Décisions de la Cour d'appel fédérale

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Date : 20140909


Dossier : A-493-12

Référence : 2014 CAF 192

CORAM :

LA JUGE DAWSON

LA JUGE TRUDEL

LE JUGE WEBB

 

 

ENTRE :

TERRY TREMAINE

appelant

et

COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE ET RICHARD WARMAN

intimés

Audience tenue à Regina (Saskatchewan), le 28 mai 2014.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 9 septembre 2014.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LA JUGE TRUDEL

Y ONT SOUSCRIT :

LA JUGE DAWSON

LE JUGE WEBB

 


Date : 20140909


Dossier : A-493-12

Référence : 2014 CAF 192

CORAM :

LA JUGE DAWSON

LA JUGE TRUDEL

LE JUGE WEBB

 

 

ENTRE :

TERRY TREMAINE

appelant

et

COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE ET RICHARD WARMAN

intimés

MOTIFS DU JUGEMENT

LA JUGE TRUDEL

I.                   Introduction

[1]               Monsieur Terry Tremaine interjette appel d’une ordonnance datée du 7 novembre 2012, par laquelle un juge de la Cour fédérale (le juge) l’a condamné pour outrage au tribunal (2012 CF 1296, [2012] A.C.F. no 1402) (les motifs).

[2]               Monsieur Tremaine soutient que le juge lui a infligé une peine inappropriée, car il n’a pas tenu compte des principes juridiques en matière de détermination de la peine, ni ne les a-t-il appliqués, et il a ignoré les circonstances atténuantes pertinentes. L’appelant demande précisément à ce que la peine d’emprisonnement de 30 jours soit annulée. Il demande également à ce que partie de l’ordonnance prévoyant la suppression de certains documents (affichés sur son site Web ou affichés par lui sur le site Web d’un tiers) et qui consistent soit en des livres ou des brochures accessibles au public, soit cassée et que les documents prohibés, en conséquence, demeurent en ligne (mémoire des faits et du droit de l’appelant, au paragraphe 69).

[3]               Par les motifs exposés ci-après, je conclus que le juge n’a pas infligé une peine inappropriée ou que la Cour ne doit pas intervenir pour modifier l’ordonnance du juge. Je propose donc de rejeter l’appel.

II.                Faits et procédures

[4]               La présente affaire remonte à 2004, lorsque M. Richard Warman a déposé une plainte auprès de la Commission canadienne des droits de la personne par laquelle il alléguait que M. Tremaine avait violé l’article 13 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. 1985, ch. H-6 (la Loi) en affichant des documents sur Internet qui constituaient la discrimination fondée sur la religion, l’origine nationale ou ethnique, la race ou la couleur. À la suite d’une enquête, la Commission a renvoyé la plainte au Tribunal canadien des droits de la personne (le Tribunal).

[5]               Par sa décision datée du 2 février 2007, le Tribunal a conclu que la plainte était bien fondée, car les messages affichés par M. Tremaine étaient « susceptibles d'exposer à la haine ou au mépris les gens qui professent la foi juive, les Noirs et autres minorités non blanches » (2007 TCDP 2, au paragraphe 140). Le Tribunal a ordonné à M. Tremaine de cesser de communiquer les documents qui avaient été jugés contrevenir à l’article 13 de la Loi, ou tout document de nature similaire, et il a ordonné à M. Tremaine de payer une sanction pécuniaire de 4 000 $. Aux fins d’exécution, l’ordonnance du Tribunal a été assimilée à une ordonnance de la Cour fédérale le 13 février 2007, conformément à l’article 57 de la Loi (dossier d’appel initialement déposé sous le numéro A-468-10, volume 4, à la page 924).

[6]               En septembre 2008, M. Tremaine a demandé le contrôle judiciaire de la décision du Tribunal, et sa demande a été rejetée (2008 CF 1032, [2008] A.C.F. no 1265). Il n’a pas porté cette décision en appel.

[7]               Monsieur Tremaine n’a pas retiré d’Internet tous les messages qui, selon le Tribunal, violaient l’article 13 de la Loi, et il a continué d’afficher d’autres documents de nature similaire.

[8]               En conséquence, en mars 2009, la Commission a demandé une ordonnance de justification sur le fondement de la règle 467 des Règles des Cours fédérales (DORS/98-106), afin d’obliger M. Tremaine à comparaître et à répondre à des allégations d’outrage au tribunal. Le 22 juin 2010, la Cour fédérale a rendu la présente ordonnance, ayant conclu qu’avait été rapportée la [TRADUCTION] « preuve prima facie qu’un outrage avait été commis » (2010 CF 680, [2010] A.C.F. no 1002, au paragraphe 4).

