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Date : 20141107

Dossiers : A-114-14

A-115-14

Référence : 2014 CAF 257

CORAM :

LA JUGE TRUDEL

LE JUGE WEBB

LE JUGE BOIVIN

 

 

ENTRE :

NORMA J. FORD et IAN M. FORD

appelants

et

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

Audience tenue à Toronto (Ontario), le 7 octobre 2014.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 7 novembre 2014.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE WEBB

Y ONT SOUSCRIT :

LA JUGE TRUDEL

LE JUGE BOIVIN

 


Date : 20141107


Dossiers : A-114-14

A-115-14

Référence : 2014 CAF 257

CORAM :

LA JUGE TRUDEL

LE JUGE WEBB

LE JUGE BOIVIN

 

 

ENTRE :

NORMA J. FORD et IAN M. FORD

appelants

et

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE WEBB

[1]               Ian Ford et Norma Ford ont tous deux interjeté appel des jugements rendus par la Cour canadienne de l'impôt le 29 janvier 2014 (dossiers de la Cour canadienne de l'impôt nos 2012‑2351(IT)I et 2012‑2353(IT)I). Le juge en chef adjoint Rossiter a rejeté les appels qu'ils avaient interjetés à l'encontre des nouvelles cotisations établies en application de la Loi de l'impôt sur le revenu, L.R.C. 1985, ch. 1 (5e suppl.) (la Loi), pour les années d'imposition 1999, 2000 et 2001 à l'égard d'Ian Ford, et pour les années d'imposition 2000 et 2001 à l'égard de Norma Ford. Comme l'a ordonné notre Cour le 31 mars 2014, leurs appels ont été réunis et Norma Ford représentait les deux appelants dans les appels réunis.

Le contexte

[2]               Ian Ford et Norma Ford ont participé à un programme de don d'œuvres d'art géré par Canadian Art Advisory Services. Ils ont acheté des œuvres d'art à un prix donné et en faisaient ensuite don à un organisme de bienfaisance. Pour chaque don, ils ont obtenu un reçu pour un montant supérieur à ce qu'ils avaient payé pour l'œuvre d'art.

[3]               Ian Ford a fait l'objet d'une nouvelle cotisation en 2002 relativement à son année d'imposition 1999, et Ian Ford et Norma Ford ont chacun fait l'objet d'une nouvelle cotisation en 2003 pour leurs années d'imposition 2000 et 2001. Ils ont fait l'objet de nouvelles cotisations au motif que la juste valeur marchande des œuvres d'art qui ont été données à l'organisme ou aux organismes de bienfaisance (et, par conséquent, le montant du don) correspondait au montant qu'ils avaient payé pour les œuvres d'art, et non au montant plus élevé indiqué sur le reçu (ou les reçus) que leur avaient remis les organismes, ou l'organisme, de bienfaisance. On leur a également imposé des pénalités pour faute lourde en application du paragraphe 163(2) de la Loi.

[4]               Les appelants ont déposé des avis d'opposition et, en 2012, ils ont encore fait l'objet de nouvelles cotisations qui supprimaient les pénalités qui avaient été précédemment imposées et retiraient de leurs revenus les gains en capital imposables qu'ils avaient déclarés dans leurs déclarations de revenus pour le don d'œuvres d'art aux organismes, ou à l'organisme, de bienfaisance. Ils ont ensuite déposé des avis d'appel auprès de la Cour canadienne de l'impôt.

Les questions en litige

[5]               Les questions soulevées par Ian Ford et Norma Ford peuvent être regroupées et résumées de la façon suivante :

a)             l'équité procédurale en ce qui a trait à la fixation et au déroulement de leur audience devant la Cour canadienne de l'impôt;

b)        l'interprétation légale de l'exigence, prévue au paragraphe 165(3) de la Loi, que le ministre examine de nouveau la cotisation avec diligence après la réception d'un avis d'opposition.

[6]               L'argument des appelants concernant l'interprétation légale comprend deux volets. Ils soutiennent que le ministre a perdu le droit d'établir de nouvelles cotisations à leur égard en 2012 en raison de la longue période qui s'est écoulée entre la date à laquelle ils ont signifié leurs avis d'opposition, en 2002 et en 2003, et la date à laquelle le ministre a établi de nouvelles cotisations à leur égard, en 2012. Ils font également valoir qu'en raison de ce retard important, ils ne sont pas en mesure de présenter des éléments de preuve à l'appui de leur évaluation des œuvres d'art et que leurs appels devraient par conséquent être accueillis.

