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Date : 20140627


Dossier : A-418-12

Référence : 2014 CAF 170

CORAM :

LA JUGE DAWSON

LA JUGE GAUTHIER

LA JUGE TRUDEL

 

 

ENTRE :

BURNS BOG CONSERVATION SOCIETY

 

appelante

Et

SA MAJESTÉ LA REINE

 

intimée

Audience tenue à Vancouver (Colombie-Britannique), le 5 mai 2014

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 27 juin 2014

MOTIFS DU JUGEMENT :

LA JUGE GAUTHIER

Y ONT SOUSCRIT :

LA JUGE DAWSON

LA JUGE TRUDEL

 


Date : 20140627


Dossier : A-418-12

Référence : 2014 CAF 170

CORAM :

LA JUGE DAWSON

LA JUGE GAUTHIER

LA JUGE TRUDEL

 

 

ENTRE :

BURNS BOG CONSERVATION SOCIETY

appelante

Et

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

MOTIFS DU JUGEMENT

LA JUGE GAUTHIER

[1]               La Burns Bog Conservation Society interjette appel d’un jugement par lequel le juge Russell, de la Cour fédérale (le juge) a accueilli la requête en jugement sommaire présentée par l’intimée aux termes de l’article 215 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 (les Règles), et a rejeté l’action intentée par l’appelante contre l’intimée.

FAITS ET PROCÉDURES

[2]               Le juge expose les faits de manière circonstanciée aux paragraphes 2 à 20 de ses motifs, répertoriés sous 2012 CF 1024. Aux fins du présent appel, il suffit de rappeler les faits suivants.

[3]               La tourbière Burns, qui se trouve en Colombie-Britannique, est l’une des plus grandes tourbières bombées du monde. L’appelante est un organisme à but non lucratif enregistré qui a pour objet la préservation de tourbière Burns et à sensibiliser le public à son importance (motifs, au paragraphe 2).

[4]               En 2004, la corporation de Delta, le district régional du Grand Vancouver et la province de la Colombie‑Britannique (ci-après désignés collectivement, les propriétaires de la tourbière) ont acheté à ses propriétaires privés six parcelles de la tourbière Burns à des fins de conservation. Le gouvernement fédéral a apporté une contribution de 28 millions de dollars pour l’achat de ces parcelles, mais il n’a acquis le titre de propriété d’aucune partie de la tourbière Burns. L’accord de contribution obligeait les propriétaires de la tourbière à s’assurer qu’une superficie d’au moins 5 000 acres de la tourbière Burns soit gérée comme terre protégée (motifs, au paragraphe 4).

[5]               En mars 2004, les propriétaires de la tourbière ont souscrit relativement à celle-ci un engagement de conservation (l’engagement) au bénéfice de la Couronne fédérale en vertu de l’article 219 de la Land Titles Act de la Colombie-Britannique, R.S.B.C. 1996, ch. 250. Cet engagement restreint les activités que les propriétaires de la tourbière peuvent entreprendre relativement à la tourbière Burns. Plus précisément, l’utilisation que les propriétaires de la tourbière font de celle-ci est assujettie aux modalités énoncées dans l’engagement. L’engagement est enregistré en tant que charge grevant la tourbière Burns (motifs, au paragraphe 31).

[6]               L’engagement stipule aussi à l’article 9.1 qu’il ne crée d’obligations que de nature contractuelle :

[traduction]

Les parties conviennent que le présent accord ne crée que des obligations contractuelles et des obligations découlant de sa nature d’engagement scellé. Sans préjudice de la portée générale de ce qui précède, les parties conviennent en outre que ledit accord ne crée ni ne suppose entre elles aucune obligation ni aucune responsabilité délictuelles ou fiduciales de quelque nature qu’elles soient, et qu’il n’a pour effet de créer d’obligation de diligence ni d’autre obligation pour aucune des parties envers qui que ce soit.