[9]               Néanmoins, par une décision qu’elle a rendue le 29 novembre 2010, la Cour fédérale a conclu que M. Tremaine n’avait pas commis d’outrage au tribunal (2010 CF 1198, [2010] A.C.F. no 1376). Le juge a conclu que M. Tremaine ne pouvait être reconnu coupable d’outrage au tribunal pour avoir manqué à l’ordonnance de la Cour fédérale, parce que la Commission a négligé d’aviser M. Tremaine qu’elle avait enregistré l’ordonnance du Tribunal auprès de la Cour fédérale. Par conséquent, selon le juge, M. Tremaine ne pouvait être reconnu coupable d’outrage au tribunal pour les gestes qu’il avait commis avant mars 2009, parce que s’il est vrai qu’il connaissait l’existence de l’ordonnance du Tribunal, cette ordonnance ne pouvait à elle seule donner lieu à une déclaration de culpabilité pour outrage au tribunal.

[10]           En appel, notre Cour a infirmé cette décision. Les juges majoritaires ont conclu que la connaissance de l’ordonnance du Tribunal, en soi, était suffisante pour donner lieu à une conclusion d’outrage. La Cour a donc conclu que M. Tremaine avait commis un outrage, et elle a renvoyé l’affaire au juge aux fins de détermination de la peine (2011 CAF 297, [2013] 3 R.C.F. 109, autorisation d’appel à la CSC refusée, 34542 (26 avril 2012)).

III.             Jugements de la Cour fédérale

A.                Ordonnance de détermination de la peine de 2012

[11]           Le 7 novembre 2012, le juge a rendu une ordonnance par laquelle il condamnait M. Tremaine à une peine pour outrage au tribunal. Le juge a expliqué que les documents sur lesquels étaient fondés l’ordonnance de justification et le constat d’outrage étaient encore sur Internet au moment de l’audience de détermination de la peine les 9 et 10 octobre 2012. Ces documents étaient affichés sur le site Stormfront.org, un site Web américain sur lequel M. Tremaine n’a pas de contrôle, et sur le site Web du parti national-socialiste du Canada, dont M. Tremaine est le webmestre.

[12]           Le juge a rejeté les tentatives de M. Tremaine d’expliquer pourquoi les documents étaient toujours disponibles en ligne, ces explications étant à son avis non fondées. Il a également relevé que le matin de l’audience de détermination de la peine, M. Tremaine avait tenté de vendre son site Web à un témoin expert potentiel cité par lui pour conseiller la Cour au sujet de transmissions vocales sur Internet (motifs, aux paragraphes 10 et 19). Le juge a conclu que, « [m]anifestement, M. Tremaine tentait de mettre son site Web hors de la portée de la Cour [fédérale] » (ibidem, au paragraphe 20). Le juge a estimé que M. Tremaine avait « clairement eu l’intention de faire fi de la loi, de faire mal paraître le Tribunal et la Cour fédérale, et il ne s’est pas excusé » (ibidem, au paragraphe 30). Le juge a ensuite fixé la peine à infliger à M. Tremaine pour outrage au tribunal.

[13]           La règle 472 des Règles des Cours fédérales dispose :

472. Lorsqu’une personne est reconnue coupable d’outrage au tribunal, le juge peut ordonner :

472. Where a person is found to be in contempt, a judge may order that

a) qu’elle soit incarcérée pour une période de moins de cinq ans ou jusqu’à ce qu’elle se conforme à l’ordonnance;

(a) the person be imprisoned for a period of less than five years or until the person complies with the order;

b) qu’elle soit incarcérée pour une période de moins de cinq ans si elle ne se conforme pas à l’ordonnance;

(b) the person be imprisoned for a period of less than five years if the person fails to comply with the order;

c) qu’elle paie une amende;

(c ) the person pay a fine;

d) qu’elle accomplisse un acte ou s’abstienne de l’accomplir

(d) the person do or refrain from doing any act;

e) que les biens de la personne soient mis sous séquestre, dans le cas visé à la règle 429;

(e ) in respect of a person referred to in rule 429, the person’s property be sequestered; and

f) qu’elle soit condamnée aux dépens

(f) the person pay costs.

