER

 

appelants

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

intimé

 

Audience tenue à Calgary (Alberta), le 5 février 2014.

Jugement rendu à l’audience à Calgary (Alberta), le 5 février 2014.

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR :

LA JUGE GAUTHIER

 


Date : 20140205


Dossier :

A-199-13

 

Référence : 2014 CAF 33

CORAM :      LE JUGE EN CHEF

BLAIS

LA JUGE SHARLOW

LA JUGE GAUTHIER

 

Dossier :

A-199-13

 

ENTRE :

ROBERT T. STRICKLAND, GEORGE CONNON, ROLAND AUER, IWONA AUER-GRZESIAK, MARK AUER ET VLADIMIR AUER, REPRÉSENTÉ PAR SON TUTEUR À L’INSTANCE, ROLAND AUER

 

appelants

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

intimé

 

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR

(prononcés à l’audience à Calgary (Alberta), le 5 février 2014).

LA JUGE GAUTHIER

[1]               La Cour est saisie d’un appel de l’ordonnance par laquelle la juge Gleason de la Cour fédérale a rejeté la demande de contrôle judiciaire des appelants. Dans ses motifs (2013 CF 475), la juge a conclu i) que George Connon, Iwona Auer-Grzesiak, Mark Auer et Vladimir Auer n’avaient pas qualité pour présenter la demande et qu’ils ne répondaient pas au critère concernant la qualité pour agir dans l’intérêt public, ii) que la demande de Robert T. Strickland constituait une contestation indirecte inadmissible et un abus de procédure, et iii) que, même si Roland Auer avait qualité pour présenter la demande, la cour devrait refuser de connaître la demande principalement parce qu’il serait plus approprié que les cours supérieures des provinces examinent les questions soulevées puisqu’elles ont compétence quasi exclusive à l’égard du divorce, des mesures accessoires au divorce (y compris la pension alimentaire pour enfant) et des actions en modification exercées en vertu de la Loi sur le divorce, L.R.C. 1985, ch. 3 (2e suppl.) (Loi sur le divorce).

 

[2]               Dans leur demande, Robert T. Strickland, George Connon, Roland Auer, Iwona Auer‑Grzesiak, Mark Auer et Vladimir Auer (les appelants) prétendent que les Lignes directrices fédérales sur les pensions alimentaires pour enfants, DORS/97-175 (les Lignes directrices) contredisent les dispositions de la Loi sur le divorce, en vertu de laquelle elles ont été promulguées. Ils demandent à la Cour fédérale de déclarer que les Lignes directrices outrepassent le cadre prévu par la Loi sur le divorce. Ils affirment que les Lignes directrices ne reflètent pas les exigences énoncées au paragraphe 26.1(2) de la Loi sur le divorce et qu’elles surcompensent les anciens conjoints lorsqu’il existe une entente de garde partagée et que les enfants habitent une partie du temps avec le parent payeur.

 

[3]               Le procureur général du Canada (PGC) a présenté une requête dans le but de faire annuler la demande du fait que les appelants n’avaient pas qualité pour agir, que la demande constituait une contestation indirecte inadmissible d’une entente sur une pension alimentaire pour enfant ou qu’elle constituait sinon un abus de procédure, ou subsidiairement, que la Cour devrait, dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, refuser de connaître la demande.

 

[4]               Pour comprendre les conclusions du juge et les arguments qui nous sont soumis, il convient de souligner ce qui suit au sujet de chacun des appelants (voir les paragraphes 5 à 8 et 32 des motifs de la juge) :