La question relative à l'équité procédurale

[7]               Ian Ford et Norma Ford soutiennent que la Cour canadienne de l'impôt n'avait pas le droit de prévoir l'instruction de leur appel parmi un groupe d'appels interjetés par des personnes qui avaient participé au même programme offert par Canadian Art Advisory Services. Ils étaient principalement préoccupés par le fait que, selon eux, les autres personnes contesteraient la juste valeur marchande des œuvres d'art alors qu'ils contesteraient plutôt le droit du ministre d'établir de nouvelles cotisations à leur égard en 2012. Ils se disaient préoccupés par le fait qu'ils ne seraient pas en mesure de présenter leurs arguments juridiques s'ils devaient participer à une audience comportant beaucoup d'autres contribuables qui contesteraient les nouvelles cotisations sur un autre fondement. Toutefois, il me semble que tout tribunal, y compris la Cour canadienne de l'impôt, a le pouvoir de décider de sa propre procédure et de fixer l'audition des appels aux conditions qu'il détermine pour l'instruction efficace et équitable des appels.

[8]               Au début de l'audience devant la Cour canadienne de l'impôt, il y avait plusieurs appelants. À titre de question préliminaire avant la présentation de tout élément de preuve, le juge de la Cour de l'impôt a statué sur la question de savoir si la Cour canadienne de l'impôt pouvait accorder une renonciation quant à une partie des intérêts courus, étant donné que le ministre avait beaucoup tardé à examiner de nouveau les cotisations. Le juge de la Cour de l'impôt a jugé que la Cour canadienne de l'impôt n'a pas compétence pour accorder une renonciation quant aux intérêts puisque, suivant la Loi, toute renonciation à un montant d'intérêts devait être faite par le ministre, comme l'indique le paragraphe 220(3.1) de la Loi, à la suite d'une demande en ce sens présentée par le contribuable. La décision du ministre en réponse à une telle demande ne serait pas liée au bien‑fondé de la cotisation et, par conséquent, la Cour canadienne de l'impôt n'aurait pas non plus compétence pour contrôler la décision du ministre quant à la renonciation à un montant d'intérêts.

[9]               À la suite de la décision du juge de la Cour de l'impôt selon laquelle la Cour canadienne de l'impôt ne pouvait renoncer à un montant d'intérêts payable en vertu de la Loi, la plupart des appelants ont signé des consentements à jugement et ont renoncé à l'audience. Les seules personnes dont les appels devaient être entendus qui ont poursuivi leurs appels devant la Cour canadienne de l'impôt étaient Albert Milne, Marion Milne, Ian Ford et Norma Ford. Par conséquent, lorsque le juge de la Cour de l'impôt a commencé à entendre leurs témoignages, Ian Ford et Norma Ford représentaient la moitié des appelants. Ils ne faisaient plus partie d'un grand groupe d'appelants et, par conséquent, toute préoccupation qu'ils auraient pu avoir concernant le fait de participer à une instance avec un grand groupe de personnes aurait été atténuée.

[10]           Norma Ford a soutenu tant à l'audience devant la Cour canadienne de l'impôt que lors du présent appel qu'elle et Ian Ford se fonderaient uniquement sur un argument juridique et qu'ils ne présenteraient pas d'éléments de preuve (et n'avaient aucunement l'intention d'en présenter). La norme de contrôle pour les questions de droit est celle de la décision correcte (Housen c. Nikolaisen, [2002] 2 R.C.S. 235, 2002 CSC 33, au paragraphe 8). La réparation que sollicitait Norma Ford relativement à son argument d'équité procédurale était de renvoyer l'affaire à la Cour canadienne de l'impôt pour qu'elle procède à une nouvelle audience. Même s'il y avait eu manquement à un principe d'équité procédurale en l'espèce, l'affaire ne serait pas renvoyée pour la tenue d'une nouvelle audience, mais notre Cour statuerait plutôt sur la question de droit puisqu'elle a « toute latitude pour substituer [son] opinion à celle des juges de première instance » dans le cas de pures questions de droit (Housen c. Nikolaisen).