[7]               L’engagement contient en outre une clause d’exhaustivité, ainsi libellée :

[traduction]

16.      Aucune des parties au présent accord ne s’est liée à aucune autre par des assertions, garanties, assurances, promesses, ententes ou engagements (oraux ou écrits) qui ne seraient pas contenus audit accord ou à un autre consigné par écrit et souscrit par toutes ses parties. Le présent accord ne peut être modifié que par un acte écrit portant la signature de toutes les parties.

[8]               Le 23 mars 2004, le gouvernement fédéral et les propriétaires de la tourbière ont conclu l’accord de gestion de la tourbière Burns (l’accord de gestion). Cet accord expose le processus par lequel les parties élaborent un plan de gestion à long terme pour la tourbière, conformément à l’accord de contribution. Le 25 mai 2007, les propriétaires de la tourbière ont achevé le plan de gestion de la zone de conservation écologique de la tourbière Burns (le plan de gestion) dans lequel étaient exposées l’orientation stratégique adoptée et les mesures recommandées pour préserver l’écologie de la tourbière. 

[9]               Le programme Gateway est un projet du gouvernement provincial de la Colombie‑Britannique qui vise à améliorer les infrastructures routières et de franchissement des cours d’eau dans l’ensemble de la région métropolitaine de Vancouver. Un de ses tronçons longe la route périphérique de la rive sud du fleuve Fraser (la RPSF). Le 3 septembre 2008, les gouvernements provincial et fédéral ont conclu une entente de financement de la RPSF. Cependant, malgré sa participation financière, le gouvernement fédéral n’a assumé aucune obligation en ce qui concerne la construction ou l’exploitation de la RPSF.

[10]           La construction de la RPSF exigeait que l’on procède à une évaluation environnementale conformément à la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale, L.C. 1992, ch. 37. Cette évaluation a été effectuée conjointement avec l’étude environnementale que la province avait elle-même réalisée conformément à l’Entente de collaboration entre le Canada et la Colombie-Britannique en matière d'évaluation environnementale (2004). La conclusion de l’évaluation était que la RPSF n’aurait vraisemblablement pas d’incidences défavorables sur l’environnement, à condition que certaines mesures d’atténuation soient prises, dont l’établissement de plans de travail sur l’équilibre hydrologique et sur la qualité de l’air. Le rapport d’évaluation, daté du 27 juin 2008, contient une section portant précisément sur la tourbière Burns (D.A., vol. II, aux pages 377 à 385). Il est évident qu’Environnement Canada et le Conseil consultatif scientifique ont participé à la formulation des recommandations faites à la suite de l’évaluation, le tout en conformité avec l’article 8.2 du plan de gestion (D.A., vol. I, page 276).

[11]           En 2010, l’appelante a déposé une déclaration par laquelle elle cherchait à obliger l’intimée à protéger la tourbière Burns en faisant valoir qu’il était tenu envers le public canadien de protéger celle-ci en vertu d’une obligation légale de nature fiduciaire, fiduciale ou autre ou qu’il était tenu de protéger la tourbière Burns aux termes de plusieurs lois fédérales. L’appelante demande à la Cour de prononcer une injonction interrompant la construction de la RPSF jusqu’à ce que le gouvernement fédéral soit intervenu pour s’assurer que la construction n’ait pas d’incidence sur l’intégrité écologique de la tourbière Burns. En plus de réclamer des dommages-intérêts généraux et punitifs, l’appelante sollicite un jugement déclarant que la tourbière Burns fait l’objet d’une relation fondée sur une fiducie d’intérêt public et/ou en equity qui oblige le gouvernement fédéral à la protéger.

[12]           Après avoir déposé sa défense, l’intimée a présenté une requête en jugement sommaire fondée sur l’article 215 des Règles au motif que la déclaration de l’appelante était dénuée de tout fondement juridique.

