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Date : 20141030


Dossiers : A-194-14

A-94-14

Référence : 2014 CAF 250

CORAM :

LE JUGE EN CHEF NOËL

LA JUGE TRUDEL

LE JUGE BOIVIN

 

 

ENTRE :

APOTEX INC.

appelante

et

PFIZER CANADA INC. et G.D. SEARLE & CO.

intimées

ET ENTRE :

MYLAN PHARMACEUTICALS ULC

appelante

et

PFIZER CANADA INC. et G.D. SEARLE & CO.

intimées

Audience tenue à Ottawa (Ontario), le 30 septembre 2014.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 30 octobre 2014.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE EN CHEF NOËL

Y ONT SOUSCRIT :

LA JUGE TRUDEL

LE JUGE BOIVIN

 


Date : 20141030


Dossiers : A-194-14

A-94-14

Référence : 2014 CAF 250

CORAM :

LE JUGE EN CHEF NOËL

LA JUGE TRUDEL

LE JUGE BOIVIN

 

 

ENTRE :

APOTEX INC.

appelante

et

PFIZER CANADA INC. et G.D. SEARLE & CO.

intimées

ET ENTRE :

MYLAN PHARMACEUTICALS ULC

appelante

et

PFIZER CANADA INC. Et

G.D. SEARLE & CO.

intimées

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE EN CHEF NOËL

[1]               La Cour est saisie de deux appels interjetés par Mylan Pharmaceuticals ULC (A-94-14) et par Apotex Inc. (A‑194‑14) (Mylan et Apotex, ou les appelantes) à l'égard de jugements de la Cour fédérale (2014 CF 38, le jugement Mylan, et 2014 CF 314, le jugement Apotex), dans lesquels le juge Harrington (le juge de la Cour fédérale) a fait droit aux demandes présentées par Pfizer Canada Inc. et G.D. Searle & Co. (ensemble, l'intimée) et a rendu des ordonnances interdisant au ministre de la Santé (le ministre) de délivrer des avis de conformité (AC) à l'égard du célécoxib. Ces ordonnances d'interdiction cesseront d’être effectives le 14 novembre, date d'expiration du brevet canadien no 2 177 576 (le brevet 576) qui accordait un monopole sur ce composé.

[2]               La principale question en litige dans les deux appels est celle de savoir si le juge de la Cour fédérale a eu raison de juger que le brevet en question ne promettait pas certains résultats précis, ce qui l'a amené à refuser de déclarer que le brevet est invalide parce qu'il ne permet pas d'obtenir ces résultats, comme l'alléguaient les appelantes.

[3]               Les deux jugements visés par l'appel ont été rendus par le juge de la Cour fédérale, qui a exposé des motifs distincts dans lesquels les raisonnements sont semblables. C'est la raison pour laquelle les deux appels ont été instruits ensemble. Les motifs qui suivent tranchent les deux appels.

LE CONTEXTE

[4]               Depuis plus d'un siècle, l'inflammation chez l'humain et chez certains animaux est traitée au moyen d'une classe de produits pharmaceutiques que l'on appelle les anti‑inflammatoires non stéroïdiens (AINS). Ces médicaments réduisent l'inflammation en inhibant une enzyme appelée cyclo‑oxygénase (COX).

[5]               Dans les années 1970, les chercheurs ont remarqué que les AINS pouvaient avoir des effets secondaires dangereux à long terme, notamment sur le tractus gastro‑intestinal (GI), comme des saignements, des ulcères et des perforations. Ces effets secondaires sont dus au fait que la COX joue un rôle important dans le maintien de l'intégrité de nombreux tissus, et en particulier du tractus gastro‑intestinal. Dès lors, les organismes de réglementation nord‑américains ont exigé que l'étiquette des AINS présente un avertissement au sujet de ces risques.

[6]               Dans les années 1990, les chercheurs ont découvert qu'il existe deux COX. Ils ont émis l'hypothèse selon laquelle l'inflammation ne serait pas attribuable à la COX‑1, laquelle joue un rôle dans le maintien général de l'intégrité de nombreux tissus, mais à la COX‑2, que l'organisme produit en cas de lésion. Selon l'hypothèse relative à la COX‑2 formulée par les chercheurs spécialisés dans l'étude des AINS, si l'on pouvait mettre au point un médicament sélectif de la COX‑2, qui inhiberait la COX‑2 de façon exclusive ou qui inhiberait à tout le moins davantage la COX‑2 que la COX‑1, celui‑ci pourrait réduire l'inflammation sans produire les effets secondaires que l'on observait à l'époque avec les AINS commercialisés.

[7]               C'est alors que l'intimée a mis au point une nouvelle classe d'AINS, classe qui comprend le célécoxib. Le brevet 576 a été accordé à l'intimée avec effet à partir de la date de son dépôt, soit le 14 novembre 1994. Le ministre a par la suite ajouté le célécoxib au registre des médicaments brevetés tenu conformément au Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93‑133 (le Règlement).

[8]               Les composés revendiqués, dont le célécoxib, étaient des composés nouveaux à la date de dépôt. Les revendications 4 et 8 à 13 sont en cause. La revendication 4 revendique le célécoxib; la revendication 8 revendique une quantité thérapeutiquement efficace de célécoxib; les revendications 9 à 13 revendiquent l'utilisation du célécoxib pour traiter l'inflammation et d'autres troubles ou affections (dossier d'appel de Mylan, vol. 1, aux pages 304 et 305). Est également en cause la revendication 16, qui concerne la prévention du cancer colorectal.

[9]               Dans la section intitulée « Description de l'invention » du mémoire descriptif du brevet 576, l'inventeur décrit la question des effets secondaires associés à la classe des AINS qui étaient commercialisés à la date de dépôt et indique que [TRADUCTION] « les composés sont utiles en tant qu'agents anti‑inflammatoires, par exemple pour traiter l'arthrite, et présentent un avantage supplémentaire, soit celui de causer des effets secondaires beaucoup moins néfastes ». Au paragraphe suivant, l'inventeur ajoute que l'invention [TRADUCTION] « comprend de préférence » des composés qui inhibent de façon sélective la COX‑2 par rapport à la COX‑1, et [TRADUCTION] qu'« une telle sélectivité peut témoigner d'une capacité à réduire l'occurrence des effets secondaires courants associés aux AINS » (dossier d'appel de Mylan, vol. 1, à la page 119).

[10]           En 2007, l'intimée a réussi à empêcher le ministre de délivrer à une autre partie un AC concernant le célécoxib. Novopharm Ltd. avait fait à l'égard du brevet 576 des allégations d'insuffisance, d'absence d'utilité, d'évidence et d'abandon. Le juge de la Cour fédérale (le juge Hughes) a conclu que l'intimée avait démontré que les deux premières allégations n'étaient pas justifiées, mais il a jugé qu'elle n'avait pas fait cette démonstration à l'égard des deux dernières. La demande de l'intimée a donc été rejetée (G.D. Searle & Co. c. Novopharm Limitée, 2007 CF 81, [2008] 1 R.C.F. 477 (Novopharm CF)). La décision a été infirmée en appel, dans un jugement où notre Cour a confirmé les conclusions concernant l'insuffisance et l'absence d'utilité, mais a conclu que l'intimée avait également démontré que les allégations d'évidence et d'abandon n'étaient pas justifiées (G.D. Searle & Co. c. Novopharm Limitée, 2007 CAF 173, [2008] 1 R.C.F. 529 (Novopharm CAF)).

[11]           Cinq ans plus tard, l'intimée a été amenée encore une fois à défendre son monopole sur le célécoxib en raison d'avis d'allégation déposés par Mylan et Apotex. Chacune des deux demandes d'interdiction déposées par l'intimée a été instruite par le juge de la Cour fédérale, qui a accueilli les deux demandes dans des jugements rendus le 28 janvier 2014 (le jugement Mylan) et le 15 avril 2014 (le jugement Apotex). Ce sont les jugements maintenant en appel.

LE JUGEMENT MYLAN

[12]           Devant le juge de la Cour fédérale, Mylan a fait valoir que le brevet 576 promettait de réduire les effets secondaires sur les humains et que le célécoxib n'entraînait pas une telle réduction des effets secondaires, de sorte que le brevet 576 était invalide pour cause d'absence d'utilité.

[13]           Mylan a étayé cette affirmation en faisant référence aux termes mêmes du mémoire descriptif, en particulier la description de l'hypothèse relative à la COX‑2 et l'affirmation que [TRADUCTION] « les composés sont utiles en tant qu'agents anti‑inflammatoires [...] et présentent un avantage supplémentaire, soit celui de causer des effets secondaires beaucoup moins néfastes » (dossier d'appel de Mylan, vol. 1, aux pages 118 et 119).

[14]           Mylan s'est également fondée sur l'interprétation que le juge Hughes a donnée du brevet 576 dans le jugement Novopharm CF. Le juge y avait déclaré ce qui suit, en décrivant le brevet d'une façon générale : « [a]près discussion, l'avocat des demanderesses a admis que des propriétés anti-inflammatoires et des effets secondaires moins importants étaient deux conditions nécessaires pour que l'invention revendiquée soit utile » (jugement Mylan, au paragraphe 74, citant le jugement Novopharm CF, au paragraphe 14). Il a ensuite interprété la revendication 4 du brevet en déclarant ce qui suit (jugement Mylan, au paragraphe 74, citant le jugement Novopharm CF, au paragraphe 27) :

[Aucun usage du célécoxib n'est mentionné dans cette revendication mais,] comme le reconnaît l'avocat des demanderesses, l'utilité de ce composé est établie dans le mémoire descriptif comme étant double : traitement de l'inflammation et réduction des effets indésirables, tels que les ulcères de l'appareil digestif.

[15]           Mylan a invoqué les deux passages ci‑dessus pour soutenir devant le juge de la Cour fédérale qu'étant donné que l'intimée avait admis dans l'affaire Novopharm CF que la réduction des effets secondaires était nécessaire pour établir l'utilité du célécoxib, le fait qu'elle tente de présenter des arguments allant à l'encontre de cette affirmation constitue un abus de procédure.

[16]           L'intimée s'est opposée à ces allégations en présentant trois arguments subsidiaires : le brevet 576 ne promet pas la réduction des effets secondaires; même s'il contenait une telle promesse, celle‑ci ne visait pas les humains; si la promesse les visait, il est en fait établi que le célécoxib entraîne une réduction des effets secondaires chez les humains. L'intimée a beaucoup insisté sur la nature ambiguë de l'énoncé contenu dans le mémoire descriptif selon lequel le célécoxib [TRADUCTION] « peut » réduire les effets secondaires.