[11]           Quoi qu'il en soit, je ne crois pas qu'on puisse en l'espèce conclure qu'Ian Ford et Norma Ford ont subi un préjudice du fait qu'on ait prévu d'instruire conjointement leurs appels et les appels d'autres personnes ou en raison du déroulement de l'audience.

Interprétation légale — « avec diligence »

[12]           L'argument juridique d'Ian Ford et de Norma Ford est fondé sur l'expression « avec diligence » figurant au paragraphe 165(3) de la Loi :

165(3) Sur réception de l'avis d'opposition, le ministre, avec diligence, examine de nouveau la cotisation et l'annule, la ratifie ou la modifie ou établit une nouvelle cotisation. Dès lors, il avise le contribuable de sa décision par écrit.

165(3) On receipt of a notice of objection under this section, the Minister shall, with all due dispatch, reconsider the assessment and vacate, confirm or vary the assessment or reassess, and shall thereupon notify the taxpayer in writing of the Minister's action.

[13]           Les appelants sont d'avis que leurs appels auraient dû être accueillis étant donné que le ministre du Revenu national avait beaucoup tardé à traiter leurs avis d'opposition. Ian Ford avait déposé son avis d'opposition en 2002 relativement à la nouvelle cotisation pour son année d'imposition 1999, et les deux ont déposé des avis d'opposition en 2003 à l'égard des nouvelles cotisations pour leurs années d'imposition 2000 et 2001. La décision du ministre en lien avec ces avis d'opposition n'a été rendue qu'en 2012, lorsqu'ils ont fait l'objet de nouvelles cotisations, comme je l'ai indiqué précédemment. Ils soutiennent essentiellement que, comme le ministre a mis tellement de temps à examiner les nouvelles cotisations, il ne l'a pas fait « avec diligence », comme l'exige le paragraphe 165(3) de la Loi et, par conséquent, le ministre a perdu le droit d'établir de nouvelles cotisations à leur égard en 2012, et ces nouvelles cotisations devraient être annulées.

[14]                Rien dans le dossier n'indique que soit la Couronne soit le juge de la Cour de l'impôt ait expliqué à Norma Ford les conséquences qui découleraient de l'annulation des nouvelles cotisations de 2012 que demande Norma Ford. En l'espèce, il est important d'examiner l'historique des cotisations et des nouvelles cotisations et d'examiner ce qui se produit lorsqu'une nouvelle cotisation est établie ou annulée.

[15]                Dans les réponses qui ont été déposées auprès de la Cour canadienne de l'impôt, la Couronne expose l'historique des cotisations et des nouvelles cotisations d'Ian Ford et de Norma Ford, lesquelles sont résumées comme suit :

Année d'imposition 1999 (Ian Ford)

Date de la (nouvelle) cotisation

Résultat de la (nouvelle) cotisation

15 juin 2000

Cotisation initiale à l'égard de la déclaration de revenus

21 mars 2002

Somme à payer en application de la Loi majorée en raison de la réduction du crédit d'impôt pour dons de bienfaisance et de l'imposition de pénalités pour faute lourde

16 mars 2012

Somme à payer en application de la Loi réduite en raison de l'annulation des pénalités pour faute lourde et de la suppression des gains en capital imposables déclarés relativement aux œuvres d'art données

Année d'imposition 2000 (Ian Ford)

Date de la (nouvelle) cotisation

Résultat de la (nouvelle) cotisation

14 juin 2001

Cotisation initiale à l'égard de la déclaration de revenus

29 septembre 2003

Somme à payer en application de la Loi majorée en raison de la réduction du crédit d'impôt pour dons de bienfaisance et de l'imposition de pénalités pour faute lourde

16 mars 2012

Somme à payer en application de la Loi réduite en raison de l'annulation des pénalités pour faute lourde et de la suppression des gains en capital imposables déclarés relativement aux œuvres d'art données

Année d'imposition 2001 (Ian Ford)

Date de la (nouvelle) cotisation

Résultat de la (nouvelle) cotisation

13 juin 2002

Cotisation initiale à l'égard de la déclaration de revenus

29 septembre 2003

Somme à payer en application de la Loi majorée en raison de la réduction du crédit d'impôt pour dons de bienfaisance et de l'imposition de pénalités pour faute lourde