A.                Décision de la Cour fédérale

[13]           Dans une décision fouillée et bien motivée, le juge a discuté les deux questions suivantes : (i) La déclaration soulève‑t‑elle une véritable question litigieuse ? (ii) La Cour doit-elle rendre un jugement sommaire ?

[14]           Le juge a conclu que l’affaire se prêtait à un jugement sommaire, étant donné qu’elle ne comportait pas de faits controversés sur lesquels il faudrait se prononcer afin d’établir que l’action de l’appelante n’a aucune chance d’être accueillie (motifs, au paragraphe 65).

[15]           Le juge a également conclu, après examen du dossier, des accords applicables, ainsi que des principes et des sources faisant autorité invoqués par les deux parties, que l’intimée avait établi le bien‑fondé de sa requête en jugement sommaire (motifs, au paragraphe 76). Voici comment le juge résume son raisonnement, au paragraphe 77 :

77        Le Canada n’est tenu à aucun devoir envers la demanderesse, ni la tourbière Burns, ni l’ensemble de la population, pour ce qui concerne la protection de l’intégrité écologique de ladite tourbière, et ce, pour les raisons suivantes :

a.         Ni l’engagement de conservation, ni l’accord de gestion, ni le plan de gestion ne créent pour le Canada d’obligations positives touchant la protection de la tourbière.

b.         Le Canada n’est tenu à aucune obligation fiduciaire relativement à la tourbière, au motif qu’il n’en est pas propriétaire. Qui plus est, il n’est possible de fonder ni en droit ni en equity l’attribution dans la présente espèce d’un devoir découlant d’une « fiducie d’intérêt public ».

c.         Le Canada n’a assumé aucune obligation fiduciale à l’égard de la tourbière.

d.         Aucune des lois citées par la demanderesse ne crée pour le Canada d’obligations relatives à la protection de la tourbière.

[16]           Au sujet de l’engagement, le juge fait observer qu’il n’impose au gouvernement fédéral aucune obligation en matière de protection à l’égard de la tourbière Burns (motifs, au paragraphe 78). De plus, l’engagement ne vise que la tourbière Burns et il ne limite pas l’utilisation des terres extérieures à cette dernière (motifs, au paragraphe 80). Par conséquent, il ne découle de cet engagement aucune obligation de faire en sorte que le gouvernement provincial construise la RPSF d’une manière compatible avec la préservation de la tourbière Burns.

[17]           Suivant le juge, l’engagement ne crée pas de relation fiduciaire entre le gouvernement fédéral et la tourbière Burns, étant donné qu’il ne confère au gouvernement fédéral ni titre de propriété ni contrôle sur la tourbière Burns, et qu’il stipule expressément qu’il ne crée [traduction« aucune obligation ni aucune responsabilité délictuelles ou fiduciales de quelque nature qu’elles soient » (motifs, aux paragraphes 100 à 105).

[18]           En ce qui concerne l’accord de gestion, le juge fait observer qu’il est évident qu’il était conçu comme une mesure de transition, pour régler la gestion de la tourbière pendant que les parties élaboreraient de concert le plan de gestion à long terme. Cet accord ne contient aucune stipulation par laquelle le gouvernement fédéral se serait engagé à prendre des mesures pour protéger la tourbière Burns. Le seul engagement souscrit par le gouvernement fédéral dans cet accord est de participer aux activités du groupe mixte chargé de dresser le plan de gestion (motifs, aux paragraphes 87 et 88).

[19]           Au sujet de l’accord de gestion, le juge signale qu’il ne s’agit pas d’un contrat, mais bien d’un document d’orientation stratégique définissant les priorités de gestion de la tourbière Burns et exposant les mesures recommandées. Le plan de gestion n’impose au gouvernement fédéral aucune obligation quant à la protection de la tourbière Burns (motifs, aux paragraphes 90, 91 et 93).