[14]           Le juge a ordonné que M. Tremaine ou son avocat s’adresse à Stormfront.org pour lui demander de « supprimer ses messages affichés sur ce site, précisés par le Tribunal dans sa décision, ainsi que les messages joints en preuve aux affidavits de M. Warman en date du 12 février 2009 et du 19 mars 2010, de même que son message affiché le 22 juillet 2009 à 23 h 20 […], une diatribe fausse et vicieuse à propos [de la juge de la Cour fédérale qui avait rejeté la demande de contrôle judiciaire de 2008] » (ibidem, au paragraphe 32). Le juge a également ordonné « la suppression des messages précisés par le Tribunal et précisés dans l’affidavit de M. Warman, qui figurent sur le site Web du parti national-socialiste du Canada » (ibidem, au paragraphe 33) et ordonné à M. Tremaine de « présenter, dans les 15 jours suivant la date où cette ordonnance lui sera signifiée, des éléments de preuve attestant qu’il s’y est conformé » (ibidem, au paragraphe 34).

[15]           Le juge a condamné M. Tremaine à un emprisonnement de 30 jours commençant 15 jours après que la Commission lui aurait signifié l’ordonnance, mais il a également infligé une peine d’emprisonnement avec sursis, au cas où M. Tremaine ne se conformerait pas à l’ordonnance, d’une durée de « six mois, ou jusqu’à ce qu’il se conforme à l’ordonnance, selon le moindre des deux » (ibidem, au paragraphe 36).

[16]           Le juge a également ordonné à M. Tremaine, et à toute personne agissant de concert avec lui, de cesser de communiquer des documents du type de ceux que le Tribunal avait jugé contrevenir au paragraphe 13(1) de la Loi ou tout genre de document sensiblement analogue (ibidem, au paragraphe 37).

[17]           Monsieur Tremaine a par la suite interjeté appel de ce jugement devant notre Cour en novembre 2012. Pour parer à l’éventualité que le juge lance un mandat d’incarcération durant la période visée dans ses motifs, M. Tremaine a également obtenu un sursis de notre Cour suspendant l’exécution d’un tel mandat jusqu’à ce qu’il soit statué de manière définitive sur l’appel (dossier d’appel, aux pages 365 à 367).

B.                 Ordonnance de 2013 portant mandat d’incarcération

[18]           Le 22 février 2013, le juge a rendu une autre ordonnance dans laquelle il précisait que si notre Cour rejetait l’appel de M. Tremaine, la Cour fédérale lancerait un mandat d’incarcération en la forme jointe à ses motifs, ordonnant à des policiers en Saskatchewan d’arrêter M. Tremaine et de le conduire à un établissement correctionnel provincial où il serait détenu pendant 30 jours. Cette ordonnance signalait également que M. Tremaine avait [TRADUCTION] « produit la preuve qu’il s’était conformé à ladite ordonnance, de sorte que seule la partie de celle-ci qui demeure exécutoire est son emprisonnement pendant une période de trente (30) jours, sous réserve de l’issue de son appel devant la Cour d’appel fédérale » (ibidem, à la page 389; voir également la lettre que l’avocat de M. Tremaine a adressée à la Cour fédérale, aux pages 370 et 371).

IV.             Analyse

A.                Principes de détermination de la peine et norme de contrôle

[19]           Dans les cas d’outrage de nature civile, les principes ordinaires de détermination de la peine en matière d’outrage de nature criminelle jouent (Canada (Commission canadienne des droits de la personne) c. Canadian Liberty Net, [1996] 1 C.F. 787, [1996] A.C.F. no 100 (C.A.), à la page 801 [Liberty Net]; 9038-3746 Quebec Inc. C. Microsoft Corporation, 2010 CAF 151, [2010] A.C.F. no 758, au paragraphe 5). Notre Cour peut donc prendre en compte la jurisprudence pénale et civile afin de déterminer la norme de contrôle applicable en appel et les facteurs que le juge aurait dû prendre en compte pour déterminer la peine à infliger à M. Tremaine.

[20]           Il ressort de la jurisprudence pénale que notre Cour fait preuve d’une grande retenue à l’égard du premier juge du procès étant donné que la détermination de la peine dépend étroitement des faits. Par l’arrêt R. c. M. (C.A.), [1996] 1 R.C.S. 500, [1996] A.C.S. no 28, la Cour suprême a précisé que « [s]auf erreur de principe, omission de prendre en considération un facteur pertinent ou insistance trop grande sur les facteurs appropriés, une cour d'appel ne devrait intervenir pour modifier la peine infligée au procès que si elle n'est manifestement pas indiquée » (au paragraphe 90). Une cour d’appel ne peut donc intervenir simplement parce qu’elle aurait ordonné une peine différente, mais elle peut modifier la peine si elle est convaincue que celle-ci « n’est manifestement pas indiquée » ou qu’elle est « nettement déraisonnable » (R. c. L.M., 2008 CSC 31, [2008] 2 R.C.S. 163, aux paragraphes 14 et 15; R. c Shropshire, [1995] 4 R.C.S. 227, [1995] A.C.S. no 52, au paragraphe 46).