16 mars 2012

Somme à payer en application de la Loi réduite en raison de l'annulation des pénalités pour faute lourde et de la suppression des gains en capital imposables déclarés relativement aux œuvres d'art données

Année d'imposition 2000 (Norma Ford)

Date de la (nouvelle) cotisation

Résultat de la (nouvelle) cotisation

14 mai 2001

Cotisation initiale à l'égard de la déclaration de revenus

29 septembre 2003

Somme à payer en application de la Loi majorée en raison de la réduction du crédit d'impôt pour dons de bienfaisance et de l'imposition de pénalités pour faute lourde

27 avril 2012

Somme à payer en application de la Loi réduite en raison de l'annulation des pénalités pour faute lourde et de la suppression des gains en capital imposables déclarés relativement aux œuvres d'art données

Année d'imposition 2001 (Norma Ford)

Date de la (nouvelle) cotisation

Résultat de la (nouvelle) cotisation

13 juin 2002

Cotisation initiale à l'égard de la déclaration de revenus

29 septembre 2003

Somme à payer en application de la Loi majorée en raison de la réduction du crédit d'impôt pour dons de bienfaisance et de l'imposition de pénalités pour faute lourde

27 avril 2012

Somme à payer en application de la Loi réduite en raison de l'annulation des pénalités pour faute lourde et de la suppression des gains en capital imposables déclarés relativement aux œuvres d'art données

[16]                Chaque fois qu'Ian Ford et Norma Ford ont fait l'objet d'une nouvelle cotisation relativement à une année d'imposition donnée, cette nouvelle cotisation invalidait la cotisation ou nouvelle cotisation précédente qui avait été établie à l'égard de cette année (TransCanada Pipelines Limited c. Canada, 2001 CAF 314, autorisation d'appel rejetée, [2001] C.S.C.R. no 619 (QL)). Si une nouvelle cotisation est annulée, la cotisation ou nouvelle cotisation précédente pour ce même contribuable pour cette même année n'est donc plus invalidée et cette cotisation ou nouvelle cotisation est rétablie. Par exemple, si la nouvelle cotisation établie le 27 avril 2012 pour l'année d'imposition 2001 de Norma Ford était annulée, la nouvelle cotisation établie le 29 septembre 2003 pour l'année d'imposition 2001 serait rétablie.

[17]                En l'espèce, Norma Ford prétend que les nouvelles cotisations établies en 2012 n'auraient pas dû être établies et devraient être annulées. Selon son argument, qui repose sur le défaut du ministre d'agir avec diligence conformément au paragraphe 165(3) de la Loi, pareil défaut devrait entraîner l'annulation des nouvelles cotisations de 2012. Toutefois, ces nouvelles cotisations réduisaient la somme à payer au titre de l'impôt de Norma Ford et d'Ian Ford en raison de la suppression des pénalités pour faute lourde et des gains en capital imposables qu'ils avaient déclarés relativement aux dons d'œuvres d'art. Si ces nouvelles cotisations étaient annulées, la nouvelle cotisation précédente pour chaque année serait rétablie et la somme qu'ils devront payer au titre de l'impôt serait augmentée, puisque le crédit d'impôt pour don de bienfaisance serait toujours moindre que le montant initialement déclaré dans leurs déclarations de revenus, mais les pénalités pour faute lourde et les gains en capital imposables liés aux œuvres d'art seraient rétablis. Toutefois, si l'annulation d'une nouvelle cotisation avait pour effet d'augmenter la somme à payer par le contribuable (parce que le montant des impôts exigibles était plus élevé selon la cotisation précédente), la Cour canadienne de l'impôt ne pourrait accorder cette réparation de toute façon (Anonby c. La Reine, 2013 CCI 184).

[18]                Ian Ford et Norma Ford auraient gain de cause uniquement si les nouvelles cotisations établies en 2012 et les nouvelles cotisations établies en 2002, à l'égard d'Ian Ford, et en 2003, à l'égard d'Ian Ford et de Norma Ford, étaient annulées. Par conséquent, son argument relatif au temps pris par le ministre pour établir une nouvelle cotisation après le dépôt de leurs avis d'opposition devrait s'appliquer aux nouvelles cotisations qui ont été précédemment établies en 2002 et 2003.