[17]           Le juge de la Cour fédérale a retenu le premier argument de l'intimée et a déclaré que le brevet 576 ne promettait pas la réduction des effets secondaires. Quant à l'effet du jugement antérieur Novopharm CF, il a rejeté l'argument de Mylan selon lequel ce jugement l'obligeait à interpréter le brevet comme s'il promettait d'avoir pour utilité de réduire les effets secondaires chez les humains. Citant les paragraphes 102 et 103 de ce jugement, il a fait remarquer que le juge Hughes avait conclu que l'utilité de l'invention avait été démontrée dans cette affaire (jugement Mylan, au paragraphe 75). Il a toutefois déclaré qu'il n'était pas certain que la réduction des effets secondaires chez les humains ait été démontrée (jugement Mylan, au paragraphe 77). Le juge de la Cour fédérale a ajouté qu'il aurait été lié par la décision du juge Hughes si celle‑ci « concernait » l'interprétation du brevet, parce que cela aurait été une pure question de droit (jugement Mylan, au paragraphe 78). Il a ensuite conclu qu'étant donné que l'utilité, qu'elle soit démontrée ou prédite, est une question de fait, il n'était pas lié par la décision du juge Hughes.

[18]           Pour ce qui est de l'interprétation du brevet, le juge de la Cour fédérale a retenu l'interprétation plus restrictive du brevet qu'a fournie l'intimée pour deux motifs principaux. Premièrement, il a conclu que le mot « peut », tel qu'il apparaît dans le mémoire descriptif, indique clairement que le brevet ne promet aucunement la réduction des effets secondaires. Qu'il soit interprété selon les principes généraux d'interprétation légale ou du point de vue de la personne versée dans l'art, il n'est pas possible de conclure que le mot « peut » implique autre chose qu'une simple possibilité de réduction des effets secondaires (jugement Mylan, au paragraphe 65).

[19]           Deuxièmement, le juge de la Cour fédérale a fait remarquer que les revendications elles-mêmes ne mentionnaient aucunement la réduction des effets secondaires. Citant la jurisprudence de la Cour fédérale, il a affirmé que les usages qui ne figurent pas dans les revendications doivent être considérés comme de simples énoncés d'avantage, à moins que l'inventeur n'indique clairement et sans équivoque que cela fait partie de l'utilité promise (jugement Mylan, au paragraphe 70, citant le jugement Fournier Pharma Inc. c. Canada (Santé), 2012 CF 741, [2012] A.C.F. no 901 (QL) (Fournier), au paragraphe 126). Il a également cité à l'appui de la distinction établie entre les promesses et les énoncés d'avantage ou d'usage éventuel les motifs concourants prononcés par notre Cour dans l'arrêt Sanofi‑Aventis c. Apotex Inc., 2013 CAF 186, [2013] A.C.F. no 856 (QL) (Plavix CAF), autorisation d'appel à la CSC accordée le 30 janvier 2014, no 35562 (jugement Mylan, aux paragraphes 68 et 69).

LE JUGEMENT APOTEX

[20]           Devant le juge de la Cour fédérale, Apotex a présenté deux arguments très semblables à ceux qu'avait invoqués Mylan. Premièrement, elle a soutenu que le brevet promettait la réduction des effets secondaires chez les humains et qu'il était maintenant possible d'établir que cette utilité n'avait pas été réalisée. Deuxièmement, elle a affirmé qu'étant donné que l'intimée avait admis devant le juge Hughes dans l'affaire Novopharm CF que l'utilité comprenait nécessairement la réduction des effets secondaires, le fait pour l'intimée de contester cette affirmation devant le juge de la Cour fédérale constituait un abus de procédure.

[21]           Apotex a avancé un certain nombre d'arguments supplémentaires. Premièrement, elle a soutenu que l'utilité de l'emploi du célécoxib comme anti‑inflammatoire chez les humains n'avait été ni démontrée, ni valablement prédite. Même si Apotex a reconnu que depuis lors, il avait été établi que le célécoxib avait cette utilité, elle a affirmé qu'à la date du dépôt de la demande de brevet, l'intimée n'était pas en mesure de démontrer cette utilité ni de fournir une base valable pour la prédire.

[22]           Deuxièmement, Apotex soutient également, en se fondant sur les termes du mémoire descriptif ainsi que sur ceux de la revendication 16, que le brevet promettait une utilité en matière de prévention du cancer colorectal et que cette utilité n'a été ni démontrée, ni valablement prédite au moment du dépôt de la demande.

[23]           Enfin, Apotex a contesté le brevet 576 pour cause de divulgation insuffisante. L'essence de cet argument était que l'intimée a dissimulé sa « véritable invention », à savoir l'utilisation du célécoxib pour traiter l'inflammation, parmi un certain nombre d'autres composés et de revendications au sujet desquels elle savait pertinemment qu'ils étaient inutiles ou non fondées. Par exemple, à la date de dépôt, on savait que l'un des composés revendiqués à la revendication 5 était toxique et, par conséquent, inutile.

[24]           Le juge de la Cour fédérale a rejeté ces arguments. Sur la question de l'utilité pour le traitement de l'inflammation, il a accepté l'argument de l'intimée selon lequel on pouvait considérer que les rats étaient des « sujets » et que, si le brevet avait promis de traiter l'inflammation chez un sujet, il avait été démontré que la promesse avait été remplie (jugement Apotex, aux paragraphes 28 et 29, citant les arrêts Plavix CAF et Mylan Pharmaceuticals ULC c. Pfizer Canada Inc., 2012 CAF 103, [2012] A.C.F. no 386 (QL) (Donépézil CAF)).

[25]           Sur la question de l'utilité pour la diminution des effets secondaires chez les humains, le juge de la Cour fédérale a écarté l'argument d'Apotex en se fondant sur la version révisée des motifs qu'il avait rendus dans le jugement Mylan. Il a reconnu le caractère « inadéquat » de certaines des justifications qui l'avaient amené à conclure que le brevet 576 ne promettait pas la réduction des effets secondaires chez les humains, à savoir son analyse au paragraphe 44 du principe voulant que l'on renonce normalement à ce qu'on n'a pas revendiqué (jugement Apotex, aux paragraphes 30 et 36).

[26]           Le juge de la Cour fédérale a toutefois conclu que sa décision précédente était justifiée et a répété que les énoncés relatifs aux effets secondaires étaient exclus des revendications contenues dans le mémoire descriptif, que le droit tient généralement pour acquis que ces déclarations visent des avantages (par opposition à des promesses) et que le mot « peut » tel qu'il apparaît dans le mémoire descriptif était de nature particulièrement ambiguë.

[27]           De plus, il a rejeté l'argument d'Apotex selon lequel l'énoncé moins ambigu concernant les effets secondaires ([TRADUCTION] « […] un avantage supplémentaire, soit celui de […] effets secondaires beaucoup moins néfastes ») concernait une série d'effets secondaires (c.‑à‑d., les effets secondaires néfastes), alors que l'énoncé plus ambigu ([TRADUCTION] « peut témoigner d'une capacité à réduire […] des effets secondaires courants ») en concernait une autre (c.‑à‑d., les effets secondaires courants). Enfin, il a rejeté l'invitation d'Apotex d’appliquer un jugement anglais dans lequel le brevet européen sur le célécoxib a été interprété de manière à ce que son utilité englobe une diminution des effets secondaires. Il estimait essentiellement que le droit des brevets de l'Angleterre différait du droit des brevets au Canada sur un certain nombre de sujets, notamment quant aux questions d'utilité et, de façon plus précise, quant à la promesse.

[28]           Le juge de la Cour fédérale a conclu cette portion de son analyse en soulignant ce qui avait été établi par la preuve dont il disposait (jugement Apotex, au paragraphe 41) :

Les essais in vitro ont démontré que les composés testés inhibaient sélectivement la COX II, ce qui a peut‑être amené les inventeurs à espérer qu'il soit finalement établi que ce mécanisme se traduise par une réduction des effets secondaires. Ils auraient éventuellement pu faire une promesse en ce sens, mais ils ne l'ont pas fait. Par conséquent, il n'est pas nécessaire de décider si les essais dont fait état le dossier établissent ou non que Celebrex® est associé à moins d'effets secondaires. Pfizer n'a pas à tenir une promesse qu'elle n'a jamais faite.

[29]           Quant à la revendication concernant la prévention du cancer colorectal, le juge de la Cour fédérale a conclu qu'Apotex avait présenté des éléments de preuve concernant l'invalidité de la revendication, mais a admis avec l'intimée qu'aux termes de l'article 58 de la Loi sur les brevets, L.R.C., 1985, ch. P‑4 (la Loi), il était possible de scinder cette revendication des autres et que les revendications restantes pouvaient justifier l'ordonnance d'interdiction sollicitée par l'intimée.

[30]           Le juge de la Cour fédérale a également écarté les arguments d'Apotex au sujet de l'insuffisance. Il était effectivement bien connu que le composé mentionné dans la réclamation 5 était toxique à forte dose, mais il avait néanmoins un effet anti-inflammatoire, et il n'est pas possible de soutenir que l'intimée avait promis que le composé obtiendrait une approbation réglementaire.

[31]           Quant à la question de savoir si l'intimée avait « dissimulé » sa véritable invention, le juge de la Cour fédérale a établi une distinction entre la présente espèce et l'arrêt Teva Canada Ltée c. Pfizer Canada inc., 2012 CSC 60, [2012] 3 R.C.S. 625 (Teva), dans lequel la Cour suprême du Canada a jugé que c'est exactement ce qu'avait fait le titulaire du brevet, puisqu'il avait revendiqué deux composés différents en sachant qu'un seul d'entre eux était efficace. Le juge de la Cour fédérale a expliqué qu'en l'espèce, il avait été démontré que chacun des trois composés revendiqués réduisait l'inflammation (jugement Apotex, au paragraphe 59). Le célécoxib a peut‑être bien été le composé essentiel dans les projets commerciaux de l'intimée, mais il n'est pas nécessaire de divulguer ce genre de projet, et la « véritable invention » du brevet 576 demeurait une catégorie de composés comprenant le célécoxib, et non seulement le célécoxib.

[32]           Le juge de la Cour fédérale a finalement rejeté l'argument d'Apotex relatif à l'abus de procédure, en faisant remarquer que l'utilité, dans le jugement Novopharm CF, avait été démontrée en raison de la sélectivité établie à l'égard de la COX‑2 et non pas en raison de la diminution des effets secondaires chez les humains (jugement Apotex, au paragraphe 62). Il a en outre expliqué que l'interprétation d'un brevet était une question de droit et que la Cour n'était pas liée par une concession ou un aveu fait par une partie sur ce genre de question (jugement Apotex, au paragraphe 61).