[21]           Afin de déterminer ce qui constitue une peine « indiquée » dans un cas donné, le juge chargé de la détermination de la peine doit tenir compte de l’échelle des peines infligées relativement à des infractions similaires dans la jurisprudence et ajuster la peine en fonction des objectifs de détermination de la peine et de toute circonstance aggravante ou atténuante pertinente à l’affaire dont il est saisi (R. c. Nasogaluak, 2010 CSC 6, [2010] 1 R.C.S. 206, au paragraphe 43; Institut professionnel de la fonction publique du Canada c. Bremsak, 2013 CAF 214, [2013] A.C.F. no 1009, au paragraphe 33 [Bremsak]).

[22]           Le juge doit également tenir compte de l’importance de la dissuasion spécifique et générale pour préserver la confiance du public envers l’administration de la justice, tout en respectant le principe de la proportionnalité en matière de détermination de la peine (Canada (Ministre du Revenu national) c. Marshall, 2006 CF 788, [2006] A.C.F. no 1008, au paragraphe 16 [Marshall].

[23]           La jurisprudence consacre la gamme de circonstances aggravantes et atténuantes que le juge peut prendre en compte au moment d’infliger une amende et/ou une peine d’emprisonnement relativement à une déclaration de culpabilité pour outrage. Par exemple, le juge a pour directive d’examiner la gravité de l’outrage au regard des faits de l’affaire dont il est saisi, sur le plan de l’administration de la justice (voir Baxter Travenol Laboratories of Canada, Ltd. c. Cutter Canada, Ltd., [1987] 2 C.F. 557, [1987] A.C.F. no 205, à la page 562 (C.A.) [Baxter]; Winnicki c. Canada (Commission des droits de la personne), 2007 CAF 52, [2007] A.C.F. no 56, au paragraphe 17 [Winnicki], citant avec approbation Lyons Partnership, L.P. c. MacGregor, 186 F.T.R. 241, [2000] A.C.F. no 341). Sont visées notamment « la gravité objective du comportement constituant un outrage au tribunal [et] la gravité subjective de ce comportement (à savoir si le comportement constitue un manquement de forme ou si le contrevenant a agi de façon flagrante en sachant bien que ses actions étaient illégales) » (voir Marshall au paragraphe 16; Bremsak au paragraphe 35). La jurisprudence qualifie parfois la gravité de l’infraction de « circonstance aggravante » (voir, par ex., Marshall, au paragraphe 16). Toutefois, dans d’autres cas, la jurisprudence relève simplement que la gravité de l’infraction doit être prise en compte; l’on peut en inférer que si la gravité est au bas de l’échelle, elle peut également constituer une circonstance neutre ou atténuante (voir, par ex., Baxter, à la page 562; Canada (Revenu National) c. Ryder, 2014 CF 519, [2014] A.C.F. n561, au paragraphe 8).

[24]           Quant aux autres circonstances atténuantes à prendre en compte, il faut rechercher s’il s’agit d’une première infraction (p. ex., Canada (Procureur général) c. De L’Isle, [1994] A.C.F. no 955, 56 C.P.R. (3d) 371 (C.A), au paragraphe 10; Winnicki, au paragraphe 17) et si le contrevenant s’est excusé, s’il a admis sa responsabilité ou s’il a fait des efforts de bonne foi pour se conformer à l’ordonnance (Bremsak, au paragraphe 35, citant avec approbation Marshall, au paragraphe 16).

[25]           En revanche, lorsque le contrevenant a enfreint à maintes reprises des ordonnances judiciaires ou a refusé de s’excuser ou de prendre des mesures pour se conformer à l’ordonnance, il peut y avoir circonstances aggravantes (ibidem, au paragraphe 16).

[26]           Ces circonstances donnent des indications utiles aux fins de la détermination de la peine, mais elles ne sont pas exhaustives. Le juge dispose d'un large pouvoir discrétionnaire pour déterminer la sanction appropriée en cas d'outrage de nature civile, en se fondant sur les faits de l’affaire dont il est saisi (Bremsak, au paragraphe 36).

B.                 La peine était-elle inappropriée?

[27]           L’appelant soutient que le juge n’a pas suffisamment tenu compte des principes susmentionnés de détermination de la peine, et, plus précisément, qu’il a ignoré plusieurs circonstances atténuantes au moment de déterminer la peine à lui infliger. Selon l’appelant, le juge a donc infligé une peine [TRADUCTION] « clairement lourde, excessive et manifestement non indiquée » lorsqu’il a condamné M. Tremaine à un emprisonnement de 30 jours et lui a ordonné de retirer d’Internet certains documents ou extraits de livres facilement accessibles au public.