  • Robert T. Strickland : Au moment du dépôt de la demande, il était partie à une action en divorce. Dans le cadre de la présente instance, une médiation ordonnée par la cour lui a permis de conclure une entente provisoire relative à une pension alimentaire pour enfant.
  • George Connon : Il était séparé de son épouse, mais il n’avait pas encore entamé une procédure de divorce. Il verse volontairement à son épouse une pension alimentaire pour enfant, dont le montant est calculé en fonction des Lignes directrices.
  • Roland Auer : La présente demande vise trois mariages de M. Auer. Celui-ci et sa deuxième épouse (Aysel Auer) ont un enfant, pour lequel M. Auer verse une pension alimentaire pour enfant. Le montant a été fixé initialement en fonction des Lignes directrices, mais la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta l’a modifié deux fois par la suite. La dernière ordonnance indique qu’elle est rendue [traduction] « sous réserve, de sorte que, si [Roland Auer] a gain de cause dans sa contestation devant la Cour fédérale des Lignes directrices fédérales sur les pensions alimentaires pour enfants, [le montant à verser pour la pension alimentaire pour enfant] pourra alors être révisé rétroactivement à la date de la présente ordonnance ».
  • Iwona Auer-Grzesiak : Elle a été la première épouse de Roland Auer. Ils ont deux enfants. La preuve ne fait état d’aucune ordonnance judiciaire concernant la pension alimentaire versée pour ces enfants.
  • Mark Auer : Il est un des enfants de Roland Auer et d’Iwona Auer-Grzesiack, deux des appelants susmentionnés. La preuve ne fait état d’aucune ordonnance judiciaire concernant la pension alimentaire versée pour cet appelant.
  • Vladimir Auer : Il est un enfant issu du troisième mariage de Roland Auer. Il habite avec ses parents, qui ne sont ni séparés ni divorcés.

 

[5]               Robert T. Strickland, George Connon et Roland Auer – les payeurs – veulent obtenir la réduction de la pension alimentaire pour enfant qu’ils doivent verser. Les trois autres appelants affirment qu’ils sont directement touchés par l’obligation de verser une pension alimentaire prévue par les Lignes directrices.   

 

[6]               Les appelants contestent essentiellement toutes les conclusions de la juge, dans la mesure où elle ne souscrit pas à leur position.

 

[7]               À notre avis, la juge n’a pas commis une erreur de droit en concluant qu’il est loisible aux cours supérieures des provinces de se prononcer dans les instances relevant de la Loi sur le divorce sur la légalité des Lignes directrices et de refuser de les appliquer si elles sont jugées ultra vires. Nous sommes d’accord avec elle, essentiellement pour les raisons qu’elle a données.

 

[8]               Nous sommes d’accord avec les appelants pour dire que la juge a commis une erreur de principe quand elle a décrit et appliqué le troisième facteur dont il faut tenir compte pour statuer sur la qualité pour agir dans l’intérêt public. Comme il est expliqué dans l’arrêt Canada (Procureur général) c. Downtown Eastside Sex Workers United Against Violence Society, 2012 CSC 45, [2012] 2 R.C.S. 524 (Downtown Eastside), au paragraphe 44, le juge devait se demander si la demande était, compte tenu de toutes les circonstances et à la lumière d’un grand nombre de considérations décrites dans l’arrêt, « une manière raisonnable et efficace de soumettre la question à la cour ».

 

[9]               Cela ne veut pas dire que l’application de l’approche téléologique et souple préconisée dans l’arrêt Downtown Eastside aurait mené à une conclusion différente. À notre avis, il n’est pas nécessaire de se livrer à cet exercice parce qu’en fin de compte, le présent appel repose sur la question de savoir si la juge a commis une erreur en refusant d’exercer son pouvoir discrétionnaire ou non. À cette fin, nous sommes disposés à supposer que tous les appelants sont susceptibles d’avoir qualité pour agir et nous n’aborderons pas la question subsidiaire de la contestation indirecte et de l’abus de procédure. Il est clair que, même si tous les appelants s’étaient vu reconnaître la qualité pour agir dans l’intérêt public, la juge n’aurait pas exercé son pouvoir différemment.