[20]           Après avoir fait observer que l’appelante avait présenté peu d’arguments pour établir de quelle manière une obligation fiduciaire ou fiduciale aurait pu naître, compte tenu des faits de l’espèce, le juge signale que, en l’espèce, il ne ressort de l’analyse des principes fondamentaux applicables aucun fondement tendant à établir l’existence de telles obligations (motifs, au paragraphe 94).

[21]           Après avoir examiné la jurisprudence citée par les parties, notamment l’arrêt Colombie-Britannique c. Canadian Forest Products Ltd., 2004 CSC 38, [2004] 2 R.C.S. 74 [Canfor], rendu par la Cour suprême du Canada, le juge conclut qu’aucune jurisprudence canadienne n’a reconnu l’existence d’une obligation fiduciaire d’intérêt public qui obligerait le gouvernement fédéral à intervenir pour protéger l’environnement en général ou un bien déterminé. À ce propos, le juge signale que les faits, en l’espèce, sort complètement différents des faits dont était saisie la Cour suprême du Canada à l’occasion de l’affaire Canfor (motifs, au paragraphe 112). À son avis, l’aspect de l’action relatif au devoir fiduciaire envers le public est également voué à l’échec.

[22]           Le juge rejette également la thèse portant qu’il existe une obligation fiduciale envers le public canadien ou envers la tourbière Burns elle-même. Le juge explique, en ce qui a trait à ce dernier aspect, qu’il ne peut y avoir d’obligation fiduciale qu’envers des personnes ou des groupes de personnes, pas des lieux géographiques, de sorte qu’est impossible une obligation envers les terres mêmes. En ce qui concerne l’existence d’une obligation envers le public en général et envers l’appelante en particulier, le juge fait observer que, pour obtenir gain de cause, il faudrait que l’appelante établisse l’existence d’une relation fiduciale ad hoc et que, lorsqu’on applique les principes consacrés par la Cour suprême du Canada par la jurisprudence Alberta c. Elder Advocates of Alberta Society, 2011 CSC 24, [2011] 2 R.C.S. 261, cette thèse est aussi vouée à l’échec (motifs, aux paragraphes 113 à 125).

[23]           Avant de conclure, le juge examine la thèse de l’appelante suivant laquelle il existe une obligation d’origine législative de protéger la tourbière Burns. Le juge estime que cette thèse ne peut qu’être rejetée, au motif que nul élément ne tend à établir l’existence d’une telle obligation (motifs, aux paragraphes 126 à 128).

[24]           Le juge conclut en observant que, bien qu’il comprenne parfaitement les inquiétudes qu’inspire à l’appelante l’avenir de la tourbière Burns, il ne dispose d’aucun élément qui attesterait le bien‑fondé de ces inquiétudes ou dont il ressort que le gouvernement fédéral a l’obligation légale – ou le droit juridiquement reconnu – d’intervenir pour exiger que le projet de construction de la RPSF soit réexaminé et/ou modifié (motifs, aux paragraphes 69 à 73, 129 et 130). Il accueille donc la  requête en jugement sommaire de l’intimée.

II.                QUESTIONS EN LITIGE

[25]           L’appelante soutient en premier lieu que le juge a commis une erreur de droit en l’obligeant à produire des éléments de preuve relativement au préjudice causé à la tourbière Burns.

[26]           En second lieu, l’appelante soutient que le juge a commis une erreur de droit en ne concluant pas que les divers accords susmentionnés donnaient juridiquement ouverture à son action. À l’audience, l’appelante a bien précisé que le juge avait mentionné le bon critère juridique pour rechercher s’il existait une question sérieuse à juger. Ce que l’appelante attaque, c’est la manière dont le juge a appliqué ce critère.

[27]           Bien que, dans son mémoire, l’appelante semble mettre l’accent sur la manière dont le juge a appliqué les principes régissant les obligations fiduciaires et fiduciales, à l’audience, elle a reconnu que le juge n’avait mal formulé les principes généraux de droit applicables. L’appelante a plutôt soutenu que l’action qu’elle avait intentée soulevait de nouvelles questions (telles que les effets de l’engagement) qui appellent une nouvelle sanction pour assurer que l’engagement soit respecté.