[28]           Je conviens avec l’appelant que le juge aurait pu faire état d’une discussion plus complète des principes de détermination de la peine qu’il a appliqués lorsqu’il l’a fixée. Bien que le juge ait souligné que M. Tremaine avait « clairement eu l’intention de faire fi de la loi, de faire mal paraître le Tribunal et la Cour fédérale, et il ne s’est pas excusé » (motifs, au paragraphe 30) et que M. Tremaine « n’a[vait] rien fait pour réparer son outrage à la suite de la décision rendue par la Cour d’appel » (ibidem, au paragraphe 16), le juge n’a par ailleurs produit que peu d’explications au sujet de la peine qu’il a imposée. Il n’a pas cité la jurisprudence qui définit l’échelle des peines applicables aux infractions similaires. De plus, les mots «circonstances aggravantes et atténuantes » sont complètement absents de l’ordonnance de détermination de la peine.

[29]           Toutefois, après avoir soigneusement examiné le dossier dont je dispose à la lumière des principes susmentionnés de détermination de la peine, je ne puis conclure que la peine de 30 jours est inappropriée.

[30]           Lorsque les juges ont eu à examiner des faits similaires à ceux de la présente espèce, ils ont infligé différentes peines d’emprisonnement aux parties reconnues coupables d’outrage. Par exemple, dans l’arrêt Canada (Commission canadienne des droits de la personne) c. Taylor, [1987] 3 C.F. 593, [1987] A.C.F no 347, (C.A.) conf. par [1990] 3 R.C.S. 892, [1990] A.C.S. no 129 [Taylor (CSC)], un appel a été interjeté d’un jugement par lequel la Cour fédérale avait déclaré John Ross Taylor et The Western Guard Party coupables d’outrage au tribunal et avait condamné M. Taylor à une peine d’emprisonnement d’une année.

[31]           Le Tribunal avait ordonné à M. Taylor de cesser de communiquer des messages antisémites par téléphone, puisqu’il avait conclu que la communication de ces message violait l’article 3 et le paragraphe 13(1) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.C. 1976-1977, ch. 33. Après différentes procédures, M. Taylor a purgé sa peine, avec remise, entre octobre 1981 et mars 1982.

[32]           Dans l’affaire Liberty Net, Canadian Liberty Net et M. Tony McAleer avaient omis de se conformer à une ordonnance d’injonction de la Cour fédérale leur enjoignant de cesser d’exploiter leur « système de messages téléphoniques haineux ». La Cour fédérale les a déclarés coupables d’outrage au tribunal et a condamné M. McAleer à deux mois d’emprisonnement ainsi qu’à une amende de 2 500 $, et elle a condamné Canadian Liberty Net à une amende de 5 000 $. En appel, la Cour a réduit la peine d’emprisonnement de M. McAleer aux deux jours déjà purgés, puisqu’elle a conclu que l’injonction provisoire était invalide, ce qui constituait une importante circonstance atténuante dont la Cour fédérale n’avait pas tenu compte. Notre Cour a également souligné que la violation elle-même avait cessé très peu de temps après que l’action pour outrage eut été intentée. Toutefois, chose importante en l’espèce, la Cour a fait observer que si l’injonction avait été valide, la peine d’emprisonnement de deux mois aurait peut-être été appropriée (au paragraphe 31).

[33]           Dans l’affaire Canada (Commission des droits de la personne) c. Heritage Front, [1994] A.C.F. no 2010, 26 C.H.R.R. D/315 (C.F.P.I.) [Heritage Front], MM. Wolfgang Droege, Gary Schipper et Kenneth Barker ont été déclarés coupables d’outrage au tribunal pour avoir désobéi à une ordonnance d’injonction leur enjoignant de cesser d’exploiter leur « Equal Rights for Whites Hotline ». Dans les motifs de son ordonnance de détermination de la peine datée du 22 juin 1994, la juge a condamné M. Droege à une période d’emprisonnement de trois mois, M. Schipper, à une peine d’emprisonnement de deux mois et M. Barker, à une peine d’un mois et a justifié ces différences principalement vu leurs implications respectives dans le Heritage Front. La juge a également fait remarquer qu’elle considérait comme circonstance atténuante le fait qu’il s’agissait, pour chacun des trois contrevenants, d’une première déclaration de culpabilité pour outrage. Elle a également tenu compte du besoin de dissuasion et du fait que les parties n’avaient pas manifesté de remords (aux paragraphes 7 à 9).