[19]           Dans l'arrêt Bolton c. Canada, [1996] A.C.F. no 820 (QL) (C.A.F.), le juge Hugessen, s'exprimant au nom de la Cour d'appel fédérale, a affirmé ce qui suit :

Dans l'affaire La Reine c. Ginsberg (No de greffe A‑242‑94) jugée la semaine dernière, nous avons conclu que ce n'était pas l'intention du législateur que le défaut du ministre d'examiner une déclaration et d'établir une cotisation « avec toute la diligence possible », comme l'exige le paragraphe 152(1), le prive des pouvoirs que lui accorde la Loi d'établir une cotisation. Le raisonnement suivi dans cette affaire s'applique avec encore plus de force ici : le législateur n'entendait clairement pas que le défaut du ministre d'examiner de nouveau une cotisation avec toute la diligence possible ait pour effet d'annuler la cotisation. En cas d'inaction de la part du ministre, le contribuable a pour recours l'appel prévu à l'article 169 :

ARTICLE 169 : Appel.

Lorsqu'un contribuable a signifié un avis d'opposition à une cotisation, prévu à l'article 165, il peut interjeter appel auprès de la Cour canadienne de l'impôt, pour faire annuler ou modifier la cotisation

a) après que le Ministre a ratifié la cotisation ou procédé à une nouvelle cotisation, ou

b) après l'expiration des 90 jours qui suivent la signification de l'avis d'opposition sans que le Ministre ait notifié au contribuable le fait qu'il a annulé ou ratifié la cotisation ou procédé à une nouvelle cotisation;

mais nul appel prévu au présent article ne peut être interjeté après l'expiration des 90 jours qui suivent la date où avis a été expédié par la poste au contribuable, en vertu de l'article 165, portant que le Ministre a ratifié la cotisation ou procédé à une nouvelle cotisation.

(non souligné dans l'original)

Le texte souligné serait évidemment inutile et dénudé de sens si l'omission du ministre avait déjà pour effet d'annuler la cotisation.

[20]           Par conséquent, dans l'arrêt Bolton, notre Cour a conclu qu'une nouvelle cotisation qui a été antérieurement établie ne pouvait être annulée simplement parce que le ministre n'a pas examiné de nouveau la nouvelle cotisation avec diligence, comme l'exige le paragraphe 165(3) de la Loi, puisque le contribuable a le droit d'interjeter appel devant la Cour canadienne de l'impôt si le ministre n'agit pas en réponse à l'avis d'opposition dans les 90 jours suivant la signification de l'avis d'opposition par le contribuable.

[21]           En l'espèce, Norma Ford a fait valoir que les appelants ne pouvaient exercer leur droit d'appel devant la Cour canadienne de l'impôt parce que toutes les autres affaires en matière de dons d'œuvres d'art étaient suspendues par le ministre en attendant l'issue de l'affaire Canada c. Nash, 2005 CAF 386. Elle a toutefois reconnu qu'une fois que l'affaire Nash a été tranchée par notre Cour et que l'autorisation d'interjeter appel auprès de la Cour suprême du Canada a été refusée ([2006] C.S.C.R. no 20 (QL)), il n'était pas dans leur intérêt d'interjeter appel auprès de la Cour canadienne de l'impôt en application de l'alinéa 169(1)b) de la Loi. Quoi qu'il en soit, l'Agence du revenu du Canada ne peut priver les contribuables du droit d'interjeter appel auprès de la Cour canadienne de l'impôt que leur confère l'alinéa 169(1)b) de la Loi.

[22]           Norma Ford a également affirmé qu'il a été conclu dans d'autres décisions que la Cour canadienne de l'impôt pouvait annuler une nouvelle cotisation si le ministre n'a pas examiné de nouveau la nouvelle cotisation avec diligence. Les deux décisions citées par Norma Ford sont l'arrêt Ereiser c. Canada, 2013 CAF 20, [2013] A.C.F. no 102 (QL), et la décision Moledina c. La Reine, 2007 CCI 354, [2007] A.C.I. no 286 (QL).