LA POSITION DES APPELANTES

[33]           Devant notre Cour, Apotex présente quatre arguments distincts, à savoir l'absence d'utilité pour le traitement de l'inflammation chez les humains, l'absence d'utilité pour ce qui est de réduire les effets secondaires, l'absence d'utilité pour prévenir le cancer colorectal et une divulgation insuffisante. Mylan formule ses observations de façon légèrement différente, mais elles portent toutes sur le deuxième de ces quatre arguments. Voici un résumé conjoint des arguments présentées par les appelantes.

[34]           Pour ce qui est de l'absence d'utilité pour le traitement de l'inflammation, Apotex soutient que le brevet 576 promettait de traiter l'inflammation chez les humains et qu'à la date du dépôt de la demande, il était uniquement possible de démontrer que le célécoxib réduisait l'inflammation chez les rats.

[35]           Tant en précisant l’utilité de son invention et à revendiquer son monopole, le brevet 576 renvoie au traitement d'un « sujet ». D'après Apotex, ce « sujet » comprend nécessairement les humains, étant donné que tous les troubles à l'égard desquels le traitement à l'aide des composés inventés est décrit et revendiqué touchent les humains, et certains d'entre eux touchent exclusivement les humains. Aucune personne versée dans l'art pourrait penser, affirme Apotex, que l'intimée avait l'intention de monopoliser l'usage des composés revendiqués pour traiter une série de troubles chez un groupe de « sujets » incapables de souffrir des troubles en question (mémoire d'Apotex, aux paragraphes 64 et 65). De plus, un brevet qui revendique un usage particulier comprend nécessairement une promesse à l'égard de cet usage (mémoire d'Apotex, au paragraphe 67, citant le jugement Bauer Hockey Corp. c. Easton Sports Canada Inc., 2010 CF 361, [2010] A.C.F. no 431 (QL) (Bauer CF), au paragraphe 289, conf. par 2011 CAF 83, [2011] A.C.F. no 331 (QL), et l'arrêt Apotex Inc. c. Wellcome Foundation Ltd., 2002 CSC 77, [2002] 4 R.C.S. 153, au paragraphe 92 (AZT)).

[36]           Apotex soutient en outre que le juge de la Cour fédérale a commis une erreur lorsqu'il a cité deux arrêts de notre Cour pour justifier le rejet de l'interprétation proposée par Apotex. Premièrement, il s'est fondé à tort sur l'arrêt Plavix CAF, étant donné que le brevet en cause dans cette affaire ne contenait aucune revendication en matière de traitement, encore moins de traitement de troubles chez les humains (mémoire d'Apotex, au paragraphe 70). Dans l'arrêt Donépézil CAF, ni les revendications, ni les essais effectués ne mentionnaient les humains, mais l'utilité promise a été interprétée comme si elle comprenait le traitement des humains au motif que le mémoire descriptif et les revendications renvoyaient au traitement d'un trouble chez l'humain (mémoire d'Apotex, au paragraphe 71).

[37]           Étant donné que le juge de la Cour fédérale a conclu que l'intimée n'avait ni démontré ni prédit sur une base valable le traitement de l'inflammation chez les humains, la Cour devrait nécessairement conclure à l'invalidité du brevet pour absence d'utilité, si elle concluait que le mot « sujet » utilisé dans le brevet 576 s'applique aux humains.

[38]           En ce qui concerne l'absence d'utilité pour la réduction des effets secondaires, les deux appelantes soutiennent que le juge de la Cour fédérale était lié par le jugement Novopharm CF, de sorte qu'il était tenu de conclure à l'existence d'une promesse visant la réduction des effets secondaires chez les humains. Si le juge de la Cour fédérale voulait écarter cette interprétation antérieure, il devait justifier ce choix, soit en se fondant sur une erreur commise dans l'interprétation antérieure, soit en se fondant sur des éléments de preuve distincts (mémoire de Mylan, au paragraphe 43, citant l'arrêt Apotex Inc. c. Allergan Inc., 2012 CAF 308, [2012] A.C.F. no 1467 (QL) (Allergan), aux paragraphes 48 et 51; mémoire d'Apotex, au paragraphe 97). Étant donné que le juge de la Cour fédérale n'a pas justifié de cette façon sa conclusion, il a commis une erreur en n'appliquant pas l'interprétation donnée par le juge Hughes.

[39]           Apotex affirme également que l'innovateur ne peut débattre à nouveau une question déjà tranchée dans une instance à laquelle il était partie « en s'appuyant sur des éléments de preuve additionnels qu'il avait décidé de ne pas produire » à l'instance antérieure (mémoire d'Apotex, au paragraphe 88, citant l'arrêt Sanofi‑Aventis Inc. c. Novopharm Ltée, 2007 CAF 163, [2008] 1 R.C.F. 174, au paragraphe 50 (Ramipril CAF)). L'innovateur ne peut pas non plus accepter et rejeter la même thèse dans des instances différentes fondées sur le Règlement et à l'égard du même brevet (mémoire d'Apotex, au paragraphe 89, citant le jugement Apotex Inc. c. AstraZeneca Canada Inc., 2012 CF 559, [2012] A.C.F. no 621 (QL) (Oméprazole CF), aux paragraphes 137 et 138, citant l'arrêt Johnson v. Agnew, [1980] A.C. 367 (Ch. des lords)).

[40]           Enfin, Mylan soutient qu'en limitant son avis d'allégation à la question de l'utilité, elle s'est expressément fondée sur l'interprétation du brevet 576 donnée dans le jugement Novopharm CF et qui n'a pas été modifiée par l'arrêt Novopharm CAF (mémoire de Mylan, aux paragraphes 37 et 41).

[41]           Mylan aborde ensuite l'interprétation qu'a donnée le juge de la Cour fédérale lui‑même du brevet 576, et cite deux arrêts de notre Cour dans lesquels il a été jugé que la promesse visait la réduction des effets secondaires (mémoire de Mylan, aux paragraphes 55 et 56, citant l'arrêt Eli Lilly Canada Inc. c. Novopharm Limited, 2010 CAF 197, [2012] 1 R.C.F. 349 (Olanzapine), aux paragraphes 27 et 99, et Apotex Inc. c. Pfizer Canada Inc., 2011 CAF 236, [2011] A.C.F. no 1234 (QL) (Latanoprost)), et deux arrêts dans lesquels notre Cour a jugé que la promesse ne visait pas la réduction des effets secondaires (mémoire de Mylan, aux paragraphes 58 et 59, citant les arrêts Plavix CAF, au paragraphe 67, et Mylan Pharmaceuticals ULC c. AstraZeneca Canada Inc., 2012 CAF 109, [2012] A.C.F. no 422 (QL) (Anastrozole), aux paragraphes 6, 22, 29 et 30). Mylan soutient que le brevet 576 [TRADUCTION] « ressemble davantage sur le plan qualitatif » aux brevets de la première série d'arrêts (mémoire de Mylan, au paragraphe 60).

[42]           Mylan fait également valoir que lorsque le juge de la Cour fédérale s'est fondé sur le témoignage de l'expert de l'intimée, M. Young, à l'appui de son interprétation, il a omis de suivre les indications fournies par notre Cour dans l'arrêt Olanzapine. La Cour énonçait clairement dans cet arrêt que le juge est tenu d'analyser le témoignage d'experts, alors que le juge de la Cour fédérale s'est contenté [TRADUCTION] « de reprendre et de souscrire en général » au point de vue présenté par M. Young (mémoire de Mylan, aux paragraphes 75 et 76). Si le juge de la Cour fédérale avait véritablement analysé ce témoignage, il aurait constaté qu'il contenait de nombreuses affirmations étayant l'opinion selon laquelle, à la date du dépôt de la demande, le principal but des chercheurs spécialisés dans l'étude des AINS était de mettre au point un médicament sélectif pour la COX‑2 associé à une diminution des effets secondaires (mémoire de Mylan, au paragraphe 77).

[43]           Mylan fait également valoir, pour la première fois en appel, que même si la Cour jugeait que la promesse du brevet 576 excluait la supériorité quant aux effets secondaires, elle devrait à tout le moins juger que la promesse englobait le fait que la sélectivité pour la COX‑2 était nettement supérieure à celle des AINS existants (mémoire de Mylan, au paragraphe 85, citant le jugement Apotex, aux paragraphes 38 à 42, 59 et 62).

[44]           Enfin, dans la logique de son argument selon lequel le brevet 576 promet des effets secondaires réduits, Mylan affirme qu'il est possible de démontrer que le célécoxib n'a pas atteint ce résultat. Plus précisément, Mylan souligne le fait que les organismes de réglementation nord‑américains ont refusé de conclure que le célécoxib présente un avantage par rapport aux AINS existants pour ce qui est des effets secondaires (mémoire de Mylan, aux paragraphes 98 à 108), et elle allègue que l'intimée elle‑même ne peut fournir d'études pour appuyer une quelconque supériorité en ce qui concerne les effets secondaires à moins de les présenter d'une façon trompeuse (mémoire de Mylan, aux paragraphes 109 à 116). Selon Mylan, si la Cour interprète le brevet 576 comme promettant une sélectivité accrue pour la COX‑2, le célécoxib n’apparaît que comme étant légèrement plus sélectif que les AINS existants (mémoire de Mylan, paragraphes 117 à 122).

[45]           De son côté, Apotex présente deux observations uniques contestant la conclusion du juge de la Cour fédérale selon laquelle la promesse contenue dans le brevet 576 ne visait pas une diminution des effets secondaires.

[46]           Premièrement, Apotex reprend la distinction qu'elle avait proposée entre les effets secondaires néfastes visés par l'énoncé moins nuancé du mémoire descriptif et les effets secondaires courants visés par l'énoncé plus nuancé du mémoire descriptif. De plus, elle conteste la décision du juge de la Cour fédérale de rejeter cet argument. Bien que le juge de la Cour fédérale ait indiqué qu'aucun des experts ne voyait cette distinction, c'est à la Cour seule qu'il appartient d'interpréter un brevet (mémoire d'Apotex, au paragraphe 83, citant l'arrêt Plavix CAF, au paragraphe 33).