[34]           Enfin, dans l’affaire Winnicki, la Cour fédérale avait accordé une injonction interlocutoire qui interdisait à M. Winnicki de communiquer au moyen d’Internet « des messages susceptibles d’exposer à la haine ou au mépris des personnes en raison de leur race, de leur origine nationale ou ethnique, de leur couleur ou de leur religion, en violation du paragraphe 13(1) de la Loi canadienne sur les droits de la personne » (Winnicki, au paragraphe 5). Monsieur Winnicki a continué à publier des messages : il a été déclaré coupable d’outrage au tribunal, condamné à neuf mois d’emprisonnement et la Cour lui a ordonné de payer les dépens de la Commission des droits de la personne. En appel, notre Cour a réduit la peine aux 83 jours déjà purgés en prison; elle a conclu que l’appelant n’avait présenté aucune observation relativement à sa peine et que la juge par contre n’avait pas pris en compte que l’appelant en était à sa première infraction.

[35]           Monsieur Tremaine soutient que le juge a commis une erreur lorsqu’il n’a pas pris en compte et qu’il n’a pas appliqué le principe de la modération – c’est-à-dire que [TRADUCTION] « le juge chargé de déterminer la peine doit envisager toutes les autres sanctions qui pourraient être indiquées avant d’envisager l’emprisonnement, surtout dans le cas de citoyens n’ayant aucun antécédent judiciaire » (mémoire des faits et du droit de l’appelant, au paragraphe 32) et que [TRADUCTION] « si l’emprisonnement est nécessaire pour une infraction donnée, la période d’emprisonnement doit être la plus brève possible dans les circonstances » (ibidem, au paragraphe 33). L’appelant soutient que le juge a accordé trop d’importance au besoin de dissuasion et n’a pas apprécié adéquatement le fait que M. Tremaine en était à sa première infraction. Il avance également que le juge a infligé une peine qui convenait davantage à un outrage de nature criminelle qu’à un outrage de nature civile et qu’il n’a tenu compte du principe de la parité – c’est-à-dire qu’il ne s’est pas demandé si la peine est [TRADUCTION] « comparable aux peines infligées à des délinquants similaires dans des situations similaires » (ibidem, au paragraphe 45).

[36]           Toutefois, il ressort des jurisprudences Winnicki et Heritage Front qu’une brève peine de prison d’un à trois mois peut néanmoins être considérée comme indiquée pour le délinquant qui en est à sa première infraction dans des circonstances très similaires à celles de la présente espèce. Vu ces arrêts, on peut inférer que la peine de 30 jours d’emprisonnement de M. Tremaine est raisonnable, même à la lumière du principe de la modération et du fait qu’il s’agit de la première infraction d’outrage de M. Tremaine. En revanche, il ressort de la jurisprudence Liberty Net qu’une peine d’emprisonnement plus longue peut être considérée comme indiquée même dans des circonstances, différentes de celles de la présente espèce, où la conduite constituant un outrage a cessé peu après que l’action pour outrage eut été intentée. Cette jurisprudence enseigne donc que non seulement la peine d’emprisonnement d’un mois de M. Tremaine est [TRADUCTION] « indiquée » mais également qu’elle se situe au bas de l’échelle des peines infligées dans des cas similaires.

[37]           L’appelant soutient également que le juge a négligé de prendre en compte d’autres circonstances atténuantes pertinentes. Monsieur Tremaine affirme que le juge aurait dû tenir compte du fait qu’il avait déjà passé 22 jours en prison pour une infraction similaire et qu’il avait été congédié de son emploi et souffrait de dépression. L’appelant fait également observer qu’au moment de prononcer son ordonnance de détermination de la peine, le juge aurait dû penser à l’importance de la liberté d’expression prévue à l’alinéa 2b) de la Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada, ch. 11 (R.-U.) [la Charte] et réduire la peine de M. Tremaine parce que le Parlement a récemment abrogé l’article 13 de la Loi. Je suis toutefois d’avis qu’aucun de ces éléments ne constitue une circonstance atténuante susceptible d’influer sur la peine à infliger à M. Tremaine.

[38]           S’agissant de la peine d’emprisonnement de 22 jours, le temps purgé se rapportait à l’inobservation des conditions d’une mise en liberté sous caution relativement à des accusations pénales relevant de l’article 319 du Code criminel, L.R.C. 1985, ch. C-46, pour des affichages de messages soit identiques ou similaires à ceux qui constituent le fondement de l’ordonnance portant condamnation pour outrage au tribunal en l’espèce (transcriptions de l’audience du 9 novembre 2010, volume 2, à la page 461). Toutefois, en l’espèce, est en cause une peine infligée relativement à une ordonnance portant condamnation pour outrage au tribunal – et non à des accusations pénales. Je ne vois donc aucune raison pour laquelle la peine infligée en l’espèce devrait être réduite du nombre de jours que M. Tremaine a purgé auparavant en Saskatchewan. En fait, cela serait incompatible avec le fait de reconnaître que M. Tremaine en est à sa première infraction relativement aux accusations d’outrage. Monsieur Tremaine ne saurait affirmer qu’il en est à sa première infraction et qu’il a déjà purgé une peine pour la même infraction.