[28]           À l’audience, l’appelante a plaidé instamment que le juge avait commis une erreur en ne tenant pas compte du fait que les divers accords susmentionnés mettaient à la charge du gouvernement fédéral  l’obligation juridique sui generis de protéger la tourbière Burns. Cette nouvelle obligation s’apparenterait quelque peu à l’obligation à laquelle la Cour suprême fait allusion à l’occasion de l’affaire Canfor, lorsque le gouvernement est propriétaire foncier. C’est dans ce sens que le juge aurait commis une erreur en tirant ses conclusions aux paragraphes 101 à 105 de ses motifs. L’appelante soutient également que cette obligation serait analogue au concept de « l’honneur de Sa Majesté » qui a été développé en droit autochtone.

[29]           Suivant l’appelante, ces nouveaux arguments justifient une analyse plus approfondie. L’appelante devrait donc être autorisée à procéder à ce processus d’examen préalable pour être mieux en mesure de justifier les préoccupations qu’Eliza Olson a soulevées dans son affidavit et pour fournir des éclaircissements sur la façon dont les accords controversés ont été conclus. Il est évident que, à ce stade – et cela a été confirmé à l’audience –, l’appelante sollicite en réalité une nouvelle évaluation des impacts environnementaux de la RPSF sur la tourbière Burns.

[30]           L’appelante ne soutient plus que l’intimée a une obligation d’origine législative de protéger la tourbière Burns portant qu’il doit aller plus loin que l’évaluation déjà effectuée.

III.             ANALYSE

[31]           À défaut d’erreur de droit isolable, notre Cour ne peut infirmer la décision du juge que s’il a commis une erreur manifeste et dominante. La norme de contrôle qui joue en ce qui concerne les erreurs de droit est celle de la décision correcte (Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235).

[32]           Comme nous l’avons déjà signalé, le juge relève que l’appelante n’a présenté à la Cour aucun élément de preuve confirmant les préoccupations formulées par Eliza Olson dans son affidavit. Il ajoute également que l’appelante n’a présenté aucun élément de preuve démontrant la pertinence de la question de savoir si l’intimée est tenue, en vertu d’une quelconque obligation contractuelle, fiduciaire, fiduciale ou légale, de protéger l’intégrité écologique de la tourbière Burns (motifs, aux paragraphes 70 et 72).

[33]           L’appelante soutient que [traduction« le juge a commis une erreur en statuant qu’il ne disposait d’aucun élément de preuve portant sur les moyens de droit et de fait invoqués par l’intimée » (mémoire de l’appelante, au paragraphe 31). L’appelante soutient également que le juge a commis une erreur en concluant qu’il ne disposait d’aucun élément de preuve tendant à établir qu’un préjudice serait causé à la tourbière Burns, compte tenu du fait que les préoccupations formulées au paragraphe 3 de l’affidavit d’Eliza Olson devraient être suffisantes pour étayer son action à cette étape‑ci (mémoire de l’appelante, au paragraphe 40).

[34]           Suivant l’appelante, les observations du juge à cet égard constituent une erreur de droit, parce que, ainsi que l’enseigne Succession MacNeil c. Canada (Ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien), 2004 CAF 50 [MacNeil], les parties qui répondent à une requête en jugement sommaire n’ont pas la charge de prouver tous les faits de l’affaire; elles sont uniquement tenues de montrer qu’il existe une véritable question litigieuse (mémoire de l’appelante, au paragraphe 35).

[35]           Bien que je retienne le principe de droit consacré par la jurisprudence MacNeil, je ne crois pas que le juge ait exigé de l’appelante qu’elle « prouve tous les faits de l’affaire ». De plus, le juge n’a pas fondé sa décision d’accueillir la requête en jugement sommaire sur une telle « absence de preuves ». Il a plutôt conclu qu’il n’y avait pas de véritable question litigieuse parce qu’il n’existait en l’espèce aucun fondement juridique permettant de conclure que l’intimée avait l’obligation légale de protéger la tourbière Burns.