[47]           Deuxièmement, Apotex propose une nouvelle distinction entre ces deux énoncés concernant les effets secondaires, selon laquelle l'énoncé moins nuancé comporte une promesse explicite portant que les composés sélectifs de la COX‑2 du brevet 576 ont des effets secondaires moins importants que les autres AINS commercialisés à l'époque (mémoire d'Apotex, au paragraphe 76). L'énoncé plus nuancé ne visait pas à comparer l'invention avec d'autres AINS, mais plutôt à comparer différents sous‑groupes des composés divulgués dans le mémoire descriptif. Par conséquent, alors que le premier énoncé concernait l'utilité de l'invention, le second concernait uniquement des questions d'innocuité relative parmi les composés inventés. Le verbe « peut » dans ce deuxième énoncé reflète uniquement une incertitude quant à la question de savoir si la sélectivité relative de ces composés pour la COX‑2 se traduirait par une supériorité relative quant aux effets secondaires (mémoire d'Apotex, paragraphes 78 et 79).

[48]           En ce qui concerne l'absence d'utilité pour la prévention du cancer colorectal, Apotex affirme que le juge de la Cour fédérale a examiné de façon erronée son argument sur ce point, en l'interprétant comme s'il visait l'insuffisance de la divulgation, alors qu'Apotex avait axé son argument sur l'utilité (mémoire d'Apotex, au paragraphe 73). Le brevet promettait expressément qu'il avait une utilité [TRADUCTION] « pour la prévention du cancer colorectal », et il monopolisait cet usage des composés revendiqués par sa revendication 16 (mémoire d'Apotex, au paragraphe 72). Lorsqu'un brevet contient une promesse, cette promesse est [TRADUCTION] « de nature générale et inhérente à l'invention et, par conséquent, à chacune des revendications » (mémoire d'Apotex, au paragraphe 54, citant les jugements Apotex Inc. c. Merck & Co., [1995] 2 C.F. 723 (C.A.F.), au paragraphe 33, Merck & Co. Inc. c. Apotex Inc., 2006 CF 524, aux paragraphes 122 à 125, et Sanofi‑Aventis Canada Inc. c. Apotex Inc., 2009 CF 676 (Sanofi), aux paragraphes 119 à 124 et 138, conf. par 2011 CAF 300, au paragraphe 3). Lorsque cette promesse n'est pas tenue, le brevet tout entier devient invalide (mémoire d'Apotex, au paragraphe 55, citant les jugements AZT, au paragraphe 92; Plavix CAF, au paragraphe 54; Pfizer Canada Inc. c. Pharmascience Inc., 2008 CF 500, au paragraphe 95; New Process Screw Corp. c. P.L. Robertson Manufacturing Co. (1961), 39 C.P.R. 31 (C. de l'É.) (New Process Screw), aux paragraphes 27, 28, 31, 38 et 39; et Turner v. Winter (1787), 99 E.R. 1274, à la page 1276 (B.R.)). Étant donné que le juge de la Cour fédérale a conclu que les composés de l'invention n'avaient pas d'utilité pour la prévention du cancer colorectal, cette absence d'utilité vise la validité du brevet 576 dans son entier et la demande de l'intimée doit donc être rejetée (mémoire d'Apotex, au paragraphe 104).

[49]           En ce qui concerne l'insuffisance de la divulgation, Apotex fait valoir que le brevet 576 « manipulait » le lecteur, en ce sens que le mémoire descriptif dissimulait la « véritable invention », le célécoxib, parmi deux autres composés (ceux revendiqués dans les revendications 5 et 6) que l'on savait inutiles à la date de dépôt (mémoire d'Apotex, au paragraphe 113). Le lecteur de ce brevet devrait faire davantage d'efforts que celui qui aurait lu le brevet dont il était question dans l'arrêt Teva pour découvrir la véritable invention du brevet 576, et les efforts qui étaient nécessaires dans l'affaire Teva étaient trop importants pour qu'il soit possible de conclure à une divulgation suffisante (mémoire d'Apotex, au paragraphe 114).

[50]           Apotex critique la conclusion précise du juge de la Cour fédérale selon laquelle « le fait que des essais révélaient que des doses élevées du composé de la revendication 5 étaient toxiques chez les rats n'enlève rien à ses effets anti‑inflammatoires » (mémoire d'Apotex, au paragraphe 116, citant le jugement Apotex, au paragraphe 44). Selon Apotex, cet énoncé renferme deux erreurs. Premièrement, le juge de la Cour fédérale parle de « doses élevées », mais cette précision n'existait pas dans la preuve présentée à cet égard (mémoire d'Apotex, au paragraphe 117). Deuxièmement, il est illogique de laisser entendre que la toxicité chez les rats n'enlèverait rien à l'idée d'une utilité dans le traitement de l'inflammation chez les rats (mémoire d'Apotex, au paragraphe 117).

[51]           Enfin, Apotex critique la conclusion du juge de la Cour fédérale selon laquelle le composé revendiqué à la revendication 6 « fonctionnait » parce qu'il « propose un traitement de l'arthrite chez le chien » (mémoire d'Apotex, au paragraphe 120, citant le jugement Apotex, au paragraphe 59). Le fait qu'il se soit avéré, après la date de dépôt, que le composé pouvait être utilisé de la sorte n'est pas pertinent à l'égard de la question du caractère suffisant de la divulgation de l'invention à cette date (mémoire d'Apotex, au paragraphe 121).

LA POSITION DE L'INTIMÉE

[52]           L'intimée soutient que chacun des jugements du juge de la Cour fédérale résiste aux attaques des appelantes.

[53]           Sur la question de l'utilité pour le traitement de l'inflammation chez les humains, l'intimée affirme que l'argument d'Apotex confond la portée des revendications du brevet et la portée de l'utilité qu'il pourrait avoir promise. Si l'on applique les principes appropriés en matière d'interprétation des brevets, on constate que le brevet 576 ne [TRADUCTION] « promet pas explicitement de résultats précis » concernant le traitement de l'inflammation chez les humains (mémoire de l'intimée en réponse à Apotex, au paragraphe 35, citant l'arrêt Plavix CAF, aux paragraphes 49 et 50). Quoi qu'il en soit, l'intimée soutient que la preuve démontre clairement qu'un traitement chez les humains a été prédit valablement (mémoire de l'intimée en réponse à Apotex, aux paragraphes 61 à 67). Bien qu'Apotex soutienne que le juge de la Cour fédérale en est arrivé à une conclusion contraire au paragraphe 17 du jugement Apotex, l'intimée soutient que celui‑ci ne faisait simplement que décrire dans ce passage la position d'Apotex.

[54]           Pour ce qui est de l'abus de procédure et des principes connexes, l'intimée affirme que le juge de la Cour fédérale n'était pas lié par le jugement Novopharm CF et que, même si cela avait été le cas, cela n'aurait pas entraîné le résultat que souhaitent obtenir les appelantes devant notre Cour, étant donné que le juge Hughes a conclu que l'utilité avait été démontrée grâce aux expériences faites sur des rats (mémoire de l'intimée en réponse à Apotex, aux paragraphes 80 à 83).

[55]           L'intimée ajoute qu'un changement dans le droit constitue une exception importante aux notions d'abus de procédure et de courtoisie judiciaire. À ce sujet, les principes d'interprétation d'une promesse contenue dans un brevet n'avaient pas encore été explicités lorsque le jugement Novopharm CF a été rendu il y a sept ans (mémoire de l'intimée en réponse à Apotex, au paragraphe 82). Compte tenu du changement survenu dans le droit, consacré dans l'arrêt Plavix CAF, le juge de la Cour fédérale a refusé à bon droit d'appliquer le jugement Novopharm CF (mémoire de l'intimée en réponse à Apotex, au paragraphe 83, citant les arrêts R. c. Bernard, [1988] 2 R.C.S. 833, aux pages 849 et 855, et R. c. Chaulk, [1990] 3 R.C.S. 1303, à la page 1352).

[56]           Pour ce qui est de la revendication au sujet du cancer colorectal, l'intimée soutient que des revendications différentes peuvent contenir des promesses différentes et que, contrairement à ce que soutient Apotex, il n'est pas nécessaire d'interpréter chaque promesse comme étant « de nature générale et inhérente » à l'égard de l'invention du brevet et de chacune de ses revendications (mémoire de l'intimée en réponse à Apotex, au paragraphe 41, citant les jugements Pfizer Canada Inc. c. Apotex Inc., 2007 CF 26, aux paragraphes 42 et 43; Teva Canada Ltd. c. Novartis AG, 2013 CF 141 (Imatinib), aux paragraphes 174 à 180; Pfizer Canada Inc. c. Mylan Pharmaceuticals ULC, 2011 CF 547, aux paragraphes 191 à 193; et l'article 58 de la Loi). De plus, si le brevet 576 contient une promesse d'utilité pour la prévention du cancer colorectal, celle‑ci devrait se limiter à la revendication 16 puisqu'il n'est pas possible de raisonnablement interpréter les autres revendications comme si elles contenaient une telle promesse (mémoire de l'intimée en réponse à Apotex, au paragraphe 77). Quant à la mention dans le mémoire descriptif selon laquelle les composés seraient utiles pour prévenir le cancer colorectal, celle‑ci constitue la divulgation qui aurait permis de réaliser la revendication 16, et non une promesse pouvant être ajoutée à toutes les revendications du brevet (ibidem).

[57]           Quant aux arguments d'Apotex concernant l'insuffisance, l'intimée soutient que ceux-ci ne figuraient pas dans l'avis d'allégation d'Apotex et ne peuvent, par conséquent, être invoqués devant notre Cour (mémoire de l'intimée en réponse à Apotex, aux paragraphes 87, 99 et 100).

ANALYSE ET DÉCISION

Norme de contrôle

[58]           D'une façon générale, les présents appels portent sur trois allégations distinctes d'absence d'utilité et sur une allégation d'insuffisance de la divulgation. Les allégations relatives à l'utilité soulèvent des questions distinctes d'interprétation des brevets et d'utilité démontrée ou prédite.

[59]           Les parties s'entendent pour dire que l'interprétation des brevets soulève une question de droit qui doit être examinée selon la norme de la décision correcte (Plavix CAF, au paragraphe 33; Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235, au paragraphe 8 (Housen)).

[60]           Cependant, la question de savoir si l'utilité, démontrée ou prédite, a été établie est une question de fait qui s'examine selon le critère de l'erreur manifeste et dominante (Novopharm Limited c. Pfizer Canada Inc., 2010 CAF 242, [2012] 2 R.C.F. 69 (Pfizer), aux paragraphes 91 à 93; Housen, au paragraphe 10). Enfin, vu que le caractère suffisant de la divulgation soulève une question mixte de fait et de droit, il s'examine par l'application de la norme de l'erreur manifeste et dominante, s'il n'y a pas d'erreur de droit isolable (Housen, aux paragraphes 36 et 37).