 

[10]           Pour arriver à sa conclusion, la juge pouvait tenir compte du fait que les cours supérieures des provinces ont clairement plus d’expérience que la Cour fédérale dans les affaires de pensions alimentaires pour enfants. En fait, elles traitent abondamment de ces affaires. Bien que, techniquement, la Cour fédérale ait aussi une compétence restreinte lorsque les deux époux introduisent chacun à la même date une instance en divorce devant des cours supérieures de provinces différentes et qu’aucune des actions n’est abandonnée (voir les paragraphes 3(3) et 4(3) de la Loi sur le divorce), une telle compétence a rarement été exercée et la Cour fédérale ne possède aucune expertise en matière de droit de la famille.

 

[11]           Nous n’interprétons pas les motifs de la juge comme s’ils dépendaient de l’existence d’une instance parallèle, comme dans le cas de Roland Auer. Les parties aux litiges visés par les décisions citées aux paragraphes 59 et 60 (Reza c. Canada, [1994] 2 R.C.S. 394, et L’Action des nouvelles conjointes du Québec c. Canada, 2004 CF 797) n’étaient pas aux prises avec un litige parallèle. Sa conclusion s’appliquerait donc à tous les appelants, peu importe qu’ils soient parties à d’autres procédures ou non.

 

[12]           Quoi qu’il en soit, nous sommes arrivés à la conclusion que la Cour fédérale devrait effectivement exercer son pouvoir discrétionnaire de refuser de connaître la demande pour un certain nombre de raisons.

 

[13]           Premièrement, comme l’a fait remarquer la juge, une cour qui a acquis l’expertise nécessaire pour bien examiner les arguments dans leur contexte factuel devrait se prononcer sur la légalité des Lignes directrices. Cet aspect est particulièrement important si l’on considère la nature des arguments énumérés aux paragraphes 14 et 15 de la demande et l’affirmation générale qui se trouve au paragraphe 16 selon laquelle les Lignes directrices sont déraisonnables et manifestement injustes, ce qui suppose un examen des répercussions des Lignes directrices et de la formule de calcul de la pension alimentaire pour enfants sur les époux et les enfants. L’expérience pratique est aussi pertinente étant donné que les Lignes directrices confèrent aux cours supérieures des provinces un pouvoir discrétionnaire considérable pour déroger de la formule législative. Selon les appelants, les cours exercent rarement ce pouvoir. Il serait difficile pour la Cour fédérale d’évaluer la validité de cette prétention.

 

[14]           Deuxièmement, les appelants ont reconnu que la portée des Lignes directrices s’étend à des affaires de droit de la famille ne relevant pas de la Loi sur le divorce en vertu des lois et pratiques provinciales. Invalider les Lignes directrices entraînerait des conséquences incertaines à l’égard de ces affaires.

 

[15]           Troisièmement, il serait plus approprié de statuer sur ces questions dans le contexte d’une procédure de divorce ou de mesures accessoires parce que cela garantirait une participation entière et adéquate de l’époux qui demande la pension alimentaire pour enfants, lequel est directement touché par la position adoptée par les appelants et n’est pas présent lorsque la demande est déposée auprès de la Cour fédérale.

 

[16]           Quatrièmement, les appelants soulignent l’importance de la question qu’ils ont soulevée. Il est donc probable que toute décision rendue en première instance soit amenée devant une cour d’appel provinciale, et peut-être même à la Cour suprême du Canada. Ces tribunaux bénéficieraient grandement de l’expérience pratique qu’ont les cours supérieures des provinces dans ces affaires et des arguments supplémentaires invoqués par l’époux qui demande la pension alimentaire pour enfant ainsi que ceux avancés par le PGC s’il décide d’intervenir.