[36]           Le juge devait tenir compte du témoignage d’Eliza Olson, étant donné qu’il s’agissait du seul élément de preuve présenté en réponse à la requête dont il était saisi. L’observation du juge suivant laquelle le témoignage d’Eliza Olson se limitait aux convictions personnelles de cette dernière et qu’il n’y avait aucun véritable élément de preuve appuyant les convictions en question constitue une description exacte de ce témoignage. Je conviens avec le juge que les convictions en question ne l’aident pas à comprendre en quoi consiste l’obligation légale de l’intimée relativement à la tourbière Burns (motifs, au paragraphe 72).

[37]           De plus, au paragraphe 75 de ses motifs, le juge observe :

Il y a une raison évidente à cette absence de preuves. La question des obligations du Canada est presque entièrement un point de droit. Nous disposons de tous les accords et principes pertinents qu’il nous faut pour répondre à la question de savoir si la présente action soulève une véritable question litigieuse.

[38]           Au paragraphe 32 de son mémoire, l’appelante reconnaît que le juge a correctement exposé la seule question litigieuse posée à la Cour lorsqu’il déclare ce qui suit, au paragraphe 66 de ses motifs :

Il s’agit plutôt ici d’établir si constitue une véritable question litigieuse le point de savoir si les défendeurs sont tenus envers la demanderesse, touchant la tourbière Burns, à un quelconque devoir qui obligerait l’un quelconque d’entre eux à intervenir pour faire en sorte que la construction de la RPSF ne porte pas atteinte à l’intégrité écologique de cette tourbière.

[39]           Après avoir examiné les accords et les principes cités, le juge conclut que l’intimée n’est tenue  d’aucune obligation envers l’appelante, la tourbière Burns ou l’ensemble de la population en ce qui concerne la protection de l’intégrité écologique de la tourbière (paragraphe 77 des motifs, reproduit plus haut au paragraphe 15).

[40]           J’arrive donc au second volet des conclusions de l’appelante, en l’occurrence sa thèse suivant laquelle le juge a commis une erreur en ne concluant pas que les divers accords susmentionnés constituaient un fondement juridique à son action.

[41]           L’appelante a raison de dire que son action ne doit pas être radiée simplement parce qu’elle repose sur de nouveaux arguments. Cela dit, la nouveauté à elle seule ne constitue pas une réponse suffisante pour que suive son cours une action et pour que soit rejetée la demande d’un jugement sommaire. La nouveauté ne répond pas à la nécessité d’écarter les actions vouées à l’échec.

[42]           Ainsi que la Cour suprême l’a récemment fait observer dans l’arrêt Hryniak c. Mauldin, 2014 CSC 7, au paragraphe 34, la requête en jugement sommaire constitue un outil important pour faciliter l’accès à la justice parce qu’elle offre une solution de rechange à un procès en bonne et due forme qui est plus abordable et plus rapide que celui‑ci. Le règlement expéditif des contentieux par les juges permet aux personnes concernées de tourner la page et de passer à autre chose. Le principe de la proportionnalité est un principe reconnu qui peut constituer la pierre d’assise de l’accès au système judiciaire civil. Il incombe aux juges de décider dans quels cas il convient de rendre un jugement sommaire pour éviter le gaspillage de ressources auquel donnerait lieu la tenue d’un procès en bonne et due forme.

[43]           Je retiens la conclusion du juge portant qu’il s’agit d’un cas évident où il convient d’écarter la demande de l’appelante au motif qu’elle est vouée à l’échec. Je retiens sa conclusion essentiellement pour les mêmes raisons : en l’occurrence, l’appelante n’a pas réussi à rapporter la preuve des éléments constitutifs essentiels d’une relation fiduciaire ou fiduciale.