[61]           En plus d'alléguer que le juge de la Cour fédérale a commis une erreur dans son interprétation du brevet 576, les appelantes soutiennent également qu'il n'a pas respecté les principes de la courtoisie judiciaire et du stare decisis en n'adoptant pas l'interprétation donnée par le juge Hughes dans le jugement Novopharm CF et confirmée par notre Cour dans l'arrêt Novopharm CAF. De même, les appelantes soutiennent que le juge de la Cour fédérale a toléré de façon irrégulière un abus de procédure de la part de l'intimée, en lui permettant de plaider que la réduction des effets secondaires néfastes n'était pas une promesse alors que celle‑ci avait admis ce point dans l'affaire Novopharm CF.

[62]           La portée et l'application du principe du stare decisis est une question de droit à laquelle s'applique la norme de la décision correcte (Association des pilotes d'Air Canada c. Kelly, 2012 CAF 209, [2013] 1 R.C.F. 308, au paragraphe 40 (Kelly)). Quant à l'abus de procédure, la décision du juge de la Cour fédérale de permettre à l'intimée de soutenir que la réduction des effets secondaires ne constituait pas une promesse est de nature discrétionnaire et ne peut être annulée qu'en cas d'erreur de droit ou de principe, ou d'exercice erroné du pouvoir discrétionnaire pour ce qui est des facteurs pris en compte ou non pris en compte (Ramipril CAF, au paragraphe 13; Elders Grain Co. c. Ralph Misener (Le), 2005 CAF 139, [2005] 3 R.C.F. 367, au paragraphe 13).

Plan de l'analyse

[63]           Je me propose d'examiner ces questions sous les rubriques suivantes : l'utilité pour le traitement de l'inflammation chez les humains; l'utilité pour la réduction des effets secondaires; l'utilité pour la prévention du cancer colorectal; l'insuffisance de la divulgation; abus de procédure, stare decisis et courtoisie judiciaire. Avant d'examiner ces sujets, il convient d'analyser brièvement la démarche juridique exposée dans l'arrêt Plavix CAF et plus précisément, de déterminer si cet arrêt a modifié le droit, comme le soutient l'intimée.

[64]           Suivant la Loi, une invention doit être utile pour mériter d'être protégée (article 2). Les tribunaux reconnaissent cependant depuis longtemps que les exigences minimales en matière d'utilité au sens de la Loi sont assez souples. Premièrement, il n'est pas nécessaire que l'inventeur expose l'utilité de l'invention dans le brevet (Consolboard Inc. c. MacMillan Bloedel (Saskatchewan) Ltd., [1981] 1 R.C.S. 504, aux pages 525 et 526 (Consolboard). Tout ce qu'exigent les tribunaux, lorsque l'inventeur doit prouver l'utilité de son invention, est que celui‑ci puisse établir que l'utilité était démontrée ou valablement prédite au moment de la date de dépôt du brevet (AZT). Deuxièmement, le seuil à franchir pour établir l'utilité est en général peu élevé, puisqu'on dit que « la moindre parcelle d'utilité » suffit (Olanzapine).

[65]           Les règles en matière de promesse constituent une exception aux exigences légales minimales susmentionnées. L'inventeur n'est pas tenu de décrire l'utilité particulière de son invention, mais celui qui promet expressément un résultat précis devra respecter cette promesse lorsqu'il devra établir l'utilité (Plavix CAF, aux paragraphes 48 et 49). Le fait que l'invention ait respecté le seuil de la moindre parcelle d'utilité n'est d'aucun secours pour établir son utilité lorsqu'une promesse, une fois faite, ne peut être remplie (Plavix CAF, au paragraphe 54).

[66]           Les règles en matière de promesse exigent que l'inventeur respecte une norme élevée uniquement lorsque cette promesse a été faite de façon claire et non ambiguë. Lorsque la validité d'un brevet est contestée au motif que la promesse n'a pas été respectée, le brevet sera interprété en faveur du titulaire du brevet lorsque la personne versée dans l'art pourrait raisonnablement comprendre que le brevet ne contient pas cette promesse. On peut faire remonter cette approche aux premières mentions des règles en matière de promesse. Dans l'arrêt Consolboard, la source de ces règles en droit canadien, la Cour suprême du Canada a répété le principe bien établi qui suit (Consolboard, à la page 521, citant l'arrêt Western Electric Company, Incorporated, et Northern Electric Company c. Baldwin International Radio of Canada, [1934] R.C.S. 570, à la page 574) :

[TRADUCTION] [...] quand le texte du mémoire descriptif, interprété de façon raisonnable, peut se lire de façon à accorder à l'inventeur l'exclusivité de ce qu'il a inventé de bonne foi, la Cour, en règle générale, cherche à mettre cette interprétation à effet.

[67]           La règle qui favorise la confirmation de la validité d'une invention au lieu de son annulation en cas d'ambiguïté a été régulièrement appliquée par notre Cour. Ce principe est parfois invoqué en faisant référence au texte d'origine dans l'arrêt Consolboard (Anastrozole, aux paragraphes 17 et 19, confirmant AstraZeneca Canada Inc. c. Mylan Pharmaceuticals ULC, 2011 CF 1023, [2011] A.C.F. no 1262 (QL), au paragraphe 88), mais il est souvent donné effet à cette règle en exigeant que la promesse soit « explicite » (voir Olanzapine, au paragraphe 76, Eli Lilly and Company c. Teva Canada Limited, 2011 CAF 220, [2011] A.C.F. no 1028 (QL), aux paragraphes 18 à 21 (Atomoxétine), Plavix CAF, au paragraphe 49). En établissant une analogie avec le critère applicable aux brevets de sélection, la Cour a affirmé dans l'arrêt Plavix CAF que le libellé de la promesse explicite doit être « au moins aussi clair et précis que celui qui a été employé pour établir les avantages de la sélection par rapport aux composés du brevet de genre » (Plavix CAF, au paragraphe 66). Il en résulte qu'il ne suffit pas de qualifier la promesse d'« explicite » si cette promesse ne peut être étayée que par des déductions équivoques ou des indications ambiguës (Plavix CAF, aux paragraphes 64 à 66).

[68]           Il ressort clairement de ce qui précède que l'arrêt Plavix CAF ne fait qu'appliquer une démarche juridique bien établie à un nouvel ensemble de faits. Contrairement à ce que soutient l'intimée, cet arrêt n'a pas modifié le droit.

[69]           J'en arrive maintenant à la question de savoir si le juge de la Cour fédérale a bien interprété le brevet 576 lorsqu'il a conclu qu'il ne contenait pas de promesse selon laquelle le célécoxib serait utile pour traiter l'inflammation chez les humains.

L'utilité pour le traitement de l'inflammation chez les humains

[70]           Apotex va encore plus loin en soutenant non seulement que le brevet 576 promettait une utilité pour le traitement de l'inflammation, mais que cette promesse s'appliquait aux humains. L'élément essentiel de l'argument d'Apotex est que, lorsqu'un brevet [TRADUCTION] « revendique » un usage particulier, il serait inconcevable d'interpréter le brevet comme s'il ne contenait pas une promesse concernant cet usage (mémoire d'Apotex, au paragraphe 67). Le seul jugement cité à l'appui de cette affirmation catégorique est Bauer CF. Dans cette affaire, la juge Gauthier, siégeant en première instance, a affirmé ce qui suit (au paragraphe 289) :

Il est de droit constant que les résultats et avantages inclus dans les revendications doivent se concrétiser. De même, dans le cas de brevets de sélection où les avantages décrits constituent véritablement le fondement sur lequel le breveté se voit accorder le droit de monopoliser une substance ou un produit déjà compris dans un brevet antérieur à titre de partie intégrante d'un groupe plus vaste de substances ou de produits, l'inventeur sera tenu de réaliser sa promesse (Ratiopharm Inc. c. Pfizer Ltd., 2009 CF 711, 76 C.P.R. (4th) 241, 350 F.T.R. 250 (Pfizer (2009)).

[71]           Ce passage n'étaye pas l'affirmation générale d'Apotex. À mon avis, la juge Gauthier (maintenant juge à la Cour d'appel) disait simplement que, lorsque les revendications d'un brevet mentionnent un résultat ou un avantage, cette mention serait généralement considérée comme une promesse d'utilité. Mon interprétation est tout à fait conforme à l'avertissement qu'a lancé le juge Zinn dans le jugement Fournier, au paragraphe 126, selon lequel les affirmations concernant l'utilité risquent particulièrement d'être interprétées comme des promesses lorsqu'elles sont énoncées dans les revendications d'un brevet. Apotex n'a pas démontré que les revendications du brevet 576 décrivaient un usage chez les humains à titre d'avantage particulier des composés revendiqués.

[72]           Lorsqu'on examine le brevet 576 conformément à la démarche exposée dans l'arrêt Plavix CAF, il apparaît clairement qu'aucune promesse explicite de traitement chez les humains n'a été faite. Apotex reconnaît elle-même que les revendications parlent uniquement de « sujets », et il n'existe aucune affirmation ne figurant pas dans les revendications dont on pourrait dire qu'elle contient les termes non équivoques envisagés par le raisonnement tenu dans l'arrêt Plavix CAF. À mon avis, le juge de la Cour fédérale a eu raison de conclure que la promesse contenue dans le brevet ne s'appliquait pas aux humains.

[73]           La conclusion ci‑dessus prive de pertinence la question de savoir si, comme Apotex l'allègue, le juge de la Cour fédérale a tiré la conclusion de fait selon laquelle le traitement chez les humains avait été démontré ou valablement prédit. Je conviens toutefois avec l'intimée que, selon une lecture raisonnable du passage pertinent (jugement Apotex, au paragraphe 17), il semble clair que le juge ne faisait que décrire la position d'Apotex dans l'affaire dont il était saisi.

L'utilité pour la réduction des effets secondaires

[74]           Dans le jugement Mylan, le juge de la Cour fédérale a commencé son analyse de la promesse contenue dans le brevet 576 en examinant de façon détaillée les témoignages des experts (jugement Mylan, aux paragraphes 52 à 59). Il a ensuite interprété la promesse en se fondant sur les termes utilisés dans le brevet, en les analysant du point de vue de la personne versée dans l'art conformément à l'approche exposée dans l'arrêt Plavix CAF (jugement Mylan, aux paragraphes 60 à 71). Il a réaffirmé cette analyse dans le jugement Apotex (jugement Apotex, aux paragraphes 30 et 35). Il a également écarté les tentatives faites par Apotex pour établir dans les termes utilisés dans la divulgation une distinction entre les effets secondaires néfastes et les effets secondaires courants, et a conclu qu'aucun des experts n'avait interprété le brevet de cette façon (jugement Apotex, aux paragraphes 32 et 33).