[39]           Je conclus également que la perte d’emploi de M. Tremaine et sa dépression subséquente n’excusent d’aucune façon sa décision de continuer de communiquer des messages discriminatoires après que le Tribunal lui eut enjoint de cesser de le faire. Monsieur Tremaine a choisi de communiquer des messages haineux et son employeur a décidé de le congédier en raison de ce comportement volontaire.

[40]           La décision du Parlement d’abroger l’article 13 de la Loi ne justifie pas non plus la décision de M. Tremaine de ne pas retirer les messages qu’il avait affichés sur Internet. L’article 13 était une disposition législative valide au moment où le Tribunal a prononcé son ordonnance d’interdit et M. Tremaine a été déclaré coupable d’outrage au tribunal. Le fait que cette disposition ne soit plus en vigueur n’atténue pas le fait que M. Tremaine a délibérément désobéi à une ordonnance valide et a été déclaré coupable d’outrage en conséquence.

[41]           Le fait que la Charte sert à protéger la liberté d’expression ne constitue pas une circonstance atténuante en l’espèce ni n’indique que la peine de M. Tremaine n’est pas proportionnelle à l’infraction commise. La Cour suprême du Canada avait décidé auparavant que le paragraphe 13(1) de la Loi était conforme à la Constitution; il portait atteinte au droit à la liberté d’expression garantie par l’alinéa 2b) de la Charte, mais il était néanmoins justifié au sens de l’article premier (Taylor (CSC)).

[42]           De plus, lors du contrôle judiciaire de la décision du Tribunal, un juge de la Cour fédérale a conclu que, bien que M. Tremaine ait tenté de soutenir que le paragraphe 13(1) de la Loi ne pouvait pas « s’appliquer constitutionnellement aux messages affichés sur Internet », il n’avait « pas présenté de base sur laquelle la contestation fondée sur la Charte peut être entendue et tranchée par la Cour » (2008 CF 1032, aux paragraphes 25 et 26). Le juge qui a instruit la procédure en contrôle judiciaire a relevé que M. Tremaine n’avait ni signifié d’avis de question constitutionnelle ni avancé cet argument devant le Tribunal.

[43]           À mon avis, le juge n’était donc pas tenu, au moment de la détermination de la peine, de pondérer la liberté d’expression et les restrictions imposées par l’article 13; la Cour fédérale avait examiné comme il se devait cette question lors de la procédure en contrôle judiciaire de la décision du Tribunal. En outre, l’outrage au tribunal est considéré comme une infraction grave, peu importe que la loi qui n’est pas observée puisse porter atteinte à la liberté d’expression. Monsieur Tremaine était tenu de se conformer à l’ordonnance du Tribunal.

[44]           Après avoir examiné plus en détail les circonstances atténuantes et aggravantes applicables au cas de M. Tremaine, j’estime que la peine d’un mois d’emprisonnement est [TRADUCTION] « indiquée » dans les circonstances. Comme le juge l’a relevé, M. Tremaine n’a manifesté aucun remords et n’a pas présenté d’excuses sincères. Le [TRADUCTION] « mépris flagrant » de M. Tremaine pour l’ordonnance de la Cour fédérale démontre l’importante gravité subjective de l’infraction, tandis que la gravité objective de l’infraction d’outrage et le mépris de M. Tremaine pour la primauté du droit mettent en évidence la nécessité que la peine soit suffisamment lourde pour qu’elle soit dissuasive. La peine doit également faire clairement comprendre à la population en général que les juges feront respecter leurs ordonnances et ne toléreront pas les actes intentionnels qui déconsidèrent l’administration de la justice.

[45]           Monsieur Tremaine avance également que le juge a commis une erreur lorsqu’il n’a pas tenu compte du fait que certaines des œuvres qu’il cherchait à diffuser sont des livres qui sont facilement accessibles sur Internet et dans des bibliothèques et qui sont vendus en ligne. Monsieur Tremaine demande donc que ces œuvres soient retranchées de l’ordonnance :