[44]           Il est évident que, pour tirer sa conclusion, le juge a examiné attentivement la jurisprudence Canfor et a conclu qu’elle permettait tout au plus d’envisager la possibilité d’appliquer la doctrine de la fiducie d’intérêt public élaborée aux États-Unis au sujet des terres domaniales (voir Canfor, aux paragraphes 74 à 81). Or, comme nous l’avons déjà expliqué, l’intimée n’est pas en l’espèce propriétaire de la tourbière Burns.

[45]           L’appelante a reconnu à l’audience qui s’est déroulée devant nous que l’obligation fiduciaire ou fiduciale publique particulière sur laquelle elle se fonde n’a encore été reconnue nulle part, pas même aux États-Unis. La thèse de l’appelante exigerait non seulement que l’on élargisse la portée des règles de droit canadiennes, mais que l’on étende la portée de la doctrine élaborée aux États-Unis sur laquelle l’appelante se fonde, pour l’appliquer à une situation complètement différente.

[46]           À défaut d’une jurisprudence portant sur le devoir fiduciaire d’intérêt public sui generis, le juge s’est rabattu sur les principes fondamentaux du droit des fiducies. D’ailleurs, la Cour suprême du Canada avait déjà énoncé les principes généraux devant guider le juge lorsqu’il examine une affaire dans laquelle une partie invoque une obligation fiduciaire ad hoc imposée à un gouvernement. Elle a également énoncé les principes généraux applicables aux cas dans lesquels une relation fiduciaire est alléguée.

[47]           Le juge a cerné les principes en question et les a appliqués à l’affaire dont il était saisi. Je conclus qu’il ne se limitait pas aux faits de la jurisprudence et qu’il a gardé l’esprit ouvert pour tenir compte des nouveaux cas auxquels ces principes pouvaient s’appliquer. Je ne relève aucune erreur dans la manière dont le juge a énoncé les règles de droit ou a appliqué les principes juridiques en question aux faits de la présente affaire.

[48]           Rien ne permet de penser que l’appelante a soulevé le concept de l’« honneur de Sa Majesté » devant le juge. Elle ne l’a pas cité au cours de la présente instance. Je ne crois pas que nous devons examiner cet argument. En tout état de cause, cette analogie ne tient pas.

[49]           Quant à la thèse de l’appelante portant que chaque préjudice doit appeler une sanction, je ne suis pas convaincue que cet argument trouve application en l’espèce. L’appelante n’a contesté d’aucune façon, que ce soit par voie d’action en contrôle judiciaire ou autrement, l’étude environnementale conjointe réalisée pour évaluer les impacts éventuels de la RPSF sur la tourbière Burns.

[50]           À mon avis, il n’y a tout simplement aucune erreur qui appelle l’intervention de notre Cour. Dans ces conditions, je propose de rejeter l’appel avec dépens.

« Johanne Gauthier »

j.c.a.

 « Je suis d’accord

Eleanor R. Dawson, j.c.a. »

« Je suis d’accord

Johanne Trudel, j.c.a.  »

Traduction certifiée conforme

François Brunet, réviseur.


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

A-418-12

 

 

INTITULÉ :

BURNS BOG CONSERVATION SOCIETY c. SA MAJESTÉ LA REINE

 

lieu de l’audience :

Vancouver

(colombie-britannique)

 

DATE de l’audience :

le 5 mai 2014

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

la juge gAUTHIER

 

Y ONT SOUSCRIT :

LA JUGE DAWSON

LA JUGE TRUDEL

 

DATE DES MOTIFS :

LE 27 JUIN 2014

 

COMPARUTIONS :

James L. Straith

K. Joseph Spears

 

POUR L’APPELANTE

 

Sheri Vigneau

Oliver Pulleyblank

 

POUR L’intimée

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Straith Litigation Chambers

Vancouver Ouest (Colombie-Britannique)

PoUR L’appelante

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

 

POUR L’INTIMÉE

 

 

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