[23]           Dans l'arrêt Ereiser, la juge Sharlow, s'exprimant au nom de la Cour, a affirmé ce qui suit :

21        M. Ereiser sollicite de la Cour canadienne de l'impôt l'annulation des nouvelles cotisations faisant l'objet d'un appel. Il s'agit de la mesure appropriée en matière d'appel concernant l'impôt sur le revenu à l'encontre d'une cotisation (y compris une nouvelle cotisation) qui est déclarée non valide ou qui est déclarée infondée. J'emploie le mot « valide » pour désigner la cotisation établie conformément aux dispositions procédurales de la Loi de l'impôt sur le revenu, et les mots « bien fondée » pour désigner une cotisation dans laquelle le montant établi au titre de l'impôt est fondé sur les dispositions applicables de la Loi de l'impôt sur le revenu, interprétées correctement et appliquées aux faits pertinents.

22        Parmi les dispositions procédurales de la Loi de l'impôt sur le revenu, il y a les dispositions relatives aux périodes de prescription prévues par la loi. En règle générale, ces dispositions retirent du ministre le pouvoir légal d'établir une cotisation au titre de l'impôt après l'expiration d'une certaine période, période que la Loi de l'impôt sur le revenu définit comme étant la « période normale de cotisation », à moins qu'une exception prévue par la loi ne joue.

[24]           Dans ces paragraphes, la juge Sharlow décrit une cotisation valide comme une « cotisation établie conformément aux dispositions procédurales de la Loi ». Comme elle l'a indiqué, ces exigences procédurales comprennent celles relatives aux délais de prescription prévus par la loi, qui sont décrits comme la période normale de nouvelle cotisation. La période normale de nouvelle cotisation est définie au paragraphe 152(3.1) de la Loi. La juge ne renvoyait pas au paragraphe 165(3) de la Loi, lequel n'emploie pas l'expression « période normale de nouvelle cotisation ». En l'espèce, Ian Ford et Norma Ford n'auront gain de cause que si les nouvelles cotisations établies en 2002 et en 2003 sont annulées. Toutefois, ces nouvelles cotisations ont été établies dans la période normale de nouvelle cotisation. Par conséquent, elles constituent des cotisations ou nouvelles cotisations validement établies, comme l'envisageait la juge Sharlow. Cette décision n'étaye pas la thèse d'Ian Ford et de Norma Ford selon laquelle le principe énoncé dans l'arrêt Bolton ne devrait pas s'appliquer en l'espèce.

[25]           Dans la décision Moledina, le juge en chef Bowman (tel était alors son titre) a affirmé ce qui suit :

7          En général, les retards dans le traitement d'un avis d'opposition ne constituent pas un motif d'annulation d'une cotisation ni, à plus forte raison, de suppression des intérêts. La raison pour laquelle une telle mesure de redressement n'est pas accordée n'est pas l'absence de compétence de la Cour canadienne de l'impôt — parce que s'il existe un motif juridiquement valable d'annuler une cotisation, la Cour a le pouvoir de le faire — mais plutôt le fait que, dans la plupart des cas, le retard ne constitue pas un motif juridiquement valable de contester une cotisation, étant donné que le contribuable lui-même détient le pouvoir de mettre fin au retard.

8          Selon l'alinéa 169(1)b) de la Loi, si le ministre n'a pas répondu à un avis d'opposition en établissant une nouvelle cotisation ou bien en annulant ou en ratifiant la cotisation, le contribuable a le droit d'interjeter appel devant la Cour canadienne de l'impôt. Étant donné qu'il a manifestement le droit d'interjeter appel après l'expiration d'une période de 90 jours, (voir l'arrêt Bolton c. Canada, [1996] A.C.F. no 820 (QL), 96 DTC 6413, il est difficile d'imaginer pourquoi, dans un cas où le ministre tarde à traiter une opposition, un contribuable chercherait à obtenir ou se verrait accorder un redressement extraordinaire comme le mandamus (cf. l'arrêt Ginsberg c. Canada, [1996] 3 C.F. 334, (96 DTC 6372) ou un autre type de contrôle judiciaire. [...]

(Note de bas de page omise.)

[26]                Loin de remettre en question l'arrêt Bolton, le juge en chef Bowman confirme le principe énoncé dans l'arrêt Bolton et renvoie expressément à cet arrêt. La décision Moledina n'étaye pas non plus la position d'Ian Ford et de Norma Ford.