 

[17]           Nous avons tenu compte de l’argument des appelants selon lequel la réparation demandée – une déclaration d’invalidité et une ordonnance annulant les Lignes directrices – ne pouvait pas être accordée par une cour supérieure de province. Cependant, comme l’a dit la juge Sharlow dans l’arrêt Froom c. Canada (Ministre de la Justice), 2004 CAF 352, au paragraphe 12 :


Il est bien reconnu que la Cour fédérale possède le pouvoir discrétionnaire de refuser d’exercer sa compétence en matière de contrôle judiciaire lorsque le demandeur dispose d’un autre recours approprié : Fast c.Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2001), 288 N.R. 8, (2001) 41 Admin. L.R. (3d) 200 (C.A.F.); Canadien Pacifique Ltée c. Bande indienne de Matsqui, [1995] 1 R.C.S. 3. Pour décider s’il y a lieu de refuser d’exercer sa compétence, la Cour doit se demander si le recours subsidiaire est adéquat et non s’il est parfait.

 

[18]           En fait, il est difficile de savoir pourquoi les appelants ne pourraient pas faire réduire le montant de la pension alimentaire pour enfant qu’ils doivent verser en vertu des Lignes directrices s’ils obtenaient gain de cause devant une cour supérieure de province. Bien que les appelants ne puissent pas obtenir une déclaration formelle d’invalidité, ils peuvent tout de même atteindre leur objectif ultime. En outre, si une cour d’appel provinciale ou la Cour suprême du Canada tranchait en faveur des appelants, ces derniers obtiendraient, en pratique, la réparation qu’ils demandent sans avoir besoin d’une déclaration formelle. Par conséquent, bien que la possibilité qu’une seule instance soit introduite devant la Cour fédérale soit un facteur qui milite en faveur de l’instruction de la présente demande par la Cour fédérale, ce facteur ne saurait l’emporter sur la question de l’expertise et des répercussions possibles sur les lois et pratiques provinciales, de même que sur le fait que le débat contradictoire serait plus complet si cette affaire était instruite sous le régime de la Loi sur le divorce.

 

[19]           Enfin, en ce qui concerne l’argument des appelants selon lequel les cours supérieures des provinces ont toujours été réticentes à accorder qualité pour agir aux parties qui désirent contester la légalité des Lignes directrices, il n’a pas été établi à notre satisfaction que tel était vraiment le cas et, quoi qu’il en soit, même s’il en était ainsi par le passé, ces cours devraient maintenant examiner la question de la qualité pour agir dans le cadre établi dans l’arrêt Downtown Eastside.

 

[20]           Compte tenu de ce qui précède, l’appel sera rejeté avec dépens.

 

« Johanne Gauthier »

j.c.a.

 

Traduction certifiée conforme

Mario Lagacé, jurilinguiste

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 


DOSSIER :

                                                                                                A-199-13

(APPEL D’UN JUGEMENT OU D’UNE ORDONNANCE DE LA (voir commentaire dans la marge de gauche) DU (DATE), Nº DE DOSSIER (NUMÉRO DE DOSSIER) si applicable

DOSSIER :

A-199-13

 

INTITULÉ :

ROBERT T. STRICKLAND, GEORGE CONNON, ROLAND AUER, IWONA AUER-GRZESIAK, MARK AUER ET VLADIMIR AUER, REPRÉSENTÉ PAR SON TUTEUR À L’INSTANCE, ROLAND AUER c. LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

                                                                                                Calgary (Alberta)

DATE DE L’AUDIENCE :

                                                                                                LE 5 FÉVRIER 2014

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR :                    LE JUGE EN CHEF

BLAIS

LA JUGE SHARLOW

LA JUGE GAUTHIER

 

PRONONCÉS À L’AUDIENCE PAR :

                                                                                                LA JUGE GAUTHIER

COMPARUTIONS

Glenn Solomon, c.r.

POUR LES APPELANTS

 

Jaxine Oltean

POUR L’INTIMÉ

 

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Jensen Shawa Solomon Duguid Hawkes LLP

Avocats

Calgary (Alberta)

 

POUR LES APPELANTS

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Calgary (Alberta)

 

POUR L’INTIMÉ

 

 

 

 

 

 

 

 

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