[75]           Mylan souhaite établir une distinction entre la présente espèce et les arrêts Plavix CAF et Anastrozole, et fait valoir que le brevet 576 [TRADUCTION] « ressemble davantage sur le plan qualitatif » à ceux dont il s'agissait dans les arrêts Olanzapine et Latanoprost (mémoire de Mylan, au paragraphe 60). Mylan ne fournit toutefois aucun argument pour étayer cette affirmation.

[76]           L'argument de Mylan selon lequel le juge de la Cour fédérale n'a pas analysé le témoignage des experts, mais s'est contenté [TRADUCTION] « de reprendre et de souscrire en général » aux affirmations de M. Young (l'expert de l'intimée) n'est pas convaincant. Cette contestation repose uniquement sur un certain nombre de déclarations faites par l'expert en question confirmant que les chercheurs dans le domaine des AINS étaient, au moment de la date du dépôt de la demande, principalement intéressés par la réduction des effets secondaires grâce au mécanisme sélectif à l'égard de la COX. Comme le juge de la Cour fédérale le fait toutefois remarquer, les différents buts des recherches ne constituent pas tous le fondement de l'utilité promise par un brevet subséquent et ces déclarations ne portaient simplement que sur des buts (jugement Mylan, au paragraphe 68, citant l'arrêt Plavix CAF).

[77]           Les appelantes soutiennent que le juge de la Cour fédérale a commis une erreur lorsqu'il a jugé qu'une promesse doit être énoncée explicitement dans les revendications du brevet. Elles affirment qu'une promesse peut également figurer dans le mémoire descriptif, pourvu que les termes en soient clairs et explicites (mémoire d'Apotex, au paragraphe 85, citant le jugement Fournier). Cela est incontestable. J'estime toutefois que dans ses motifs, le juge de la Cour fédérale a simplement reconnu le principe selon lequel les déclarations ne figurant pas dans la revendication ne devraient pas être réputées des promesses (jugement Mylan, au paragraphe 70; jugement Apotex, au paragraphe 36). Je ne vois aucune erreur sur ce point.

[78]           Mylan soutient également que, même si la promesse du brevet 576 est interprétée comme excluant la réduction des effets secondaires, elle doit néanmoins être interprétée comme si elle comprenait une sélectivité renforcée à la COX‑2 [TRADUCTION] « qui est nettement plus élevée » que celle des AINS existants, étant donné que le juge de la Cour fédérale [TRADUCTION] « semble l'avoir admis » dans le jugement Apotex (mémoire de Mylan, au paragraphe 85, citant le jugement Apotex, aux paragraphes 38 à 42, 59 et 62).

[79]           Cet argument soulève un certain nombre de problèmes. Sur le plan procédural, il ne semble pas avoir été mentionné dans l'avis d'allégation de Mylan. Il semble également que le juge de la Cour fédéral ait été dessaisi de l'affaire au moment où il a fait ces commentaires, si son intention véritable était bien de corriger sa décision antérieure. Surtout, les passages cités par Mylan n'appuient pas cette interprétation. Dans la première série de paragraphes, le juge de la Cour fédérale ne fait que résumer une jurisprudence anglaise invoquée par Apotex, et refuse de l'appliquer en raison des différences existant entre le droit des brevets anglais et canadien (jugement Apotex, aux paragraphes 38 à 40). Les autres paragraphes traitent effectivement des propriétés sélectives à l'égard de la COX‑2, mais le juge de la Cour fédérale fait simplement référence au même niveau absolu de sélectivité que le juge Hughes avait déclaré établi (jugement Apotex, aux paragraphes 41, 42, 59 et 62). Rien n'indique que le juge ait conclu à l'existence d'une promesse à l'égard d'un certain niveau de sélectivité renforcée.

[80]           Les deux arguments avancés uniquement par Apotex au sujet de l'absence d'utilité pour la réduction des effets secondaires doivent également être rejetés.

[81]           Premièrement, Apotex reprend devant nous l'argument qui avait été présenté au juge de la Cour fédérale, qui ne l'a pas retenu, selon lequel le mémoire descriptif promettait clairement une réduction des effets secondaires néfastes tout en étant ambigu pour ce qui est des effets secondaires courants. Apotex s'oppose à la décision du juge de la Cour fédérale de rejeter ce point de vue principalement parce qu'en décidant ainsi, le juge a renoncé à son rôle et adopté aveuglément l'opinion de l'expert de l'intimée (mémoire d'Apotex, au paragraphe 83).

[82]           Je ferai tout d'abord remarquer que les motifs n'indiquent aucunement que le juge de la Cour fédérale ait estimé que le point de vue des experts l'emportait sur son propre point de vue. Il s'est plutôt simplement fondé sur leurs opinions pour conforter la sienne (jugement Apotex, au paragraphe 33). En outre, son opinion selon laquelle aucun des experts n'a adopté l'interprétation préconisée par Apotex est fondée. Apotex a certes fait de multiples références aux témoignages des experts qui appuieraient, d'après elle, une interprétation reconnaissant des effets secondaires distincts, mais cela ne lui est d'aucun secours pour démontrer le bien‑fondé de ses arguments. Par exemple, pour appuyer son opinion selon laquelle l'affirmation moins ambiguë au sujet des effets secondaires aurait été interprétée par la personne versée dans l'art comme faisant uniquement référence aux effets secondaires néfastes, Apotex fait référence au fait que M. Flower a mentionné [TRADUCTION] « des effets secondaires graves ». Dans le passage en question, M. Flower exprime simplement son opinion selon laquelle [TRADUCTION] « des effets secondaires beaucoup moins néfastes » devraient normalement comprendre ces effets secondaires graves (dossier d'appel d'Apotex, vol. 19, à la page 5391). C'est là une des références les plus solides qu'ait citées Apotex.

[83]           De plus, Apotex soutient que la déclaration moins ambiguë au sujet des effets secondaires promettait une réduction des effets secondaires avec les composés inventés par rapport aux composés existants, tandis que la déclaration plus ambiguë au sujet des effets secondaires n'exprimait un doute que sur la question de savoir si la sélectivité relative à l'égard de la COX‑2 parmi les composés inventés pourrait avoir une corrélation avec la réduction relative des effets secondaires (mémoire d'Apotex, aux paragraphes 78 et 79).

[84]           Cet argument ne peut non plus être retenu, étant donné qu'Apotex n'a pas tenté de démontrer que son interprétation était appuyée par un témoignage d'expert. Cet argument illustre le genre d'utilisation de la divulgation que notre Cour comparait à « un cheval partant à l'aventure, la bride sur le cou » et condamnait dans l'arrêt Donépézil CAF (au paragraphe 57).

L'utilité pour la prévention du cancer colorectal

[85]           Dans les observations qu'elles ont fournies par écrit et de vive voix, les parties n'ont pas accordé beaucoup d'attention à cette question. La principale question en litige est celle de savoir si, selon le droit, toute promesse figurant dans un brevet doit être interprétée comme si elle s'appliquait à l'ensemble de l'invention et à toutes les revendications du brevet. Si j'ai bien compris l'argument, la validité d'un brevet contenant une promesse non réalisée ne peut être confirmée en retirant la promesse du brevet et en appliquant l'article 58 de la Loi sur les brevets.

[86]           En fait, Apotex soutient que toute promesse doit être interprétée comme étant générale et qu'étant donné que l'intimée n'a pas réfuté l'allégation d'Apotex selon laquelle la promesse de prévenir le cancer colorectal n'avait été ni démontrée ni valablement prédite à la date du dépôt de la demande, la validité de l'ensemble du brevet est compromise. De son côté, l'intimée soutient que les promesses ne doivent pas nécessairement toutes être interprétées comme étant de nature générale et que la promesse de prévenir le cancer colorectal se limitait à la revendication 16 du brevet 576.

[87]           L'examen de la jurisprudence révèle qu'aucun jugement n'étaye l'affirmation d'Apotex. Aucun des jugements cités par Apotex ne permet d'affirmer qu'une promesse, une fois qu'elle est faite et qu'il a été établi qu'elle n'a pas été remplie, doit invalider l'invention dans sa totalité. Parmi les huit affaires citées aux paragraphes 54 et 55 du mémoire des faits et du droit d'Apotex, deux d'entre elles seulement peuvent être considérées comme si elles concernaient la possibilité qu'une promesse donnée s'applique à différentes revendications du brevet où elle est mentionnée (Sanofi et New Process Screw). De plus, chacune de ces affaires illustre tout au plus qu'il est possible d'interpréter une promesse de façon à ce qu'elle s'applique à chacune des revendications d'un brevet (voir Sanofi, aux paragraphes 119 à 124, ou New Process Screw, aux paragraphes 45 et 46). Dans chacun de ces jugements, le tribunal s'est contenté d'interpréter la promesse et n'a pas énoncé de règle générale de droit sur ce point. La thèse de l'intimée, à savoir que certaines promesses doivent être interprétées comme si elles visaient uniquement un sous‑ensemble de revendications, n'est donc pas incompatible avec les affaires citées par Apotex, dans lesquelles les promesses n'avaient pas une portée aussi étroite.

[88]           L'intimée cite des jugements qui étayent de manière convaincante son argument subsidiaire, dans lesquels l'utilité promise est effectivement interprétée de façon plus étroite. Un jugement de la juge Snider présente un intérêt particulier pour la présente affaire, parce que la juge y a expressément fait une distinction entre les revendications relatives à un composé et les revendications touchant ses usages, et elle a jugé que ces dernières « concernent l'usage de [ces composés revendiqués] pour traiter certaines maladies, et leur utilité devrait être évaluée sur ce fondement » (Imatinib, au paragraphe 177). Il s'agit d'une question d'interprétation des brevets et la thèse de l'intimée reflète, à mon avis, la démarche appropriée.

[89]           Je conviens que certaines promesses peuvent avoir pour effet d'imposer des exigences en matière d'utilité à chacune des revendications d'un brevet, mais Apotex n'a présenté aucun motif d'écarter la décision du juge de la Cour fédérale selon laquelle la promesse relative à la prévention du cancer colorectal, si elle existe, peut être scindée. Sa décision d'appliquer l'article 58 de la Loi figure dans la section de ses motifs qui traite du caractère suffisant de la divulgation, mais cela n'a pas pour effet d'affaiblir la force de son raisonnement sur ce point.