  1. Pièce H – Message affiché par Mathdoktor99 le 30 août 2007 (affichage no 9) sur le fil intitulé « Adolf Hitler – The Jews, from Mein Kampf I, XI » [http://www.stormfront.org/forum/t415937/#post4549201]
  2. Pièce M – Message affiché par Mathdoktor99 le 8 octobre 2007 (affichage no 1) sur le fil intitulé « The Great Red Dragon (document pdf téléchargeable) » [http://www.stormfront.org/forum/t427421/#post4684739]
  3. Pièce  AA – [traduction] Protocoles des aînés de Zion [http://nspcanada.nfshost.com/index.php?page_id=74] [http://nspcanada.nfshost.com/PDFs/ProtocolsZion.pdf]
  4. Pièce BB – George Lincoln Rockwell, [traduction] Suprématie des Blancs [http://nspcanada.nfshost.com/index.php?page_id=74] [http://nspcanada.nfshost.com/PDFs/WhitePower.pdf]
  5. Pièce CC – Ernst Hiemer, [traduction] Le champignon empoisonné [http://nspcanada.nfshost.com/index.php?page_id=74] [http://nspcanada.nfshost.com/PDFs/PoisonousMushroom.pdf]
  6. Pièce DD – [traduction] Les journaux intimes de Turner [http://nspcanada.nfshost.com/index.php?page_id=73]

[46]           Je ne suis pas convaincue que le juge n’a pas examiné cette question ou qu’il a commis une erreur. Il ressort de la lecture attentive des transcriptions de l’audience devant la Cour fédérale que les parties ont présenté des observations sur ce point. S’appuyant sur une jurisprudence du Tribunal, Citron c. Zundel, [2002] D.C.D.P. n1 [Zundel], M. Warman a soutenu que les opinions personnelles de M. Tremaine et les documents externes affichés sur Stormfront.org et sur le site Web du Parti national-socialiste du Canada devaient être lus comme un tout. Leur effet cumulatif était d’exposer des groupes précis à la haine et au mépris. Citant un extrait du paragraphe 142 de la décision Zundel, M. Warman a affirmé que les renseignements affichés par M. Tremaine ne devraient pas être dissociés : « Presque tous les documents qui nous ont été présentés sont imprégnés de la haine dont le site est empreint » (transcriptions initialement déposées dans le dossier no A-468-10, volume 3, aux pages 666 et 667).

[47]           Pour sa part, l’avocat de M. Tremaine a soutenu que la Cour ne doit pas ordonner à son client de supprimer [TRADUCTION] « ce qui n’est pas prohibé »; il renvoie en particulier aux Journaux intimes de Turner et aux Protocoles de Zion (dossier d’appel, à la page 297).

[48]           Le juge a entendu de nombreux témoignages concernant les différents affichages de M. Tremaine sur Internet et leur contenu. À la lecture de l’ordonnance attaquée, je conclus simplement que le juge a exercé son pouvoir discrétionnaire et a retenu les observations de M. Warman sur ce point. Je ne vois donc aucun motif qui permettrait à notre Cour d’intervenir.

[49]           Enfin, dans l’hypothèse où la peine serait confirmée, l’avocat de M. Tremaine a informé la formation des problèmes de santé de son client et a invité la Cour à faire des recommandations précises aux services correctionnels provinciaux de la Saskatchewan. Nous devons décliner cette invitation. La division des Services correctionnels et services de police du ministère de la Justice de la Saskatchewan ne relève pas de la compétence de la Cour.

V.                Décision proposée

[50]           En conséquence, je propose de rejeter l’appel sans frais.

[51]           Puisque l’appel a maintenant été tranché, l’ordonnance de suspension du 28 novembre 2012 dans laquelle la Cour prononçait le sursis temporaire de l’exécution de l’ordonnance d’incarcération de la Cour fédérale du 22 février 2013 dans le dossier T-293-07 est automatiquement levée. L’ordonnance d’incarcération relève de la Cour fédérale.

« Johanne Trudel »

j.c.a.

« Je suis d’accord

Eleanor R. Dawson j.c.a. »

« Je suis d’accord

Wyman W. Webb j.c.a. »

Traduction

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

A-493-12

 

INTITULÉ :

TERRY TREMAINE c. COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE ET RICHARD WARMAN

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Regina (Saskatchewan)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 28 mai 2014

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

LA JUGE TRUDEL

 

 

Y ONT SOUSCRIT :

la juge dawson

LE JUGE WEBB

 

 

DATE DES MOTIFS :

LE 9 septembre 2014

 

 

COMPARUTIONS :

Andrew L. Hitchcock

 

Pour l'appelant

TERRY TREMAINE

 

Daniel Poulin

 

Pour les intimés

COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE ET RICHARD WARMAN

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Aide juridique de la Saskatchewan

Regina (Saskatchewan)

 

Pour l'appelant

TERRY TREMAINE

 

Commission canadienne des droits de la personne

Ottawa (Ontario)

 

Pour les intimés

COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE ET RICHARD WARMAN

 

 

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