Retard — Question de preuve

[27]                Norma Ford a également fait valoir que le retard important du ministre à examiner les avis d'opposition a porté préjudice à leur droit d'obtenir des éléments de preuve à l'appui des montants qu'ils ont réclamés, lorsqu'ils ont rempli leurs déclarations de revenus, comme étant la juste valeur marchande des œuvres d'art données. Ils craignaient qu'il soit trop difficile d'obtenir les évaluations appropriées des œuvres d'art dont ils ne sont plus propriétaires étant donné que les années visées sont 1999, 2000 et 2001.

[28]                Dans beaucoup d'affaires entendues par la Cour canadienne de l'impôt, la juste valeur marchande d'un bien en particulier constitue l'une des questions à trancher. Comme un appel interjeté auprès de la Cour canadienne de l'impôt est toujours lié à la cotisation ou la nouvelle cotisation d'une année d'imposition antérieure, ces questions d'évaluation se rapportent toujours à une date antérieure à la date de l'audience. Si les contribuables sont préoccupés par le fait que le ministre n'examine pas de nouveau leur cotisation avec diligence, comme l'exige le paragraphe 165(3) de la Loi, et que le passage du temps nuit à leur capacité de rassembler des éléments de preuve pour la tenue d'une audience devant la Cour canadienne de l'impôt, ils pourraient se prévaloir du droit d'interjeter appel auprès de la Cour canadienne de l'impôt, comme le dispose l'alinéa 169(1)b) de la Loi.

[29]                En l'espèce, Ian Ford et Norma Ford auraient également su en 2002, lorsque Ian Ford a fait l'objet d'une nouvelle cotisation, que l'Agence du revenu du Canada n'approuvait pas l'évaluation des œuvres d'art indiquée dans la déclaration de revenus de 1999 d'Ian Ford. Ils ont déposé leurs avis d'opposition en 2002 et en 2003 et, par conséquent, ils ont eu plusieurs années pour rassembler leurs éléments de preuve relativement à la juste valeur marchande des œuvres d'art. La déclaration de Norma Ford selon laquelle la preuve relative à l'évaluation était mince et difficile à obtenir ne lui est d'aucun secours, puisque cela signifierait qu'elle aurait peu d'éléments de preuve, voire aucun, à présenter à la Cour de l'impôt à l'appui de sa thèse selon laquelle la juste valeur marchande des œuvres d'art équivalait au montant réclamé en tant que don de bienfaisance dans leurs déclarations de revenus.

Conclusion

[30]                Je souscris à la déclaration du juge Hugessen dans l'arrêt Bolton selon laquelle un contribuable ne peut réussir à faire annuler une nouvelle cotisation qui a été précédemment établie uniquement parce que le ministre n'a pas examiné de nouveau cette nouvelle cotisation avec diligence. Puisque Ian Ford et Norma Ford n'auraient gain de cause en l'espèce que si les nouvelles cotisations qui ont été validement établies en 2002 et en 2003 sont annulées (ou modifiées), le principe énoncé dans l'arrêt Bolton s'applique et ces cotisations établies en 2002 et en 2003 ne peuvent être annulées (ou modifiées) uniquement parce que le ministre a pris un certain nombre d'années avant d'examiner de nouveau ces nouvelles cotisations après la signification de leurs avis d'opposition.

[31]           Par conséquent, je rejetterais les appels réunis, avec un seul mémoire de dépens. Une copie des présents motifs sera versée dans le dossier d'appel A‑115‑14.

« Wyman W. Webb »

j.c.a.

« Je suis d'accord.

Johanne Trudel, j.c.a. »

« Je suis d'accord.

Richard Boivin, j.c.a. »

Traduction certifiée conforme

Yves Bellefeuille, réviseur


COUR D'APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIERS :

A-114-14 ET A-115-14

 

 

INTITULÉ :

NORMA J. FORD et IAN M. FORD c. SA MAJESTÉ LA REINE

 

 

LIEU DE L'AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L'AUDIENCE :

LE 7 OCTOBRE 2014

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE WEBB

 

Y ONT SOUSCRIT :

LA JUGE TRUDEL

LE JUGE BOIVIN

 

DATE DES MOTIFS :

LE 7 NOVEMBRE 2014

 

COMPARUTIONS :

Les appelants eux‑mêmes

 

POUR LES APPELANTs

 

Erin Strashin

 

POUR L'INTIMÉe

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

POUR L'INTIMÉe

 

 

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