L'insuffisance de la divulgation

[90]           Suivant l'argument central d'Apotex, l'intimée a dissimulé sa « véritable invention » parmi un groupe de composés dont elle savait qu'ils n'étaient pas utiles. En particulier, il était connu que le composé mentionné dans la revendication 5 était toxique et l'utilité pour les chiens du composé mentionné dans la revendication 6 n'a été découverte qu'après la date de dépôt de la demande.

[91]           Je conviens avec l'intimée que cet argument est venu après coup, à la suite de l'arrêt Teva de la Cour suprême : Apotex ne mentionne pas cette thèse dans son avis d'allégation. L'allégation d'insuffisance d'Apotex, telle qu'elle figure dans son avis d'allégation, est fondée uniquement sur les questions reliées aux éléments de comparaison (dossier d'appel d'Apotex, vol. 1, à la page 98). Il est allégué que l'intimée n'a pas clairement identifié les médicaments que son invention aurait améliorés ni précisé quels seraient les effets secondaires particuliers qui devraient être examinés pour constater l'amélioration.

[92]           Notre Cour reconnaît depuis longtemps que le paragraphe 5(3) du Règlement interdit à une seconde personne de s'opposer à une demande d'interdiction en invoquant des faits et des points de droit qui ne sont pas exposés dans son avis d'allégation (AB Hassle c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien‑être social), 2000 CanLII 15586, [2000] A.C.F. no 855 (QL), aux paragraphes 21 à 24; Compagnie pharmaceutique Proctor & Gamble Canada c. Canada (Ministre de la Santé), 2002 CAF 290, [2003] 1 C.F. 402, aux paragraphes 21 à 24). Fait très important à souligner, aucun des arguments fondés sur l'insuffisance présentés devant cette Cour ne figurait dans l'avis d'allégation d'Apotex et aucun des arguments fondés sur l'insuffisance figurant dans son avis d'allégation n'a été débattu en l'espèce. Apotex n'a donc présenté devant nous aucun argument légitime du point de vue de la procédure qui appuierait son allégation d'insuffisance.

Abus de procédure, stare decisis et courtoisie judiciaire

[93]           Bien que les arguments et analyses concernant les principes de l'abus de procédure, de stare decisis et de courtoisie judiciaire ont été combinés par les parties et par le juge de la Cour fédérale, il importe de souligner qu'il s'agit de principes distincts qui commandent des analyses distinctes (voir Allergan, au paragraphe 39). Je commencerai par examiner l'abus de procédure.

Abus de procédure

[94]           Les appelantes ont fait valoir, devant le juge de la Cour fédérale, que le fait pour l'intimée de contester la promesse de réduire les effets secondaires contenue dans le brevet 576 constitue un abus de procédure, étant donné qu'elle avait concédé devant le juge Hughes dans l'affaire Novopharm CF que la réduction des effets secondaires était un élément essentiel à l'utilité de l'invention revendiquée.

[95]           Le juge de la Cour fédérale a rejeté cet argument dans les deux affaires. Dans le jugement Mylan, il a déclaré : « [l'intimée] n'est pas liée par une concession faite dans le cadre d'une autre instance relative à un avis de conformité » (jugement Mylan, au paragraphe 78). Dans le jugement Apotex, il en est arrivé à la même conclusion, soulignant le défaut d'Apotex de citer « un seul cas dans lequel une « concession » ou un « aveu » fait dans une action in personam s'applique à une autre » (jugement Apotex, au paragraphe 61).

[96]           Ainsi que nous l'avons vu ci‑dessus, la décision du juge de la Cour fédérale d'autoriser l'intimée à soutenir qu'aucune promesse n'avait été faite au sujet des effets secondaires était de nature discrétionnaire et ne peut être infirmée par notre Cour que s'il l'avait fondée sur un mauvais principe ou s'il avait exercé de façon erronée son pouvoir discrétionnaire.

[97]           Devant notre Cour, c'est principalement Apotex qui souhaite faire annuler la décision du juge de la Cour fédérale au motif qu'il n'aurait pas donné effet à la règle de l'abus de procédure. Bien que Mylan soulève cet argument dans son avis d'appel, l'argument n'est pas énoncé de façon détaillée dans son mémoire des faits et du droit. Mylan soutient par contre que le juge de la Cour fédérale a accordé trop d'importance à cette question au détriment du principe du stare decisis (mémoire de Mylan, au paragraphe 44).

[98]           De son côté, Apotex invoque trois arguments distincts, mais connexes, pour contester la décision du juge de la Cour fédérale sur l'abus de procédure. Premièrement, Apotex soutient qu'un titulaire de brevet ne peut [TRADUCTION] « étoffer l'« idée originale » pour soutenir la non‑évidence et donner ensuite une interprétation restrictive à l'utilité promise » (mémoire d'Apotex, au paragraphe 93, citant les jugements Hoffman‑La Roche c. Apotex, 2011 CF 875 (Mycophénolate CF), Allergan, Plavix CAF et Olanzapine). Deuxièmement, Apotex soutient qu'un innovateur comme l'intimée ne peut [TRADUCTION] « accepter et refuser en même temps, en prenant des positions fondamentalement incompatibles dans des instances différentes dans lesquelles le Règlement est invoqué à l'égard du même brevet » (mémoire d'Apotex, au paragraphe 89, citant le jugement Oméprazole CF, aux paragraphes 137 et 138). Troisièmement, Apotex soutient qu'un innovateur ne peut « débattre à nouveau une question déjà tranchée dans une instance à laquelle il était partie, en s'appuyant sur des éléments de preuve additionnels qu'il avait décidé de ne pas produire à l'instance antérieure » (mémoire d'Apotex, au paragraphe 88, citant l'arrêt Ramipril CAF, au paragraphe 50).

[99]           Le premier argument d'Apotex ne traite pas des motifs du juge de la Cour fédérale justifiant son refus, étant donné que ce point de vue, tel qu'il est formulé, ne s'appliquerait pas à une autre instance. En fait, le seul jugement invoqué où la Cour a effectivement appliqué ce point de vue a été rendu dans une instance unique (voir Mycophénolate CF). Le juge de la Cour fédérale a signalé qu'aucun jugement ne lui avait été présenté indiquant que l'on pouvait appliquer dans une affaire in personam une concession faite dans une autre instance. Aucune des affaires citées par Apotex à l'appui de son argument concernant l'idée originale ne réfute cette objection. Le premier argument d'Apotex ne démontre donc pas que le juge de la Cour fédérale a exercé de façon erronée son pouvoir discrétionnaire.

[100]       Le deuxième argument d'Apotex va au‑delà de cette limite. Apotex soutient qu'un innovateur ne peut changer sa position dans une autre instance relative à un avis de conformité pour le même brevet. Or, le jugement Oméprazole CF est le seul qu'elle cite à l'appui de son argument mais, à mon avis, il ne s'agit pas d'une affaire dont la portée est aussi large.

[101]       Dans cette affaire, Apotex avait invoqué avec succès l'abus de procédure alors qu'elle tentait d'obtenir des dommages‑intérêts dans une demande présentée contre AstraZeneca sur le fondement de l'article 8 du Règlement. Plusieurs années plus tôt, Apotex avait demandé un avis de conformité pour commercialiser des gélules d'oméprazole, ce qui l'avait obligée à signifier à AstraZeneca un avis d'allégation concernant le brevet canadien no 2 133 762 de cette dernière. En réponse, AstraZeneca avait demandé que soit interdite la délivrance d'un avis de conformité à Apotex avant l'expiration du brevet. Le juge O'Keefe ayant rejeté la demande d'interdiction présentée par AstraZeneca (AstraZeneca AB c. Apotex Inc., 2004 CF 313), Apotex a demandé des dommages‑intérêts sur le fondement de l'article 8 (Oméprazole CF).

[102]       Lorsque AstraZeneca a soutenu dans cette instance ultérieure qu'Apotex ne pouvait être considérée comme une « seconde personne » au sens du Règlement, le juge Hughes a conclu à un abus de procédure. Il a appuyé sa conclusion sur le fait que la demande initiale d'AstraZeneca et la suspension de la délivrance d'un avis de conformité à Apotex qui en avait résulté étaient fondées sur l'argument qu'Apotex était une seconde personne au sens du Règlement (Oméprazole CF, au paragraphe 138). L'innovateur ne peut être autorisé à adopter une position pour bénéficier de la suspension et ensuite abandonner cette position lorsque le fabricant de médicaments génériques demande à être indemnisé pour le préjudice subi à cause de cette suspension.

[103]       Pour préciser la portée du principe appliqué dans le jugement Oméprazole CF, il convient de prendre en compte la double nature d'une demande d'interdiction rejetée et d'une demande postérieure de dommages-intérêts fondée sur l'article 8. Les instances sont en principe distinctes, mais la seconde constitue le recours intenté par le fabricant de médicaments génériques pour les pertes subies en raison de la première. Les instances concernent les mêmes parties et leurs issues tranchent le même litige sous‑jacent. En fait, il n'est pas anodin que le juge Hughes ait également interdit à AstraZeneca d'adopter cette position sur le deuxième moyen d'irrecevabilité pour identité des questions en litige, principe qui s'applique uniquement lorsque la même question a été tranchée de façon définitive entre les mêmes parties ou leurs ayants droit (Oméprazole CF, aux paragraphes 130 à 135).

[104]       J'admets qu'il peut y avoir des cas où une concession faite dans une instance présentée en vertu du Règlement est considérée comme liant la partie qui l'a faite dans une autre instance mettant en cause une autre partie. Il n'existe toutefois aucun précédent sur ce point, et il n'a pas été démontré que le juge de la Cour fédérale a commis une erreur de principe en exerçant son pouvoir discrétionnaire et en décidant de ne pas appliquer le jugement Oméprazole CF en faveur des appelantes.

[105]       Le troisième argument d'Apotex est fondé sur l'arrêt Ramipril CAF. Dans cette affaire, la Cour a conclu à l'existence d'un abus de procédure parce que l'innovateur tentait de débattre à nouveau dans une instance relative à un avis de conformité une question qui avait été tranchée contre lui dans une instance antérieure relative à un avis de conformité. Plus précisément, il a été interdit à l'innovateur de se fonder sur des éléments de preuve qu'il aurait pu présenter dans l'instance précédente, mais qui n'ont pas été présentés. Le juge de première instance dans cette affaire avait fait droit à la requête présentée par le fabricant de médicaments génériques en radiation de la demande d'interdiction de l'innovateur, au motif qu'étant donné la décision prise dans l'instance antérieure, il était clair et manifeste que la demande de l'innovateur ne pouvait être accueillie (Ramipril CAF, au paragraphe 29).

[106]       En appel, notre Cour est intervenue, étant donné que la décision relative à cette question portait sur les faits et qu'elle n'aurait donc pas lié le décideur dans la seconde instance (Ramipril CAF, aux paragraphes 30 et 31). La Cour a néanmoins conclu à l'existence d'un abus de procédure, étant donné que l'innovateur voulait se fonder sur des éléments de preuve additionnels qu'il aurait pu présenter dans l'instance antérieure (Ramipril CAF, au paragraphe 47). Si l'innovateur n'était pas tenu de présenter ses « meilleurs arguments » en réponse à la série initiale d'allégations, le caractère définitif et uniforme du processus décisionnel judiciaire en serait compromis, ce qui saperait par conséquent la crédibilité du processus décisionnel (Ramipril CAF, aux paragraphes 35, 36 et 47).

[107]       La présente espèce porte sur des faits différents. Premièrement, l'intimée en l'espèce a obtenu gain de cause dans le litige qui a été tranché dans l'instance antérieure. On demande donc à notre Cour d'appliquer un jugement qui vise la finalité et l'uniformité pour favoriser une conclusion différente de celle qui a été tirée dans l'arrêt Novopharm CAF. Deuxièmement, le principal abus que dénonce Apotex en l'espèce n'est pas qu'on ait tenté de se fonder sur des éléments de preuve additionnels, mais plutôt que l'intimée ait refusé d'accepter une concession faite précédemment. Rien dans l'arrêt Ramipril CAF ni dans les jugements subséquents cités par Apotex à l'appui de son troisième argument ne vient étayer l'idée que changer de position d'une instance à l'autre constitue un abus de procédure.

[108]       En l'espèce, le juge de la Cour fédérale a exercé son pouvoir discrétionnaire de permettre à l'intimée d'adopter une position conforme au droit plutôt que de l'obliger à respecter une concession antérieure qu'il estimait ne pas être conforme au droit. Je ne vois là aucune erreur dans l'exercice de ce pouvoir discrétionnaire.

Stare decisis et courtoisie judiciaire

[109]       Pour ce qui est du principe du stare decisis, les appelantes soutenaient devant le juge de la Cour fédérale que celui-ci était tenu de suivre l'interprétation du brevet 576 donnée par le juge Hughes dans le jugement Novopharm CF que notre Cour a confirmée dans l'arrêt Novopharm CAF. Le juge de la Cour fédérale était donc tenu, en droit, de conclure que la réduction des effets secondaires était un élément essentiel de l'utilité de l'invention revendiquée.

[110]       Le juge de la Cour fédérale a rejeté cet argument dans les deux affaires. Dans le jugement Mylan, il a conclu qu'il aurait été lié par le jugement Novopharm CF rendu par le juge Hughes par application du principe du stare decisis si ce jugement « concernait l'interprétation du brevet », étant donné qu'il s'agit d'une question de droit (jugement Mylan, au paragraphe 78, citant le jugement Apotex Inc. c. Pfizer Ireland Pharmaceuticals, 2012 CF 1339). Étant donné que l'utilité démontrée est une question de fait, il a jugé qu'il n'était pas lié par ce jugement (jugement Mylan, au paragraphe 78). Dans le jugement Apotex, il semble avoir écarté l'argument fondé sur le principe du stare decisis au motif que, même s'il avait appliqué l'interprétation donnée dans le jugement Novopharm CF, cette interprétation ne s'appliquait pas à la réduction des effets secondaires chez l'humain (jugement Apotex, au paragraphe 62).

[111]       Devant notre Cour, c'est principalement Mylan qui allègue, à titre de moyen d'appel, que le juge de la Cour fédérale n'a pas appliqué le principe du stare decisis. Il est vrai qu'Apotex a soulevé ce moyen brièvement dans son mémoire des faits et du droit, mais ses arguments en faveur de l'application de l'interprétation du juge Hughes sont pour le reste entièrement fondés sur le principe de l'abus de procédure (mémoire d'Apotex, au paragraphe 97). Enfin et surtout, le principe du stare decisis n'est pas un moyen allégué dans l'avis d'appel d'Apotex.

[112]       Mylan formule son argument relatif au principe du stare decisis selon deux points de vue différents. Un tribunal peut être tenu d'appliquer les conclusions de droit d'un tribunal d'instance supérieure, mais il doit également tenir compte des conclusions de droit tirées par les juges du même ordre que lui — c.‑à‑d. la courtoisie judiciaire ou [TRADUCTION] « le stare decisis horizontal » (mémoire de Mylan, au paragraphe 38). Mylan reconnaît que le principe de la courtoisie judiciaire est d'application limitée dans les instances intentées en vertu du Règlement, où les différences qui existent entre les allégations et les preuves peuvent entraîner des conclusions divergentes (mémoire de Mylan, au paragraphe 40). Elle soutient toutefois qu'un juge de la Cour fédérale ne peut écarter une interprétation antérieure rendue par un autre juge de la même Cour au sujet d'un brevet donné que lorsqu'il [TRADUCTION] « est convaincu qu'il est nécessaire de le faire et qu'il peut énoncer des motifs convaincants à l'appui » (mémoire de Mylan, au paragraphe 43, citant l'arrêt Allergan, aux paragraphes 48 et 51).

[113]       Le juge de la Cour fédérale était donc tenu, par courtoisie judiciaire, d'appliquer l'interprétation du brevet 576 donnée dans le jugement Novopharm CF à moins qu'il puisse énoncer un motif légitime pour ne pas le faire. Après le prononcé de l'arrêt Novopharm CAF, il était également tenu d'appliquer cette interprétation en raison de l'effet vertical du principe du stare decisis, étant donné que cette interprétation n'avait pas été modifiée en appel par notre Cour.

[114]       Le principe du stare decisis exige que « les jugements des tribunaux judiciaires se conforment à la jurisprudence des tribunaux d'instance supérieure » (Kelly, au paragraphe 54, citant l'arrêt Canada (Procureur général) c. Bedford, 2012 ONCA 186 (Bedford C.A. Ont.), au paragraphe 56). Le principe n'a toutefois pas une portée illimitée et ce ne sont pas tous les énoncés figurant dans un jugement donné qui lient les tribunaux d'instance inférieure. Pour déterminer si un passage donné fait autorité, il faut se demander « Quelles questions ont effectivement été tranchées? » (R. c. Henry, 2005 CSC 76, [2005] 3 R.C.S. 609, au paragraphe 57 (Henry)). À tout le moins, un jugement d'appel fait autorité à l'égard de sa propre ratio decidendi, ou à l'égard du « raisonnement [...] qui a permis à la Cour d'aboutir à une conclusion à l'égard des questions qu'elle était appelée à trancher » (Kelly, aux paragraphes 54 et 55, citant l'arrêt Bedford C.A. Ont.). L'autorité accordée aux autres remarques incidentes varie puisqu'elles peuvent fixer des balises ou se vouloir simplement utiles (Henry, au paragraphe 57).

[115]       Par contre, le principe de la courtoisie judiciaire ou du stare decisis horizontal n'est pas impératif. Mylan invoque l'arrêt Allergan pour affirmer qu'un juge de la Cour fédérale doit fournir des justifications pour adopter une interprétation d'un brevet qui diffère de l'interprétation antérieure donnée par un confrère. Cette décision ne va pas aussi loin. En fait, notre Cour a signalé l'incertitude qui est créée lorsque deux juges de la même Cour en arrivent à des résultats différents sur la même question de droit sans fournir d'explication. Il demeure que, comme l'indique l'arrêt Allergan, la seule chose qu'une juridiction d'appel puisse faire lorsque cela se produit est d'éliminer l'incertitude en tranchant la question de droit (Allergan, au paragraphe 53). L'omission de la part d'un juge de respecter la courtoisie judiciaire n'est pas sanctionnée juridiquement.

[116]       Il en résulte que, si je conviens que la justification présentée par le juge de la Cour fédérale dans le jugement Mylan est insuffisante (voir le paragraphe 110 ci‑dessus), cela n'a aucune incidence sur l'issue du présent appel.

[117]       Quant à l'arrêt Novopharm CAF, la question centrale est la suivante : « Quelles questions ont effectivement été tranchées? » L'arrêt Novopharm CAF n'a pas décidé que la réduction des effets secondaires était un élément essentiel de l'utilité de l'invention revendiquée dans le brevet 576. Dans cette affaire, la Cour examinait plutôt deux points précis, à savoir la date exacte de la revendication de la demande pour le brevet 576 et la question de savoir si l'une des appelantes pouvait invoquer une disposition légale excluant la prise en compte de certaines divulgations publiques pour trancher la question de l'évidence. La question de savoir si l'utilité du brevet 576 comprenait la réduction des effets secondaires n'est pas une question qui a été analysée par la Cour.

[118]       Le juge de la Cour fédérale n'a pas été convaincu par l'interprétation donnée dans le jugement Novopharm CF, et rien dans l'arrêt Novopharm CAF ne l'obligeait à se prononcer différemment.

DÉCISION

[119]       Pour les motifs ci-dessus, je rejetterais les deux appels avec dépens dans chacun des dossiers.

« Marc Noël »

Juge en chef

« Je suis d'accord.

Johanne Trudel, j.c.a. »

« Je suis d'accord.

Richard Boivin, j.c.a. »

Traduction


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

A-194-14

 

INTITULÉ :

APOTEX INC. c. PFIZER CANADA INC. et G.D. SEARLE & CO.

 

ET DOSSIER :

A-94-14

 

INTITULÉ :

MYLAN PHARMACEUTICALS ULC c. PFIZER CANADA INC. et G.D. SEARLE & CO.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 30 septembre 2014

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE EN CHEF NOËL

 

 

Y ONT SOUSCRIT :

LA JUGE TRUDEL

LE JUGE BOIVIN

 

 

DATE DES MOTIFS :

LE 30 octobre 2014

 

 

COMPARUTIONS :

Andrew Brodkin

Jaro Mazzola

Pour l'appelante

APOTEX INC.

Tim Gilbert

Nathaniel Lipkus

Matthew Frontini

Pour l'appelante

MYLAN PHARMACEUTICALS ULC

Andrew Bernstein

W. Grant Worden

Yael Bienenstock

Rachel Saab

Pour LES INTIMÉES

PFIZER CANADA INC. et G.D. SEARLE & CO.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

GOODMANS LLP

Toronto (Ontario)

Pour l'appelante

APOTEX INC.

GILBERT’S LLP

Toronto (Ontario)

 

Pour l'appelante

MYLAN PHARMACEUTICALS ULC

TORYS LLP

Toronto (Ontario)

 

Pour LES INTIMÉES

PFIZER CANADA INC. et G.D. SEARLE & CO.

 

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